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Il était une fois : les princes du sang et la règle de succession des rois de France

Difficile de cerner les subtilités de la politique française de la Royauté d’Ancien Régime (et ce faisant tout ce qui est sous-tendu par cette dernière) sans correctement comprendre et appréhender le concept de « princes du sang », de même que la façon dont fonctionnait la succession au trône des rois de France depuis le Moyen-Âge.

Dans ce petit article extrait de ma grande série sur l’histoire (vraie) de la Bête de la Gévaudan (une histoire extraordinaire, et la plus grande énigme du règne de Louis XV), je vous propose ainsi de revenir sur ces notions fondamentales de la France du temps de la Monarchie, dont les règles ont structuré durant des siècles le fonctionnement du Royaume. Bonne lecture !


Une règle de succession héritée des Francs : les garçons uniquement, et les aînés d’abord !

Depuis le début de la dynastie des Capétiens, la succession des rois de France repose sur le principe de la primogéniture mâle. Autrement dit, quand le roi meurt, son premier successeur légitime est son fils ainé (ou le premier des fils cadets si l’aîné est déjà décédé). Puis ce sera à son tour l’aîné de celui-ci qui sera appelé à devenir son successeur, et ainsi de suite (l’aîné des fils d’un roi de France, et donc en théorie le futur roi, était appelé alors le « Dauphin », et son propre fils aîné le « Petit Dauphin »).

Si le roi vivait très longtemps (comme ce fut le cas de Louis XIV), ses fils pouvaient être tous morts avant lui. Dans ce cas, le trône devait succéder en premier lieu au premier fils du fils aîné du roi. À défaut, au second fils du fils aîné du roi. À défaut, au premier fils du second fils du roi. Etcetera, etcetera (je pense que vous avez compris le principe : tant qu’il y a des héritiers mâles en lignée directe, c’est le premier sur la liste d’entre eux qui devient roi).


Le fonctionnement de la succession quand le roi meurt sans héritier

Bon, jusqu’ici, ça va, c’est plutôt simple, alors prenons un cas un peu plus complexe qui s’est présenté un certain nombre de fois : le roi meurt sans héritier. C’est-à-dire qu’ou tous ces fils et petits-fils, etc., sont morts, ou tout simplement le roi n’a pas eu d’enfants – ou bien pire : n’a eu que des filles ! (c’était le raisonnement de l’époque hein, désolé les filles… :P) Dans ce cas, on remonte la généalogie dans l’autre sens, et l’on va chercher du côté des frères du feu roi – s’il en a eu. Si c’est le cas, le trône va au frère cadet du roi, ou son petit frère si celui-ci est mort. Si ces derniers sont morts mais ont eu des fils, c’est encore et toujours la même règle qui s’applique : on va chercher l’aîné du premier frère du roi, puis son cadet, puis l’aîné du second frère, etc.

Bon, et dans les cas ou tout le monde est mort ou qu’il n’y a pas eu de frères ? Eh bien dans ce cas, on continue à reprendre la généalogie et on remonte au grand-père, à l’arrière-grand-père, jusqu’à cinq générations s’il le faut. C’est arrivé plusieurs fois. Par exemple, lors de la mort du dernier roi de la dynastie des Valois : Henri III. Lorsque celui-ci fut assassiné par Jacques Clément, il n’avait pas d’enfants et les Valois ne comptaient plus aucun descendant en lignée masculine. C’est un principe fondamental de la règle de succession à comprendre : pour prétendre à la Couronne de France, vous devez descendre directement ET PAR LES MÂLES d’un roi de France ! C’était ainsi le cas des Valois, qui étaient issus d’une branche cadette des Capétiens (c’est-à-dire descendaient du frère cadet d’un roi de France, roi qui avait lui-même eu une descendance mais dont tous les descendants masculins avaient fini par disparaître).

En 1589 donc, avec le décès d’Henri III, la lignée masculine de la maison de Valois s’éteint, et suivant la vieille loi salique, c’est le chef de la maison de Bourbon, en tant qu’aîné de la plus ancienne branche survivante de la dynastie capétienne, qui devient roi de France. C’est ainsi qu’à l’époque, un certain Henri de Navarre devient le nouveau roi de France sous le nom d’Henri IV. Henri IV descend bien d’un roi de France par les mâles : son grand-père est le descendant à la huitième génération en lignée masculine de Saint-Louis ! Lorsque Henri III meurt, Henri IV était alors précisément le premier prince du sang du Royaume, ce qui va constituer une excellente transition pour vous expliquer cette fonction si particulière et si importante de la Monarchie française durant l’Ancien Régime en particulier.

Rien de tel qu’un petit schéma pour bien visualiser le fonctionnement de cette fameuse règle de primogéniture mâle des rois de France. Lorsque la lignée masculine de Philippe le Bel s’éteignit (un rapport donc avec la fameuse malédiction de Jacques de Molay et un fabuleux retour de karma de la part des Templiers ?), on remonta à son père Philippe III le Hardi, et on redescendit l’autre branche qui partait de ce dernier : celle des descendants mâles de son autre fils Charles de Valois. Et c’est ainsi que le trône de France alla à Philippe VI, ancêtre en lignée masculine de Henri III !

Fils de France, Petits-fils de France et Princes du Sang : quèsaco ?

Depuis la fin du Moyen-Âge, dans l’organisation et le vocabulaire de la Monarchie française, il y avait trois grandes familles de titres très importantes : les fils de France, les petits-fils de France, et les princes du sang. Appartient aux fils de France un enfant mâle d’un roi de France. Le principe est le même pour les petits-fils. Durant l’Ancien Régime, on parle plus globalement des « Enfants de France » pour désigner les fils du roi et leurs conjoints.

Viennent ensuite (et cela a pu représenter à des moments pas mal de monde) les princes du sang : ce sont les princes et princesses issus légitimement par les mâles d’un petit-fils de France. Dit autrement, les princes du sang forment (théoriquement) l’ensemble de la descendance directe de troisième génération et plus en lignée masculine des rois de France (à condition que celle-ci soit issue d’un mariage légitime – ce qui exclue donc normalement toute la descendance fruit de relations adultérines). Tout descendant par les mâles d’un roi de France légitime (en l’occurrence d’un roi de France de la dynastie capétienne) qui n’est pas un fils ou un petit-fils de France est par définition de l’époque un prince ou une princesse du sang (cela concerne donc les arrière-petits-fils d’un roi de France et toute la lignée masculine qui s’ensuit). Ça, c’est du moins la théorie, car dans la pratique, le titre ne désigne que les princes capétiens descendants par mariage légitime de Saint-Louis (et par extension leurs épouses – qui porte alors le titre de « princesse du sang »). La famille de Courtenay, bien que descendant en ligne directe du roi Louis VI le Gros, se verra par exemple refuser le titre de princes du sang.

L’importance (trop oubliée) des princes du sang dans l’ancien système monarchique français

Il faut bien prendre la mesure de ce que peut signifier dans le contexte de l’époque une telle chose. Appartenir aux princes (ou princesses du sang) signifie que vous avez du sang de roi de France dans vos veines (sang qui vous vient de votre père, et de son père avant lui, etc.). Et être un prince du sang (surtout le premier) signifie que vous êtes apte (légitime) à occuper le trône en cas d’extinction de la famille royale. Nous l’avons vu plus haut, lorsqu’Henri III meurt, Henri de Navarre est alors le premier prince de sang du royaume, puisque son père (déjà décédé) est un descendant à la neuvième génération du roi Saint-Louis. Ainsi Henri IV devient-il le roi de France et le fondateur du même coup de la dynastie des Bourbons, qui occupera le trône de France jusqu’à la Révolution et l’exécution de Louis XVI.

Sur cette superbe chronologie des lignées royales de France entre 1270 et 1610, on observe bien les « césures dynastiques » engendrées par l’extinction de la lignée des Capétiens directs (mort de tous les héritiers de Philippe de Bel) puis de sa branche cadette des Valois à la fin du XVIe siècle. On voit également bien combien il a fallu remonter loin dans la généalogie pour opérer la succession d’Henri III (en allant chercher les descendants de l’un des fils cadets de Saint-Louis, alors la seule lignée capétienne non-éteinte par les mâles), ainsi que comment les parents d’Henri IV (jusque-là premier prince du sang) et leurs descendants sont devenus à leur tour les nouveaux premiers princes du sang du Royaume durant presque toute la dynastie des Bourbons (lignées des Condés et des Contis).

Les Condés, grande lignée de princes du sang de l’Ancien Régime

En matière de fils, petit-fils de France et de princes du sang, comme à chaque nouveau règne, les compteurs sont alors remis à zéro, et c’est le frère du père d’Henri IV, Louis Ier de Bourbon-Condé, qui devient le nouveau premier prince du sang du Royaume. Celui-ci est l’arrière-grand-père du Grand Condé, qui à la mort de son père, sous le règne de Louis XIV, avait hérité à son tour du titre de premier prince du sang. La maison de Bourbon-Condé occupera ce titre jusqu’en 1709, moment où le titre revient théoriquement au duc de Chartres (le premier arrière-petit-fils de Louis XIII qui ne soit pas fils de France). Ce seront ensuite les ducs d’Orléans (la lignée issue du frère cadet de Louis XIV, Philippe d’Orléans) qui prendront le titre de premier prince du sang, dont l’un des descendants finira même par monter sur le trône (Louis-Philippe).

Quand le premier prince du sang était le prince de Condé, il avait le droit à l’appellation spécifique de « Monsieur le Prince », son fils étant appelé « Monsieur le Duc ». Quand le titre de Premier prince du sang passa à la Maison d’Orléans, avec la mort du Prince de Condé (Henri-Jules), le nouveau prince de Condé (Louis III) abandonna le titre de « Monsieur le Prince », mais son fils aîné (Louis-Henri) conserva l’appellation de « Monsieur le Duc ». Quant aux ducs d’Orléans, premiers princes du sang, ils ne prirent pas l’appellation de « Monsieur le Prince ».

Le statut de princes du sang était ainsi extrêmement prestigieux à l’époque qui nous intéresse ici. Il faisait de vous un être de sang royal, un individu qui sans être lié (issu) directement au roi de France actuellement sur le trône, partage le même sang que lui, et bénéficie même de la légitimité fantastique de le remplacer si les circonstances devaient y conduire. Cette légitimité et ce sentiment d’appartenir pleinement à la famille royale régnante était en outre renforcée par la politique matrimoniale des Bourbons, en particulier de Louis XIV, qui maria nombre de ses enfants (légitimes ou légitimés) à des princes ou princesses du sang (en l’occurrence des membres des maisons de Condé ou de Conti – ce qui évitait d’ailleurs à ces derniers de se marier entre eux comme ils en avaient assez la coutume…). Dit autrement, dans la France de l’Ancien Régime, les princes du sang occupaient l’un des plus hauts rangs qui soit, et bénéficiaient des privilèges immenses qui accompagnaient ce statut. En plus de se voir attribuer de nombreux titres et fonctions prestigieuses (Grand Maître de France, Grand Veneur de France, Grand Maréchal de France, Amiral de France, etc.), ils jouissaient d’une certaine « immunité » politique, qui les rendaient relativement intouchables et incondamnables peu importe les abus commis. Nous verrons plus bas, dans un encadré consacré à la lignée des princes de Condé et de Conti, combien cela ne fut pas anodin…

Notez enfin que si les familles de princes du sang furent nombreuses, la plupart sont aujourd’hui éteintes en ligne légitime (lignée masculine). Néanmoins, si l’on englobe également la descendance par les femmes, ce sont probablement des milliers de Français et Françaises contemporains qui ont de l’ancien sang royal dans leurs veines (une caractéristique qui, de façon générale, constitua historiquement le terreau de la haute noblesse de nombreux pays). Si d’aucuns parmi vous se sentent l’envie d’aller vérifier leur généalogie… 🙂

Zoom sur : les Condés et les Contis, une bien folle lignée…

Difficile pour l’initié qui se propose de lever le voile autour de l’énigme de la Bête de ne pas offrir un conséquent développement sur ces deux grandes familles de princes du sang de l’Ancien Régime, dont plusieurs membres gravitent plus ou moins près de l’épicentre de l’affaire.

Sans entrer dans les méandres de la généalogie royale, retenons que les Condés descendent de Saint-Louis par le grand-père d’Henri IV, le premier roi et le fondateur de la dynastie des Bourbons (qui donnera à la France tous ses souverains jusqu’à Louis XVI et la Révolution). Le fondateur de la maison de Condé est Louis Ier de Bourbon-Condé, l’oncle du futur Henri IV. L’accession de son neveu au trône de France suite à l’extinction de la branche des Valois (elle-même une branche cadette des Capétiens directs descendant d’Hugues Capet) place notre Condé comme premier prince du sang du Royaume – titre dont hériteront tous ses successeurs jusqu’à l’extinction de leur maison (qui se produira lors de la mort sans héritier mâle du dernier prince de Condé, au milieu du XVIIIe siècle).

Le petit-fils de Louis Ier, Henri II de Bourbon-Condé, fera marier sous le règne de Louis XIII son fils aîné Louis II (futur Grand Condé) à Claire-Clémence de Maillé, qui n’est autre que la nièce du cardinal de Richelieu. Avec ce mariage arrangé, le grand artisan de la Monarchie absolue espère ainsi bénéficier de l’opportunité de placer son propre sang sur le trône de France. En effet, le mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche demeure toujours stérile en ce début des années 1630, et Louis II de Bourbon-Condé, en tant que premier prince de sang du Royaume, figure en premier sur la liste de succession à la Couronne de France en cas de disparition de Louis XIII et de son frère (notre fameux Gaston d’Orléans, qui n’a pas non plus d’héritier mâle). Malheureusement pour le Cardinal, ces plans hypothétiques ne se réaliseront pas, car Louis XIII et la Reine donneront finalement naissance à un fils : un certain Louis-Dieudonné, futur Louis XIV… (naissance miraculeuse, au terme de vingt-deux années de mariage, sur laquelle pèse d’ailleurs un grand mystère ainsi qu’une bonne grosse controverse historique… !)

Quant à notre Louis II de Condé, si vous avez consulté l’encadré que je consacre dans cet article à la Fronde, vous savez qu’il va devenir l’un des plus grands militaires de son temps, puis le meneur de la Fronde des Princes qui succèdera à la Fronde Parlementaire en 1650 (et qui mettra le pays à feu et à sang). Défait, exilé, mettant son génie militaire au service de la Monarchie (adverse) espagnole, le Grand Condé est finalement gracié par Louis XIV et revient résider en France – où toutes ses possessions et biens familiaux lui sont agréablement restitués. Là, exclu de la Cour par le Roi-Soleil (mais pas trop malmené pour éviter de le repousser à la sédition), Louis II s’affaire à l’agrandissement et l’embellissement du château de Chantilly, qui deviendra le domaine principal de la famille de Condé (et dont la renommée date de cette époque !).

Pour le récit de l’histoire troublée de la Fronde, je vous renvoie vers le début de cet autre article de ma grande série sur la Bête du Gévaudan.

Sa femme (avec laquelle il a été marié de force et qu’il n’aime pas) lui donne un fils : Henri-Jules, qui héritera du titre de prince de Condé. Marié à la calme et pieuse Anne de Bavière, ce prince du sang marquera son temps par sa violence et sa folie, dont il aurait hérité de sa mère (qui en aurait elle-même hérité de sa famille – le cardinal de Richelieu étant lui aussi connu pour sa fragilité psychologique). Protégé par son statut de premier prince de sang, Henri-Jules défait en effet la chronique de son temps et est jugé très négativement par nombre de ses contemporains (qui le surnomment « Condé le Fol » ou encore le « Singe vert », en raison de son physique disgracieux). Détail qui ne peut manquer de nous intéresser ici : ce prince de Condé aurait été atteint de lycanthropie. Les récits d’époque racontent qu’il lui arrivait parfois de hurler au loup le soir dans sa chambre à Versailles, tandis que le duc de Saint-Simon (le célèbre chroniqueur du règne de Louis XIV) rapporte à son sujet qu’il existe des moments où « tantôt il se croyait chien, tantôt quelque autre bête, dont il imitait les façons ».

Il est vrai qu’un rapport concret avec les chiens et les loups, les Condés en avaient bien un : le grand-père d’Henri-Jules occupait en effet la fonction de Grand Veneur du Royaume, autrement dit le haut-patronage de tout ce qui avait trait à la chasse à courre en France, ainsi que la personne officiellement chargée de l’organisation des chasses royales ! Les différents membres de la lignée des princes de Condé étaient effectivement, à l’instar de la plupart des rois de France, des grands passionnés et pratiquants de chasse, et leur famille disposaient vraisemblablement des plus importants équipements et équipages de chasse après ceux du Roi ! En plus des nombreux chiens qu’ils élevaient, les Condés étaient également connus pour leurs ménageries, qui comptaient de nombreux fauves (avoir dans ses châteaux des animaux exotiques était il est vrai très à la mode au sein de la haute noblesse française au tournant du XVIIIe siècle ; le Roi-Soleil lui-même disposait d’ailleurs d’une importante ménagerie et aimait à organiser des combats de fauves dans ses jardins du château de Versailles… !).

Vue de la cour intérieure de l'hôtel de Condé (gravure d'époque)
L’hôtel de Condé, où sont nés et résidaient un certain nombre de membres de la famille lors de leur passage à la capitale (les Contis avaient de même leur propre hôtel). Aujourd’hui disparu, ce somptueux hôtel particulier avait été donné à Henri II de Bourbon-Condé par Marie de Médicis pour le remercier d’avoir consenti à épouser Charlotte-Marguerite de Montmorency (la sœur d’Henri II de Montmorency, notre fameux gouverneur décapité du Languedoc). L’hôtel et ses jardins occupaient un immense terrain, aujourd’hui situé dans le quartier de l’Odéon. C’est également dans cet hôtel que naquit le 2 juin 1740 un certain Donatien Alphonse François de Sade, plus connu sous le nom de marquis de Sade (où sa mère, Marie-Éléonore de Maillé de Carman, avait ses appartements, en qualité de « dame d’accompagnement » et parente de la princesse de Condé). Il y a des choses qui ne s’inventent pas.

Mais revenons à notre cher Henri-Jules, notre lycanthrope notoire des princes de sang. Celui-ci ne fut pas le seul membre de la maison de Bourbon-Condé à être atteint de graves problèmes de folie. Son petit-fils, Charles de Bourbon, va ainsi réussir à se constituer une légende encore plus noire que celle de son grand-père. Celui que l’on appelait du fait de ses titres le « comte de Charolais »marqua en effet le début du règne de Louis XV par ses dérapages sadiques.

Personnage débauché, violent, colérique, parfois décrit comme à la limite de la psychopathie, incroyablement imbu de sa personne et de son rang, Charles aurait commis de nombreuses atrocités, sûr de son impunité en tant que prince du sang (au point que le souverain déclarera que le comte ne devait qu’à ce haut-rang de n’avoir pas fini exécuté…). Des chroniques d’époque (dont des rapports de police qui auraient longtemps été tenus secrets) rapportent « qu’il faisait enlever et séquestrer des femmes et des jeunes filles afin de les utiliser dans les orgies sadiques qu’il organisait en compagnie d’autres dépravés ». Il serait notamment établi, qu’en pleine rue et devant des témoins, le comte aurait fait feu de son pistolet et tué, froidement et sans raison, un bourgeois d’Anet qui avait eu le malheur de se trouver à portée de son arme. De nombreux historiens croit voir en lui celui qui aurait inspiré les romans du célèbre marquis de Sade… (qui grandit donc chez les Condés dans l’entourage du prince !)

Si ces horreurs peuvent vous sembler bien éloignées du Gévaudan de la Bête, elles ne le sont pas tant que ça, car le comte de Charolais était le frère du comte de Clermont, le propriétaire des légionnaires de Clermont-Prince et le patron du capitaine Duhamel. Le troisième frère de la fratrie, Louis-Henri, était loin également d’être n’importe qui : il fut le président du Conseil de Régence après la mort de Louis XIV, et même le Premier Ministre du Royaume de 1723 à 1726 – avant d’être disgracié puis exilé par Louis XV (qui le remplaça par le fameux cardinal de Fleury). C’est dans les terres de Louis-Henri – prince de Condé en titre jusqu’à sa mort en 1740, qu’apparut celle que l’Histoire retiendra sous le nom de Bête de l’Auxerrois, première (mais pas dernière…) grande affaire de « bêtes dévorantes » du règne de Louis XV. À cette première mystérieuse Bête (qui fera beaucoup de dégâts puis disparaitra sans laisser de traces) succèdera d’ailleurs une décennie plus tard la Bête du Val de Loire, dans une région relevant de la gouvernance du comte de Charolais… (mais nous reviendrons en détail sur ces affaires très intéressantes et bien moins connues que celle du Gévaudan dans le prochain chapitre)

Chez les Bourbon-Condé, les hommes n’ont toutefois pas le monopole de la folie, car plusieurs femmes de la famille se démarquèrent également pour leurs troubles de santé mentale, ainsi que par un sentiment persistant de supériorité qui donne de certains Condés l’impression de personne se sentant au sommet de la hiérarchie de la race humaine (pour ne pas dire tenant d’une race supérieure ou d’une population « élue » qui n’est pas sans rappeler la pensée janséniste qui prolifère à la même époque). On peut penser notoirement à l’exubérance et à l’arrogance d’une certaine Louise-Bénédicte (notre fameuse duchesse du Maine), petite-fille du Grand Condé et qui se démarquera également par son tempérament de frondeuse et une moitié de vie passée à défier l’autorité royale. La contestation et l’engagement direct contre le pouvoir royal, nul ne le portera toutefois probablement aussi loin qu’un membre de la maison cadette des Condés : le prince de Conti.

La (deuxième) maison de Conti a été fondée par le frère du Grand Condé (et fils cadet d’Henri II), Armand de Bourbon. Engagé à la différence de son frère dans la Fronde contre Mazarin dès le début des troubles (aux côtés de sa sœur, la duchesse de Longueville), il bénéficiera comme son grand frère de la grâce de Louis XIV et deviendra le Grand Maître de France du Roi-Soleil (c’est-à-dire l’intendant général de la Maison du Roi). Converti au jansénisme par l’évêque d’Alet Nicolas Pavillon dès les années 1650, il marquera moins l’Histoire que son fils cadet François-Louis, brillant militaire en même temps qu’intellectuel qui deviendra l’une des figures les plus mémorables du règne de Louis XIV. Ce dernier (qui sera appelé le « Grand Conti ») eut un fils, Louis-Armand, qui marquera quant à lui la chronique de son temps pour ses actes de cruauté. Surnommé lui aussi à la Cour « le Singe vert » en raison de sa laideur (il est bossu et affligé de tics), considéré comme « bizarre, lâche et vicieux », ce prince de sang est connu pour avoir dans sa jeunesse torturé à mort une prostituée qui ne se serait pas comportée comme il l’attendait (je vous épargne les détails, nous sommes limite au-delà du niveau du Divin Marquis).

Marié à sa cousine germaine (une Bourbon-Condé), et bien qu’il la trompait lui-même sans vergogne, il soupçonnait sa femme de le tromper et la battait violemment. Celle-ci aurait même finit par s’enfuir pour aller se réfugier chez sa mère, puis dans un couvent, et le prince en aurait alors appelé au Parlement pour tenter de récupérer sa femme. Après s’être enrichi en spéculant dans le système de Law peu avant le crash du dispositif, il meurt jeune et laisse à son fils Louis-François l’ensemble des immenses possessions et titres de la Maison de Conti.

Celui-là, vous le connaissez déjà bien, c’est notre fameux prince de Conti, duc de Mercœur, grand prieur de l’Ordre de Malte, et principal baron du Gévaudan (baronnie dont les terres occupent une grande partie du nord du diocèse, au centre des monts de la Margeride). Nous reviendrons plus spécifiquement sur ce personnage, qui mérite un encadré à lui seul. Mais une autre fois, ailleurs, car ceci est encore une autre histoire, et vous avez déjà probablement suffisamment d’informations à digérer avec cette première levée de voile… 😉


Pour aller plus loin… 🔎🌎

Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog sur les règles de la succession royale française (et l’importance des princes du sang dans cet ancien système) est en fait extrait de ma grande série consacrée à l’affaire de la Bête du Gévaudan. Je renvoie ainsi les passionné(e)s de grandes énigmes historiques vers cette vaste fresque documentaire sur l’histoire incroyable (mais vraie) de cette célèbre « Bête dévorante » de l’histoire de France. Une histoire extraordinaire qui, loin d’une simple légende, a fait plus d’une centaine de morts dans le territoire correspondant à l’actuel département de la Lozère, et a profondément marqué les mémoires des paysans de ces hautes et rudes terres du Massif central à la croisée du Languedoc et de l’Auvergne (affaire où la question de l’ancienne organisation territoriale et administrative de la France d’Ancien Régime fut d’ailleurs centrale !).

L’histoire extraordinaire d’un fait divers devenu haute affaire d’État, et qui aboutira notamment à l’organisation des plus grandes battues de l’histoire du Monde jamais réalisées contre un animal féroce.

L’histoire extraordinaire de trois années de terreur paysanne et de cauchemar grandiose constituant la plus grande énigme du règne de Louis XV, et qui a traumatisé tout un territoire comptant alors parmi les provinces les plus pauvres et les plus reculées du royaume de France (et dont la Bête est devenue l’emblème).

Une histoire extraordinaire qui, au-delà de la résolution du mystère, a également beaucoup à nous apprendre sur la société et la France de l’Ancien Régime, entre crépuscule de la Royauté et montée en puissance des Lumières, entre condition et vie paysannes dans les hautes terres et quotidien de Cour, ainsi que sur l’histoire et la géographie d’une région d’une sauvage beauté, et qui correspond aujourd’hui globalement au département de la belle et secrète Lozère…

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