Il est des histoires sordides qui vous fascinent et qui vous happent au-delà de votre propre compréhension. L’histoire de la Bête du Gévaudan est de celle-là – en tout cas me concernant.
En effet, contrairement à ce que l’on peut penser en premier lieu, l’histoire de la Bête du Gévaudan n’est pas qu’une simple histoire d’animaux prédateurs et autres « bêtes mangeuses d’hommes », comme l’Histoire en compte il est vrai quelques-unes. Certes, la Bête du Gévaudan n’est pas la première « Bête » de l’histoire de France : il y en a eu presque à chaque siècle, et dans peu ou prou toutes les provinces de France (mais bien d’autres néanmoins concernant ce XVIIIe siècle, nous y reviendrons…). Cependant, avec la Bête du Gévaudan, contrairement à toutes ces dernières, nous entrons pour ainsi dire dans une toute autre dimension et envergure : celle du massacre de masse (dans la durée et dans l’espace), de la cruauté, de l’horreur – pour ne pas dire, même, du sadisme… Et d’une affaire qui est remontée jusqu’au plus haut sommet de l’État, et qui a mobilisée parmi les plus importantes personnalités et moyens du royaume de France (alors la plus puissante monarchie d’Europe !).
Le lecteur d’aujourd’hui ne peut effectivement pleinement imaginer l’importance politique (d’envergure quasiment internationale) qu’a pris cette affaire pour le roi de France de l’époque. Impuissant à débarrasser son royaume d’un obscur animal qui dévore ses sujets, Louis XV, à peine sorti de la grande humiliation nationale qu’a constituée la guerre de Sept Ans (à laquelle je consacre d’ailleurs une autre grande série d’articles, pour les intéressés !), ce grand roi-chasseur n’est donc rien de moins que la risée (des puissants) du pays, en même temps que de l’intégralité du continent européen (et même au-delà).
Bien naïf ou étroit d’esprit, celui qui ne verrait ainsi dans l’histoire de la Bête du Gévaudan qu’une simple affaire « animale » (et encore davantage, celui qui n’y verrait que des loups, mais à cela aussi, nous y reviendrons). L’affaire de la Bête du Gévaudan est une haute affaire politique. Et sociale. Et géographique. Une affaire qui dit beaucoup – et de beaucoup de choses, de l’époque. De la condition paysanne dans ces régions montagneuses, reculées, et parmi les plus pauvres du royaume de France. De l’organisation de la société d’Ancien Régime, et des relations entre classes sociales (noblesse, Église, bourgeoisie, paysannerie,…). Des tensions et rapports de force entre puissants, et de la relation des puissants au pouvoir royal.
La Bête du Gévaudan est une histoire hors-normes, et l’un des plus grands mystères d’Europe. Elle a ceci d’extraordinaire qu’elle peut s’analyser de mille et une façon, selon « l’angle » de lecture que l’on choisit de lui porter – qu’il soit historiographique, géographique, socioculturel, économique ou encore politique. Avec à chaque fois, beaucoup, beaucoup à en dire.
Je recommande évidemment la lecture préalable de ma première série d’articles sur la Bête. Ne serait-ce que pour respecter la chronologie du « cheminement intellectuel » qui sera le mien dans mon analyse de cette affaire ! 😉
C’est à cet exercice que cet article complémentaire souhaite s’essayer. Ma première série d’articles, publiée début 2022 (mais néanmoins continuellement actualisée et enrichie depuis lors), s’était essentiellement centrée sur l’histoire factuelle de « la » Bête, son déroulé chronologique et le récit des grands événements qui la structure. Je vous avais alors, en quelque sorte, présenté l’histoire de la Bête vue depuis « derrière ses pattes », en suivant peu ou prou la trajectoire de ses exploits sanglants. Une histoire qui débouchait sur la présentation des grandes (hypo)thèses contemporaines de résolution de l’énigme de la Bête – autour desquelles s’affrontent, toujours aujourd’hui, historiens, spécialistes et autres passionnés du sujet.
Il s’agit ici d’aller plus loin. Bien sûr, nous ne saurons jamais l’entière vérité, et jamais il ne sera prétendu ici répondre à ce dessein. Mais l’histoire de la Bête est plus riche dans ses finesses et ses dessous que le premier portrait synthétique que j’ai pu en exposer. En ayant appris encore beaucoup depuis l’écriture de cette première série, je souhaitais ainsi partager aux lecteurs intéressés (et je sais qu’il y en a !) davantage de matière factuelle autour de l’histoire de la Bête.
Davantage, d’abord, d’informations géographiques (qui seront illustrées notamment par plusieurs nouveaux voyages de terrain, notamment un fraîchement réalisé en avril 2023). Ceci afin de vous permettre de mieux vous « imprégner » de la réalité de l’environnement et de la géographie des événements, des reliefs et des contraintes, des lieux et des distances. Davantage d’informations également sur les conditions de vie des habitants du Gévaudan de l’époque, et en particulier des paysans et des bergers, qui sont au centre dramatique de cette histoire. Davantage d’informations, aussi, surtout, sur les grands protagonistes de cette affaire– qu’ils soient de premier ou d’arrière-plan. Informations sur les grands « CHASSEURS » de la Bête : les Duhamel, Denneval et autres Antoine pères et fils. Informations et précisions sur les DÉCIDEURS (Lafont, Saint-Priest, les comtes de Montluc, d’Eu, de Beauvau, de Moncan, L’Averdy, Saint-Florentin, Ballainvilliers, Choiseul, et bien sûr notre cher Louis XV), ainsi que sur les « PUISSANTS » du Gévaudan : les marquis d’Apchier et de Chambonas, les comtes de Morangiès, de Peyre et de Tournon, le prince de Conti,… Et bien sûr les grandes connexions (et tensions) entre tout ce beau monde… (car là est finalement la clé !)
Je reviendrai également sur la Bête en elle-même (à quoi ressemblait-elle ? comment fonctionnait-elle ?), mais aussi sur les nombreuses contradictions et impossibilités que portent un certain nombre de théories – au mieux insatisfaisantes, au pire franchement irréalistes – quant à la question de la nature exacte de la Bête (ou peut-être devrait-on déjà dire ici DES Bêtes, car là est un immense sujet dans le sujet, une affaire dans l’affaire, que j’ai à peine abordé il est vrai dans ma première série, et dont nous allons beaucoup parler cette fois-ci).
J’espère que cet article vous apportera ainsi, si ce n’est la vérité (nous ne la connaitrons probablement jamais), au moins un meilleur portrait, plus complet, plus profond, plus fin, de la tragique réalité de cette affaire. Bon (nouveau) voyage dans le Gévaudan du XVIIIe siècle !
Sommaire complet de la future série – dont l’accès intégral sera réservé aux abonné(e)s du blog (alors abonnez-vous et soutenez ainsi mon travail et mon indépendance ! 🙏😉)
Tant d’événements troublants…
Août 1765. Le malheureux François Antoine est au bord de la dépression. Voilà des semaines qu’il est arrivé en Gévaudan au nom du roi, afin de délivrer enfin le rude pays de son fléau. Bien sûr, il se doutait la tâche difficile : cette fameuse « Bête » n’a-t-elle pas mis en échec un détachement entier de soldats d’élite (les troupes légères du régiment de Clermont-Prince, commandées par le solide capitaine Duhamel), puis un louvetier normand (d’Enneval), considéré alors comme le meilleur du Royaume ?
C’est peu dire pourtant que cette fois, le roi de France a mis les moyens. Le vieux François Antoine, qui n’est rien d’autre que le propre porte-arquebuse du roi (c’est-à-dire son lieutenant des chasses, mais aussi l’un de ses plus fidèles amis et confidents), n’est pas descendu seul : l’accompagnent en effet une douzaine de gardes-chasses, veneurs et louvetiers, prélevés dans les équipages du Roi et de la haute noblesse du pays ; autant de solides gaillards qui comptent parmi les plus fins chasseurs et « flingueurs » du Royaume. Cette troupe d’élite est venue également accompagnée de plusieurs excellents chiens de chasse, qui comptent aussi parmi les plus fins limiers de France. Et à ces derniers s’ajoutent encore d’autres excellents chasseurs et chiens, davantage habitués au pays, fournis par des membres de la noblesse du Gévaudan (notamment le comte de Tournon), et venus prêter main forte à François Antoine.
Pourtant, malgré une météo certes pas des plus faciles (il fait un temps exécrable en cet été 1765 !), mais néanmoins bien plus clémente que ses prédécesseurs (qui avaient subi la rudesse de l’hiver gévaudanais), depuis son arrivée, François Antoine « galère ». Les chasses qu’il a déjà menées ne sont pas venues à bout de la Bête, qui continue de déjouer tous les pièges, et finit toujours par échapper à ses poursuivants. Comme en cette soirée de début août, où débusquée et prise en chasse toute l’après-midi dans les hauteurs du mont Mouchet (l’un des plus hauts sommets de la Margeride), on renonce à la poursuivre du fait de la tombée de la nuit – ainsi que de peur de la faire fuir hors du pays.
Nos fameux bois de la Ténazeyre, la plus importante et inaccessible forêt du mont Mouchet, située sur ses pentes nord-est. Bois où la Bête se rembuche quasi-systématiquement en cet été 1765…
Que ferait un animal sauvage, aussi féroce et carnassier qu’il soit, après avoir été chassé durant des heures par des dizaines d’hommes et de chiens, lorsque la poursuite cesse ? A priori, selon tout connaisseur patenté de la faune sauvage : se reposer, ou continuer de fuir pour se mettre en lieu sûr. Et que croyez-vous que la Bête fit, en cette soirée du 09 août ? Rien de moins que de suivre François Antoine et ses équipages jusqu’au village et château du Besset (où ceux-ci ont leur quartier général) puis de tuer – presque sous les fenêtres du porte-arquebuse ! – une jeune bergère dans un pâturage proche. Le vieux François Antoine est sérieusement décontenancé, et il y a un peu de quoi…
Le village du Besset, quartier-général de l’équipage dépêché en 1765 par le roi de France contre la Bête …
Après cette étrange soirée, les événements se précipitent. Il y a d’abord cette attaque le 11 août, près de Paulhac, où une solide jeune femme du nom de Marie-Jeanne Vallet est surprise par la Bête sur un pont, et parvient dans le furieux combat qui s’engage à blesser la Bête au poitrail. Curieux détail alors relevé par le témoignage de l’époque : la Bête, après avoir reçu le fameux coup de lance de Marie-Jeanne (immortalisé aujourd’hui par une célèbre statue à Auvers, à quelques kilomètres de là), se serait jetée dans la rivière, où celle-ci aurait porté sa « patte » à son poitrail ensanglanté. Étrange…
Une des grandes attractions touristiques de la région des Trois-Monts : la statue commémorant le combat de Marie-Jeanne Vallet contre la Bête, devant le village d’Auvers. Les connaisseurs noteront avec intérêt le détail fantaisiste de la représentation de la Bête, qui évoque indéniablement le « Moloch » des temps anciens. D’aucun se questionneront également sur la logique d’emplacement de cette statue, située donc au village d’Auvers, c’est-à-dire juste sous les bois de la Ténazeyre (que l’on aperçoit tout à l’angle de la photographie de droite), lieu où aurait été définitivement tuée « la » Bête par Jean Chastel, le 19 juin 1767. C’est ainsi plutôt un hommage à cet autre grand événement de l’histoire de la Bête que l’on aurait pu s’attendre à trouver-là, considérant que Paulhac (commune où s’est donc déroulé le combat de Marie-Jeanne), se situe à plusieurs kilomètres de là, de l’autre côté des Trois-Monts (dans la cuvette que l’on aperçoit également au fond de la photographie de droite !). Passons.
Au côté du glorieux combat de Marie-Jeanne, encore plus étrange est la chasse qui s’est produite quelques jours plus tôt aux abords du Bois Noir, au nord-est du mont Mouchet (région où la Bête se cantonne depuis maintenant le milieu de l’année 1765). Ce jour-là, plusieurs gardes de François Antoine (qui s’étaient séparés en deux groupes pour couvrir davantage de terrain), accompagnés du comte de Tournon, débusquent puis pourchassent « la » Bête dans cette zone de forêts épaisses, parmi les plus vastes et les plus inaccessibles de la région. Voici comment l’on peut résumer ce qu’il s’y passe :
À la tombée du jour, le garde-chasse Rainchard, de l’équipage de François Antoine, aperçut la bête qui se faufilait dans le Bois Noir. Les archives du comte de Tournon, qui mena la battue, nous précisent que le garde-chasse Rainchard, un allemand (Suisse), se tenait en sentinelle non loin de cette bête qui vint attaquer les petits bergers qui gardaient des vaches. Il la tira aussitôt par l’arrière et la toucha mortellement. Il semblerait que la balle forcée tirée de sa carabine ait pénétré la bête par l’arrière-train, par la cuisse gauche, et grandement progressé dans le corps vers l’avant jusqu’à l’épaule droite, s’arrêtant entre cuir et chair, et occasionnant des dommages irréversibles aux organes. La bête eut encore la force de semer les chiens et ses poursuivants avec le concours de la nuit qui arrivait…
… et s’en alla finalement mourir à Védrines-Saint-Loup, où des paysans retrouvèrent son corps quelques temps plus tard. Ils eurent l’idée de la conduire à la ville de Saint-Flour pour toucher une prime. Les sources diffèrent sur la nature exacte des parties emportées. Certaines parlent de la tête et des pattes, d’autres seulement de la peau et des oreilles, tandis que sa carcasse fut jetée au ruisseau.
Lorsque François Antoine fut averti des faits, il envoya son fils de Beauterne et les gardes-chasses récupérer les parties éparpillées de cette étrange bête. Après Saint-Flour, il fallu repêcher la carcasse au ruisseau et perquisitionner chez des paysans du coin pour récupérer les autres morceaux de l’animal, illégalement détenus. Sans doute fut-il également procédé à quelques interrogatoires avec menaces de sanction à cette occasion. Les membres de l’équipage royal devaient être excédés du comportement des locaux qu’ils étaient venus aider contre cette bête dévorante, et qui entravaient là bien curieusement la bonne marche des opérations.
Les différentes parties de la bête furent assemblées sous les yeux des envoyés du roi, et dévoilèrent une bête roussâtre au poil court sur le corps avec une raie noire flottante, d’ailleurs toujours aperçue par les témoins sur l’échine de la Bête. Son pied (ses pattes) était rond comme celui des chiens mâtins que l’équipage, habitué au contact des mâtins de la vénerie royale, reconnaissait comme tel. Et pourtant c’était bien cette bête qui observait les jeunes bergers et que tout le monde avait reconnue comme la vraie bête du Gévaudan. Le comte de Tournon en était si persuadé qu’il rentra chez lui en Vivarais avec une patte en trophée fixée sur son lampion. Cependant, quelques jours plus tard une bête identique recommença ses crimes. […]
Patrick-Pierre-Louis Berthelot, « Les équipages qui chassèrent la Bête du Gévaudan », article de blog publié originellement le 20 octobre 2020 par l’historien sur son site web betedugevaudantruehistory.over-blog.com.
Voici un petit (mais concentré) échantillon d’événements qui résume bien tout le mystère et la controverse que porte avec elle l’histoire de la Bête du Gévaudan. Une fois acquis une certaine maîtrise de l’histoire « factuelle » de la Bête (grâce notamment à des ouvrages comme celui de l’abbé Pourcher, qui compile notamment près de quatre années de rapports et de correspondances entre les grands protagonistes de l’affaire), il est en effet tant de choses qui demeureront aussi inexplicables à l’intéressé : sa durée, son envergure, l’ubiquité de cet animal (qui frappe durant une longue période plusieurs lieux éloignés en même temps), la constance en même temps que la variabilité de sa description (dans le temps ainsi que d’une région à une autre), l’impuissance des chasseurs et des moyens formidables déployés contre elle(s), les détails étranges rapportés sur les découvertes d’un certain nombre de cadavres, tout un ensemble de réactions et d’actes relativement incompréhensibles de plusieurs grands protagonistes de l’affaire, et encore tant d’autres détails troublants…
Il est un certain nombre de faits et d’éléments de réflexion dont je n’avais pas connaissance lors de l’écriture de ma série initiale, rédigée durant l’hiver 2022. J’ai eu depuis l’occasion et l’intérêt de plusieurs dizaines de lectures, visionnages, discussions et visites de terrain complémentaires. Autant de nouvelles informations ou précisions qui ont considérablement affinées ma connaissance de cette affaire, qu’il s’agisse de sa géographie, de ses acteurs ou de son déroulement détaillé.
Loin de détenir une quelconque « vérité » sur le sujet (précisons-le encore une fois), mais ayant d’une certaine façon le sentiment d’avoir engagé ma responsabilité par la première série d’articles que j’ai publié sur le sujet (articles lus par des milliers de personnes), il me semblait ainsi nécessaire de partager la connaissance réactualisée que j’ai pu acquérir à ce jour. Une connaissance nourrie par les sérieux travaux de solides passionnés de cette affaire, et qui m’ont enrichi de nombreux détails et «angles de réflexion »décisifs pour la compréhension de l’histoire de la Bête. J’ai choisi après réflexion, plutôt que de réactualiser mes articles originaux, de vous les partager au travers d’une nouvelle série dédiée, me semblant en effet intéressant que le lecteur puisse suivre le « cheminement intellectuel » et l’évolution de l’analyse qui fut la mienne concernant cette affaire, au fil de mes découvertes et nouvelles lectures. Une connaissance qui demeure toute relative, face à de grands experts du sujet (ce que je suis loin d’être !), et en permanente évolution – car il demeure encore tant à apprendre et à découvrir sur ce mystère !
Il y a néanmoins un certain nombre de choses complémentaires dont je voudrais vous parler, et qui me semblent intéressantes et importantes pour la compréhension de l’histoire de la Bête du Gévaudan. Cela sera l’objet de cette nouvelle série d’articles, qui en appellera peut-être encore d’autres, qui sait… Bonne lecture !
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Le Gévaudan, décor de cauchemar grandiose
Avant de rentrer à nouveau dans le détail de l’histoire de la Bête, il me semble important de réinsister en préalable sur le grand contexte de cette affaire, c’est-à-dire ce quoi ressemble le Gévaudan (et plus globalement le sud-est du Massif central) et la vie de ses habitants au milieu du XVIIIe siècle.
La vie paysanne dans les hautes terres au milieu du XVIIIe siècle
Un petit portrait de la géographie de la Lozère à consulter en complément, pour les intéressé(e)s !
Les territoires où la Bête (ou les Bêtes) distribueront leurs carnages correspondent à une région de hauts-plateaux et de moyenne montagne, que l’on surnomme parfois les « hautes terres » (en opposition aux « basses terres » que constituent les plaines languedociennes, entre lesquelles existent depuis des millénaires des roulements des troupeaux d’ovins et de bovins qui peuplent ces montagnes). Ces terres constituent historiquement des régions très pauvres : le relief y est important (et localement parfois très tourmenté), et peu d’espaces plats s’y prêtent à l’agriculture classique – que rend de toute façon peu favorable le déficit de fertilité des sols, ainsi que le climat rude qui y règne presque toute l’année (neiges précoces, puissants orages, précipitations violentes, brouillards persistants,…).
Dans les vallées de ces hauts-plateaux (où se concentre l’essentiel de la population locale), on ne cultive guère que le blé et le seigle, qui assurent avec les laitages, l’essentiel de la subsistance aux populations. Car ces hauts-plateaux demeurent avant tout un pays d’élevage, principalement de bovins, dont les troupeaux constituent, avec le bâti, le gros du patrimoine de la paysannerie de ces terres. Le Gévaudan compte également d’importants troupeaux d’ovins, sur lesquels s’appuient une petite industrie textile. On exploite et exporte également pas mal de bois ; économie qui, couplée à l’emprise massive des pâturages indispensables à la survie du bétail, explique que le Gévaudan du XVIIIe siècle était bien moins boisé que ne l’est son équivalent d’aujourd’hui, le département de la Lozère (ainsi qu’un morceau de ceux du Cantal et de la Haute-Loire). Un fait important dont témoigne notamment l’ancienne carte de Cassini (dont vous trouverez un extrait dans l’encadré ci-dessous, centrée sur la Margeride !).
Extrêmement rural et pauvre, peu peuplé (bien que davantage que la Lozère d’aujourd’hui !), le Gévaudan du milieu du XVIIIe siècle vit en outre dans une forme d’autarcie socioculturelle. Malgré quelques progrès insufflés durant les années 1750 (notamment par l’évêque de Mende, qui entreprend de nombreuses mesures d’amélioration des infrastructures), les routes demeurent rares, tortueuses, particulièrement au cœur de la Margeride (le grand massif granitique occupant toute la moitié nord du diocèse du Gévaudan, le long de lequel évoluera la Bête tout au long de l’affaire, et où celle-ci se cantonnera en dernier lieu). Le Gévaudan est également assez mal relié aux régions avoisinantes, et peu ou prou coupé du monde durant l’hiver (qui y dure près de quatre mois – voire davantage certaines années en cette période de Petit âge glaciaire !).
Zoom sur : la Margeride, le plus important massif granitique d’Europe !
Paysages de la Margeride, vue respectivement au niveau des gorges de la Desges (nord-est) et du Truc de la Garde, regardant vers les monts du Cantal (centre des monts de la Margeride).
Terre de granite spectaculaire à l’atmosphère mystérieuse située au sud du Massif central, la Margeride est un pays de moyenne montagne particulièrement paisible et accueillant. Allongée sur un axe nord-ouest – sud-est, la Margeride se sépare au nord des volcans d’Auvergne par les gorges de l’Alagnon et descend vers le midi jusqu’à la vallée du Lot. Elle est bordée, à l’est, par les gorges de l’Allier et à l’ouest par le massif de l’Aubrac.
D’un relief doux, ses sommets arrondis ne dépassent pas l’altitude de 1 550 m. C’est, sans contexte, avec un terrain granitique, l’un des plus vastes territoires forestiers de notre pays. Plus de 60% du massif est recouvert d’essences diverses (hêtres, pin sylvestres, épicéas, sapins…).
L’isolement du massif de la Margeride est dû, en partie, aux conditions climatiques difficiles qui font de cette région l’une des plus froides du Massif central. Du fait de son aspect sauvage et sa quiétude, le massif possède une grande partie des représentants de la faune européenne. De même, le massif de la Margeride constitue un réservoir floristique de première importance.
Avec une altitude comprise entre 800 et 1 550 mètres, la Margeride vit ainsi notamment de ses forêts de pins et de feuillus, de ses landes et de ses pâturages. Sans cesse verdoyante, elle est riche de nombreux lacs et parcourue par d’innombrables cours d’eaux sauvages prisés par les pêcheurs, tout en étant un grand pays de sources. La Lozère, et plus globalement les Cévennes, constituent en effet une région où naissent nombre de rivières françaises d’importance : Tarn, Allier, Hérault, Gardons, Lot, Chassezac, et bien sûr, concernant notre Gévaudan : la Truyère…
Rivière emblématique de la Margeride et de l’histoire de la Bête de Gévaudan, la Truyère, principal affluent du Lot, sillonne en effet le Massif central sur près de 170 kilomètres. Elle prend sa source en Lozère, à 1 450 mètres d’altitude, non loin du col des Trois Sœurs, au cœur des monts de la Margeride. Le temps, l’érosion et le travail de l’homme ont façonné des gorges étroites et sinueuses, laissant apparaître de spectaculaires paysages.
Les chaos granitiques, disséminés ça et là au gré du hasard et du temps, façonnent des paysages de rêves, propices aux légendes et aux contes. Appartenant autrefois à la province du Gévaudan, la région de la Margeride affiche ainsi une histoire mouvementée et abrite de nombreuses merveilles de l’architecture vernaculaire. Chaque sentier y est chargé d’histoires, celle de la Bête, bien sûr, de la Résistance également, mais aussi celle d’une vive rurale encore très présente. Un petit air de Canada au cœur du centre de la France…
Pour celles et ceux que l’histoire des Causses et des Cévennes intéresse, je vous renvoie également vers cet autre article écrit en collaboration avec le photographe lozérien Jean-Sébastien Caron, qui vous plongera dans celle passionnante des pratiques millénaires de l’agropastoralisme, façonneuses des territoires et des sublimes paysages de ces hautes terres du Massif central !
La géographie de la région des Trois-Monts représentée telle qu’elle apparaissait approximativement au XVIIIe siècle, à l’époque des événements. On peut y reconnaître en zoomant les noms des différents villages et paroisses marqués par les ravages de la Bête (Nozeyrolles, La Besseyre, Paulhac, Servières, Lorcières, Venteuges, Grèzes, Desges,…). Notez combien les routes sont rares et tortueuses, et combien les espaces boisés étaient bien moins importants qu’aujourd’hui !
Pour ne rien arranger à cette situation difficile, le Gévaudan (qui fit autrefois les frais des ravages des Grandes compagnies durant la guerre de Cent Ans, puis des violentes répressions royales durant la guerre des Camisards), a connu des catastrophes en série depuis le début du XVIIIe siècle : sécheresses, épidémies, famines,… qui ont durement touché les populations. S’en sont suivies quelques jacqueries et autres révoltes paysannes, qui ont amené les autorités à interdire la propriété des fusils (et mêmes des armes de hast !). Fusils dont l’usage demeure réservé à quelques poignées de chasseurs (et bien sûr aux nobles et gens d’Église, non-concernés par ces restrictions populaires).
En ce milieu des années 1760, le Royaume se remet également tout juste de la désastreuse guerre de Sept Ans, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de soldats français. Le choc a été extrêmement violent pour le pays, qui y a perdu presque toutes ses possessions des Indes et d’Amérique du Nord (soit peu ou prou la quasi-intégralité de l’empire colonial français). De nombreux soldats et marins français ont connu de longues périodes de captivité dans les geôles britanniques ou prussiennes, souvent dans des conditions terribles. Des centaines d’officiers défaits ont par ailleurs subi les foudres de la Cour et de l’opinion publique, et de nombreux servis de boucs émissaires aux désastres accumulés par la France sur terre et mer. Beaucoup de puissants du pays ont été dégradés, disgraciés, et certains même exécutés en place de Grève.
Je renvoie ceux qui souhaiteraient en apprendre davantage sur la guerre de Sept Ans (1756-1763) – un grand conflit planétaire considéré par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire, vers cette autre riche série d’articles du blog qui vous la racontera en détail, de ses racines profondes à ses considérables répercussions mondiales !
Le paysan du Gévaudan est, d’une certaine façon, loin de ces guerres conduites sur des continents lointains, et même du quotidien du territoire français. C’est que dans ces terres reculées du sud du royaume de France, l’on ne parle pas le français de la Cour, ni même celui des populeuses rues parisiennes, mais un mélange d’occitan et de patois locaux. Les conditions de vie de la famille paysanne lambda du Gévaudan sont à des années lumières de celles des chasseurs qui viendront les « sauver » de l’extérieur. Des hommes avec qui ils diffèrent complètement en termes de culture ou de mentalité, et avec lesquels ils ne parlent déjà tout simplement pas la même langue (ainsi les d’Enneval et François Antoine seront-ils systématiquement accompagnés dans leurs déplacements de traducteurs, pour pouvoir notamment collecter les témoignages des paysans et bergers ayant eu affaire à la Bête) !
Les familles paysannes vivent parsemées dans des villages ou des hameaux isolés dans les vallées, dans des maisons de pierres brutes ne disposant parfois que d’une seule fenêtre. La plupart des paysans sont analphabètes, ne parlent que l’occitan ou le patois, vivent dans un rayon de dix kilomètres autour de leur maison. La vie se résume aux travaux des champs, à la garde des troupeaux (que l’on affecte à ceux qui ne sont pas assez « forts » pour travailler aux champs, c’est-à-dire les femmes et surtout les enfants – les « drôles », comme on les appelle dans le pays !), à la messe du dimanche, aux marchés et aux foires, et à quelques fêtes religieuses ou païennes. Les habitants du Gévaudan sont très pieux, mais à l’image des populations montagnardes de l’époque, croient également en une foule de superstitions (comme la sorcellerie, encore bien ancrée dans les croyances campagnardes de l’époque – qui plus est dans ces terres de chaos de granit et de landes de bruyère objets de croyances ancestrales !).
Deux églises et clochers caractéristiques du pieux Gévaudan : celle de la Besseyre-Saint-Mary, village de naissance et de résidence du célèbre Jean Chastel (à gauche), et celle de Chanaleilles, au centre des monts de la Margeride (à droite).Autres monuments de granit, naturels ceux-ci, et qui semblent comme agir en miroir et pendant naturel des ouvrages des hommes : ceux de ces aussi magnifiques que mystérieux chaos granitiques, qui garnissent toujours aujourd’hui les monts de la Margeride. Des merveilles de pierre brute constituant autant de lieux sacrés objets de légendes immémoriales, remontant aux Celtes (dont ils constituaient des lieux de culte), et même avant eux (à l’image d’autres régions de légendes comme la Cornouailles, où l’on trouve aussi de nombreux thor, ces rochers glaciaires erratiques dont celui que l’on peut voir à droite est situé à la Besseyre-Saint-Mary, paroisse connue dans le Gévaudan de l’époque pour sa réputation sorcière…)
Pauvre Gévaudan…
Il est difficile pour nous autres français d’aujourd’hui d’avoir pleinement conscience de la misère dans laquelle vivaient les habitants du Gévaudan des années 1760 (et plus globalement, une grande partie de la population de la France d’Ancien Régime). Le Gévaudan de 1764 constitue un autre univers mental, dans lequel il est vain de chercher à se projeter. Nous aurions déjà bien du mal à vrai dire à imaginer la condition de nos arrière-grands-parents, dans les campagnes du début du XXe siècle. Celles et ceux qui auront vu l’excellent documentaire Nous paysans (produit par France Télévisions il y a quelques années), auront déjà pu être troublés par les images de cette France paysanne des années 1950 ; une France qui laboure encore la terre à l’aide d’animaux de traits (les tracteurs américains, bénéfice des Trente Glorieuses, ne sont en effet pas encore arrivés…). De même pourrait-on en dire de la condition ouvrière du XIXe siècle, dont un Germinal nous laisse à peine entrevoir la saisissante et terrible réalité. Mais avec le Gévaudan, nous remontons encore plus loin, avant-même la Révolution et l’ère industrielle. Un autre temps, qui devait déjà sembler extrêmement lointain et « obscur » aux contemporains de l’abbé Pourcher lorsqu’ils découvraient son récit de l’histoire de la Bête qui avait terrorisée leurs malheureux et miséreux ancêtres, à peine un siècle plus tôt…
Une misère de la paysannerie gévaudanaise dont s’émouvra, notamment, l’infortuné François Antoine. Lieutenant des chasses du roi de France, et ce faisant membre de la caste la plus privilégiée du pays, François Antoine est en effet habitué au train de vie de la Cour. Aussi le porte-arquebuse du-t-il ressentir son quotidien comme planant à des années lumière de la difficile condition paysanne qui se matérialise désormais sous ses yeux dans ces contrées reculées du Gévaudan et de l’Auvergne. Une condition à laquelle il faut reconnaître à l’homme ne pas être restée insensible, comme en témoigne notamment ce passage figurant dans l’un de ses rapports adressés à l’intendant du Languedoc :
Il fait ici un temps déplorable depuis trois jours pour les biens de la terre. Les blés qui sont presque tous sur pied ou à bas, pourrissent sans pouvoir les serrer. […] S’ils voulaient s’en tenir là, ce ne serait que demi-mal, quoiqu’il en soit toujours nécessaire de les détruire pour la conservation des bestiaux, qui sont le seul bien que possèdent les habitants de cette province, desquels la misère dont je suis témoin me navre le cœur de douleur.
Extrait du rapport de François Antoine à M. de Saint-Priest du 21 août 1765 (cité par Pourcher, p. 287)
Même les gardes-chasses accompagnant François Antoine, qui sont loin de vivre dans la mondanité et le luxe de leurs puissants maîtres, semblent témoigner aussi à leur façon du caractère misérable des conditions de vie des habitants du Gévaudan :
MM. Denneval et nos chasseurs, après avoir battus avec les paroisses commandées les vastes forêts qui couvrent cette partie de la montagne renvoient sur les 4 heures du soir, les gens de la campagne et ceux de nos habitants qui étaient à pied. Et ces messieurs avec nos bourgeois, qui étaient à cheval, continuent leur battue jusqu’à la nuit qu’ils passèrent toute entière à Auvers, méchant village, où ils soupèrent et couchèrent fort mal, n’ayant eu pour bonne chère qu’un chevreau qu’ils égorgèrent, dépouillèrent et apprêtèrent eux-mêmes et pour lit que la paille où chacun s’accommoda le mieux qu’il put dans son manteau ou sa redingote.
Extrait d’une relation des chasses du 8, 10, 12 et 13 juin 1765 par l’un des gardes-chasses de François Antoine (citée par Pourcher, p. 233)
François Antoine, d’ailleurs, fera preuve d’une grande générosité personnelle envers la population du Gévaudan, multipliant avant son départ les fêtes, les donations aux paroisses et les distributions de pain. Si ces initiatives n’apparaissent pas pleinement désintéressées considérant l’infructuosité de ses chasses puis l’imposture de l’animal dont il prétendra avoir débarrassé le pays, il semble difficile de mettre en doute la sincérité de la considération du porte-arquebuse pour ses compatriotes du Gévaudan, dont la réalité des conditions de (sur)vie matérielles sont extrêmement critiques en cet été 1765, après douze mois de chasses infructueuses contre la Bête.
À vrai dire, depuis le début de l’affaire, la population du pays vit dans son quotidien, en plus des carnages de la Bête, un aussi parallèle que cruel dilemme : faut-il abandonner la garde des bestiaux et les travaux des champs pour se protéger et venir à bout plus rapidement de la Bête ? Un dilemme avec lequel doivent en particulier composer les autorités du Gévaudan, piégées dans une double injonction : éradiquer aussi rapidement que possible le fléau animal, tout en ménageant les populations, les récoltes et l’élevage du bétail. Une tâche extrêmement difficile, quand on sait combien la Bête aime à se déplacer à travers les champs de blé, déjà rudement mis à mal par une météo exécrable en ces années 1764 et surtout 1765 (année où l’été est littéralement « pourri », et où les blés pourrissent en partie sur pied du fait des pluies et des orages incessants…).
Pour les autorités locales, la situation est ainsi extrêmement complexe à gérer, car aussi nécessaires soient-elles pour débarrasser le pays de sa Bête (qui y amoncelle sans fin les cadavres…), les chasses et les battues n’y font que dégrader davantage une récolte qui s’annonce déjà extrêmement mauvaise. Récolte qui constitue, avec les produits laitiers issus de l’élevage, la base de l’alimentation et de la subsistance de la population du pays, et dont cette dernière est impérieusement dépendante pour éviter la disette (étant encore loin dans le futur en effet, l’époque où la puissance publique et les Nations modernes seront capables de transfert de vivres massifs d’une région à une autre pour y éviter une famine). Un régime alimentaire d’une frugalité absolue, dont témoigne d’ailleurs dans un courrier l’un des hommes d’un équipage de chasse déployé en Gévaudan au printemps 1765 :
Le mauvais temps continue toujours, les neiges, la grêle, la foudre, les vents, et les pieds mouillés, et réduit à coucher sur la paille ! Je vous prie, monsieur, si vous n’êtes pas parti pour le Gévaudan, d’oublier ce voyage, car c’est un pays abominable: très mauvaise nourriture, nous ne prenons que des bouillons rafraîchissants faits de mauvais beurre. On ne trouve point de bœuf dans le pays.
Extrait d’une lettre d’un piqueur de monsieur le comte de Montesson à son maître, écrit au Malzieu le 26 avril 1765 (citée par Pourcher, p. 186)
À vrai dire, des bœufs – qui pullulent dans le pays, l’on en trouve littéralement à chaque coin de village et de pâturage, mais les paysans n’ont guère la possibilité de goûter et même d’engloutir ce qui constitue en dernier ressort leur seul patrimoine… Un patrimoine « vivant » dont l’importance vitale se voit tragiquement mise en relief par la constance des populations paysannes à envoyer leurs enfants garder les troupeaux malgré le risque et les conséquences terriblement réelles pour de nombreuses malheureuses familles… (mais avaient-elles seulement le choix ?)
Le fléau de la Bête est une terrible double peine pour les populations paysannes du Gévaudan : d’une part se voient-elles intimement ciblées et décimées par l’animal (les obligeant à minimiser au possible l’exposition de leurs enfants et femmes, et donc la garde du bétail), d’autre part les chasses menées contre la Bête sollicitent considérablement les paysans en parallèle des travaux des champs déjà extrêmement physiques et pénibles qu’ils doivent endurer (ainsi ceux-ci doivent-ils aller battre champs, forêts, landes sur leurs rares temps de repos le soir et le dimanche ; battues où ces derniers en viennent parfois à « tomber d’inanition », comme le relatent dramatiquement plusieurs rapports d’époque… !). Et comme si cela ne suffisait pas, les moyens déployés contre la Bête altèrent encore la situation, car il faut bien nourrir sur place les dizaines de soldats et chasseurs qui mènent la chasse journalière à la Bête, et qui au travers de ce nécessaire travail, abîment souvent les champs et les récoltes avec leurs chevaux (dégât collatéral difficilement évitable, mais qui contribuera en partie à expliquer le mécontentement d’une partie de la population envers les soldats de Duhamel… !).
Une situation hautement critique qui permet de bien comprendre et d’expliquer pourquoi Étienne Lafont (l’administrateur civil du Gévaudan) aura le souci du remboursement intégral (et même majoré) des vivres consommés par les soldats auprès des habitants des fermes où ils eurent à coucher et se ravitailler, de même que de l’utilisation minimisée des grands équipages montés pour chasser la Bête (le nombre de chevaux disponibles étant de toute façon limitée dans le pays – où ce bien animal est aussi rare et précieux que le reste !).
De façon tristement résumée, le Gévaudan sous le fléau de la Bête crève littéralement de faim et de froid, comme en attestent notamment les échanges et correspondances entre l’intendant du Languedoc (M. de Saint-Priest) et son subdélégué au Gévaudan (Étienne Lafont). Le zélé Lafont constituera d’ailleurs tout au long de l’affaire le plus principal et constant « lanceur d’alerte » du Gévaudan, véritable vigie du diocèse qui informera inlassablement les autorités régionales et nationales de l’état de la situation sur place, tant par souci de la subsistance sociale de ses administrés que par impératif du maintien de l’ordre public (ces deux objectifs étant de toute façon intimement liés… !). On sent en effet dans les courriers du subdélégué du Gévaudan combien la population vit dans la terreur et le manque, et combien le spectre de la famine (et des possibles révoltes que ces dernières ne manquent jamais de susciter…) plane sur la région. Autant de périls aussi mortels et ravageurs que la Bête qui seront ainsi pris très au sérieux par les administrateurs du Gévaudan :
Les routes ordinaires [de la Bête] sont par les bois, surtout dans les bois taillis et par des bas-fonds marécageux. L’étendue du pays qu’elle parcourt ne permet pas de garnir tous les passages. D’ailleurs on ne pourrait y tenir constamment des chasseurs qu’autant qu’on les paierait ; et nous n’avons aucun fond pour cela. Tout ce que je crois qu’on peut faire à cet égard se réduit à exhorter les braconniers qui entreprendront des chasses à s’embusquer de deux à deux dans les principaux lieux de passage.
Il paraît de la plus grande importance de redoubler tous nos efforts pour tâcher de détruire ce cruel animal avant le retour de la belle saison et avant que les blés ne commencent à pousser, parce que sa destruction deviendra bien plus difficile lorsqu’ils seront d’une certaine hauteur. Ils lui serviront de retraite et l’on ne pourra l’y aller chercher qu’en détruisant la récolte, d’où il peut résulter une disette. […]
Extrait de la Relation officielle de la chasse générale du 07 février 1765 rédigée par Étienne Lafont (citée par Pourcher, op. cit., p. 85)
Je commence par vous témoigner ma vive affliction de la continuation des ravages de la Bête féroce, depuis le dernier compte que vous m’en aviez rendu, et je vois avec regret que ses entreprises deviennent plus audacieuses, qu’elle les porte indifféremment sur toute sorte de personnes, sans déclinaison de l’âge et du sexe, et que même elle ne craint point d’abandonner la montagne et de pénétrer dans les villages, pour y exercer son carnage sans être intimidée par les habitants. Il est bien à désirer qu’on vienne à notre secours pour nous délivrer promptement et avant la monte des épis de blé d’un fléau aussi dangereux. Vous voyez que la Cour s’en occupe sérieusement et on ne peut que louer le dessein et le zèle de MM. Denneval, qui ont bien voulu quitter leurs provinces pour entreprendre cette chasse. […]
M. de Saint-Priest, dans sa réponse au rapport d’Étienne Lafont du 26 février 1765 (citée par Pourcher, op. cit., p. 119)
Nos habitants ne peuvent, Monseigneur, que paraître bien malheureux dans un canton du Gévaudan où ils sont en proie aux bêtes féroces, et dans tout le pays ils souffrent de la pénurie et de la cherté des grains.
Étienne Lafont, dans son rapport à M. de Saint-Priest du 11 mars 1766 (cité par Pourcher, op. cit., p. 339)
Cet extrait d’une poème datant de 1765, avec toute la limite de véracité que l’on peut imputer à ce type de documents, témoigne également à sa façon des conditions de vie particulièrement difficiles que connaissent les habitants du Gévaudan durant l’hiver 1764-1765 :
Il rend de ce froid pays, dit-on, le bois fort cher, Sans qu’on ose aux forêts même en aller chercher. Faut-il que la crainte tant que la froidure Ces gens fassent trembler ? Quelles gêne et torture !
Extrait d’un poème paru en 1765 (« La Bête monstrueuse et cruelle du gévaudan »)
Une misère paysanne qui ne va pas aider, et qui ne fera que majorer et amplifier la vulnérabilité qui caractérise déjà à l’époque les jeunes gardien(ne)s de troupeaux…
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Des bergers et bergères bien vulnérables, et des cibles de choix…
Face à la future Bête, le paysan du Gévaudan est certes, dans le cas des hommes, souvent déjà dès l’adolescence un solide gaillard qui sait se défendre, mais un gaillard très pauvre, mal armé, et qui ne mange souvent pas à sa faim. À l’époque des événements, comme nous l’avons déjà vu, ce sont toutefois sur les enfants et les jeunes femmes que pèse principalement le danger, car ce sont alors à eux qu’incombent la garde des troupeaux. Un travail qu’ils accomplissent souvent seuls, isolés sur les plateaux qui constituent les vastes terrains des pâturages ; cela parfois accompagnés d’un ou plusieurs chiens, mais pas toujours. Et bien que probablement plus coriaces et plus vigoureux que nous saurions l’être au même âge de nos jours, ces femmes et ces enfants ne le sont pas au point de pouvoir repousser à eux seuls l’attaque d’un animal féroce (d’ailleurs, de nombreux paysans adultes attaqués par la Bête alors qu’ils étaient seuls confesseront ne s’en être eux-mêmes sortis que grâce à l’arrivée de secours…).
Tout le long de l’affaire, les paysans resteront les cibles privilégiées – pour ne pas dire uniques – de la Bête dévoreuse. Sur la centaine d’attaques mortelles recensées durant les quatre années de déroulement des événements, seule une victime ne sera pas issue de la paysannerie : en 1767, une jeune fille d’origine noble sera dévorée par la Bête dans les Trois-Monts. Si l’hécatombe paysanne s’explique en partie par sa caractéristique-même de surexposition et de vulnérabilité face à des animaux dévorants (en particulier les enfants et les jeunes femmes gardant le bétail, isolés sur les plateaux et mal armés), cela n’explique malheureusement pas tout, comme nous allons le voir en détail un peu plus loin…
Particulièrement exposés et vulnérables aux attaques d’un animal, les bergers et les bergères de tous temps l’ont été également à celui d’un tout aussi redoutable prédateur, celui-là à deux pattes… (comme le résume parfaitement Michel Louis dans son ouvrage consacré à l’affaire de la Bête du Gévaudan) :
Toutes les études sociologiques menées sur la vie pastorale en France jusqu’au XIXe siècle montrent que bergers et bergères avaient beaucoup moins à craindre les loups que les sadiques et les violeurs. Même à peine sortis de l’enfance, les bergers étaient de solides gaillards qui ne reculaient pas devant un loup, redoutaient davantage la sévérité du maître de maison s’il rentrait avec une brebis en moins…
Chercheurs au C.N.R.S., Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison ont relaté dans l’Impossible Mariage (1982) le nombre effarant de viols et agressions crapuleuses dont étaient victimes les bergers et les bergères du XVIIe au XIXe siècle. Combien d’enfants et d’adolescents ont ainsi été laissés pour morts ! Autopsies et enquête policières étaient très rudimentaires à l’époque : lorsque le cadavre était retrouvé dévoré par les loups, on accusait ces animaux du meurtre sans se poser de questions, et cela arrangeait tout le monde.
Michel Louis, La Bête du Gévaudan – L’innocence des loups, 1992, pp. 255-256
Deux visions enfantines de notre « grand méchant loup » … !Gravures anciennes représentant des attaques de loups. Il est intéressant de noter à l’échelle de l’histoire de France la lourde tendance à accoler un adjectif à ces loups qui attaquèrent l’homme : loups cerviers, loups carnassiers (comme s’il existait des loups herbivores… !), loups-garous,… Une désignation de loups « non-ordinaires » qui était peut-être une façon de souligner en creux que les animaux concernés n’étaient pas de simples loups mais « autre chose » (que l’on avait difficulté à identifier formellement) … ?
… Le loup fut en effet longtemps affublé de tous les maux, et rudement éradiqué à ce titre. Mais était-il vraiment responsable de tous les crimes qu’on lui mettait sur le dos ?
Le grand méchant loup de l’histoire de France…
Dans son ouvrage consacré à la place du loup dans l’histoire de France, Jean-Marc Moriceau évoque le chiffre pouvant sembler terrifiant de plus de 3 000 attaques commises par les lupins contre la gente humaine hexagonale depuis le Moyen-Âge ! Mais les chiffres demeurent à prendre avec de nombreuses pincettes, car l’époque ne s’embarrassait pas des subtilités et ne connaissait ni la médecine légale, ni le systématisme de l’enquête criminelle. Les « Experts » modernes auraient vraisemblablement bien à redire de tous ces cadavres découverts dans les bois, et que l’Histoire retiendra ainsi comme autant d’innocents morts « dévorés par les loups » …
Les considérations étymologiques sont d’ailleurs ici hautement intéressantes, tant est fort et ancré dans l’identité française l’imaginaire du « grand méchant loup », qui y côtoie souvent le légendaire tout aussi évocateur (et révélateur) du « loup-garou » et du meneur de loups. D’ailleurs, au-delà de la lecture initiale que les enfants peuvent en avoir au premier degré, Perrault est remarquablement clair sur la véritable nature du « loup » placé au centre de son conte…
Une petite iconographie de l’imaginaire du petit chaperon rouge et de son loup. Tout est dans la symbolique… !
Comme le rappelle bien Jacques Baillon dans son ouvrage sur ces « Drôles de loup et autres bêtes féroces » qui ont hantés l’histoire de France, le loup y a exercé une fonction sociale bien particulière : celui de bouc émissaire et d’instrument de l’obscurantisme de tous temps !
On sait en effet que des cadavres, y compris humains, laissés à l’abandon in natura peuvent être dévorés en une seule nuit par toutes une kyrielle d’animaux détritivores (porcs, mustélidés, renards, corvidés, insectes, etc.) et que les mentions « tué par le loup » ou « égorgé par la bête » portées par les curés d’antan sur les actes d’inhumation ne sont pas nécessairement fiables. « Le loup est là pour punir les hommes de leurs pêchés » rappelait d’ailleurs Pierre de Beauvais, auteur d’un bestiaire en langue picarde, au treizième siècle. Comme pour les autres catastrophes auxquelles les populations rurales pauvres et illettrées étaient régulièrement confrontés, il fallait bien donner aux fidèles des explications sur ces malheurs incessants d’où la tentation probablement répandue des hommes d’église de prendre quelques libertés avec la relation de ces évènements, quitte à mettre la sourdine sur des actes répréhensibles au yeux de Dieu. On retrouve d’ailleurs ce type de propos moralisateurs très souvent lors des évocations par les prêtres d’autres phénomènes ravageurs, destructeurs, ou rares, comme l’orage, le vent violent, les aurores boréales, l’apparition de comètes, les froids hivernaux, les mauvaises récoltes.
Jacques Baillon, Drôles de loups & autres bêtes féroces, 2016, 134 pages
Qu’il était bien commode en effet du point de vue social et politique, ce grand méchant loup que l’on pouvait affubler de tous les maux… ! Des catastrophes naturelles qui mettaient à mal la subsistance des populations paysannes, à la couverture des différents vices des hommes – qu’il s’agisse d’asseoir son autorité morale et de préserver ainsi une forme de domination sur le petit peuple (comme pouvait le faire l’Église en dénonçant les ravages des loups comme autant de fléaux de Dieu ; rabattant ainsi les brebis paysannes auprès du berger ecclésiastique), ou de couvrir d’un sens divin et punitif les actes les plus répréhensibles de la morale chrétienne commis par les puissants envers les faibles, notamment envers le beau sexe…
La (difficile) condition féminine du XVIIIe siècle…
Au XVIIIe siècleen effet (et encore bien longtemps après d’ailleurs), la condition de la femme paysanne (et globalement de la femme tout court) n’est guère reluisante. Nos esprits contemporains seraient probablement grandement choqués du nombre effarant d’incestes, de viols et de violences que pouvaient connaître les femmes dans le quotidien de leur vie paysanne et familiale. La femme n’a déjà pas le droit de parler à l’Église ni d’accéder à la prêtrise, et est tenue plus globalement au sein de la société de ne pas faire de vagues. Combien de jeunes femmes subissaient, dans l’isolement des granges et des chaumières, des actes d’inceste de leurs propres parents, de viols de leurs propres voisins et proches… ! Il suffit pour en avoir un aperçu de constater le nombre impressionnant d’enfants « bâtards » qui pouvaient exister dans les campagnes, et qui étaient généralement envoyés travailler dans d’autres fermes (la fameuse Vachelerie de Paulhac, aux abords de laquelle eurent lieu de nombreuses attaques et meurtres durant l’affaire, en était d’ailleurs localement un important lieu d’établissement, comme me l’avait remonté Georges Charles).
Partant de ce contexte, je vous laisse le soin d’imaginer les proies faciles et si nombreuses et accessibles que pouvaient constituer les jeunes bergères (mais aussi les jeunes garçons…) des pâturages de France, loin de tous les regards et de tous les secours ! Les individus les moins fréquentables de l’époque étaient ainsi presque libres de toutes les agressions : de toute façon, la bergère violée ne porterait pas plainte (le concept n’existe déjà pas vraiment…), et n’en parlera probablement à personne quoiqu’il arrive. Le cas échéant, l’enfant bâtard qui en résultera sera comme dépossédé de toute paternité officielle, et sera promis à une vie assez en marge de la société. La femme assassinée ne fera quant à elle l’objet d’aucune véritable enquête. Si un loup est passé par là, la victime viendra seulement alourdir d’un nouveau passif le lourd dossier des « conduites dévorantes » auxquelles semblent en France s’adonner celui qui demeure pourtant éthologiquement le plus timide et plus craintif à l’égard des hommes des grands prédateurs (mais de cela, nous reparlerons aussi bien en détail plus tard).
Les plus exposés et fragiles face aux attaques de la Bête, les petits bergers et bergères du Gévaudan, feront lourdement les frais de cette dernière. Mais derrière tous les crimes imputés à la Bête, comme le suggère déjà ce premier développement, doit-on y voir seulement l’entreprise d’un animal ?
« L’homme est un loup pour l’homme » ; mais encore plus pour la jeune femme…
Deux ouvrages intéressants de la riche bibliographie existant sur la Bête du Gévaudan, explorant des thèses (sur lesquelles nous reviendrons plus loin) beaucoup plus « humaines » de résolution de l’affaire. Notez l’imagerie recherchée de la couverture de la BD de gauche, avec cette ombre de loup qui n’est autre que l’empreinte d’une main tout ce qu’il y a de plus humaine. Une symbolique intéressante…
L’adversaire n°1 des chasseurs : le Gévaudan lui-même
Pour conclure cette première partie, et avant de passer enfin à l’analyse approfondie de l’animal qui désola le Gévaudan des années 1760, il convient de souligner combien l’environnement-même de cette province parmi les plus reculées du royaume de France, constitua peut-être le plus redoutable et le plus permanent adversaire auxquels se heurtèrent tous les différents chasseurs de la Bête.
Comme je l’ai déjà souligné en de nombreuses reprises, le théâtre des événements en lui-même est loin d’être neutre dans la difficulté qui fut constamment rencontrée dans la résolution de cette affaire. Le Gévaudan, peut-être même davantage que les Alpes, est un terrain extrêmement difficile pour le chasseur de l’époque. À la différence en effet de la haute montagne (qui a le mérite, par ses pentes parfois verticales et son organisation en vallées encaissées, de contraindre fortement les trajectoires possibles d’un animal), le Gévaudan est un espace de plateaux, offrant peu ou prou les mêmes contraintes potentielles que la haute montagne, mais avec encore moultes difficultés supplémentaires.
Dans la région de la Margeride, la Bête dispose en effet de presque tous les avantages : des solitudes isolées et des forêts profondes et pleines de cavernes pour se réfugier et se cacher, des couloirs naturels via les rivières et les gorges pour se déplacer, des reliefs extrêmement tourmentés et escarpés et des vastes zones marécageuses pour semer ses poursuivants, et des possibilités de déplacement et de dégagement dans presque toutes les directions (à la différence de la haute montagne).
Les zones de tourbières, souvent citées, constituent en particulier un ennemi redoutable. Ces dernières, en plus de compliquer énormément le déroulement et l’efficience des chasses, semblent même constituer, aux dires de tous les témoignages d’époque, un important (et invisible) danger pour les chasseurs eux-mêmes !
Il est en Margeride des fondrières redoutables que le maître des chasses de Louis XV appelait « molières » et qu’il appréhendait à juste titre. […] La Bête, volontiers, fonçait vers ces passages quand on la poursuivait. Mais au dernier moment, par un adroit détour, elle évitait le bourbier, alors que les chevaux des poursuivants venaient s’y enfoncer. Et s’ils n’étaient pas secourus par des mains vigoureuses, ils risquaient forts de périr étouffer avec leurs cavaliers. Le garde Pélissier s’en tira parce que son camarade Lachenay vint à son aide.
Félix Buffière, La bête du Gévaudan, p. 55
On ne se doute pas de ce que ces fondrières ont de perfides et de dangers pour les personnes inexpérimentées. C’est sous le gazon le plus verdoyant que se cachent les insidieux bourbiers. Le chasseur avance devant lui sans hésiter ; soudain, il voit sous son poids le feutre épais sur lequel il marche se mouvoir en des ondulations significatives. Il s’arrête et veut revenir sur ses pas. C’est un peu tard. Sous le tapis de verdure qui s’est traîtreusement entrouvert, son pied plonge déjà dans une vase gluante qui l’emprisonne sans merci. Il s’appuie sur l’autre pied qui s’enfonce à son tour, et notre homme, pour gagner un sol plus ferme, n’a d’autre ressource que de s’étendre, s’aider de ses mains et marcher à la façon des animaux. Une fois sa victime sortie, la pelouse perfide reprend son aspect habituel et ne laisse rien devenir de ce qui vient de se passer. Et quand le cavalier, lancé à fond de train, jetait son cheval dans ces fondrières invisibles, quelle épaisseur de boue devait recouvrir, des pieds à la tête, l’homme et la Bête, et quel danger pour eux de périr étouffés sans pitié, s’il n’y avait là de mains vigoureuses pour leur porter secours !
Félix Fabre, La Bête du Gévaudan en Auvergne, p. 81
Deux de ces fameuses zones de tourbières qui foisonnent dans les replats des monts de la Margeride. Toujours aujourd’hui, la montagne abrite des centaines de zones humides de ce type. La plupart ont été partiellement asséchées, et il faut ainsi bien avoir à l’esprit que ces espaces étaient bien plus marécageux (et aussi beaucoup plus nombreux) à l’époque de la Bête !
À toutes ces difficultés liées à la seule nature du terrain, s’ajoutent qui plus est un climat froid et montagnard, auquel n’ont rien à envier nos régions de haute montagne. En dernière analyse, le Gévaudan semble ainsi d’une certaine façon combiner toutes les difficultés climatiques que peuvent connaître les différentes régions (et climats) de France : pluies abondantes, orages courants et très violents, brouillards récurrents et persistants (même en plein été !), neiges précoces et très fort enneigement l’hiver… Un climat rude et difficile pour les hommes, qui se verra de surcroit combiné à une météo que le hasard fera particulièrement exécrable peu ou prou toute la période où de gros moyens et de grandes chasses seront déployés contre la Bête (c’est-à-dire de l’automne 1764 à l’été 1765) !
Un climat et une météo remarquablement difficiles qui furent considérablement commentées par les différents protagonistes de l’affaire. On peut penser par exemple à cette lettre du comte de Morangiès où celui-ci annonce à Étienne Lafont que la chasse du 31 octobre 1764 ne put avoir lieu « à cause des grandes quantités de neige » qui viennent de recouvrir la Margeride (Pourcher, p. 25). On peut aussi penser à ce courrier cité plus haut d’un garde-chasse de l’équipage de François Antoine évoquant « les neiges, la grêle, la foudre et les vents » de ce « pays abominable » !
On peut encore penser aux nombreux rapports d’Étienne Lafont, qui évoquent souvent cet environnement et ce climat difficiles (et qui décourageront d’ailleurs tant de chasseurs venus plein d’espoir et de détermination en Gévaudan afin d’essayer de tuer la Bête et de toucher la formidable prime promise à sa dépouille !) :
L’exprès porteur de cette lettre devait partir hier ; mais un orage violent, suivi d’une pluie abondante, qui s’est soutenue pendant tout le jour, toute la nuit dernière et ce matin, l’ont arrêté jusqu’à cet après-midi, qu’il se met en route.
Étienne Lafont, dans son rapport à l’intendant du 29 septembre 1765 (cité par Pourcher, p. 303)
Il se trouve beaucoup d’endroits impraticables aux hommes et il n’y a que les chiens qui puissent y pénétrer. Encore faut-il qu’ils soient en nombre à cause de l’étendue du terrain.
Étienne Lafont, dans son rapport à M. de Saint-Priest du 30 juillet 1765 (cité par Pourcher, p. 232)
Les étrangers l’ont été encore plus [rebutés]. Ils viennent avec la meilleure volonté, chassent pendant quinze jours ou trois semaines, et après avoir essuyé bien des fatigues, s’en retournent chez eux très dégoûtés.
Étienne Lafont, dans son rapport à M. de Saint-Priest du 02 avril 1765, cité par Pourcher (p. 157)
Mais c’est sans conteste François Antoine qui aura livré le plus volumineux témoignage de la difficulté de mener des chasses en Gévaudan. Alors-même qu’il ne constitue rien de moins que le lieutenant des chasses de Louis XV (qui demeure connu dans l’histoire de France comme le grand roi-chasseur), le malheureux François Antoine ne cesse de se plaindre dans ses rapports de la difficulté de mener sa tâche à bien dans un environnement si hostile. Ce terrain difficile et ce climat ingrat seront d’ailleurs abondamment utilisés par l’envoyé du roi pour justifier son échec à venir ! Dans ses rapports successifs, le porte-arquebuse n’aura ainsi de cesse de pointer tantôt la difficulté du terrain, tantôt la médiocrité de la météo dans les déconvenues qu’il rencontre :
Je travaille à un mémoire qui sera dicté par mes connaissances et celles de gardes que j’ai emmenés avec moi, qui sont bien capables de se conseiller pour me servir sur la description du pays, qui est très difficile à exercer toutes espèces de chasses, soit avec limiers, chiens courants, et à bien conduire les battues ; ce qui mériterait un très gros volume ; mais j’en dresserais un en raccourci pour envoyer à la Cour.
François Antoine, dans son rapport à M. de Saint-Priest du 07 juillet 1765 (cité par Pourcher, p. 259)
Depuis le 24 juin que nous avons commencé à reconnaître le pays, nous avons eu 15 jours de pluies et des brouillards très épais et qui ont duré des journées toutes entières.
François Antoine, dans son rapport à M. de Saint-Priest du 18 juillet 1765 (cité par Pourcher, p. 264)
Cependant M. Antoine et M. le comte de Tournon ne doute pas de tuer ce pernicieux animal, mais jusqu’à présent ils n’ont presque pas eu un jour de beau temps, la pluie n’ayant pas discontinué. D’ailleurs, les blés ne sont pas encore coupés et tant qu’ils seront sur pied, on ne peut y chasser la Bête sans faire des grands dégâts. C’est cependant la retraite qu’elle affectionne le plus, soit qu’elle s’y trouve plus en sûreté, soit qu’elle y trouve plus de commodités pour y épier les bergers et les bergères.
Lettre du Besset (probablement d’un membre des équipages de François Antoine) datée du 11 août (citée par Pourcher, p. 277, et retranscrite à partir des archives de la Bibliothèque nationale)
Monsieur, le secours des chiens de la louveterie n’est pas encore arrivé et je crains avec juste raison que la saison ne nous permette pas longtemps de pouvoir nous en servir, car il commence à geler et à y faire des brouillards assez tôt pour avancer notre retour sitôt que nous ne pourrons plus opérer.
François Antoine, dans son rapport à l’intendant du 16 septembre 1765 (cité par Pourcher, p. 293)
Suivant le mesure prise par nous, elle avait 26 pouces de hauteur, l’on a reconnu à ses brèmes avoir nourri plusieurs louveteaux, dont il n’y en reste plus qu’un que nous espérons aussi détruire. Après quoi les neiges commençant à tomber ici abondamment même sur la Margeride, s’il n’arrive pas de nouveaux malheurs nous serons forcés d’interrompre nos chasses, car il y a 24 jours ce jourd’hui que personne n’a été attaqué ou dévoré. […]
Extrait du Procès-verbal sur la mort de la louve des Chazes, dans le cadre de la chasse menée par François Antoine et son équipage le 14 octobre 1765 (cité par Pourcher, p. 306)
Orage brusque et violente averse de grêle : précisément deux souvenirs mémorables de ma randonnée dans la forêt du mont Mouchet, une belle après-midi (jusqu’alors ensoleillée) du mois d’août 2021… !
Toutes ces difficultés n’empêcheront pas toutefois les chasses d’être menées, et la Bête d’être vigoureusement et méthodiquement traquée et pourchassée. Cette Bête, au-delà des dizaines de témoignages directs fournis par les personnes qu’elle aura attaquées, sera aussi vue à de nombreuses occasions par les chasseurs, qui nous en livreront ainsi différents précieux témoignages. Autant de récits constituant une véritable mine d’informations sur l’apparence et le comportement de l’animal (je parle encore volontairement au singulier !) tant pourchassé. Une morphologie et une conduite de la Bête qu’il est grand temps désormais de regarder en détail, car celles-ci ont effectivement beaucoup à nous dire de la nature de l’animal qui terrorisa le Gévaudan durant quatre longue années…
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D’où en Gévaudan a-t-il, dans sa fureur, Envoyé dans ces jours un monstre plein d’horreur Pour causer tant d’alarmes à toute une province. Il ne prendrait pas moins la fille d’un grand prince Que la petite enfant du plus humble berger ; L’une et l’autre est sujette à semblable danger. Il alarme souvent toute une populace, Ni le fer, ni le feu, ni péril, ni menace Jamais n’ont pu dompter ce féroce animal, Dans toute la contrée, qui cause tant de mal : Rien n’est plus surprenant que cette Bête affreuse De voir comment elle la rend malheureuse. Mais des filles surtout ce monstre s’approche bien, Et de ses caresses elles s’en passeraient bien, Car de rage écumant, aussitôt les dévore. On a déjà parlé d’autres monstres encore, Mais celui-ci n’est pas surpassé en rigueur De ces loups voisins qui causent des terreurs. Il ne fait qu’égorger gens dans nos campagnes. Où prendra-t-on la fuite, est-ce sur les montagnes ? D’un pareil animal, qui se peut garantir ?
Extrait d’un poème paru en 1765 (« La Bête monstrueuse et cruelle du gévaudan »)
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Pour rappel: les grandes dates de l’affaire de la Bête du Gévaudan
1762-1763
Une « Bête » ravage le pays du Dauphiné, et y fait plusieurs victimes. Plusieurs ministres de Louis XV y verront plus tard le même animal que celui qui ravagera le Vivarais puis le Gévaudan entre 1764 et 1767.
Avril 1764
Une jeune vachère est attaquée près de Langogne. L’animal (« qui ressemble à un gros loup mais n’en est pas un ») est mis en fuite par les vaches à cornes, qui chargent la Bête.
30 juin 1764
Jeanne Boulet est dévorée près de Saint-Étienne-de-Lugdarès, dans le Vivarais (actuelle Ardèche). C’est la première victime officielle de la Bête du Gévaudan.
Début octobre 1764
La Bête passe la Margeride et s’implante dans les bois de Saint-Alban, du Malzieu et de Saint-Chély. Elle fait une première victime dans cette région le 07 octobre aux abords du village d’Apcher (une femme de vingt ans).
08 octobre
Lors d’une battue dans les bois près du château de la Baume (Aubrac), la Bête est tirée à trois reprises à une distance entre cinquante et dix pas. Elle accuse à chaque fois le coup, tombe, se relève, puis échappe aux chasseurs. Des paysans l’aperçoit traîner la patte. Le lendemain, elle attaque un jeune vacher à plusieurs dizaines de kilomètres de là.
28 octobre
Une première grande battue est organisée contre la Bête dans la région de la forêt de la Mercoire, rassemblant plus de 10 000 personnes.
04 novembre 1764
Le capitaine aide-major Duhamel est missionné par le gouverneur du Languedoc (le comte d’Eu) pour diriger un détachement de troupes légères, déployées sur place pour mener une chasse active à la Bête. Avec ses 56 soldats (issus du régiment des volontaires de Clermont-Prince), Duhamel établit son quartier général à Saint-Chély d’Apcher, au plus près des événements et derniers lieux d’attaques notables de la Bête.
25 novembre-21 décembre 1764
Première ellipse de la Bête : après le meurtre du 25 novembre (une femme de 60 ans dévorée à Buffeyrettes), la Bête disparaît du jour au lendemain, et tout le monde la crut écartée du Gévaudan jusqu’au nouveau meurtre commis fin décembre, dans la région du nord de la Margeride.
22 décembre 1764
Dans les bois de la Baume à nouveau, la Bête passe sous les yeux de Duhamel, essuie plusieurs coups de feu, puis se trouve pourchassée par deux cavaliers des volontaires du régiment de Clermont-Prince. Ces deux derniers la collent de près et manquent de peu de la sabrer, mais la Bête parvient à s’enfuir après avoir sauté une muraille.
Noël 1764
Célèbre mandement de l’évêque de Mende, qui présente la Bête comme un fléau divin, envoyé en réponse aux péchés de la population du Gévaudan. Cette forme d’accréditation de l’hypothèse surnaturelle par la plus haute autorité religieuse du pays majore la terreur des populations paysannes vis-à-vis de la Bête, dont l’évêque semble ainsi reconnaître en creux la nature « sorcière » …
07 janvier 1765
Combat de Jacques Portefaix (et des six autres enfants du Villeret) contre la Bête, à proximité de Saint-Alban, sur les pentes ouest des monts de la Margeride.
Du 07 au 11 février 1765
Immenses battues organisées par Duhamel. Y concourent 73 paroisses du Gévaudan, 30 d’Auvergne ainsi que plusieurs du Rouergue (Aveyron). Elles sont encadrées par les hommes de Duhamel (troupes légères du régiment de Clermont-Prince) ainsi que par toute la fine fleur du pays (subdélégués, noblesse locale, consuls et notables des villes).
La Bête est débusquée lors de la première grande battue du jeudi 07 mais échappe à ses poursuivants au Malzieu, au niveau de la Truyère, dont les habitants n’ont pas correctement gardé les rives (ce qui leur vaudra un blâme collectif du Roi en personne, ainsi que l’emprisonnement de plusieurs notables de la ville, qui servent le prince de Conti). La Bête tue le soir-même une jeune femme au village de la Mialanette (paroisse du Malzieu) et la décapite. On cerne le territoire et on bat les bois des environs le dimanche 10 mais l’on ne voit nulle trace de la Bête. La Bête demeurera également invisible durant la nouvelle grande battue du lendemain, certes perturbée par la neige, mais au déroulement quasi-irréprochable.
Ces deux grandes chasses générales (entrecoupée d’une chasse particulière) auront mobilisé près de 20 000 personnes.
12 février 1765
Le lendemain de la deuxième grande battue organisée par Duhamel dans la région du Malzieu, un maître verrier de la Védrine (au nord de la Margeride) tire un animal qui lui semble être la Bête, et la blesse à la patte. On perd la trace de l’animal du fait de la tombée de la nuit.
Mi-février 1765
Promesse du Roi d’une gratification de 6 000 livres à celui ou ceux qui tueraient la Bête. Ajoutés aux 200 livres promis par les syndics de Mende et de Viviers, aux 2 000 votés par les états généraux du Languedoc et aux 1 000 promis par l’évêque de Mende, cette nouvelle gratification royale porte la récompense à qui débarrasserait le Gévaudan de sa Bête féroce à plus de 9 400 francs ; une somme considérable pour l’époque, et qui suscite bien des convoitises (et qui verra affluer au Gévaudan de nombreux chasseurs venus de toute la France et même de l’étranger) !
21 février 1765
Arrivée des Denneval père et fils à Saint-Flour (Auvergne). Ils y sont mis au courant par Lafont et différents témoins de tous les événements et informations liés à la Bête.
13 mars 1765
Combat de Jeanne Jouve contre la Bête, au nord de la Margeride, en Auvergne.
07 avril 1765
Duhamel et ses volontaires de Clermont-Prince sont définitivement écartés des chasses contre la Bête et quittent le Gévaudan. Après bien des manœuvres, Duhamel reçoit en effet l’ordre formel des comtes d’Eu et de Moncan (ses supérieurs) de gagner au plus vite avec sa petite troupe (une soixantaine de cavaliers dont vingt montés) leur nouveau casernement à Pont-Saint-Esprit (Gard). Les d’Enneval et leur équipage restent désormais seuls en Gévaudan à chasser la Bête.
1er mai 1765
Combat des frères de la Chaumette : les frères Marlet tirent la Bête de près et l’aîné la blesse sérieusement au cou, d’où l’on la voit saigner abondamment. On ne retrouve pas le cadavre malgré les nombreuses traces de sang et le lendemain, la Bête tue une femme de 40 ans de l’autre côté de la Margeride.
21 juin
Arrivée de François Antoine dans le Gévaudan. Le même jour, la Bête s’illustre en réalisant pas moins de 5 attaques (dont 2 mortelles) dans la région du Malzieu, où se tient une importante foire aux bestiaux.
18 juillet
Les d’Enneval sont officiellement démis de leur droit de chasser la Bête et quittent le Gévaudan. De retour dans sa Normandie natale, bien que confortablement indemnisé pour ses peines, le père d’Enneval n’aura de cesse de répéter que la Bête du Gévaudan n’était pas un simple loup mais un « animal extraordinaire ».
24 juillet
François Antoine et son équipage s’installe au château du Besset (sous le mont Mouchet), au plus près des carnages de la Bête.
Début août
Le comte de Tournon (un noble auvergnat) rejoint François Antoine avec un important équipage de louveterie (un piqueur, trois cors de chasses et dix-neuf chiens conduits par deux valets).
9 août
Après avoir été débusquée puis pourchassée toute l’après-midi par l’équipage de François Antoine, et après que celui-ci rompe la chasse du fait de la tombée de la nuit et rentre au Besset, la Bête tue une bergère presque sous les fenêtres du porte-arquebuse, événement qui résonna longtemps comme un véritable défienvers l’envoyé du roi.
11 août
Combat de Marie-Jeanne Vallet contre la Bête. Attaquée sur un petit pont au-dessus du ruisseau des Broussons (près de Paulhac), celle-ci parvient à blesser la Bête : elle lui enfonce (selon les documents d’époque) près de 7 cm de sa baïonnette dans le poitrail. François Antoine verra de ses yeux le sang sur la lance, et espèrera la fin des carnages. En vain.
16 août
Altercation entre deux gardes de François Antoine et les Chastel, qui les auraient volontairement orienté dans un bourbier. Jean, Pierre et Antoine sont mis en prison à Saugues, et ordre n’est donné de les libérer qu’après le départ du porte-arquebuse du Gévaudan.
29 août
Battue du Bois Noir. Le garde-chasse Rainchard, de l’équipage de François Antoine, touche mortellement un animal dont la description correspond à la Bête, durant une chasse commandée par le comte de Tournon. L’animal est sérieusement blessé mais trouve encore la force de s’enfuir. Retrouvé par des paysans près de Védrines-Saint-Loup, son cadavre sera éparpillé puis reconstitué par les hommes de François Antoine au château du Besset. Quelques jours après, les attaques de la Bête reprennent du côté de Venteuges, où une femme est dévorée.
11 septembre
Trois muletiers (les frères Gouny) sont attaqués par un animal dans une gorge sur le chemin allant de Saint-Flour et Paulhac. Ils parviennent à la repousser puis font un détour au château du Besset rapporter les événements à François Antoine, déclarant qu’il s’agissait de la Bête.
19-20-21 septembre
Chasse de l’abbaye des Chazes. Averti puis rendu sur place avec ses gardes, François Antoine abat un gros loup dans les bois de l’abbaye royale des Chazes. Une autopsie est réalisée, un procès-verbal établi. La dépouille prend ensuite la route de Clermont le 21 septembre avec le fils de François Antoine (Antoine de Beauterne), où elle sera examinée et empaillée par un chirurgien royal. Elle prend enfin la direction de Versailles, où elle arrivera début octobre et sera présentée au Roi et à la Cour. François Antoine est quant à lui resté en Gévaudan pour s’assurer de la fin des attaques et détruire la femelle et les fils du loup tué aux Chazes.
Novembre 1765
Les attaques semblant avoir définitivement cessées depuis la chasse des Chazes et le gros loup qui y fut abattu, François Antoine quitte le Gévaudan et rentre à Fontainebleau (vers le 12-15 novembre), où siègent à ce moment le Roi et la Cour, qui lui feront un accueil triomphal. Quelques semaines après son départ, les Chastel sont libérés de prison. Dans le Gévaudan, on reste encore méfiant, mais les semaines passent et l’accalmie semble perdurer. La confiance se réinstalle, on ressème la terre et les paysans commencent à reprendre leur vie normale.
08 décembre 1765
Deux jeunes vachers sont attaqués par un animal qui ressemble à la Bête, au voisinage de la Besseyre-Saint-Mary. Dans la population, on comprend que le répit n’était que provisoire, et que la Bête n’est pas morte.
Mars à novembre 1766
Les attaques de la Bête sont plus sporadiques, mais continuent d’avoir lieu dans le nord de la Margeride. L’animal fait une nouvelle dizaine de victimes, avant de soudainement disparaître courant novembre.
02 mars 1767
Après s’être volatilisée durant cinq mois, la Bête réapparaît dans la région des Trois-Monts, où les attaques deviennent rapidement incessantes, et égales en intensité celles du printemps 1765 (une toute les trois jours, et presque autant de morts quand les victimes ne sont pas secourues).
07 et 14 juin 1767
Deux immenses pèlerinages à Notre-Dame d’Estour puis à Notre-Dame-de-Beaulieu rassemblent des milliers d’habitants du Gévaudan. On bénit les balles des chasseurs et on prie la Vierge Marie de délivrer enfin le pays des tueries de la Bête. Et l’on semble être exaucé…
19 juin 1767
Lors d’une ultime battue menée par le marquis d’Apchier, Jean Chastel abat un animal reconnu comme la Bête à la Sogne d’Auvers. Cette chasse marque la fin définitive des attaques en Gévaudan.
Dans la prochaine partie (cette seconde série sur l’histoire de la Bête du Gévaudan en comptera quatre au total), nous nous réintéresserons à cette fameuse Bête, à son apparence et son comportement, en faisant notamment parler et témoigner les personnes les plus à même de nous indiquer ce à quoi la Bête ressemblait : les acteurs de l’époque (chasseurs, paysans attaqués,…), qui l’ont observé en de nombreuses occasions de visu, et nous ont témoigné (via de nombreux rapports et documents d’époque) ce qu’ils ont vu.
Nous replongerons parallèlement, petit à petit, dans le cœur des éléments les plus troublants de cette histoire, partagerons un ensemble de faits et de réflexions complémentaires autour du portrait social et politique du Gévaudan de 1764, et tenterons ainsi d’esquisser quelques pistes sérieuses d’explication et de résolution de l’affaire.
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