Lorsque je découvris la Lozère en 2020, je découvris des paysages tels que je n’en avais jamais vu jusqu’ici en France : hauts-plateaux aux horizons infinis, déserts de prairies steppiques et de landes de granit et de bruyère, coiffés de montagnes aux sommets tantôt arrondis et boisés ou violemment escarpées, entrecoupés de profondes et spectaculaires gorges,.. grands espaces sans âge de l’agropastoralisme où le temps semble s’être comme arrêté…
Des paysages d’une sauvage beauté, mais non à proprement parler sauvages, car fruit d’un patient travail de l’Homme, d’un aménagement millénaire, qui transforma des territoires de nature inhospitalière en des lieux où les communautés humaines purent vivre et se nourrir. Des territoires en fait façonnés par les pratiques multiséculaires de l’agropastoralisme, où l’Homme, plutôt que (et dans l’incapacité de) le dénaturer, a longuement appris à apprivoiser son environnement. Des milliers d’années de pratique d’un mode de vie ancestral dont témoignent aujourd’hui les grandioses paysages des Causses et des Cévennes, inscrits à ce titre au patrimoine mondial de l’UNESCO.


Une belle histoire d’une sorte d’équilibre et d’harmonie entre l’Homme et son environnement, en même temps qu’un superbe témoignage du génie de l’adaptation humaine, que nous vous proposons de découvrir dans cet article écrit en partenariat avec le photographe lozérien Jean-Sébastien Caron (que je remercie encore d’avoir mis ses immenses talents de photographie et d’écriture au service d’un jeune site de découverte historique). Bonne lecture !
Les hautes et basses terres du Massif central, terrains naturels de l’agropastoralisme
Montagnes arrondies aux sommets joliment boisés, garnies de gros blocs de granit émoussés formant également les murs gris d’anciens villages et hameaux hors-du-temps ; grandes étendues steppiques entrecoupées de grandes falaises habillées de calcaires majestueux, sculptant les formes hallucinées de rochers dressés à la surface comme dans d’étranges et profonds gouffres, ordonnant les pierres des clapas et les voûtes des bergeries qui parsèment de vastes plateaux ; horizons dégagés surplombant des landes infinies d’herbes grasses et de bruyère, où paissent d’innombrables troupeaux de brebis, de moutons et de vaches, au-dessus des champs et des villages des hommes ; montagnes escarpées couvertes de cultures en terrasses, façonnés par les schistes y découpant de vastes crêtes et corniches au-dessus d’antiques hameaux cachés au milieu de grandes châtaigneraies, dont la même pierre acide habille les murets et les toitures : pas de doute, nous sommes dans des paysages atypiques – sommes-nous d’ailleurs seulement en France ?


(©rédit photo : Minolta DSC)
En France, nous y sommes bien, dans des espaces géographiquement reculés des grands axes de développement historiques que furent les grands fleuves et les façades littorales, quelque part dans le cœur du Massif central, au « milieu des montagnes-centre », comme j’aime à le qualifier. Quelque part sur les hauts plateaux de ce grand massif du sud-centre de la France, dans le beau département de la Lozère (ainsi qu’un peu chez ses voisins aveyronnais, gardois et ardéchois).


Resté relativement à l’écart des grandes dynamiques industrielles et urbaines, la Lozère, le département le moins peuplé de France (n’est-ce pas finalement une chance ?), est un département profondément rural, située aux confins de la région historique du Languedoc, aux frontières avec sa grande voisine auvergnate. Département de hauts plateaux, à l’altitude moyenne la plus haute de France (979 mètres), la Lozère présente une géographie atypique, produit d’une remarquable variété géologique (sols calcaires, granitiques, schisteux,…), et qui donne à ce pays de moyenne montagne un relief profondément tourmenté, capricieux, grandiose.

(©rédit documentaire : Atlas des paysages du Languedoc-Roussillon)
La Lozère est en effet un pays où la géographie peut changer du tout au tout tous les 5 kilomètres : rien de commun en effet entre les grandes étendues steppiques du Causse Méjean ou du Sauveterre, les sommets arrondis et doucement boisés de la Margeride, les landes et tourbières de ses contreforts et plateaux, les profonds canyons et paysages de gorges creusés par le Tarn et la Jonte, les montagnes escarpées et boisées des Cévennes, dont les pentes abruptes transforment les ruisseaux en torrents, et les rivières en coulées de boue dévastatrices. L’eau, précisément, et nous y venons, est centrale dans cette géomorphologie, qui est loin d’être le produit du hasard.
Les régions du sud-est du Massif central, et en particulier la Lozère (et encore plus particulièrement les Cévennes), sont le terrain d’une pluviométrie importante, du fait de leur situation de point de rencontre entre les masses d’air froides de l’Atlantique et chaudes de la Méditerranée, qui génèrent d’abondantes précipitations, et souvent mêmes de violents orages stationnaires, à l’origine des célèbres « épisodes cévenols » (des pluies abondantes qui dévalent les pentes, mettent les rivières en crue, et provoquent d’importantes inondations dans les basses terres méditerranéennes).
Ces précipitations importantes font du sud-est du Massif central, et notamment de la Lozère, une sorte de château d’eau du sud de la France, un pays d’eau, où de nombreuses rivières et fleuves prennent leurs sources (rien qu’à l’échelle des Cévennes : Tarn, Jonte, Hérault, Allier, Chassezac, Lot, Altier,… et non-loin, dans les monts du Vivarais voisin, Ardèche et Loire). Une eau qui, bien avant l’Homme, a façonné la géographie de ces territoires, entre mécanismes d’érosion et d’infiltration. Une eau qui y a, selon sa nature géologique, déplacé, poli, sculpté ou creusé sa pierre, y a arrondi les montagnes, ou les a creusées de profondes gorges et de millions de galeries, comme dans le cas des Causses, ces paysages indissociables du sud du Massif central, et grands terrains historiques du développement local de l’agropastoralisme.


(cartographies issues du musée des vallées cévenoles de Saint-Jean-du-Gard)
Les Causses sont en effet le nom que l’on donne dans le Massif central aux paysages de karst, une structure géomorphologique correspondant à de grands plateaux calcaires creusés par les eaux. Des dynamiques d’érosion et d’infiltration qui font de ces plateaux un immense gruyère, un sous-sol s’apparentant à un labyrinthe de grottes et de galeries souterraines, dont parfois une des parois ou plafonds se sont écroulés, créant ainsi de nombreux « avens » : des impressionnants gouffres se prolongeant en grottes et galeries sur des kilomètres, à la réputation sinistre (considérés comme des portes des enfers..).
Les Causses, façonnés par l’eau, sont ainsi paradoxalement des territoires où l’eau est rare, car immédiatement absorbée par la terre et la pierre, qui la voit disparaître dans ses profondeurs, et réapparaître parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu d’infiltration initial, hormis dans les rares zones où la présence d’argiles en surface (c’est-à-dire de roches imperméables), la maintienne en surface, dans de petites cuvettes que l’on appelle les « dolines ».
Une rareté et préciosité de l’eau que l’on retrouve également dans les Cévennes voisines, où les abruptes pentes schisteuses, couplées au climat méditerranéen, rendent cette dernière rare et difficile à retenir ; quand le climat davantage océanique qui caractérise le nord et l’ouest de la ligne de partage des eaux offre lui des pluies plus fines et mieux réparties tout au long de l’année.
À la certaine rudesse des paysages de ces régions (c’est là toute leur beauté), en complément de ces reliefs tourmentés, l’Homme a dû également historiquement composer avec un climat rude : étés courts, pluies abondantes, vents puissants, orages, brouillards, neiges précoces, congères,…

liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, 2011)
Un climat évidemment peu favorable à l’agriculture telle qu’elle se développera dans les grands bassins fertiles de la Mésopotamie (Tigre, Euphrate, Jourdain,…) et du Nil, avant de conquérir les plaines fertiles de l’Europe du Sud et de l’Ouest (et notamment celles de la Gaule celtique, qui sera déjà, à l’époque de l’invasion romaine, l’un des plus grands pays agricoles de tout le bassin méditerranéen – la puissance agricole de la France, on le voit, ne datant pas d’hier.. !).
Mais revenons un peu en arrière, à l’époque où l’Homme ne produisait et ne commerçait pas encore avec des territoires lointains, et commençait seulement à apprivoiser la rude terre lozérienne.
*****
Une histoire de l’agropastoralisme lozérien : tout commence au temps des premiers hommes…
L’histoire de l’agropastoralisme nous fait remonter aux temps immémoriaux, à la lointaine époque où l’Homme sort du statut de chasseur-cueilleur, de l’existence purement nomade, et commence à se sédentariser (c’est-à-dire à s’installer durablement) sur des terres. Sortie de l’âge glaciaire autour de l’an 10 000 av. J.-C., l’Europe du Nord (qui se voyait alors reliée à l’Angleterre par un niveau de la mer inférieur de plusieurs centaines mètres à celui d’aujourd’hui), se réchauffe, voit son climat s’adoucir, et devenir plus favorable à l’établissement humain. Pour l’Homme, en quelques millénaires, les conditions de vie et d’habitat changent radicalement.
Comme peuvent nous en restituer l’Histoire et les précieux témoignages des grottes de Lascaux et de Chauvet, jusqu’ici, dans ces contrées du Massif central, la vie n’était guère facile : climat nordique, grands animaux prédateurs arpentant les vallées et les forêts (ours des cavernes, rhinocéros laineux, tigre des neiges, lynx, et autres joyeusetés animalières), et un Homme vivant essentiellement de chasse et de cueillette, et habitant dans des grottes qui le protègent tant des animaux que des rudesses d’un climat froid et difficile (des grottes où il laissera déjà de magnifiques et bouleversants témoignages de son génie artistique et culturel).




Mais les conditions climatiques évoluent, et radicalement. Les glaciers qui recouvraient l’Ecosse et de nombreuses montagnes d’Europe disparaissent ou se résorbent, une nouvelle nature se forme, plus importante, plus variée, plus riche en arbres et en herbacées. Il devient désormais possible pour de nombreux herbivores de croître et de se propager, et pour l’Homme, de vivre davantage de la terre, d’envisager de se nourrir aussi davantage depuis cette dernière.
Dans ce que l’on va appeler la « révolution néolithique », de grands mouvements démographiques traversent le bassin méditerranéen et l’Europe, mais plus que des populations, ce sont avant tout des pratiques et des cultures qui se diffusent : travail du tissu, de la céramique, puis du métal, et surtout : techniques agricoles (notamment l’irrigation et la diffusion des céréales). Des formes et méthodes de domestication de plantes et d’animaux apparaissent et se diffusent, et vont ainsi, en quelques millénaires, transformer des tribus de chasseurs-cueilleurs en des communautés d’agriculteurs, et des populations nomades en des sociétés sédentaires.
L’agriculture, le pastoralisme, l’artisanat se développent, la division du travail s’installe, et ce qui sera la première révolution agricole de l’Histoire se traduit ainsi par un formidable accroissement de la population dans toute l’Europe, particulièrement de l’ouest et du sud.


Les nouvelles sociétés sédentaires s’organisent en villages et même en villes, les communautés se divisent le travail entre agriculteurs et artisans, et l’amélioration rapide des méthodes de cultures agricoles génèrent de meilleurs rendements et même localement des situations de surplus de production, qui favorisent et accompagnent le développement du commerce, de la monnaie, ainsi que socialement et politiquement, de la propriété et de l’aristocratie.

Concernant les régions des Grands Causses et des Cévennes qui nous intéressent ici, les découvertes archéologiques les plus récentes semblent valider la thèse d’une colonisation agricole très ancienne de la région des Causses, apparue entre 5 000 et 2 500 av. J.-C. (et ce particulièrement sur le Causse Méjean, le plus élevé et le plus isolé de tous, et qui révèlent de multiples traces d’occupation humaine – notamment sous la forme de centaines de dolmens et de tumuli). Une activité mégalithique très importante que l’on retrouve également sur les contreforts des Cévennes voisines, notamment sur le mont Lozère, et que les archéologues mettent directement en relation avec l’activité pastorale.
L’élevage – en particulier d’ovins – semble en effet avoir été l’une des plus anciennes activités pratiquées par les Hommes sur les Causses et les Cévennes, qui les sillonnent et les habitent ainsi depuis des millénaires, initialement plutôt au niveau des vallées et des bordures des plateaux (ces derniers, davantage boisés et au climat plus rude, étant longtemps demeurés plutôt des zones de chasses).
De lointains héritages de cette période néolithique sont d’ailleurs toujours visibles au travers des vastes ouvrages mégalithiques qui parsèment les hautes terres de Lozère : grands monuments des premiers hommes témoignant ainsi de l’occupation humaine ancienne de ces grands espaces, autant que lieux énigmatiques qui, aux côtés des propres fantaisies de la roche-mère, alimenteront bien des légendes et des superstitions (encore bien vivaces il y a encore quelques siècles.. !).


(©rédits photos : parc national des Cévennes)
À noter que ces sites mégalithiques attestent d’une présence et activité humaines anciennes sur les hautes terres, ils restent dépourvus de trace d’occupation permanente, ces espaces n’ayant servi, semble-t-il, qu’à la pâture, à un va-et-vient saisonnier entre l’intérieur des Causses et les grottes à flanc de vallée rythmant la vie d’alors des communautés, pasteurs semi-nomades ou groupes plus agricoles.
Les derniers millénaires précédant notre ère seront ceux du développement du système pastoral (et notamment du développement combiné des routes commerciales et des chemins de transhumance entre hautes terres et plaines languedociennes), ainsi que de l’arrivée des Celtes. Dans ces contrées méridionales de ce qui s’appellera bientôt la « Gaule celtique » (en référence à la culture celte qui prédomine dans l’ensemble des régions du nord-ouest de l’Europe), les cultures méditerranéennes (blé, orge, olivier, vigne, légumes,…), aidées par le fort développement du commerce maritime, vont notamment continuer à se diffuser et s’ancrer, tout particulièrement dans les basses terres. De façon générale, durant la période celtique, les territoires correspondant à la France actuelle (pourtant très loin des berceaux historiques de l’agriculture), sont devenus de grands producteurs agricoles, qui exportent ainsi céréales, viandes et laitages dans tout le bassin méditerranéen, et notamment à l’Italie romaine (qui pour l’anecdote, est alors friande des fromages lozériens.. !).
À noter que si l’arrivée des Celtes se traduit globalement en Gaule par un grand développement de l’agriculture et de l’artisanat, elle ne modifia pas localement profondément la mise en valeur des Causses et des Cévennes, dominés par les occupations agricoles et pastorales, mais provoqua toutefois la création, sur les éperons et les sites élevés, de caps barrés et d’oppida (le pluriel du célèbre « oppidum » gaulois, désignant un village généralement perché et fortifié).

Le Moyen-Âge : une période majeure dans le développement de l’agropastoralisme
Durant des siècles, jusqu’à l’arrivée de la révolution industrielle, les territoires isolés du Massif central demeureront des espaces assez peu peuplés, relativement à l’écart des grands bouleversements historiques et des grands flux commerciaux. Des espaces habités par une forte nécessité d’autonomie alimentaire, elle-même structurée par un mode de vie agropastoral, qui évoluera toutefois beaucoup avec le temps. Des premières formes d’agropastoralisme issues de la Préhistoire, s’en succéderont en effet rapidement de nouvelles, et ce dès l’époque gallo-romaine.
Epoque où dans les Causses et les montagnes, les anciens oppidums prisés des tribus gauloises sont ainsi notamment délaissés au profit de sites plus proches des terres agricoles et des voies de communication, et où les Cévennes sont le lieu de développement des premières châtaigneraies (et des cultures en terrasses qui les accompagnent). Vergers de châtaigniers introduits par les Romains qui vont connaître ensuite une large extension durant le Moyen-Âge dans les Cévennes, afin de subvenir au besoin d’une population rurale en pleine croissance (une « civilisation du châtaignier » qui se développera ainsi jusqu’au début du XIVe siècle, pendant que dans le même temps, de profondes mutations interviennent également dans les hautes terres avoisinantes).


Peu investis par la culture gallo-romaine dont ils resteront à la marge (malgré l’installation d’une petite industrie minière et d’exportation de poteries), et après une longue période de transition où ils changeront de nombreuses fois de mains (occupation wisigothe, sarrasine,…), les territoires des Causses et des Cévennes finalement stabilisés dans le royaume Francs et la chrétienté vont connaître de grandes transformations paysagères durant le Moyen-Âge. Période où furent mis en place (dans les derniers siècles du Moyen-Âge) les principales composantes des paysages de l’agropastoralisme maintenues jusqu’à nos jours. Des transformations paysagères médiévales en partie dues au large mouvement de christianisation qui prit son essor du VIIIe au XIe siècle, particulièrement avec l’installation d’établissements monastiques, qui jouèrent ainsi un rôle majeur dans le développement des Causses et des Cévennes.

Répondant à l’intérêt économique d’une région certes retirée mais dont la traversée s’était imposée aux populations du cœur du Massif central souhaitant rejoindre les ports de la Méditerranée et les marchés de la plaine languedocienne, le développement du réseau paroissial ainsi que le processus d’essaimage des abbayes vont se traduire, entre le XIe et le XIVe siècle, par une formidable extension des domaines cultivés : au rythme de l’expansion des seigneuries monastiques, d’intenses travaux de défrichement sont engagés sur les hautes terres pour étendre les pâturages, les moines ouvrant ainsi leurs herbages à la transhumance des troupeaux des plaines languedociennes (dans le cadre de grands systèmes de transhumance à l’échelle du sud de la France dont nous reparlerons plus loin).

Dans le cadre de cette transformation, le rôle des ordres monastiques (bénédictins, cisterciens), militaires et religieux (templiers et, à leur suite, hospitaliers) dans la construction du paysage rural fut essentiel. Après avoir obtenu les droits seigneuriaux sur plusieurs territoires de ces hautes terres, ils mirent en œuvre une exploitation systématique des terres qu’ils contrôlaient, induisant alors le passage du pastoralisme à l’agropastoralisme. La mise en culture de toutes les terres labourables fut organisée de façon méthodique, réservant les terres non-cultivables à l’élevage des ovins et des bovins. On organise également la collecte du lait et la fabrication de fromages, tandis que la croissance importante de l’élevage ovin permet également le développement d’une industrie textile. De nombreux villages et bourgs voient le jour ou se développent à proximité des églises, abbayes et autres commanderies, et la population connaît une importante croissance démographique (permise aussi par l’essor de la production céréalière, qui est même exportée vers le Bas-Languedoc).


EN RÉSUMÉ : Fruit de cinq siècles d’intense activité agropastorale (elle-même due au dynamisme des ordres monastiques et religieux militaires), le système d’exploitation mis en place durant la période médiévale a ainsi indéniablement établi une véritable complémentarité socioéconomique et écologique entre les hautes terres et les plaines méditerranéennes.
Complémentarités territoriales qui constituèrent ainsi la base de l’organisation agropastorale des Causses et des Cévennes jusqu’à nos jours, et qui y marquèrent durablement le paysage (landes et pelouses d’altitude), l’architecture (hameaux et mas isolés) et le bornage (bornes à Croix de Malte) – autant d’éléments toujours présents et observables aujourd’hui.
De la Révolution Industrielle à nos jours : déclin, sauvegarde et renaissance de l’agropastoralisme des Causses et des Cévennes
A la période de relative prospérité du Moyen-Âge, s’ensuivra une période beaucoup plus difficile durant l’Ancien Régime, marqué par une évolution climatique défavorable (la période dite du « petit âge glaciaire » ayant alors succédé à celle de « l’optimum climatique médiéval » ; périodes marquées respectivement par un réchauffement puis refroidissement important du climat dans toute l’Europe). Malgré les développements économiques et agricoles du Moyen-Âge, le quotidien rural demeurera longtemps précaire dans la région, comme en témoigne cet extrait :
Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, l’agriculture resta très rudimentaire et se caractérisait socialement par :
> Un ensemble de petits tenanciers propriétaires de fait, cultivant des céréales pour l’autoconsommation, élevant entre 30 et 50 brebis pour le fumier, la laine, la viande et, accessoirement, le lait ;
> De grands domaines aux mains des nobles (dont les seigneuries ecclésiastiques) puis des bourgeois occupant une grande partie des terres. Les exploitations, employant une main d’œuvre nombreuse, étaient gérées par des fermiers ou des métayers. Les terres étaient consacrées à la production de céréales et l’élevage reposait sur des cheptels ovins importants (entre 200 et 300 têtes), essentiellement élevés pour l’exploitation de la laine.
> De nombreux paysans travaillant quelques lopins de terre sur les communaux et les sectionaux qui étaient, à l’occasion, embauchés sur les grands domaines lors des travaux agricoles.
Dossier de candidature pour l’inscription des Causses et des Cévennes, paysage culturel de l’agropastoralisme
méditerranéen sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO
A l’époque de la bête du Gévaudan, et même jusqu’au milieu du XIXe siècle (avant l’arrivée du chemin de fer et le développement de l’industrie – notamment de la soie), les grands espaces de la Lozère et des Cévennes constituent ainsi toujours le lieu d’une société paysanne, une rude terre de labeur où le climat et les conditions de vie demeurent difficiles, les récoltes souvent mauvaises, et les famines récurrentes. Des communautés paysannes, avant le grand exode rural du XIXe siècle, ainsi structurée entre fermiers et agriculteurs, bergers et artisans, commerçants et bûcherons.


De vastes territoires sauvages et inhabités, ainsi qu’une société locale pauvre et isolée, qui feront le succès d’une certaine bête, qui ravagera ainsi le nord de la Lozère durant près de trois ans, faisant plus d’une centaine de victimes au sein de cette société agropastorale où de nombreuses familles subsistent de leurs troupeaux, qu’il faut bien garder dans les vastes pâturages qui couvrent l’ancien Gévaudan, et où l’on devient la proie facile d’un animal mortel qui sèmera la peur et la misère dans le pays, et le fera vivre dans une terreur qui marquera profondément ses mémoires habitantes.


De vastes territoires ruraux et isolés que l’arrivée du chemin de fer sortira en partie de leur enclavement géographique naturel, les connectant désormais en quelques heures à ces grandes villes pas si lointaines qu’il fallait des jours à rejoindre par les chemins et les routes d’alors. Un chemin de fer et une révolution industrielle qui, s’ils s’implanteront peu dans ce sud-est du Massif central (lui préférant les riches terres minières du nord et de l’est de la France et la proximité des grands fleuves et grandes villes), lui coûteront comme beaucoup d’autres départements ruraux (bien qu’un peu plus tardivement) un vaste effondrement démographique, caractérisé par le départ de dizaines de milliers d’habitants vers les plaines et la ville, à la recherche d’un travail et d’une vie meilleure.
Contexte de départ en masse des habitants de la région s’expliquant par ailleurs par la hausse démographique des décennies précédentes et par l’incapacité corollaire du territoire à produire alors localement de quoi nourrir la population, du fait notamment de la quadruple crise que traverse la région à l’époque : celle de l’agriculture, de la sériciculture, de la castanéiculture (châtaignes) et de la viticulture). Une situation qui, si elle semble en passe de s’inverser depuis quelques décennies, se traduit par le constat toujours surprenant d’une Lozère moderne peuplée de deux fois moins d’habitants qu’elle n’en comptait ainsi il y a près de 200 ans.


Un constat certes à nuancer concernant les Cévennes qui, avec la sériciculture (industrie de la soie), connaîtront une certaine apogée démographique et économique entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle. Une période prospère qui restera dans les mémoires comme un véritable âge d’or, et qui se traduira par un grand mouvement de construction et d’aménagement du territoire lié à cette agriculture qui va durablement transformer le paysage cévenol (période où l’architecture est modifiée, où de nouvelles terrasses sont construites, et où des centaines d’usines à soie verront le jour, avant un rapide déclin et une situation de grande déperdition démographique au début du XXe siècle).


Si la mécanisation de l’agriculture apportée par la révolution industrielle a certes permis l’économie de nombreux bras dans les champs et les fermes et ainsi substantiellement impacté le tissu agricole, elle ne s’est pas traduite en Lozère par la quasi-totale disparition de l’agriculture paysanne qui a touchée de nombreux départements de la France moderne (une dynamique d’ailleurs en passe également de s’inverser ces dernières décennies). Malgré les progrès issus de la Révolution industrielle et le développement du chemin de fer, l’isolement prolongé des Causses et des Cévennes retarda en effet significativement la modernisation de l’agriculture et ce faisant la progression des rendements.
On ne manquera pas toutefois d’assister en Lozère, bien qu’à moins grande échelle que dans le reste du territoire, à un important développement de l’agriculture et de l’élevage intensifs. D’abord à partir de la fin du XIXe siècle, au travers d’une expansion des pâtures au détriment des terres cultivées, et résultant du développement de l’industrie laitière et fromagère (notamment celle du Roquefort) et de la spécialisation ovine. Puis à partir des années 1960 dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC), qui se traduira par une augmentation de la taille des troupeaux ainsi qu’une intensification de l’agriculture et des techniques d’élevage, qui entraineront plusieurs modifications sur l’espace caussenard et cévenol (mécanisation accrue, utilisation de fertilisants, mise en culture de champs en friches afin de constituer des stocks suffisants en céréales et en fourrages afin d’alimenter les brebis durant l’hiver, extension et modernisation des bâtiments pour loger, nourrir et traire les brebis,…).
Une intensification des systèmes d’élevage qui se traduira paradoxalement par une moindre pression sur les pâturages (où l’on assistera à un redéveloppement des ligneux), et qui ne sera pas totalement généralisée, de nombreux agriculteurs, éleveurs et petites exploitations ayant subsisté, maintenu et entretenu les paysages et pratiques agropastorales partout dans les Causses et les Cévennes (dans la limite de la grande politique forestière nationale menée du Second Empire aux années 1960, et qui se traduira par un reboisement massif dans la région, au détriment des espaces ouverts – souvent il est vrai alors délaissés par les activités traditionnelles et en friche).


Contrairement à tant d’autres régions dont elle était également le mode d’organisation agricole, les pratiques et surtout les territoires millénaires de l’agropastoralisme n’auront ainsi jamais totalement disparu en Lozère, bien aidées et redynamisées il est vrai par la création du Parc National de Cévennes puis le classement de ce dernier ainsi que des Grands Causses au patrimoine mondial de l’UNESCO (précisément au titre des « paysages culturels de l’agropastoralisme méditerranéen »), qui furent centraux dans le maintien et la revivification des paysages agropastoraux de la région.
Des dispositifs qui ont ainsi permis de sanctuariser, maintenir, et même redévelopper de nombreux piliers de l’agropastoralisme local, en limitant voire interdisant l’urbanisation des espaces naturels et agricoles, en veillant à la qualité et au maintien des pelouses et des pâturages, en encourageant et soutenant la réhabilitation d’anciennes fermes et hameaux abandonnés, des cultures en terrasses et de l’architecture de pierre sèche, et en accompagnant la venue de nouveaux agriculteurs souhaitant inscrire leur activité dans les pratiques et cultures millénaires de l’agropastoralisme.


(©rédits photos : parc national des Cévennes)
Un héritage et un intérêt de l’agropastoralisme aujourd’hui globalement bien ancré dans les politiques d’aménagement et de développement local, qui après un siècle et demi d’urbanisation et de disparition partielle de précieuses terres agricoles et naturelles, ainsi que de mécanisation des pratiques et de centralisation et spécialisation des exploitations, semblent aujourd’hui bien davantage conscientes du caractère écologique et durable du système agropastoral. Système qui au-delà de son riche héritage architectural et paysager, fait littéralement corps avec l’histoire de la région, et semble aujourd’hui bien mieux positionné dans son avenir et devenir qu’il put l’être il y a seulement quelques décennies.
À la lumière de cette histoire, on pourrait ainsi dire que l’histoire des Grands Causses et des Cévennes et de l’agropastoralisme méditerranéen ne font qu’un. Une histoire croisée, mais complexe, et fortement évolutive, maintes fois infléchie par les contextes intérieurs et extérieurs, comme le souligne très bien ce nouvel extrait du dossier de candidature de ces régions à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO :
Au final, la lente construction du paysage culturel des Causses et des Cévennes s’est peu à peu révélée sous l’effet d’une double manifestation :
> Le paysage de l’agropastoralisme ne procède pas d’une histoire linéaire, constante et invariable. Elle s’inscrit au contraire dans une dynamique d’évolutions complexes mettant en jeu différentes échelles, différents contextes historiques, économiques et sociaux, diverses dynamiques naturelles et paysagères. Le paysage de l’agropastoralisme apparaît à ce point comme une construction anthropique et multiscalaire.
> Dans le même temps, le paysage culturel des Causses et des Cévennes résulte des influences exogènes, d’une histoire ouverte sur le monde : élargissement de la demande extérieure en viande, développement de la clientèle de négociants en fromage tout au long du XIXe siècle, impact des lois rurales nationales depuis le milieu du XIXe siècle, etc.
Au cours de cette histoire, les moments de crise, de ruptures, de risques furent toujours les bases sur lesquelles ce territoire et ses paysages se sont construit par touches, par réactions et adaptations successives aux contextes, exprimant ainsi non pas une histoire strictement linéaire mais un patrimoine vivant et évolutif, empreint d’une notion invariable de résilience.
Dossier de candidature pour l’inscription des Causses et des Cévennes, paysage culturel de l’agropastoralisme
méditerranéen sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO
En aparté : la singularité du système agropastoral
Selon des spécialistes du sujet, si les paysages que les systèmes agropastoraux ont produit comportent des caractères bien particuliers (espaces ouverts, parcours, relation espaces ouverts/couvert boisé), ils témoigneraient également, dans la période récente, d’une histoire agraire inédite qui contribuerait à leurs critères d’authenticité et d’unicité. Au regard de l’histoire agraire de l’Europe, les systèmes agropastoraux (parmi lesquels les Causses et les Cévennes) auraient ainsi notamment constitué une source fondamentale de production alimentaire, qui était alors déficiente dans la majeure partie des pays du continent.
En effet, selon cette analyse, jusqu’au XVIIIe siècle, les systèmes agraires européens avaient pour caractéristique de reposer globalement sur une certaine domination de la production céréalière, qui procurait peu ou prou l’essentiel de l’alimentation des populations (pains et bouillies pour l’essentiel). Ces systèmes étaient notamment fondés sur les principes dits de « vaine pâture », de l’interdiction de clore les champs, ainsi que sur l’absence de propriété individuelle des sols, sauf pour les groupes qui détenaient le pouvoir (aristocratie seigneuriale et clergé). La production de viande n’y était alors pensée que comme le sous-produit des cultures céréalières, et était pratiquée sur les espaces qui ne pouvaient pas être utilisés pour les cultures (le bétail se nourrissant ainsi d’herbages spontanés).
Dans cette perspective, les systèmes agropastoraux présentaient la singularité d’échapper à cette règle, dans la mesure où ils présentaient une importante autonomie par rapport aux labours et aux cultures céréalières et préindustrielles (lin et chanvre pour les textiles). La pratique de l’élevage en masse et de la transhumance était ainsi primordiale dans la survie des populations qui y trouvaient une source d’alimentation carnée, protéinique et lipidique en complément à l’alimentation glucidique. À l’échelle européenne, ces systèmes puissants auraient d’ailleurs donné lieu à une économie pastorale « spéculative », comme ce fut le cas en Italie (transhumance depuis les Pouilles jusque dans l’Apennin), en Espagne (transhumance depuis l’Andalousie jusque dans les sierras centrales) et donc en France, avec la transhumance depuis les plaines du Languedoc jusque dans les Cévennes.
À partir du XVIIIe siècle toutefois, les agronomes anglais ont engagé la fin du système agraire féodal en inventant la culture des fourrages artificiels (graminées en ray-grass et fétuques ; légumineuses en luzerne, trèfle, sainfoin). C’est à partir de cette invention et de cette petite révolution agricole que l’élevage a pu devenir un secteur de production animale indépendant de la production céréalière, et que les populations ont ainsi pu avoir accès à une portion plus élevée de viande dans leur alimentation. Cette nouvelle donne, en même temps qu’elle a contribué à mettre fin aux disettes, a engendré une forme de retrait des systèmes agropastoraux qui n’avaient ainsi plus le même intérêt social et économique. Un processus et une dynamique générale certes à relativiser au vu de la très grande diversité des règles de gestion de ces systèmes selon les pays, mais qui verra néanmoins ses principes (et plus généralement le modèle de l’agriculture intensive) s’imposer dans toute l’Europe, et de nombreux systèmes agropastoraux régionaux plus ou moins disparaître des paysages…


À la découverte de l’agropastoralisme : les grands principes
Après tout ce premier chapitre très historique où nous naviguons autour de ce concept sans vraiment le préciser, et avant de partir plus à la découverte de ce dernier, peut-être une petite définition de l’agropastoralisme ne serait pas de trop.
Wikipédia nous apprendra que l’agropastoralisme est « une situation où l’agriculture est intimement associée au pastoralisme ». Certes, nous l’aurions deviné, même si l’utilisation du terme « intime » est ici très intéressante et parlante. Très trivialement, l’agropastoralisme désigne une technique de production qui mêle agriculture et élevage. Au lieu d’être pensé de façon séparée, distincte, les deux domaines sont pensés de façon associée, couplée. Cela peut sembler anodin, mais à l’échelle d’un territoire, de paysages entiers, c’est extrêmement puissant et structurant. Cet agropastoralisme, on peut ainsi l’analyser comme une forme ingénieuse d’optimisation et de maximisation de l’espace et des ressources dans un environnement sensiblement contraint (sols pauvres, climat rude, relief important,…).
L’agropastoralisme désigne une pratique qui favorise l’utilisation des parcours et le pâturage de milieux spontanés (pelouses, landes). Il s’agit de l’activité agricole dominante du Parc national qui façonne depuis des millénaires ses paysages et sa biodiversité.
une autre définition de l’agropastoralisme proposée par le Parc national des cévennes
Plus qu’un simple ensemble de pratiques ou de techniques, l’agropastoralisme est un système, un mode d’organisation du territoire, invitant à penser et aménager les espaces selon leurs (parfois maigres) potentialités et disponibilités, et à les penser de façon imbriquée, interconnectée, en affectant à chacun un rôle bien précis, selon un cycle et une organisation tout aussi précise.

Loin du petit rayon d’organisation d’une unité fermière, l’agropastoralisme se développe et se déploie sur de grandes échelles : basses terres (pâturages d’hiver), hautes terres (pâturages d’été), espaces de production (cultures céréalières sur les – souvent rares – terres cultivables), espaces de transition (chemins de transhumance, landes, forêts). Il nécessite une sorte d’infrastructure, non-utilisée de façon permanente, mais qui doit rester entretenue et disponible annuellement : murets, hameaux d’étapes, bergeries, drailles (sentiers de transhumance), points d’eau (généralement abondants dans les montagnes, mais rares – et donc précieux – dans les paysages karstiques, tels que les Causses). Une infrastructure qui dans les Causses et les Cévennes (mais aussi ailleurs), fut notamment le témoin du génie de l’architecture de pierre sèche, une architecture aussi ingénieuse que débrouillarde, fruit de savoirs faires millénaires, et dont nous parlerons en détail un peu plus loin.
Un système agropastoral où l’Homme vit ainsi dans une certaine autonomie de production, à la fois céréalière et animale, et où l’aménagement historique de l’espace a été pensé de façon à optimiser ces deux productions sans les mettre en concurrence, mais au contraire en inter-complémentarité. Une démarche il est vrai particulièrement évidente et facilitée sur les Causses par la rareté des terres cultivables, concentrées dans les vallées et les dolines des plateaux, quand le reste de ces derniers, sur des zones de prairies naturelles, peut être consacré aux espaces de pâture du bétail, ainsi qu’à l’exploitation du bois, matériau de construction et combustible indispensable à la vie des hommes de tout temps (lorsque les trois domaines sont associés, on parle alors d’ailleurs d’agro-sylvo-pastoralisme).

On retrouve également dans les Cévennes cette même structure paysagère, qui constitue un même reflet de cette philosophie d’utilisation des ressources au plus juste. Dans les montagnes cévenoles, chaque espace plat est en effet dédié aux cultures : les prairies de fond de vallée longent les cours d’eau et leur ripisylve, les terrasses jardinées et cultivées bordent les villages, les hameaux et les mas isolés, construits en schiste, sont implantés sur les pentes. Puis les pré-vergers, notamment la châtaigneraie, conduisent aux prairies de pâturage et de fauche. La forêt, enfin, occupe tous les serres du pays cévenol, hormis les crêtes les plus hautes, dédiées aux parcours (c’est-à-dire au passage et pâturage des troupeaux de bétail).
L’agropastoralisme des Causses et des Cévennes n’est toutefois ni uniforme, ni homogène. Si nous parlons depuis le début de cet article de l’agropastoralisme de ces régions, il convient plus rigoureusement d’y parler des agro-(sylvo)-pastoralismes. De préciser ainsi que cet agropastoralisme régional comprend en fait différents types d’organisation agropastorales, hérités des systèmes traditionnels méditerranéens (et fondés totalement ou partiellement sur ce que l’on appelle « l’élevage extensif sur parcours »).
Le site de l’UNESCO dédié au « paysage culturel de l’agropastoralisme des Causses et des Cévennes » invite ainsi à distinguer in fine dans ces territoires quatre principaux types d’organisation agropastorale :
> un agro-sylvo-pastoralisme ovin et caprin comprenant différents systèmes d’élevage sédentaire à composante pastorale associé à une activité agricole ou agritouristique, dans les basses Cévennes : Cette forme d’agropastoralisme est basée sur la pluriactivité. L’élevage ovin ou caprin réalise souvent de la vente directe et est lié à d’autres activités telles que l’arboriculture (châtaigne, pomme reinette du Vigan en AOC ou la pêche), le maraîchage (oignon doux, la Rayolette en AOC, plantes médicinales) , la cueillette (champignons, myrtilles, plantes médicinales ou pour la parfumerie) ou l’agritourisme (gîtes, chambres d’hôtes, fermes auberges…).
> un agro-sylvo-pastoralisme sédentaire ou transhumant sur les hautes terres cévenoles de l’Aigoual, du Lingas, du Bougès et du Lozère : Sur ces terres d’altitude, l’activité agropastorale est centrée sur l’élevage ovin et bovin ainsi que l’accueil estival des transhumances. Cette forme d’agropastoralisme est capitale pour entretenir les espaces ouverts montagnards.
> un agropastoralisme ovin tourné vers la production de viande et de fromage, ainsi qu’un pastoralisme bovin destiné à la production de viande. Ils comprennent différents systèmes d’élevage sédentaire à composante pastorale sur les grands Causses : Cette forme d’agropastoralisme est orientée vers l’élevage ovin pour la production fromagère (notamment Roquefort en AOC depuis 1925, mais aussi Salakis et les tommes fermières) complété par la production de viande (ovin et bovin) qui permet un entretien des espaces ouverts par l’utilisation des parcours.
> et enfin : un pastoralisme ovin transhumant direct, court et pédestre dans les Cévennes et sur les Monts Lozère et Aigoual : cette forme de pastoralisme est la plus connue même si elle n’est pas majoritaire sur le territoire. Elle se caractérise par une production ovine pour la viande avec une utilisation des estives qui nécessite un déplacement du troupeau pour la période estivale afin de profiter des parcours d’altitude. Elle s’illustre régulièrement par des manifestations sur les départs de transhumance estivale où les bergers et leurs brebis se regroupent pour la montée à l’estive par les drailles, ces chemins de transhumance qui suivent les crêtes. »
Ces différentes formes d’agropastoralisme coexistent aujourd’hui sur le territoire des Causses et des Cévennes. Leur influence sur les paysages constituent les fondements de la Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) qui a légitimé l’inscription de ce territoire [des Causses et des Cévennes] sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle se traduit par l’existence d’une mosaïque de parcelles de fauche, de pâturage, de cultures dont certaines sont aménagées sur des terrasses. Les Causses et les Cévennes constituent ainsi un exemple quant à la diversité des activités agropastorales encore présentes sur un même territoire.
Site web des Causses et des Cévennes, patrimoine mondial.
Si les Causses et les Cévennes font ainsi l’objet en pratique de plusieurs types d’organisation agropastorale, la région présente bien toutefois une forme d’unité d’histoire et de cultures, fruit notamment de sa structure paysagère. De part et d’autre des Cévennes granitiques, les plateaux calcaires des Grands Causses et les vallées des Cévennes schisteuses forment en effet les deux versants (nord-ouest et sud-est) d’une même montagne, appelée le promontoire hercynien. Bien que tout semble les opposer (Atlantique d’un côté et Méditerranée de l’autre, sols calcaires et sols acides, plateaux de hautes terres et vallées profondes,…), ces deux versants manifestent une certaine unité physique, construite depuis la nuit des temps par l’occupation humaine, et par les relations incessantes que cette dernière a ainsi établi entre ces deux versants – comme dans tant d’autres montagnes à travers le monde (Pyrénées basques ou catalanes, Alpes savoyardes, etc.).
Un ensemble notamment façonné par le pastoralisme itinérant, qui a inscrit les relations entre ses deux versants dans le réseau des 300 kilomètres de drailles qui unissent ainsi, du sud-est au nord-ouest, les vallées des Cévennes schisteuses aux plateaux calcaires des Causses et aux sommets granitiques des monts Lozère et Aigoual.


Une structure paysagère, couplée aux caractéristiques physiques du milieu (rigueur du climat, irrégularité du régime des eaux et importance du couvert forestier naturel), qui peut ainsi être considérée comme la base de l’unité de ce territoire des Causses et des Cévennes, une unité de fait qui aura ainsi contribuée à y former une culture agropastorale commune. De façon partagée et croisée, ces grands territoires, par leur caractère monumental, puissant, et parfois violent dans les conditions de vie qu’ils ont imposé à leurs habitants, ont en effet exigé des sociétés agropastorales qui s’y sont implantées au cours des âges des efforts d’adaptation et d’intégration inouïes des deux versants, efforts qui apparaissent aujourd’hui dans les multiples témoignages que ces sociétés ont laissé sur ces territoires (témoignages qui permettent ainsi de parler de paysages culturels).
Loin d’être replié sur lui-même, ce territoire contraint a même su tirer profit de la complémentarité offerte par les échanges avec les plaines urbanisées environnantes, tout en résistant à toute forme d’inféodation aux villes voisines qui détenaient les pouvoirs tant temporels que spirituels et économiques – une sorte d’esprit de liberté et de résistance (à la monumentalité des espaces, à la rudesse du climat, à la pauvreté des sols,…) qui apparaît aujourd’hui toujours bien ancré dans la culture cévenole.

Parmi ces paysages de (des) agropastoralismes, des organisations agropastorales, un peut-être plus que n’importe quel autre, particulièrement dans les Causses, occupe une place majeure, la plus visible, la plus volumineuse : les pâturages, auxquels nous allons nous intéresser maintenant.
*****
À la découverte de l’agropastoralisme : les pâturages
Dans la région des Causses et des Cévennes, deux grands paysages en particulier sont particulièrement imprégnés par l’histoire et la culture agropastorales : les steppes caussenardes, et les sommets des massifs granitiques. De vastes paysages naturels de landes et de pelouses qui semblent avoir ainsi été intrinsèquement conçus pour le pastoralisme et l’élevage.
Ces premiers grands paysages agropastoraux sont d’abord ceux des hauts plateaux dénudés, des grands paysages ouverts de pelouse d’allure steppique, que l’on trouve sur les Causses et à l’étage montagnard des sommets cévenols (monts Lozère, Aigoual et du Bougès) ; des paysages qui regroupent ainsi l’essentiel des espaces de pâturage extensif aujourd’hui inscrits dans le cadre du Parc national des Cévennes. Ces paysages de pâturages sont faits d’une mosaïque d’habitats naturels et de zones herbacées dont les formes et les couleurs jaunes, vertes et violacées, souvent associées à des reliefs ruiniformes, contribuent ainsi au charme de ces immensités ouvertes sur des horizons infinis (un charme auquel je ne suis pas demeuré insensible lors de leur découverte…).

Dans ces paysages de pâturages caussenards, les perspectives vers les crêtes et les sommets semblent lointaines, « les regards passent au-dessus des vallées et des gorges que l’on ne découvre qu’en les surplombant à partir de belvédères offrant des panoramas impressionnants ». Sur les Causses, l’érosion du calcaire produit d’étonnants chaos de roches aux formes étranges, comme celui de Nîmes-le-Vieux ; des formes naturelles qui semblent ainsi venir répondre aux structures mégalithiques qui parsèment également les Causses, lointain héritage des premiers hommes…
Dans ces immensités d’herbe jaune au climat rude, balayées par les vents, les implantations humaines demeurent rares. En dehors de quelques villages, les hauts plateaux demeurent essentiellement peuplés de fermes isolées et de hameaux dispersés, généralement implantés à proximité des dolines, les seules terres cultivables des Causses. Un patrimoine vernaculaire (murets, bergeries), hérité de l’activité agricole traditionnelle, rythme également les paysages. Si l’établissement humain y demeure rare, les pelouses caussenardes n’en demeurent pas moins l’héritage d’une très ancienne utilisation par l’Homme. Les défrichements initiaux y ont en effet éliminé les chênaies naturelles et contrecarré, dès l’origine, l’expansion du hêtre. Le pâturage y a ensuite provoqué la disparition d’une partie de l’épaisseur initiale des sols. Les plantes herbacées, qui supportent mieux le piétinement et la dent du bétail ont enfin occupé le terrain. En ayant favorisé depuis des millénaires le maintien et l’entretien de ces espaces ouverts, l’agropastoralisme a ainsi fait des Causses des espaces d’une biodiversité exceptionnelle, où s’observe une relation intime entre activités agropastorales et richesse biologique.


Ces grands paysages de pâturages, on les retrouve également sur les parties sommitales des montagnes cévenoles, entre 1 400 et 1 600 mètres d’altitude. Les vastes landes et prairies de ces sommets (appelées “pelouses d’altitude”) constituent le point d’aboutissement des troupeaux transhumants en provenance notamment des plaines languedociennes. Situés au-dessus des grandes forêts qui forment le socle de ces monts – Lozère et Aigoual, ces immensités arrondies (dont les champs de bruyère, de myrtilles et d’herbe grasse qui les recouvrent offrent à la fin d’été de magnifiques contrastes rouge-violet, jaune et vert), y accueillent à la belle saison de vaste troupeaux d’ovins montés des basses terres méditerranéennes (bien que beaucoup moins aujourd’hui qu’il y a quelques siècles). Ils sont également traversés par les drailles historiques, ces grands chemins de transhumance, véritable autoroute à bestiaux, qui permettaient durant la chaude saison en plaine d’acheminer les troupeaux jusqu’aux hauts plateaux de la Margeride et de l’Aubrac, en passant ainsi par les Cévennes.

Des paysages qui s’ils peuvent sembler relativement sauvages, font l’objet d’un entretien et d’un soin minutieux des humains, qui veillent particulièrement au maintien et à la qualité des pelouses, notamment menacé par l’avancée naturelle de la forêt, qui occupe un territoire bien plus important qu’il y a 100 ans (nous en parlerons un peu plus loin). Des paysages dont de nombreux témoins (bergeries, hameaux semi-abandonnés, fermes isolées, murets, canaux d’irrigation, sentiers,…) attestent d’une présence humaine ancienne, discrète, mais bien présente, les ayant façonné, sans les dénaturer, et offrant le spectacle rare et plaisant d’une forme d’équilibre entre l’Homme et son environnement.
En aparté : la transhumance
La transhumance constitue certainement une des pratiques humaines les plus anciennes et les plus marquantes de l’histoire de ces territoires. Dès le second millénaire av. J.-C. en effet, les hommes auraient suivi le déplacement instinctif des animaux (notamment les ovins, présents dans la France méditerranéenne depuis la fin du VIIIe millénaire avant J.-C.), depuis la plaine littorale vers les pâturages plus verts de la montagne. Cette pratique expliquerait l’origine ancestrale du tracé de certaines drailles bordées de mégalithes.


Sur le mont Lozère en effet, un grand chemin de transhumance, peut-être le plus important de la région, traverse la montagne du nord au sud au niveau d’un de ses cols. Elle dessine une empreinte impressionnante sur la montagne, faite de grands sillons, comme on aurait gravé une ligne sur une pierre. Le long de cette draille historique, est érigé tous les cinquante mètres un menhir ; un point de repère bien salutaire lors des fréquents brouillards qui enclochent la montagne. On peut également y observer régulièrement des croix de Malte, autre témoignage vivant de la grande époque des commanderies hospitalières qui s’implantèrent dans la région au Moyen-Âge et y développèrent l’agriculture, le pastoralisme et les échanges commerciaux avec le Bas-Languedoc. Un endroit magnifique, par lequel passe notamment le célèbre chemin de Stevenson, sentier de grande randonnée suivant l’itinéraire emprunté par l’écrivain écossais au XIXe siècle, du Velay à Saint-Jean-du-Gard, qui constitue une belle occasion de découvrir et traverser la région (j’ai moi-même réalisé cette randonnée en septembre dernier, un beau récit à découvrir dans cet autre article du blog).


À noter également que dans son ensemble, pour prendre un peu de perspective, le Massif central est aujourd’hui constitué de près de 80% de prairies. Nos moyennes montagnes du centre de la France s’apparentant ainsi à un immense territoire d’élevage à l’herbe, d’ailleurs parfois surnommé « la plus grande prairie de l’Europe ».
Cet équilibre entre l’homme et son environnement, ce génie de l’adaptation humaine, transparaît peut-être plus que n’importe où ailleurs au travers de l’architecture et des formes d’habitat que l’Homme a développé dans ces régions au relief et au climat rudes, comme nous allons le voir maintenant.
*****
À la découverte de l’agropastoralisme : l’architecture de pierre sèche
Au-delà de ses beautés naturelles, la valeur des paysages cévenols et caussenards tient en effet à la présence d’un très important patrimoine bâti, qu’il s’agisse de l’habitat ou de bâtiments liés à l’économie agropastorale, édifiés avec les ressources tirées du sous-sol : trois roches, une diversité de paysages, de climats et de bâti. Un contexte ainsi très particulier d’une architecture locale largement inspirée et structurée par la géologie, qui laisse ainsi à voir trois grands territoires d’architectures distinctes (bien que reposant sur des principes similaires) : l’architecture de schiste (vallées cévenoles), l’architecture de granit (sommets cévenols), et l’architecture de calcaire (plateaux caussenards). Parmi ces trois, l’architecture de pierre sèche des Causses est peut-être la plus remarquable.
L’architecture du calcaire
Face à un environnement naturel pauvre et contraignant, ces vestiges du travail de nos ancêtres, fruits de leur ingéniosité, ne peuvent que provoquer l’admiration ! La pierre calcaire est la matière première qui abonde sur le Causse, contrairement au bois. Et la rareté de l’eau et du bois d’œuvre a conduit nos ancêtres à faire preuve de pragmatisme et de talent pour économiser ces biens précieux.
Comme un musée à ciel ouvert, les “Grands Causses” nous offrent ainsi toutes les formes d’architecture traditionnelle et de petit patrimoine : toits “carène”, fours à pain, aires à battre, fontaines, puits, citernes, lavognes, jasses, cazelles, murets, croix, drailles… Les plus petits hameaux accolés à un relief protecteur qui jouxtent les terres cultivées des dolines, recèlent ainsi de véritables trésors architecturaux.
Massive, adossée au relief afin de se préserver des vents froids, la ferme du Causse est en parfaite symbiose avec le paysage, là où une voûte de pierre remplace la charpente de bois. Et les pierres et dalles calcaires ont naturellement servi de matériau pour construire les murs avec un mortier de calcaire broyé et les toits couverts de lauzes.


Les vieilles fermes des Causses sont pour la plupart construites sur le même schéma : au rez-de-chaussée se trouve la bergerie, voûtée en berceau en plein cintre ou d’arrêtes, ce qui permettait de protéger les brebis de la chaleur en été et du froid en hiver. Un escalier extérieur donne sur une terrasse couverte ou non par laquelle on accède à l’habitation, située à l’étage. L’espace d’habitation est composé d’une grande pièce regroupant la cuisine, la salle à manger et les chambres sur la “souillarde”. Un escalier ou une échelle en bois permet d’accéder au grenier où sont conservés grain, fourrage et foin.
Chaque maison possède en outre sa propre citerne qui permet de récupérer l’eau, par un système de troncs d’arbres évidés soutenus par des corbeaux insérés dans la façade, l’eau étant une ressource rare sur les Causses… On retrouve parfois même un four à pain privé dans la cour.
Aujourd’hui trop petites pour accueillir les troupeaux des éleveurs qui se sont agrandis, logés désormais dans des hangars beaucoup plus étendus, ces belles fermes caussenardes sont détournées de leur fonction première pour devenir de simples lieux d’habitation ou des gîtes touristiques. Certaines sont ainsi rachetées par des passionnés qui les rénovent et participent ainsi à la conservation de ces véritables œuvres d’art architecturales.


L’architecture de pierre sèche : petit tour d’horizon local
L’HABITAT PRINCIPAL
La terrasse ou “balet” : l’impossibilité de percer la voûte du rez-de-chaussée fait du balcon le seul accès possible entre la bergerie et les niveaux supérieurs. Certains travaux devaient avoir lieu sur cette terrasse : filature de la laine, épluchage des légumes et bien d’autres encore, à cause du manque de lumière à l’intérieur, dû à la petitesse des ouvertures pratiquées dans les murs.
La souillarde ou “solharda” : il s’agit d’une sorte d’arrière-cuisine, où se lavaient la vaisselle et le linge. On peut y puiser l’eau de la citerne sans avoir à sortir de la maison.
Le charnier : c’est une pièce importante de la maison, quoique de dimensions modestes. C’est une pièce exposée à tous les courants d’air, de préférence au nord, aménagée au premier étage, parfois dans les combles. Le charnier servait essentiellement à la conservation de viandes et l’aération, aussi fraîche que possible, s’y avérait primordiale. C’est également là que l’on faisait sécher les salaisons.
La cave : elle est creusée dans le sol et se trouve généralement sous la maison. On y conservait les pommes de terre, le vin et le fromage.
LES DÉPENDANCES
La citerne : dans la région des grands Causses où les puits sont rares, la citerne qui recueille les eaux de pluie ruisselant depuis le toit est un élément essentiel. D’une capacité de 5 à 10 m3, elle se trouve souvent sous la souillarde ou sous la cuisine. Mais il est très fréquent que la ferme dispose de plusieurs citernes. Les citernes supplémentaires, souvent réservées aux bêtes, seront construites à l’extérieur, adossées à un bâtiment.
Les pigeonniers : quelques belles maisons caussenardes disposaient de pigeonniers. Il se raconte que plus le pigeonnier avait d’ouvertures, plus la famille était aisée !


Les “aires à battre” : grandes surfaces planes, constitués d’un dallage de pierre calcaire qu’on retrouve devant les fermes dans les villages et hameaux, où l’on battait les blés pour y séparer les grains de l’épi. Ces aires sont toujours installées au soleil afin que la chaleur et la sècheresse fassent éclater les épis plus facilement. Les techniques diffèrent selon les époques et les régions : autrefois on frappait d’abord les épis de blé avec des fléaux, tandis que plus tard on utilisera la “caoucado” : des bœufs ou des chevaux qui tournaient sur les gerbes de céréales étalées sur l’aire. De temps à autre, on retournait cette paille et le travail continuait jusqu’à ce que tous les grains soient séparés des épis.
Le four à pain : parfois individuel, il est le plus souvent un bien du village. Fréquemment, il comporte une salle munie d’une banquette, sorte de porche d’où l’on surveille la cuisson, à l’abri des intempéries.
DANS LES PAYSAGES
La cazelle : Si vous vous promenez sur les Causses? vous aurez sûrement l’occasion d’apercevoir des sortes de petites cabanes en pierres sèches généralement disséminées en pleine nature. Ces “cazelles”, le plus souvent de forme arrondie et voûtée, furent édifiées par les bergers pour se protéger du soleil, de la pluie ou du vent, sur des Causses souvent peu boisés. Ils les construisaient grâce aux pierres calcaires présentes sur place selon une technique ancestrale nécessitant un grand savoir-faire. Au XVIIIe siècle les cantonniers, ouvriers qui avaient en charge l’entretien des routes et des voies ferrées, s’inspirèrent de ces modèles pour construire des abris le long des routes qui leur étaient affectées et sur lesquelles ils étaient parfois contraints de rester. On en retrouve ainsi un nombre très important sur le Causse de Sauveterre.
Les jasses : sortes de bergeries qu’on retrouve près des fermes ou isolées sur les pâturages. Les jasses de parcours servaient également d’abris au berger et ses bêtes pendant la nuit, ou lorsque les conditions climatiques, qui peuvent changer soudainement sur ces hauts plateaux, l’exigeaient. Les jasses servaient également à accueillir les brebis en période de gestation (en fin d’été et en automne). Tout comme les maisons caussenardes, ces bâtiments étaient construits entièrement en pierres calcaires, et participaient à la récupération d’eau de pluie. Elles sont la plupart du temps voûtées d’ogives. Ce patrimoine typique qui ne sert plus beaucoup est aujourd’hui menacé.


(©rédits photos : Jean-Sébastien Caron)
La lavogne : sortes d’abreuvoirs aménagés dans des “sotchs”, dépressions naturelles en forme d’entonnoir qu’on retrouve sur les Grands Causses. Ceux-ci étaient recouverts par l’homme d’argile servant à contenir l’eau, qui ne resterait pas sur le sol calcaire perméable. La Lavogne ainsi formée, permettait aux troupeaux de se désaltérer. Elle nécessite un entretien régulier car en saison sèche l’argile a tendance à se fissurer et à perdre de son étanchéité.


Les “clapas” : tas de cailloux qui résultent de l’épierrage effectué par les laboureurs.
Le four à pain : dans les campagnes où la vie était rude et où l’ombre de la disette planait constamment sur la population, le pain était indispensable. Avant le développement des boulangeries, les habitants du village se retrouvaient régulièrement autour du four banal, où l’on procédait à sa fabrication. Les fours sont la plupart du temps construits sur le même plan : ils se composent d’un hangar en toit charpenté ou voûté couvert de lauzes et d’une chambre de chauffe protégée par des murs maçonnés et toujours voûtée afin de conserver la chaleur.


Le métier à ferrer : appelé aussi “ferradou”, il servait comme son nom l’indique à ferrer les animaux utilisés pour le débardage ou les travaux agricoles. L’animal était placé dans le métier, sa tête maintenue à l’avant par un joug et parfois posée sur une petite plaque métallique. On passait ensuite des sangles attachées aux poutres horizontales sous son ventre afin de le soutenir, puis ses pattes une à une sur les poutres en bois parallèles au sol, sorte de “reposoirs” afin de faciliter le ferrage.
La croix : symbole de la ferveur religieuse qui animait les populations rurales autrefois. Celles placées aux abords des chemins et des ponts permettaient de rassurer le voyageur dans ces contrées rudes et reculées, car elles évoquaient la présence de Dieu sur des chemins dangereux et pourvoyeurs de bien des maux.


L’architecture de granit des monts
Au voisinage est et sud des Causses, les dominant de plusieurs centaines de mètres, sur les montagnes de granit de l’Aigoual et du Lozère, une toute autre architecture et un tout autre savoir-faire de l’homme peut également s’admirer. Là, au cœur de la montagne (où le granit est particulièrement massif), les contraintes liées à la dureté du matériau, à la rigueur du climat (les habitats étant installés ici dans des altitudes comprises entre 1 000 et 1 400 mètres), et la relative stabilité des modes de production sur la longue durée, ont engendré un type de construction dont les formes se sont perpétuées, identiques à elles-mêmes, jusqu’à un passé récent. L’architecture de granit du mont Lozère reste toujours d’une grande sobriété, et les constructions à la silhouette trapue s’y fondent dans leur environnement naturel.


Contrairement aux Causses ou aux vallées cévenoles, l’habitat du mont Lozère compte peu de mas ou de fermes isolées. Les peu nombreuses populations habitant dans ces montagnes vivaient généralement regroupés dans de petits villages, généralement implantés là où s’étaient accumulés quelques rares sols cultivables, arrachés au versant par l’érosion. Contrairement aux Cévennes où les fortes pentes obligent à un habitat très concentré et porté sur la hauteur pour économiser la surface au sol, sur les monts granitiques, l’habitat est plus lâche, les maisons moins collées les unes aux autres.
La maison type y est à demi enterrée dans le sol côté nord, et oriente sa façade vers le sud. Elle est construite sur deux niveaux : le rez-de-chaussée abrite le logis et l’étable, où hommes et bêtes cohabitent au sein de deux espaces dédiés, séparés par une cloison de bois. L’étage est quant à lui généralement consacré au stockage des vivres et des ustensiles nécessaires aux habitants et aux animaux (grenier, pailler, ferril,…). Les murs sont épais (80 à 130 cm), parfois bâtis sur la base de gros blocs de granit appareillés, parfois sur le principe d’un double parement rempli de tout venant. Les maisons sont très sombres : les ouvertures sont peu nombreuses et très petites. Un système de drainage au sol, sous le dallage en granit, permet d’évacuer les eaux qui suintent des rochers.


Mais ces maisons et villages à la description relativement austère ne sont pas si grisonnants qu’ils peuvent paraître. Les différents mousses et lichens qui aiment à se développer sur la roche granitique les parent généralement d’un manteau rose-orangé, achevant de leur donner cet air d’un lieu hors du temps, d’un autre âge, donnant à qui a la chance de les contempler l’impression d’être transporté à une autre époque, où seuls existaient l’homme, les animaux, les arbres, l’herbe et les montagnes.
A noter enfin concernant cette architecture des monts que contrairement aux Causses, aucun bâtiment en dur n’abritait les moutons, ni même les bergers, qui dormaient dans des cabanes mobiles, déplacées nuit après nuit, au gré des fumatures. Dans les praires et landes infinies de ces grandioses montagnes, peu d’autres traces de l’Homme subsistent, si ce n’est le tracé des anciens murets de clôture près des champs jouxtant les rares villages et hameaux. Les multiples enclos mobiles où l’on parquait les troupeaux ont disparu. Reste le tracé des sentiers et des drailles, ultimes témoins de l’œuvre de l’Homme sur ces rudes contrées.


L’architecture du schiste
Dans la culture et la vie cévenole, la pierre de schiste est aussi centrale et omniprésente que le châtaignier. Comme si en quelque sorte, la roche et l’arbre constituaient les deux faces d’une même pièce, son versant minéral et son versant végétal, un couple de pierre et de vert constituant la quintessence des Cévennes. Du fait de la contrainte très forte du relief, ici comme ailleurs, l’Homme a dû et su s’adapter, et concevoir des modes de construction, d’habitation et d’exploitation des sols et de la forêt optimisant au maximum l’utilisation de l’espace et des ressources disponibles.
Contrairement aux monts granitiques voisins, l’habitat dans les vallées cévenoles s’articule entre de nombreux hameaux et fermes isolées, ainsi que quelques villages. Beaucoup de ces hameaux d’ailleurs se vidèrent de leurs habitants et furent progressivement abandonnés à partir du XIXème siècle. En se promenant dans les forêts pentues qui recouvrent les versants des vallées, il n’est d’ailleurs pas rare, au détour d’un sentier, de tomber sur d’anciennes maisons en ruines perdues au milieu des arbres et des broussailles. Certains ont néanmoins été réinvestis par des communautés qui ont entièrement rénové d’anciens hameaux abandonnés, quand d’autres furent transformés en gîtes ou d’anciennes fermes remises en activité, dans le cadre d’une politique volontariste mise en place par le Parc national.


Le hameau cévenol typique est généralement construit en fond de vallée, au-dessus d’un gardon (nom des rivières locales). Il est souvent constitué d’un ensemble de cinq à dix maisons (appelées mas), blotties les unes contre les autres, alignées le long d’un même axe épousant la ligne de pente. Les villages s’étirent quant à eux le long des routes et des chemins, selon le même principe. La maison-type des Cévennes est construite, dans sa longueur, perpendiculairement aux courbes de niveau, laissant un espace habitable certes réduit mais offrant la propriété bien nécessaire d’augmenter la résistance aux glissements de terrain, fréquents sur les sols schisteux. Pour économiser l’espace cultivable comme les coûts de construction, les agrandissements se sont faits généralement vers le haut. Et dans cet habitat cévenol multiséculaire, on retrouve les deux éléments incontournables de la région : le schiste pour les murs et la toiture, et le châtaignier pour presque tout le reste : les menuiseries, les planchers, les escaliers intérieurs, les cloisons, et bien sûr, la charpente.


Chaque maison a une entrée sur la rue et une autre sur le jardin, et derrière, au-delà, sur la campagne ou plutôt la montagne. Autour des bâtiments principaux s’étagent les jardins, avec les bassins, les ruchers, les aires à battre, le cimetière familial, les bâtiments secondaires. Tout un réseau de circulation permet d’accéder aux différents étages des bâtiments et de relier les éléments de l’exploitation (venelles, sentiers, escaliers entre les terrasses,…). Les maisons sont au centre de clairières presque toujours aménagées en terrasses, comprenant les jardins, quelques vignes, les terres labourables et les prés (souvent complantés en arbres fruitiers et en mûriers). Au-delà, la châtaigneraie vient battre de toutes parts ce premier cercle : elle est elle-même truffée de petits bâtiments spécialisés, notamment les clèdes (séchoirs à châtaignes).
Au-delà de l’aspect architectural, le paysage cévenol est en effet marqué de façon incontournable par les terrasses, appelées « bancels », « traversiers », « accols » ou « faïsses », qui ont été aménagées pour augmenter les surfaces cultivables et retenir le sol. Associées à la mise en place de conduites d’eau, parfois sommaires, qui permettaient l’irrigation et l’évacuation du ruissellement, ces terrasses ont servi de support aux cultures et ont favorisé le développement du châtaignier, puis du mûrier. Dans tous ces espaces, le schiste est central : ce sont les murets de pierre sèche, aménagés et entretenus depuis des siècles et des siècles, qui constituent l’armature des terrasses, pour tous les types de cultures (potagers, vergers, châtaigneraies,…). Plus haut, enfin, les arbres laissent la place à des pâturages eux-mêmes constellés de bergeries (les jasses), utilisées par des micro-transhumances estivales.
Si les cultures en terrasses n’ont pas l’envergure de celles que l’on peut observer de façon spectaculaire dans le nord du Viêt Nam ou en Chine, elles impressionnent par le patient et si long travail qu’a nécessité leur aménagement, et par la sorte de douce symbiose qu’elle semble démontrer entre l’Homme et son environnement. Apparaissant tantôt grandiosement à mi-hauteur de la vallée, entourés de ces cultures en terrasses, tantôt cachés au milieu d’une châtaigneraie, les mas cévenols éblouissent par leur beauté brute de pierre, la finesse de l’architecture de pierre sèche qu’ils déploient. A nouveau, en contemplant ces ouvrages du génie de la construction humaine ancestrale, parcoure le visiteur cette sensation d’avoir voyagé dans le temps, à l’époque où il n’y avait que le bois et la pierre, deux uniques ressources avec lesquelles l’Homme a su édifier une telle diversité et richesse d’outils supports à son habitat et à son activité.


Et maintenant, enfin après nous être promenés dans les belles prairies des Causses et des Monts, et avoir à peine entraperçu trois superbes illustrations du génie de l’architecture humaine, nous restent à nous perdre un peu dans les vastes et profondes forêts de la région, qui sont elles aussi, tellement présentes et caractéristiques de ces territoires et du système agropastoral.
*****
À la découverte de l’agropastoralisme : les forêts
La forêt occupe une place centrale dans le système agropastoral (qui est en bien des endroits de la région, en particulier dans les Cévennes, un système agrosylvopastoral). Recouvrant les pentes des vallées cévenoles, les socles de ces sommets (Lozère, Aigoual,…) et une partie des Causses, la forêt y est le fruit d’une certaine domestication de l’homme, qui tire de nombreuses richesses de cette dernière (bois de chauffage, bois de construction, sylviculture, apiculture, castanéiculture…), mais a longtemps veillé également à freiner son expansion, qui menace les pelouses et pâturages d’altitude.
L’expansion des boisements est en effet l’élément majeur de transformation contemporaine des paysages ouverts agropastoraux des Causses et des Cévennes. Du fait notamment de la baisse de la consommation de bois et d’un certain déclin de l’agropastoralisme, la forêt est en effet bien plus présente aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 200 ans. Dans le cœur du parc national des Cévennes, les milliers d’hectares reconquis naturellement par la forêt sont essentiellement le fait des pins : pins sylvestres spontanés ou pins noirs introduits. Ces accrus naturels se sont ainsi faits aux dépends des pelouses d’altitude et des parcours de landes, actuellement moins soumis à la pression du pastoralisme.


De façon générale, à l’échelle des Cévennes, la forêt recouvre plus de 70% de la surface du parc national, faisant de ce dernier le plus forestier des parcs nationaux métropolitains, et de ses vastes paysages de forêts, qu’elles soient naturelles ou artificielles, anciennes ou jeunes, un élément constitutif de l’identité du Parc national. On peut distinguer à ce titre deux grands types de boisements dans les Causses et les Cévennes : ceux des hautes terres, et ceux des vallées cévenoles.
Les forêts des hautes terres s’organisent principalement autour des grands espaces ouverts que l’on retrouve sur les hauts plateaux (Causses) et au niveau des sommets des montagnes cévenols. Ce sont principalement des forêts de moyenne et de haute altitude. Les chênes blancs et sessiles occupent ponctuellement les parties les plus basses. Le hêtre, installé à l’étage montagnard, est quant à lui en position dominante sur les flancs nord, marginal sur le calcaire et majoritaire sur les reliefs granitiques. Il est souvent associé au sapin. Les conifères des reboisements déroulent enfin leurs sombres manteaux sur les plus hauts versants et plateaux. Les pins sylvestres spontanés, très conquérants sur les hautes terres, sont à ce titre l’un des vecteurs de “fermeture” des espaces ouverts.


Les vallées cévenoles sont quant à elles le lieu d’épanouissement du roi-châtaignier. Développée par l’homme, la châtaigneraie ne dépasse pas 900 m d’altitude, et est principalement implantée dans les vallées des Cévennes, souvent à mi-pente. Complétée par les grandes pineraies de pin maritime du bassin alésien et des accrus de chêne vert, elle forme sur les Cévennes une couverture boisée quasi continue, que seules trouent quelques clairières agricoles autour des hameaux et des villages. Arbre nourricier autant que principal outil de construction et d’ameublement, le châtaignier est, nous l’avons vu plus tôt, étroitement lié à l’histoire des Cévennes, comme en témoigne ce nouvel extrait :
Élément majeur du paysage cévenol et dénommé arbre à pain ou « pain de bois », le châtaignier a nourri pendant des siècles les Cévenols et leurs animaux, avec une telle constance que le pays passait pour une terre de cocagne aux yeux de migrants venus d’Auvergne située plus au nord. Si la valeur énergétique des châtaignes est médiocre, le fruit n’en est pas moins la base du repas. Il présente surtout l’avantage de pouvoir être séché et conservé de longs mois. Particulièrement adapté aux sols siliceux, acides et aux températures relativement chaudes des Cévennes, l’arbre est précieux pour son bois, inaccessible à la vermine et imputrescible. En Cévennes, la tradition orale veut que les châtaigniers aient été introduits par les moines défricheurs, aux 10ème et 12ème siècles, bien que l’arbre y soit indigène comme le prouvent des feuilles fossilisées, datées du miocène supérieur et des analyses polliniques démontrant sa présence dès la fin de la dernière glaciation (Würm, 12 000 BP). Les moines auraient eu surtout de l’influence par leurs propres défrichements et par l’apport de techniques culturales. Ce n’est qu’à l’époque moderne, au 16ème siècle, que les Cévennes sont devenues une châtaigneraie, c’est-à-dire une zone de monoculture où se sont multipliés les vergers (lieux dits plantades). L’homme substitue cet arbre fruitier à la chênaie de pubescents jusqu’à 900 mètres, juste au-dessous de l’autre essence spontanée : le hêtre ou fayard. Les plantations de châtaigniers étaient traitées comme tout autre verger, les sols fumés et entretenus. Cette culture s’apparente à un jardinage.
Dossier de candidature pour l’inscription des Causses et des Cévennes, paysage culturel de l’agropastoralisme
méditerranéen sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO
Dans les Causses, à la grande différence des Cévennes, le boisement est plus sporadique et plus variable selon les lieux et la nature des sols. L’action de trois millénaires d’agropastoralisme y a en effet éliminé les chênaies naturelles qui y prospéraient, et contrecarré l’expansion du hêtre, afin de libérer de l’espace pour l’agriculture et les pâturages, ce qui a ainsi créé ces grands espaces ouverts empreints d’immensité et de monumentalité qu’on leur connaît aujourd’hui. Les Causses abritent toujours néanmoins de vastes peuplements d’arbres, notamment de pins sylvestres, dans les secteurs les plus orientaux et méridionaux. Le chêne, qui colonise spontanément vallons et adrets, continue quant à lui d’occuper les importants espaces intermédiaires non utilisés par l’Homme du fait des contraintes extrêmes, notamment les gorges, royaume du chêne vert, et extrêmement boisées.
Aujourd’hui, sur les Causses, l’état du boisement est ainsi très variable d’un Causse à l’autre, et même selon les différentes zones d’un même Causse. On peut notamment penser au Causse Méjean, où alternent vastes étendues steppiques et pelouses infinies seulement ponctuées de quelques rares arbres, et zones davantage boisées, allant jusqu’à d’importantes sapinières très denses, où se cachent parfois des avens, ces spectaculaires et profonds gouffres prisés des spéléologues amateurs mais auprès desquels il reste bien dangereux pour le non-connaisseur de trop s’approcher…


Cette présence comme absence massive de la forêt, des bois, est aussi ce qui fait la singularité de cette région, où à quelques kilomètres, cohabitent des paysages si radicalement différents, tous grandioses et majestueux, où des centaines d’hectares de prairies et de pelouses vides jouxtent de vastes forêts profondes, séparés parfois selon une ligne parfaite, comme si une main invisible avait tracé et dessiné le paysage. C’est bien en fait ce qu’a produit l’agro(sylvo)pastoralisme : des cohabitations, des équilibres, des contrastes, où se dégage au final une sorte d’harmonie, où la nature, certes contrôlée et aménagée méticuleusement par l’Homme pour ses besoins de vie, paraît encore dominante, indépendante, si massive et omniprésente, les paysages si vastes et imposants, parfois torturés, parfois presque écrasants, mais partout, et surtout : merveilleux et uniques.
*****
Pour aller plus loin… (en Lozère, par exemple ?) 🏞

Si vous souhaitez en savoir plus et/ou approfondir votre découverte et connaissance de l’agropastoralisme des grands Causses et des Cévennes, je ne peux que vous recommander la lecture du dossier de candidature à l’UNESCO plusieurs fois cités dans l’article, disponible et téléchargeable sur Internet (il existe également un mémoire complémentaire du dossier produit ultérieurement, tout aussi intéressant et riche d’informations).
Il y a également bien sûr le site et les installations du Parc national des Cévennes, où le sujet de l’agropastoralisme et de son importance dans le façonnage de ses territoires est partout abordé. La maison du parc située à Florac, notamment, offre de nombreuses informations sur les moyens de découverte de l’agropastoralisme, et abrite une exposition permanente où sont remarquablement bien présentés, en lien avec la faune et la flore du parc, les différents aspects et rôles de l’agropastoralisme (on peut d’ailleurs y admirer de superbes photographies et cartes). Partout dans le parc d’ailleurs, sur les parkings ou au détour d’un sentier, de nombreux panneaux témoignent de l’histoire agropastorale des paysages qui se dévoilent sous les yeux du passant, rappelant ces siècles d’interaction entre l’Homme et la nature.

À Florac également, est implantée la maison du site UNESCO lié au classement des Causses et des Cévennes au patrimoine mondial de l’Humanité. En plus d’une belle exposition permanente sur le sujet, très ludique et sympathique pour les enfants, y sont organisés régulièrement de nombreux événements (conférences,…) autour de la thématique de l’agropastoralisme.
Et puis bien sûr, si vous n’êtes jamais venus en Lozère, venez découvrir par vous-même ces incroyables paysages dont nous venons tant de parler. Les offices de tourisme y sont nombreux et très bien équipées et organisées, les habitants d’une grande hospitalité, ayant à cœur un respect et un amour de leur environnement d’une intensité rare. Personnellement, depuis que j’ai découvert la Lozère en 2020, et résidant en région parisienne, je n’ai jamais cessé de demeurer nostalgique de mes trop rares passages là-bas, où j’aimais à me noyer et me perdre dans la contemplation de ces paysages. Paysages dont je suis, je le crois bien, tombé profondément et définitivement amoureux, et qui m’attirent comme un aimant…
Et enfin, bien sûr, n’hésitez pas à aller visiter la page Facebook de Jean-Sébastien Caron, le talentueux photographe lozérien qui m’a accompagné dans la rédaction et l’illustration de cet article. Passionné de sa région, il réalise des clichés magnifiques, qui savent parfaitement saisir (et raconter) toutes les multiples beautés de ces architectures et paysages des Causses et des Cévennes, des lieux uniques en France, relativement intacts et épargnés de la grande urbanisation et artificialisation du monde (pour encore longtemps, je l’espère..).
J’ai également cité le groupe Facebook “LOZERE”, mais il y en a beaucoup beaucoup d’autres, tous aussi joyeux et ouverts : entre la radio décalée de la Lozère, les magazines locaux et municipaux, des petites brochures et des dépliants faits pour les amoureux de leur région pour les visiteurs, la gazette de Bête, et tant et tant d’autres sites d’associations, collectifs, particuliers si heureux de faire découvrir leur métier et leur territoire, la Lozère ne demande qu’à être découverte dans toute sa beauté (en la respectant, bien sûr).


On m’a un jour dit que la Lozère était parfois surnommée la « Petite Corse ». Il est vrai qu’il y a effectivement quelques choses d’un peu “insulaire” en Lozère, comme une île au milieu du Massif central, lui même au milieu de la France. Le lieu – pour qui s’y attarde, s’y intéresse et le respecte – d’une véritable logique de vie en communauté, d’entraide, de partage et d’ouverture qui me semble animée la plupart des lozérien(ne)s que j’ai eu l’occasion de rencontrer (même si je ne peux cacher à titre personnel que le stigmate parisien a parfois la vie dure.. ! 😅).
N’hésitez pas également à partager vos remarques, ressentis, avis, points de vue, informations complémentaires, et toutes autres réactions que cet article aura l’occasion de vous susciter. Je me réjouis toujours du partage et de l’échange, même critique, que peut développer un de ces articles autour d’une thématique historique qui constitue l’essence de ce site de découverte. Et sinon, je vous dis à bientôt, pour une prochaine histoire itinérante !
Si vous avez aimé cet article et souhaitez que je puisse continuer à en produire d’autres de ce type, toujours plus riches et élaborés, n’hésitez pas à soutenir mon travail en vous abonnant et/ou en me soutenant via la plateforme de don participative d’Histoire Itinérante (les dons récurrents supérieurs à 2 € générant automatiquement un accès abonné au site !).
Merci, chaque soutien, chaque petit €, est très précieux et déterminant pour l’avenir du site ! 🙏🙂
Soutenez Histoire Itinérante sur Tipeee
super dossier. BRAVO.
Merci beaucoup ! C’était une thématique et un territoire qui me tenaient vraiment à cœur.. 🙂
Un grand merci pour cet article passionnant.
Merci beaucoup ! N’hésitez pas à vous promener sur le site, il y a d’autres histoires itinérantes aussi intéressantes ! 😉
Fabuleuse photo, vraiment prise au bon moment, des couleurs à couper le souffle. Il est à souhaiter que ces terres restent sauvages, et que ceux qui veulent les visiter y aillent petitement, à pied, sans laisser d’empreintes polluantes / mécaniques, sans abimer. C’est des sanctuaires, des terres (globalement) pures, enfin du moins nettement préservées, c’est une chance, c’est une grace.
Bien d’accord avec vous. Le parc national des Cévennes a beaucoup apporté sur la préservation. Et puis je pense que la prise de conscience a beaucoup avancé vis-à-vis du tout urbanisation/agriculture extensive/automobile des années 60 et 70. Et je pense que les Lozériens se battront quoiqu’il arrive pour sauvegarder cette forme “d’intactité” de leur terre. C’est d’ailleurs cet aspect qui m’a tellement séduit et fait tomber amoureux de cette région, qu’on ne trouve nul part ailleurs en France, si ce n’est dans quelques coins de Corse ou vers les sommets des Alpes. Le plat vide en France, globalement, ça n’existe pas. La première fois que j’ai vu le Causse Méjean, je n’en croyais pas mes yeux. 20 km de plat sans villages, sans routes, sans poteaux, sans….rien. Le Méjean et le mont Lozère, que je ne rêve d’eux depuis mon appartement parisien..
Vous m’avez passionnée. Votre article n’est pas indigeste, du tout,complet,attrayant, vivant.J’y repenserais en allant à nouveau aux environs de Dourbie,les Vans…Merci.
Très bel article, particulièrement fouillé, sur un aspect essentiel des Causses et Cévennes : un parc national dont l’habitat permanent reste la richesse essentielle.
Merci infiniment de cette histoire associant tant de données géographiques sociales anthropologiques humaines et pastorales Si je n étais vieille ( 75ans) et dans mon petit coin de terre trop étroit… j irai…. Merci
Très beau documentaire, juste une petite rectification sur les causses l’élevage n’est pas de type intensif mais extensif les troupeaux étant lâchés sur des centaines d’hectares , pour faire court l’intensif est la ferme des 1000vaches les poulets en batterie les cochons…
Bien vu ! c’est une coquille de ma part effectivement, je vais corriger cela de suite.. 😉
Ravi que la lecture vous ait plu sinon !