Les Franco-Canadiens seraient-ils les premiers à s’être enfoncés dans les profondeurs boisées de l’immense continent nord-américain, à avoir poussé toujours plus loin leurs canots dans les vastes zones lacustres du Canada, et à avoir établi des liens interculturels intimes avec les Premières Nations ? La réponse est effectivement oui, mais cela est, une fois n’est pas coutume, peu connu.
Au XVIIe siècle, la Nouvelle-France, du nom de l’ensemble colonial français qui rayonnera sur jusqu’à la moitié de l’Amérique du Nord, est une colonie en plein développement. Après une installation et un démarrage difficile (en particulier en raison des conditions climatiques), la colonie française d’Amérique a fini par prendre son essor, avant de connaître une véritable révolution sous le règne de Louis XIV. Celui-ci est en effet marqué, dès son arrivée au pouvoir, par la restructuration de la colonie, par l’important développement économique et démographique que la nouvelle administration de Colbert va impulser, et par les grands succès diplomatiques qui aboutissent à l’établissement d’immenses alliances franco-amérindiennes, de l’axe laurentien à la région des Grands Lacs.
Mais la période correspondant au règne du Grand Roi-Soleil est surtout remarquable (et remarquée) en Amérique par une expansion française très impressionnante, voire héroïque, sur des immensités continentales encore inconnues. Aujourd’hui oubliées (ou parfois assimilées à de viles entreprises coloniales), les prouesses des explorateurs et des coureurs des bois, ces voyages aux confins du continent, ont en effet permis d’immenses et authentiques découvertes, ainsi que de grands progrès de la cartographie ! Autant d’entreprises d’exploration glorieuses, et qui résultent presque toujours de rencontres fructueuses avec les nombreuses tribus amérindiennes qui guidèrent ces aventuriers.
Dès le milieu des années 1660, les Relations des Jésuites avaient fait état de la grande rivière Missipi, qui, selon certaines tribus autochtones, conduirait à une mer. Cette piste du Mississippi sera celle que suivront, dans les pas des coureurs des bois, Louis Jolliet et Jacques Marquette puis René-Robert Cavelier de La Salle, dont les expéditions les mèneront jusqu’à l’embouchure du grand fleuve dans le golfe du Mexique. Puis, dans les pas du dernier, il y aura l’expédition de Pierre le Moyne d’Iberville, qui y reviendra par mer pour fonder officiellement la Louisiane en 1699 (un accomplissement qui lui vaudra d’être le premier canadien à se voir remettre des mains de Louis XIV la Croix de Saint-Louis – alors la plus haute distinction du royaume !).
Au XVIIIe siècle, ce seront les aventures de Pierre Gaultier de la Vérendrye et de ses fils qui retiendront l’attention. En canot et à pied, ces hommes vont franchir des distances colossales. De 1731 à 1741, les La Vérendrye fonderont six forts dans l’Ouest canadien, et établiront de nouvelles relations commerciales avec les autochtones rencontrés. En janvier 1743, deux des fils de Pierre Gaultier se rendront même jusqu’au pied des Rocheuses, le grand massif montagneux qui sépare les Grandes Plaines du Pacifique. Bien avant Lewis et Clark ou Davy Crockett, ce sont ainsi en quelque sorte ces Franco-Canadiens qui auront parcourus l’Amérique et, les premiers, tissés des liens durables avec les Amérindiens. Ayant pris forme au tournant des années 1670, leurs aventures se poursuivront jusqu’au XIXe siècle.
Dans ce petit article extrait de ma grande série sur l’épopée de la Nouvelle-France, je vous propose ainsi de revenir sur l’histoire de ces pionniers du temps de l’Amérique française qui, méconnus aujourd’hui, ont constitué les figures mythiques des premiers Canadiens, dont les descendants québécois ne les ont aujourd’hui, eux, pas oubliés… Bonne lecture !
La Nouvelle-France : du comptoir de commerce à la colonie royale
Intégrant l’ensemble des colonies françaises d’Amérique du Nord (Québec, Acadie, Louisiane,…), la Nouvelle-France est probablement la plus aboutie des établissements et territoires coloniaux français d’outremer (connus aujourd’hui sous le nom de « premier empire colonial français »). Dotée d’une administration similaire à celle d’une province française (avec à sa tête un gouverneur, un intendant, et où est appliquée la législation française), la colonie a pour but premier l’exploitation des ressources de ses territoires, c’est-à-dire celle des aires de pêche, ainsi que la lucrative traite des fourrures et l’exploitation du bois. L’agriculture est également développée dans les régions-berceaux de l’Amérique française que sont la vallée du Saint-Laurent et l’Acadie (actuelle Nouvelle-Écosse).
Cette nouvelle société coloniale répond à ses propres coutumes et ses libertés, et l’on peut déjà y voir la naissance d’un peuple canadien. Des institutions religieuses sont implantées pour contrôler cette nouvelle population hybride (sans parler des nombreuses missions – notamment jésuites – qui s’y établiront de leur propre initiative), avant que la colonie de la Nouvelle-France ne devienne au milieu du XVIIe siècle, une possession pleine de la Couronne (et se voit ainsi dotée d’une administration similaire à celle d’une province française, avec à sa tête un gouverneur et un intendant).
Sous l’impulsion de Louis XIV et de son secrétaire d’état à la Marine Colbert, ce qui restait un simple comptoir de commerce est ainsi devenue une véritable colonie royale, dotée d’une politique administrative, économique et de peuplement pensée, souhaitée, structurée et de grande envergure. Calquée sur le modèle administratif et politique de sa métropole, la Nouvelle-France a accueilli des immigrants français de toutes sortes : artisans, prêtres, missionnaires, aristocrates, trappeurs, et bien sûr paysans, originaires de l’ensemble des régions de l’Ouest.
De façon générale, la Nouvelle-France constitue en fait un parfait microcosme de sa Métropole, une sorte de France miniature sur le continent américain, qui a rapidement développée sa propre culture, façonnée par les contraintes locales (climat, isolement, environnement, relations commerciales et métissage avec les populations amérindiennes). Principal bassin de peuplement de la colonie, le Canada se démarque bientôt par une identité propre et marquée, et au début du XVIIIe siècle, on a déjà assisté à la naissance d’une nation canadienne, d’essence catholique et paysanne, mais aussi déjà largement métissée au fur et à mesure que les célèbres « coureurs des bois » épousaient les femmes des tribus amérindiennes qu’ils avaient fréquentées. De façon générale, les Canadiens nés au pays considèrent la vallée du Saint-Laurent comme leur patrie.
Dès le milieu du XVIIe siècle, avant-même les grandes explorations qui caractérisent la fin du siècle, le territoire couvert par la Nouvelle-France est déjà immense, et s’étend sans cesse. Cela grâce à la connivence des missionnaires, d’explorateurs audacieux, mais aussi des bonnes relations générales avec les Amérindiens, toujours prêts à partir et à faire profiter les Français de leurs connaissances et de leur habilité.
Zoom sur : le peuplement et l’organisation des Premières Nations lors de l’arrivée des Européens au Canada
Lorsque les premiers Européens abordent les rivages de l’Amérique du Nord puis commencent à en pénétrer les terres, inutile de dire qu’ils rencontrent tout sauf une terre vierge. Vivent là en effet, depuis plus de douze mille ans, des centaines de peuples, de nations et de tribus de ce que Christophe Colomb a faussement appelés les « Indiens » – et que le Canada et les États-Unis modernes dénomment désormais les « Premières Nations » (First Nations) ou « Nations autochtones » (Native Americans). Au début du XVIe siècle, selon les estimations modernes, l’Amérique du Nord comptent environ 1 à 2 millions de « Nord-Amérindiens », répartis sur un territoire représentant près de 30 fois la France actuelle. Ces populations autochtones sont alors organisées autour de deux grands groupes de nations, caractérisés par leur famille linguistique : celles de langue algonquienne (dont en particulier les ensembles de nations des Anichinabés, des Abénaquis et des Micmacs) et celles de langue iroquoienne (principalement regroupées pour leur part autour de deux grandes confédérations de nations : celle des Iroquois, et celle des Hurons).
Pour schématiser, au-delà de la question linguistique, on pourrait dire que ce qui distingue principalement ces deux grands groupes de nations amérindiennes est leur mode de vie. Pour résumer – et faire très simple : les peuples algonquiens sont nomades et/ou semi-nomades, alors que les nations iroquoiennes consistent globalement en des populations sédentaires. Si les premiers occupent en toute logique un bien plus vaste territoire que les secondes et représentent une population et une quantité de peuples bien plus importantes, nous verrons toutefois que ce sont probablement les nations iroquoiennes qui se révèlent les plus « structurantes » dans l’organisation de cette partie de l’Amérique du Nord, au sens où incarnant de véritables puissances géopolitiques régionales avec lesquels les colons français, hollandais et britanniques seront rapidement obligés de composer.
Établis notamment sur les régions côtières (golfe du Saint-Laurent et rivages des futures colonies de l’Acadie et de Nouvelle-Angleterre), les nations nomades de langue algonquienne sont toutefois les premières avec lesquelles les Européens – et en particulier les Français – vont entrer en contact. Parmi elles, retiendront particulièrement notre attention celles qui par leur situation vont bientôt jouer un rôle et occuper une place centrales dans les balbutiements puis fondements de l’implantation française en Amérique du Nord : en l’occurrence, celles des ensembles de nations dites des Anichinabés, des Abénaquis et des Micmacs.
Établis sur un territoire allant du nord des Grands Lacs au golfe du Saint-Laurent et de l’Acadie à la baie d’Hudson, les Anichinabés (dont le nom signifie « peuple originel ») forment un ensemble de peuples et de tribus caractérisés par une langue et des cultures communes (ou du moins assez similaires). Incluant les Algonquins, les Outaouais, les Saulteaux, les Ojibwés, les Oji-Cris, les Mississaugas et les Potéouatamis, ces peuples sont tantôt nomades ou semi-sédentaires, et cultivent aussi bien le blé d’inde (maïs), les haricots et les courges qu’ils vivent de la chasse et de la pêche (ainsi que, bientôt, de l’échange de fourrures avec les colons européens). Ils vivent généralement dans de petits villages, qui ne dépassent que rarement la taille d’une bourgade, et se déplacent selon les saisons (en particulier entre l’été et l’hiver).
Parmi eux, les peuples algonquins, établis sur le territoire occupant le nord du fleuve Saint-Laurent, seront les premiers à entretenir des contacts puis à développer des relations militaires et commerciales durables avec les Français, dont les colons s’implanteront principalement sur leurs terres historiques (dans la vallée du Saint-Laurent le long de l’axe Montréal-Québec). Ennemis des Iroquois, ils seront notamment chassés par ces derniers de leurs régions de peuplement les plus septentrionales, vers la région de l’Outaouais, et trouveront également refuge dans les régions de peuplement français du Saint-Laurent.
Parmi les peuples de langue algonquienne qui vont tisser des relations étroites et durables avec les colons français, il est également important de parler des Micmacs, établis sur la côte nord-est d’Amérique (dans la région de la future Acadie). Lors de l’arrivée des Européens au XVIe siècle, les Micmacs (dont le nom signifie littéralement dans leur langue « les premiers hommes ») occupaient l’ensemble du pays au sud et à l’est de l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, correspondant aux actuelles provinces maritimes du Canada et à la Gaspésie. Ces terres de plaine étaient alors densément boisées, parsemées de nombreux lacs et de rivières qui se déversaient dans de profonds golfes tout le long de la côte. Les hivers y sont rigoureux et les étés courts se prêtent peu aux cultures de légumes et de céréales, mais le réseau des rivières permettait de traverser rapidement le pays en canoë.
Les Micmacs furent vraisemblablement, avec les Béothuks, les premiers peuples d’Amérique du Nord à entrer en contact avec des Européens (et ce, possiblement, dès l’époque de la colonisation viking de Terre-Neuve). Lorsque Jacques Cartier mit au mouillage le 24 juillet 1534 dans la baie des Chaleurs, c’est par une multitude de canoës micmacs (dont les occupants brandissaient des peaux de castor) que son navire se trouva promptement encerclé. C’est d’ailleurs précisément l’arrivée des fourrures vendues par les Micmacs qui lança la mode des bonnets et chapeaux en fourrure de castor en France. Réservés aux plus fortunés, celle-ci gagna bientôt toute l’Europe et provoqua une hausse du prix des peaux de castor, qui fit de ces dernières un commerce très lucratif qui devait pendant deux siècles constituer l’un des principaux intérêts économiques des Européens pour l’Amérique du Nord.
Sous le nom d’Abénaquis étaient en fait regroupées plusieurs nations indiennes, Malécites, Micmacs, Pentagoëts, Kennebec, Norridgewocks, premiers habitants de l’Acadie. L’ancienneté de l’alliance franco-abénaquie peut s’expliquer parce qu’une telle alliance laissait les Indiens maîtres de leurs terres, et par les liens que surent créer des Français vivant parmi eux.
François Ternat, Partager le monde – Rivalités impériales franco-britanniques (1748-1756), p. 155
Bien qu’ils développeront rapidement de fructueux partenariats commerciaux avec les Européens (et en particulier les Français, dont ils constitueront les plus fidèles alliés sur le continent), les Micmacs, tout comme les Algonquins et les Abénaquis, seront violemment impactés par les maladies importées par les marchands et les colons du Vieux Continent, qui décimeront jusqu’à 90% de leur population. Dès leurs premiers contacts au début du XVIe siècle, les pêcheurs européens ont en effet contaminé les peuples autochtones avec des maladies européennes, contre lesquelles ces derniers n’avaient pas encore développé d’immunité (les historiens parlent globalement de « choc colombien » pour désigner cette transmission biologique intercontinentale inédite dans l’histoire de l’Humanité).
La pleurésie, les angines, la grippe, la dysenterie ont ainsi fait des centaines de milliers de morts au sein des populations amérindiennes dès les premières décennies de la colonisation européenne, tandis que dans les deux siècles qui suivront, la guerre, l’alcoolisme et d’autres maladies (en particulier la variole) allaient encore accentuer le déclin démographique considérable des Premières Nations (les Micmacs par exemple, qu’un missionnaire jésuite estimait à une population d’environ 10.000 individus à l’époque de l’arrivée de Jacques Cartier, n’étaient plus que 2.000 au début du XVIIIe siècle…).
La première moitié du XVIIe siècle fut un épisode charnière dans l’histoire des peuples autochtones d’Amérique du Nord. Durant cette période, beaucoup d’entre eux avaient eu pour la première fois des contacts avec des Européens. L’arrivée de ces derniers sur le continent avait provoqué une véritable révolution technologique et culturelle du mode de vie autochtone, alors que les produits européens devinrent rapidement des nécessités de survie dans un monde de plus en plus violent. Éventuellement, le métal remplaça le silex et les os, des savoirs anciens furent oubliés et désormais, on requérait couteaux, haches, armes à feu et munitions pour mieux chasser et se défendre.
L’expansion de la population européenne fut également la cause d’un autre phénomène, celui-là beaucoup plus dramatique : l’introduction de maladies nouvelles provoquant la propagation d’épidémies catastrophiques. La cause de cette tragédie relevait d’un inéluctable processus historique du choc des civilisations et “d’unification microbienne” du monde qui se produisit, particulièrement entre le XVIe et le XIXe siècle, à l’échelle de la scène nord-américaine. D’un côté, il y avait les éleveurs d’Asie, d’Afrique et d’Europe qui vivaient depuis longtemps parmi de larges troupeaux de bétails domestiqués dont les agents pathogènes se transmettent aux humains. Au fil du temps, les populations de ces trois continents avaient ainsi pu développer des anticorps contre ces virus d’origine animale, notamment la rougeole, la grippe, le rhume, la variole et la peste. De l’autre côté, les peuples autochtones d’Amérique du Nord n’avaient domestiqué que le chien, qui ne transmettait que rarement des maladies à son meilleur ami. Sans défense immunitaire face aux microbes venus du Vieux Continent, leurs sociétés furent frappées de plein fouet juste au moment où les populations européennes commençaient à croître et que les contacts et interactions entre elles s’intensifiaient. Il s’agit là de l’un des développements historiques les plus cruels et malheureux de l’histoire moderne.
Marco Wingender, Le Nouveau Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens, chapitre « La tragique “unification microbienne” du globe »
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 1, p. 20)
Parmi les centaines de peuples et de tribus amérindiens qui occupent et structurent la partie nord-est du continent américain (et en particulier l’espace laurentien), il est enfin deux « blocs civilisationnels » qui constituent en quelque sorte les deux grands acteurs (et puissances) géopolitiques de cette région – et dont l’existence va se révéler absolument fondamentale et décisive dans le processus de colonisation européenne : il s’agit de l’Iroquoisie (espace territorial correspondant à la région occupée par la confédération des nations iroquoises) et de la Huronie (même principe appliqué à la confédération des nations Hurons-Wendat). À la différence de la majorité des peuples amérindiens de ces régions (qui comme nous l’avons vu sont nomades ou semi-nomades), les Iroquois et les Hurons sont en effet des peuples semi-sédentaires, pratiquant massivement l’agriculture. Peuples « jumeaux » de langue et de culture, regroupés et organisés chacun au sein d’une grande confédération, les Iroquois et les Hurons sont chacun implantés d’un côté de l’axe formé par le Saint-Laurent puis par les lacs Ontario et Érié (les premiers au sud et les seconds au nord). D’un poids démographique comparable (un à plusieurs centaines de milliers d’individus), ces deux confédérations s’organisent autour d’un ensemble de bourgades et de villages vivant principalement de l’agriculture, et dans une moindre mesure de la chasse et de la pêche (à l’opposé donc de la plupart des tribus amérindiennes de ces régions, où c’est exactement le contraire).
Les Hurons comme les Iroquois sont des peuples dits “semi-sédentaires”. Cela signifie en fait qu’ils déplacent leurs villes et villages tous les 10 à 15 ans environ, afin de permettre aux terres cultivables de se regénérer. De façon générale, les peuples amérindiens avaient comme principe de fonctionnement fondamental la préservation de leur environnement. Il s’agissait de ne pas épuiser les ressources, et/ou de leur laisser régulièrement le temps de se reconstituer.
Vivant dans cette région carrefour que constitue donc la zone reliant l’espace laurentien et les Grands Lacs, les Hurons, en particulier, se caractérisent par l’importance de l’activité agricole qu’ils consacrent au maïs – qui est aux Amériques ce que le blé est à l’Europe, et le riz à l’Asie. On peut même, dans leur cas, parler de véritable « civilisation du maïs », comme l’ont été à leur façon les grandes civilisations d’Amérique du Sud (Incas,…) et de Méso-Amérique (Mayas, Toltèques, Aztèques,…). Les Hurons ont, en fait, bâti leur modèle économique et civilisationnel sur le maïs, qu’ils cultivent massivement et dont ils exportent leurs surplus auprès des peuples nomades habitant à leur voisinage. Au moment où les Européens arrivent en Amérique du Nord, la Huronie constitue en fait le centre et le nœud d’un réseau commercial local d’envergure, basé sur le commerce du maïs avec des produits de toute nature (dont beaucoup de peaux et de fourrures – que les peuples nomades algonquiens qui pratiquent donc beaucoup la chasse échangent aux Hurons contre leurs céréales).
Cet élément de contexte est fondamental à retenir : lorsque les premiers Européens commencent à s’établir en Amérique du Nord, le maïs huron – et dans une moindre mesure iroquois – est ainsi exporté et consommé jusqu’aux confins des grands espaces canadiens, et concoure ce faisant à nourrir cette partie du continent. Sa culture massive par les Hurons puis l’exportation des surplus loin dans les profondeurs du continent a en outre suscité le développement d’un système commercial, basé notamment sur l’échange céréales contre peaux et fourrures, faisant ainsi déjà de cette région des Grand Lacs un lieu d’échanges et un carrefour marchand en particulier en matière de traite des fourrures. Ceux qui ont déjà lu ma grande série sur l’histoire de la Nouvelle-France savent combien cette ressource jouera une importance capitale dans le développement de la Nouvelle-France, et comment la colonie française d’Amérique du Nord s’appuiera sur ces réseaux commerciaux préexistants pour développer les siens propres. Nous verrons également plus tard, lorsque nous aborderons l’éclatement des grandes guerres iroquoiso-huronne du milieu du XVIIe siècle (et la lutte quasi-génocidaire entreprise par les premiers contre les seconds), combien cette « centralité » économique – et ce faisant géopolitique – aura aussi été préjudiciable à la Huronie, ayant exacerbé la jalousie et la défiance de sa grande « confédération-sœur » (et grande rivale historique) : celle des Iroquois.
Dernière grande famille de Nations Autochtones dont l’histoire sera étroitement liée à celle du peuple canadien, impossible bien sûr de ne pas parler ici des Iroquois (qui se baptisaient eux-mêmes Haudenosaunee, « le peuple aux longues maisons » ; le terme iroquois – de l’algonquin Irinakhoi : « serpent venimeux » – étant celui qui était utilisé par les Français pour les désigner). Implantés au nord de l’actuel État de New-York, ceux que l’on appelle alors les Cinq-Nations (ou Cinq-Cantons) constituent une sorte de confédération, comptant à l’arrivée des Européens parmi les plus organisées et les plus nombreuses des populations autochtones d’Amérique du Nord. Peuple semi-sédentaire, les Iroquois vivent dans les régions forestières entre le lac Ontario et la vallée de l’Hudson. Autant chasseurs et agriculteurs qu’habiles artisans, ils vivent dans des villages de tailles conséquentes comparées à leurs voisins, autour desquelles ils cultivent le blé, le tournesol ainsi que les « trois-sœurs » (maïs, haricot, courge). Complétant leur alimentation par la pêche et la chasse, les hommes partent à l’automne et reviennent en hiver.
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 2, p. 18)
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 4, p. 24)
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 4, p. 25)
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 7, p. 20)
Situées dans une région se trouvant donc à la charnière de la colonie française de la vallée du Saint-Laurent (futur Québec) et des établissements hollandais et britanniques de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-Néerlande, les Iroquois (comme à vrai dire la plupart des nations autochtones d’Amérique du Nord) vont être rapidement instrumentalisés par les nations européennes dans le cadre de leurs guerres intercoloniales (mais aussi pour des raisons défensives et offensives, les Français s’étant notamment alliés avec leurs ennemis Hurons). Rapidement armés par les colons hollandais de la Nouvelle-Amsterdam (future New-York), les Iroquois vont affronter les colons français dès l’époque de l’implantation des pionniers de la colonisation française comme Samuel de Champlain, dans le cadre de l’intervention de ce dernier en soutien à ces nouveaux alliés algonquins. Comme j’ai eu l’occasion de le développer dans le cadre de ma grande série sur l’histoire de la Nouvelle-France, les Iroquois vont plus fondamentalement constituer les plus redoutables et permanents ennemis de la Nouvelle-France tout au long du XVIIe siècle, en fait jusqu’au remarquable apaisement apporté par la Grande Paix de Montréal de 1701.
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EN RÉSUMÉ, c’est donc à une population à l’organisation très disparate – et globalement très peu nombreuse rapportée à la densité de l’Europe de la même époque (qui compte à ce moment près de cent fois plus d’habitants sur une superficie comparable !) – que les Européens débarquant en Amérique du Nord se retrouvent confrontés. Alors même que l’Europe du XVIe siècle s’organise déjà autour d’une dizaine d’États pour certains (comme la France, l’Angleterre ou l’Espagne) déjà remarquablement centralisés, les populations nord-amérindiennes sont elles divisées en centaines de nations (« tribus ») autonomes, rarement fédérées politiquement à l’exception notable de la « Ligue des Cinq nations iroquoises » et de la Confédération huronne. Si ces dernières partagent souvent entre elles de nombreux traits linguistiques et culturels (et ont plus ou moins toutes en commun une certaine vision spirituelle du monde et de leur environnement), les tribus sont profondément séparées entre elles par la langue, les distances et le mode de vie.
Ce dernier facteur, en particulier, différencie fondamentalement les populations nord-amérindiennes, en faisant peu ou prou des civilisations distinctes. Le panel civilisationnel allant du nomadisme complet à la sédentarité aboutie en passant par le semi-nomadisme et la semi-sédentarité est en fait caractéristique de l’ensemble de l’Amérique du Nord. Au fur et à mesure de leur pénétration vers l’ouest du continent, les Européens y rencontreront ainsi de tout : chasseurs et pêcheurs comme les Algonquins ; agriculteurs sédentaires comme les Iroquois, les Creeks et les Cherokees ; cultivateurs de maïs comme les Hurons et les Hopis ; traqueurs de bisons comme les Cheyennes des Grandes Plaines ; éleveurs nomades comme les Apaches et les Navajos … À ceux que les Européens nommeront rapidement – et péjorativement – les « peaux-rouges » malgré leurs caractéristiques physiques variées, on ne peut finalement reconnaître qu’une constante indéniable : celle d’une civilisation d’une remarquable spiritualité reposant sur une profonde connaissance de la nature (mais qui demeure malheureusement assez mal connue dans ses détails aujourd’hui car les Nord-Amérindiens ignoraient dans leur grande majorité l’écriture – comme d’ailleurs le fer, le cheval et les armes à feu).
Cette longue mais nécessaire parenthèse autour des caractéristiques du peuplement du continent nord-américain et de l’organisation (géo)politique des nations amérindiennes au moment de l’arrivée des Européens en Amérique du Nord maintenant réalisée, revenons en à l’histoire de nos pionniers français de l’exploration de l’immense continent. Comme vous l’avez compris notamment au travers de cet encadré, et dit assez trivialement : Français et Autochtones feront globalement assez bon ménage en Amérique du Nord, les premiers ne manifestant globalement aucune intention de s’approprier les terres des seconds, et chacun semblant trouver réciproquement ses intérêts dans les entreprises qu’ils mènent ensemble. L’heure est en fait aux affaires. Si le ministre Colbert déclarait qu’il ne voulait pas « dépeupler la France », la Nouvelle-France, elle, se vide à cette époque à vrai dire aussi vite qu’elle ne se peuple. La course des bois et la promesse de l’aventure et de la richesse offrent en effet aux jeunes adultes un attrait presque irrésistible, entrainant le départ de nombreux jeunes hommes loin de leur domicile pour se livrer au commerce avec les autochtones, et souvent même, s’installer avec eux. Les autorités ont beaucoup de mal à endiguer l’hémorragie. Il en résultera des générations de ceux que l’on appellera les « coureurs des bois », l’une des figures mythiques du Canada français !
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Les coureurs des bois, pionniers de l’exploration de la Nouvelle-France
Les coureurs étaient de jeunes canadiens qui visitaient les villages amérindiens pour les inciter à venir échanger leurs pelleteries aux postes de traite, qui prospectaient de nouvelles tribus, toujours plus loin de leurs bases, ou qui agissaient à leur propre compte. Ils emportaient avec eux des marchandises européennes d’échange chez les Amérindiens et revenaient avec des cargaisons de fourrures qu’ils revendaient directement à des marchands grossistes en import-export, qui les exportaient à leur tour vers l’Europe.
Ces voyageurs partaient seuls ou en très petit groupes, quelques mois ou quelques années. La plupart étaient équipés par des compagnies et signaient des contrats en bonne et due forme, d’autres agissaient en francs-tireurs. Contrairement aux premiers, qui étaient autorisés à transporter des marchandises aux postes de traite, les coureurs des bois « rebelles » étaient considérés en quelque sorte comme des hors-la-loi parce qu’ils n’avaient pas de permis délivré par les autorités coloniales. Libres et indépendants, ils ont joué un rôle important dans l’exploration européenne du continent et ont établi des relations commerciales essentielles avec les peuples autochtones, tout en étant les moteurs du métissage avec ces derniers.
Avant-même le fleurissement des coureurs des bois, à vrai dire, ces derniers ont eu des précurseurs, que l’on a appelé les « truchements ». Il s’agit d’hommes que Champlain a envoyé dans les tribus pour qu’ils se familiarisent avec ces dernières, apprennent leurs langues et leurs coutumes, et d’une certaine façon, préparent le terrain à l’approfondissement des relations et au métissage franco-amérindien appelés de ses vœux par le fondateur de Québec dès les origines de l’établissement de la colonie canadienne :
Au cours des premières décennies du XVIIe siècle dans la vallée du Saint-Laurent, Samuel de Champlain avait mis en marche un processus de métissage culturel unique à l’échelle des Amériques. Dès 1610, dans ses efforts de rapprochement avec les sociétés autochtones, il leur confia au cours de sa carrière plusieurs dizaines de Français afin qu’ils vivent parmi elles pour apprendre leurs langues et leurs coutumes. Pendant ce temps, des jeunes Autochtones étaient envoyés en France dans le même but. Champlain appelait ces interprètes des “truchements”.
Les historiens ont accordé beaucoup d’attention aux activités des officiels de la colonie et du clergé, alors que peu d’intérêt a été consacré à ces aventuriers méconnus de l’histoire. Malgré la documentation limitée dont nous disposons aujourd’hui sur leur vie, nous savons qu’ils agirent à titre d’intermédiaire-clé dans l’établissement et la consolidation de relations fonctionnelles d’affaires et d’alliance entre la France et les peuples autochtones. […]
Habitués à la vie rude en Europe, beaucoup d’entre eux avaient été soldats ou provenaient des classes inférieures travaillant pour la Compagnie des Cent-Associés. Souvent méprisés et brutalement traités par leurs supérieurs dans la colonie, dans les tribus autochtones, ils étaient reçus à titre d’invités d’honneur. Une bonne entente était donc toute naturelle entre les deux camps. Au-delà du mandat d’apprendre les langues de leurs hôtes, les truchements devaient explorer le pays, faire la promotion du commerce, bâtir des alliances diplomatiques, agir comme observateurs et rapporter ce qu’ils voyaient. La poursuite du profit pelletier combinée à la fascination qu’exerçaient sur eux ces cultures étrangères et exotiques les poussa naturellement à étudier les manières autochtones et à adopter leurs conventions. […]
Isolés pendant des mois, voire des années, ils s’engageaient dans de nouveaux environnements envoûtants — souvent dangereux — composés forêts sans fin, de plaines à perte de vue, d’interminables voies fluviales, de tumultes torrentiels, de cataractes vertigineuses et de régions nordiques infinies aux hivers implacables. Pour s’aventurer et survivre dans les profondeurs de l’arrière-pays, il fallait soi-même avoir été ensauvagé. Il fallait avoir appris les voies de l’Autochtone, ses habiletés techniques, son savoir de la faune et de la flore, de même que sa capacité à s’orienter dans ces espaces sans frontières.
Au fil des décennies, le nombre de ces jeunes aventuriers continua de croître. Les quelques dizaines de truchements qu’avait recrutés Champlain au cours de sa vie furent alors suivis par des centaines, voire des milliers, d’esprits libres canadiens qui quitteront chaque jour les établissements de la vallée du Saint-Laurent pour aller pratiquer le commerce des fourrures avec les Premières Nations. Mandatés de persuader leurs hôtes d’amasser et d’échanger des fourrures, ils n’avaient aucun motif de les défier ou de perturber leur mode de vie. Souvent plus authentiques que les missionnaires et les officiels français, ils offraient aux Premières Nations une perspective plus intime et plus accessible de l’Européen que celle offerte par les colons anglais ou même hollandais.
Chacun de ces hommes avait une histoire à raconter. Certains vécurent parmi les Premières Nations et retournèrent ensuite à leur vie européenne. D’autres s’entichèrent des cultures autochtones et formèrent des liens étroits avec leurs communautés d’adoption. La plupart alternaient d’un monde à l’autre.
Qu’il s’agisse d’Étienne Brulé, Nicolas Marsolais, Jean Nicollet, Olivier Le Tardif, Jean Richer, Du Vernay, Jacques Hertel de la Fresnière ou les frères Jean-Paul et Thomas Godefroy, ces hommes vécurent durant de longues périodes parmi les Algonquins, les Wendats, les Népissingues, les Innus ou maintes autres nations autochtones du nord-est du continent alliées des Français. Jean Amyot, Médart Chouard Des Groseillers, Pierre-Esprit Radisson et Charles le Moyne devinrent eux aussi d’excellents truchements qui laissèrent une empreinte indélébile dans l’histoire de la Nouvelle-France. De ces hommes, plusieurs firent de Trois-Rivières leur demeure permanente, véritable berceau du Nouveau Monde métissé auquel avait travaillé Champlain avec dévouement jusqu’à la toute fin de sa vie.
Les truchements du Canada furent les fers de lance de la pénétration française à l’intérieur du continent et ils jouèrent un rôle d’une importance capitale dans le développement de la Nouvelle-France. Ils s’imposèrent comme les premiers artisans de ce qui deviendra la Grande Alliance franco-autochtone, véritable colonne vertébrale de la présence française en Amérique du Nord. […] C’est grâce à la présence de ces hommes courageux ainsi qu’aux liens diplomatiques et commerciaux qu’ils sauront tisser avec les peuples autochtones que le roi de France pourra se permettre de revendiquer, devant les autres puissances impériales européennes, son droit d’occuper ce qui deviendra les “Pays d’en Haut” — cette vaste région sauvage à l’ouest de l’île de Montréal et couvrant tout le bassin des Grands Lacs.
Le métier exercé par ces jeunes hommes courageux constituera le précurseur de la mythique et légendaire figure du passé colonial de l’Amérique du Nord apparue à compter de la deuxième moitié du XVIIe siècle : le coureur de bois canadien.
Marco Wingender, « Les artisans-fondateurs de la grande alliance franco-autochtone », extrait de son ouvrage Le Nouveau-Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
Avant le milieu des années 1660, malgré l’œuvre de rapprochement culturel des truchements, peu de colons français se sont aventurés à l’ouest de la rivière des Outaouais. À cette époque, une chute soudaine du prix du castor, l’arrivée de quelque 3 000 serfs et soldats et la paix avec les Haudenosaunee (Iroquois) rendent désormais la chose à la fois nécessaire et faisable.
En 1680, environ 500 coureurs des bois se trouvent dans la région du lac Supérieur, où ils essaient de distancer les intermédiaires autochtones. Ils sont là malgré l’interdiction de l’Église catholique et des autorités coloniales. Leur concurrence fait que les Autochtones sont moins nombreux à apporter des fourrures à Montréal et à Trois-Rivières.
En 1681, les autorités françaises établissent un régime de permis de traite afin de contrôler l’exode saisonnier vers les Pays d’en Haut. Des voyageurs professionnels ‒ et donc « respectables » ‒ sont désormais autorisés à transporter des marchandises aux postes de traite et n’ont généralement pas le droit de s’adonner eux-mêmes à la traite. Toutefois, il reste des commerçants rebelles, qu’on en vient à appeler « coureurs des bois » après que la Nouvelle-Orléans soit devenue un nouveau carrefour de la traite au début du XVIIIe siècle.
(source : reproduction d’un chapeau de castor du XVIIe siècle exposée au musée canadien de Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons)
Les voyages étaient longs et très éprouvants physiquement. Il fallait beaucoup d’endurance pour pagayer de longues journées, marcher sur des sentiers difficiles et abrupts, dormir à la belle étoile, affronter les bêtes sauvages, transporter son canot et les marchandises nécessaires aux échanges. Pour faciliter ces échanges et instaurer un climat de confiance, il fallait apprendre les langues de ces tribus et vivre parmi elles pendant de longues périodes. Une intimité entre Canadiens et Amérindien(ne)s qui aboutira à ce titre à de nombreuses unions, et qui aura comme fruit une très importance descendance métisse (comme vous pouvez le découvrir plus en détail à la fin de ma série sur la Nouvelle-France… !) :
Ces jeunes hommes chargés d’une telle mission historique ne devaient pas avoir froid aux yeux. Face aux difficultés et aux périls des voyages dans l’arrière-pays, ils devaient se lancer tête première dans un monde qui leur était tout à fait inconnu. Parachutés du jour au lendemain dans un canot d’écorce parmi des Autochtones qu’ils rencontraient pour la première fois, l’épreuve initiale consistait à passer une douzaine d’heures par jour à pagayer en une posture incommode sans avoir d’espace pour se tourner d’un côté ou de l’autre.
Se déplacer dans l’arrière-pays signifiait aussi affronter le tumulte des flots à bord de fragiles embarcations qui menaçaient de se renverser à tout moment au milieu des remous et des vagues ou d’être percées par des souches d’arbre et des rochers dissimulés sous la surface de l’eau. Pour éviter les obstacles et minimiser les risques, il fallait savoir naviguer et manœuvrer avec une grande adresse.
Malgré toutes les habiletés de l’équipage, cela n’empêcha pas les Français de payer un lourd tribut au fleuve Saint-Laurent et à ses affluents alors que des accidents survenaient parfois. Ici et là, des croix, des inscriptions ou même la toponymie des lieux rappelaient les drames survenus. Il fallait aussi endurer les portages, souvent éreintants, qui pouvaient durer de longues heures, voire des jours.
En route, loin de leur zone de confort et sans point de repère, les truchements étaient confrontés au défi de communiquer et de bâtir un lien de confiance avec des compagnons autochtones qui s’exprimaient dans une langue qui leur était complètement étrangère. Dépendants de ceux-ci en toutes choses pour leur survie, ces jeunes hommes n’avaient d’autres choix d’abandonner leur sort entre les mains de leurs guides en espérant le meilleur.
Partout, les moustiques harcelaient les voyageurs. Pour s’en protéger, les Autochtones s’enduisaient le corps de graisse. Néanmoins, aux mois de mai et juin, l’assaut des insectes était tel qu’il pouvait faire perdre le sang-froid même des plus hardis. Les mouches s’en donnait alors à cœur joie au point où les visages des aventuriers pouvaient devenir si enflés par les piqûres qu’on pouvait craindre qu’ils perdent l’usage de leurs yeux tellement ils ne paraissaient plus. À cela s’ajoutaient les puces qui empêchaient de fermer l’œil de la nuit.
L’insécurité était la compagne de ces intrépides des bois, alors que les accidents, la noyade et les maladies demeuraient des menaces quotidiennes. Partout, la prudence était de mise. Souvent encombrés de canots chargés de marchandises, ces convois pouvaient aussi des proies faciles pour des guerriers autochtones hostiles embusqués dans les buissons, alors que d’une saison à l’autre, le comportement d’un clan pouvait échapper à toute prévision.
Le jour, le soleil brûlait la peau et, la nuit, les moustiques continuaient de la dévorer. Finalement, un soir, après des semaines de voyagement, apparaissait au loin le village des hôtes.
La rencontre tant attendue de deux civilisations devenait alors imminente.
Marco Wingender, « Les truchements du Canada : des voyages aussi épuisants que périlleux », extrait de son ouvrage Le Nouveau-Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
Zoom sur : la traite des fourrures, mamelle économique de la Nouvelle-France, et grande racine de la rivalité anglo-canadienne
Dans les origines de la guerre anglo-canadienne, il faut, de part et d’autre, faire une place prépondérante aux chasseurs de fourrures. En dépit du développement de l’agriculture, en effet, la prospérité des possessions anglaises et françaises reposait avant tout sur ce qu’on appelait la traite indienne, c’est-à-dire le commerce des peaux précieuses, en particulier des peaux de castor. Tandis que les établissements agricoles des deux nations restaient séparés les uns des autres par des centaines et souvent par des milliers de kilomètres, les courtiers des pelleteries étaient en rapports permanents et en compétitions perpétuelles. Coûte que coûte, il fallait arriver le premier au sauvage et lui acheter ses fourrures avant qu’il ait eu le temps de les offrir au concurrent. Ce sont les trafiquants qui, des deux côtés, ont commencé la lutte ; ce sont eux qui l’ont transportée de plus en plus loin vers l’ouest à mesure que le castor disparaissait des régions trop battues ; ce sont eux qui ont entraîné dans leur guerre les tribus indiennes, leurs clientes, et, en dernière analyse, ce sont eux qui, au début, en multipliant les incidents, ont forcé la main des gouvernements.
Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, p. 202
Comme parfaitement explicité par la citation ci-dessus, le commerce de la fourrure en Amérique du Nord a longtemps constitué une affaire si lucrative qu’il n’a pas manqué de susciter de franches rivalités (ou plutôt à attiser les nombreuses rivalités déjà existantes – religieuses, culturelles,…) entre Français et Anglais tout au long du XVIIe siècle.
Pendant environ 200 ans, la fourrure a en effet constitué rien de moins que la ressource la plus importante de la Nouvelle-France (puis après elle de la province britannique du Québec). La traite de fourrures est paradoxalement née d’une autre ressource extrêmement précieuse et recherchée par les Européens sur les rivages de l’Amérique du Nord : la pêche à la morue :
Après les voyages de Jacques Cartier, entre 1534 et 1542, la France se désintéresse du Canada. Cela n’empêche pas les pêcheurs, surtout des Basques et des Bretons, de continuer à venir pêcher la morue dans la région de Terre-Neuve. Le poisson est une denrée très en demande dans cette Europe très catholique qui jeûne environ un tiers de l’année, soit pendant le carême, le temps de l’Avent et la veille des nombreuses fêtes d’obligation. Le poisson a donc une place de choix dans le menu des Européens à cette époque.
Les pêcheurs ont deux techniques de conservation pour la morue. Ils pouvaient la saler au fond de la cale ou dans des barils et s’en retourner le plus vite possible en France. On appelle « morue verte », la morue conservée de cette façon. Mais puisque le sel est assez dispendieux, on faisait souvent sécher la morue sur les côtes avant d’appareiller pour l’Europe. Comme ce processus demande un certain temps, les morutiers, installés dans des campements saisonniers, ont le loisir de rencontrer des Amérindiens et d’échanger avec eux. Il y a un produit qui intéresse particulièrement les Autochtones, le fer. Ils convoitent tous les articles en métal des Européens. En échange, ils offrent des fourrures et particulièrement celle du castor dont le poil est très prisé pour la fabrication du feutre pour les chapeaux. La fourrure procure donc un revenu d’appoint important pour les pêcheurs. Ce commerce prend tellement d’ampleur qu’à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, des compagnies de commerce des fourrures se formeront. Cela raviva l’intérêt pour le Canada.
Mais le commerce des fourrures implique une installation permanente pour être le plus efficace possible. Il y aura donc des premières tentatives d’établissements permanents en Acadie puis dans la vallée du Saint-Laurent. Il est donc juste de dire que ce sont les pêcheurs qui ont dévoilé cette richesse à l’Europe et que c’est cette richesse qui a été la cause du début l’établissement permanent des Français dans la vallée du Saint-Laurent et en Acadie.
Comme déjà évoqué plus haut, la fourrure la plus recherchée est celle du castor, servant en Europe à la fabrication des chapeaux en feutre. Dès la fin du XVIe siècle, et surtout à partir du début du XVIIe siècle, ce sont par dizaines, puis par centaines, puis par milliers que les Franco-Canadiens pénètrent dans les profondeurs boisées du continent, rencontrant et négociant avec les tribus amérindiennes disposées au commerce, fondant des postes de traite, s’enfonçant toujours plus loin à travers forêts, lacs et rivières pour trouver de nouveaux fournisseurs de pelleteries et à meilleur marché (faisant ainsi de ces trappeurs et commerçants le premier moteur de l’exploration et de l’expansion de la Nouvelle-France).
(source : Les Pionniers du Monde, tome 1, p. 7)
Au fil du temps, par son positionnement à la frontière ouest de la colonie, l’établissement sur l’île de Montréal passa d’une vocation missionnaire et mystique à celle de centre principal de la colonie pour le commerce des fourrures pratiqué avec les Premières Nations. Dès les dernières décennies du XVIIe siècle, chaque année, c’était par centaines que des hommes s’engageaient, généralement au printemps, vers les lointains postes de l’arrière-pays pour y convoyer des marchandises de traite. Montréal s’imposa aussi comme le point de départ de l’exploration de l’intérieur du continent — notamment le voyage jusqu’à l’ouest du lac Supérieur des fougueux Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart Des Groseillers (1659-60) ainsi que celui du très valeureux Louis Joliett et du père Jacques Marquette qui permit la découverte du Mississippi (1673).
Marco Wingender, Le Nouveau Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens, chapitre « D’une vocation mystique à capitale du nouveau-monde : la fondation et la genêse de montréal »
L’Angleterre, de son côté, a été plus lente à entrer dans le commerce de la fourrure. Arrivée un peu plus tard sur les rivages de l’Amérique du Nord, les colons anglais tout juste établis saisissent toutefois rapidement l’intérêt économique de la traite, et des compagnies sont rapidement fondées. Dès les années 1620 et 1630, les colonies de la Nouvelle-Angleterre envoient des quantités importantes de peaux de castor aux marchands de Londres, tandis que ces derniers s’affairent à arracher aux Français le juteux commerce de la fourrure dans la vallée du fleuve Saint-Laurent. Profitant de l’une des brèves guerres de l’Angleterre avec la France, David Kirke, un aventurier d’origine écossaise né en France et ayant offert ses services aux Britanniques, capture Québec en 1629 et rapporte le produit de fourrures de l’année à Londres. Néanmoins, la récupération de la capitale de sa colonie encore balbutiante par la France l’année suivante et le renforcement de la présence française au Canada oblige les Anglais à abandonner la traite de la vallée du Saint-Laurent aux Français.
Durant la seconde moitié du XVIIe siècle (période correspondant au pic de lucrativité de ce commerce), la traite des fourrures continue d’enregistrer un très important essor. Bâtis à partir des deux grands noyaux de peuplement que forment la vallée du Saint-Laurent côté français et la côte de la Nouvelle-Angleterre côté britannique, les réseaux continentaux de la traite s’enfoncent toujours davantage à l’intérieur des terres, tandis que du côté britannique, la traite des fourrures de la Nouvelle-Angleterre prend également de l’expansion le long de la côte vers la baie de Fundy et l’Acadie française – traite qui devient alors un grand objet de rivalité entre les deux colonies. En 1667, la prise de la Nouvelle-Amsterdam puis l’annexion de l’ensemble de la colonie néerlandaise d’Amérique du Nord (partie très tôt comme les Français à la conquête des fourrures) permet en outre aux Anglais de mettre la main sur les réseaux de la traite hollandaise, augmentant ainsi considérablement l’accès de Londres à des fourrures de haute qualité.
Pendant ce temps, à la même époque, deux sujets français, Pierre-Esprit Radisson et Médard Chouart des Groseilliers, s’aventurent dans la région du lac Supérieur. Cette expédition pionnière s’inscrit dans un contexte difficile, à un moment où la jeune colonie canadienne est encore rudement fragilisée par les décennies de guerre avec les Iroquois et l’impact catastrophique qu’ont eu ces dernières sur la traite des fourrures :
Au mitan du XVIIe siècle siècle, les Français avaient réalisé en Amérique du Nord quelque chose de remarquable face à leurs rivaux coloniaux. Ils étaient les seuls Européens à avoir pénétré l’arrière-pays, à l’explorer, à y établir des postes de traite et, en alliance avec les peuples autochtones, à tirer profit de ses ressources. Toutefois, au cours des décennies de 1640 et 1650, le Canada fut soumis à de dures épreuves, alors que les Iroquois — exclus du commerce des fourrures franco-autochtone et dotés d’armes à feu fournies par les Hollandais — avaient entrepris d’imposer leur hégémonie sur la région des Grands Lacs et la vallée laurentienne. Leurs raids dévastèrent les Premières Nations alliées des Français et mirent à feu et à sang bon nombre de hameaux canadiens disséminés le long du fleuve Saint-Laurent.
Ces offensives eurent pour effet de stopper presque complètement le commerce pelletier dans la colonie. Les fourrures étant sa seule exportation d’importance, les autorités françaises en vinrent même à considérer son abandon et le rapatriement des colons en France. Néanmoins, à l’été 1659, une expédition menée par deux courageux traiteurs français en quête de fourrures et d’aventures changea la donne et permit de réouvrir la voie commerciale vers l’intérieur du continent. Celle-ci fut l’œuvre de Médard Chouart des Groseilliers et de son jeune beau-frère Pierre-Esprit Radisson qui — accompagnés d’Ojibwés notamment — décidèrent de braver le péril iroquois et de se lancer dans l’exploration de l’ouest des Grands Lacs afin d’établir des liens avec les nations qui y vivaient. Du fleuve Saint-Laurent, les voyageurs remontèrent la rivière des Outaouais, où ils furent la cible d’une attaque iroquoise qu’ils parvinrent à repousser vaillamment. Empruntant le lac Nipissing, ils atteignirent le lac Huron qu’ils franchirent jusqu’au Sault Sainte-Marie — à l’embouchure du lac Supérieur. De là, ils poursuivirent leur route jusqu’à la baie Chequamegon, à l’extrémité sud-ouest de ce même lac. De cet endroit, en pays sioux, les expéditionnaires ojibwés — eux aussi originaires de la grande région du lac Supérieur — se dirigèrent vers l’intérieur des terres à l’ouest pour y passer l’hiver. Quant aux deux Français, après avoir construit un abri rudimentaire où ils cachèrent une partie de leurs marchandises, ils les rejoignirent.
Au printemps suivant, les Sioux — à peu près inconnus des Européens jusque-là — envoyèrent des émissaires apportant avec eux des cadeaux pour inviter ces étrangers européens à les visiter. Avant de s’y rendre, ces derniers assistèrent, en mars 1660, à une grandiose et fascinante fête des Morts, à laquelle prirent part des Ojibwés, des Outaouais, des Cris, des Sioux et plus d’une dizaine d’autres nations. Les ambassadeurs français en profiteront pour instaurer une alliance avec elles ou pour la renouveler. Ils séjournèrent ensuite durant six semaines chez les Sioux, pratiquant traite et diplomatie. Au terme de cette période, ils tirèrent leur révérence et retournèrent à leur cache avant d’entamer le périple de retour.
Marco Wingender, « Radisson et des Groseilliers (1659-1660) : l’expédition qui sauva le Canada de la ruine économique », extrait de l’ouvrage Le Nouveau Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
Leur retour en 1660 à Montréal est spectaculaire : ils ramènent une cargaison de fourrures remplissant plus de cent canots ! Cependant, ne disposant pas de permis officiels pour la traite des fourrures, le gouverneur de la Nouvelle-France Pierre de Voyer d’Argenson leur confisque leur butin et les soumet à l’amende. Des Groseilliers se rendra bien en France pour essayer d’obtenir justice et intéresser les autorités françaises à développer le commerce des fourrures dans le Nord-ouest, mais ils se heurtent à une fin de non-recevoir.
Ce renvoi est fort regrettable car Radisson et Groseilliers, convaincus par leur voyage que le meilleur pays de la fourrure se situerait loin au nord et à l’ouest et pourrait être mieux atteint par les navires naviguant dans la baie d’Hudson, s’en vont à Boston pour intéresser les autorités anglaises à leurs expéditions. Contrairement à leur traitement côté Nouvelle-France, ils y obtiennent immédiatement un soutien financier pour au moins deux tentatives pour atteindre la baie d’Hudson. Si ces deux tentatives se solderont par des échecs, l’idée aura eu le mérité d’attirer l’attention des autorités anglaises sur les potentialités offertes par ces lointains territoires de la baie d’Hudson. En 1667, le colonel anglais George Cartwright emmène ainsi Radisson et Groseilliers en Angleterre et les présente à la Cour du roi Charles II. Après quelques revers, un certain nombre d’investisseurs anglais se réunissent pour soutenir une autre tentative pour la baie d’Hudson.
En juin 1668, Radisson et Groseilliers partent finalement d’Angleterre, conduisant deux navires marchands affrétés par le prince Rupert (qui donnera son nom britannique à la région, la « Terre de Rupert ») vers la baie d’Hudson par le nord. Cette nouvelle route, en plus de se révéler plus courte, présente l’avantage d’éliminer la nécessité de passer par le fleuve Saint-Laurent, solidement contrôlé par les Français. Seul l’un des deux navires de l’expédition, le Nonsuch, arrive à destination avec Des Groseilliers à son bord (l’Eaglet, avarié dans une tempête, a en effet du retourner en Angleterre avec Radisson). Ce revers n’empêche pas toutefois la réussite de l’expédition : Des Groseilliers est de retour l’année suivante en Angleterre avec une remarquable cargaison de fourrures. Fort de succès, les investisseurs anglais décident en 1670 de la création d’une compagnie pour organiser ce nouveau commerce de fourrures : ce sera la fondation de la Compagnie de la Baie d’Hudson.
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(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 1, p. 5)
L’implantation des Anglais dans la baie d’Hudson (et les postes qu’ils établissent là-bas dans l’objectif notamment de court-circuiter les réseaux d’approvisionnement français mis-à-mal par la destruction de la Huronie) déterminent en réaction les Français à tenter d’en prendre le contrôle, ou tout au moins à accélérer la marche vers l’Ouest, vers de nouveaux fournisseurs potentiels de pelleteries. Au début des années 1670, marchands et coureurs des bois poussent ainsi vers les Grands Lacs. Le 4 juin 1671, ceux-ci parviennent même à organiser aux Sault-Sainte-Marie une immense réunion, où pas moins de quatorze nations amérindiennes sont présentes. Afin d’éblouir leurs partenaires désirés, les Français sortent le grand jeu : soldats défilant en armes, missionnaires parés de leurs plus beaux vêtements sacerdotaux. Les représentant des Premières Nations présentes jouent également le jeu, et le courant passe bien entre eux et les Français (à l’exception faite, une fois n’est pas coutume, des Iroquois).
Ce voyage officiel finit ainsi scellé par une nouvelle alliance générale entre Français et un nombre très important de nations amérindiennes de la région des Grands Lacs. Cette alliance va avoir un impact considérable : symboliquement, elle va jeter les bases d’un vaste empire, et annoncer le début d’un large mouvement d’exploration vers le nord, vers l’ouest, et surtout, vers le sud ; autant de zones, une fois explorées, appelées ensuite à passer sous contrôle ou a minima dans l’aire d’influence française. Et ce n’est pas tout : par cette alliance, les tribus amérindiennes présentes sont officiellement devenues des sujets de Louis XIV. Souverain français qui, en échange, garantit se charger de leur protection, selon les instructions adressées en 1665 au gouverneur de l’époque : « Que les officiers, soldats, et tous les autres sujets traitent les Indiens avec douceur, justice et équité, sans leur faire jamais aucun tort ni violence ; qu’on n’usurpe point les terres sur lesquelles ils sont habitués sous prétexte qu’elles sont meilleures ou plus convenables aux Français. ».
Si cette nouvelle alliance générale de 1671 sera pourtant suivie de trente ans de constantes turbulences du côté de la relation franco-iroquoise (marquée comme nous l’avons vu par la série d’affrontements et de raids respectifs entre Frontenac et les tribus iroquoises), elle n’empêchera pas et sera même parachevée par la Grande Paix de Montréal de 1701. Trois décennies après la grande alliance amérindienne conclue à Sault-Sainte-Marie, cette paix générale constituera le chef d’œuvre diplomatique du gouverneur de la Nouvelle-France, Louis-Hector de Callières. Celui-ci, après des mois d’un patient travail de rencontres, de discussions et de compromis entre ambassadeurs des nations autochtones et Français, obtient en effet la ratification de différents accords de paix lors d’un grand rendez-vous à Montréal (événement où, pendant quelques jours, la petite ville de 1 500 habitants sera l’hôte de 1 300 représentant amérindiens représentant une quarantaine de nations !).
Après des jours de festins, danses, parades, défilés et multiples discours, Callières fait ainsi accepter aux parties une paix générale, et obtient même des Iroquois leur neutralité en cas de guerre avec l’Angleterre ! Pour l’essentiel, cette paix générale sera maintenue jusqu’en 1760, et permettra une extension considérable de l’Amérique franco-amérindienne.
De façon générale, c’est par centaines voire par milliers que les jeunes français débarqués au Canada ainsi que les premières générations de Canadiens nés au pays vont prendre les bois et apprendre et se mêler aux cultures autochtones, un phénomène massif qui va façonner comme nul autre l’identité et la mentalité canadiennes naissantes :
– La colonie a beaucoup peiné au début. Tout le monde voulait s’en aller dans le bois. Comment tu veux faire un village ? Tu as beau essayé de faire un village, tu es curé, tu perds tous tes hommes. En 1685, 80% des jeunes hommes s’en allaient dans le bois et ne revenaient plus. Ils haïssaient l’agriculture. Tu t’en vas dans le bois, tu fais la chasse, la trappe, et puis tu fais aussi du voyagement, tu découvres… Tandis qu’être cultivateur en 1685 ? D’abord tu as le curé sur le dos – tout le temps –, tu as des charges, des taxes, des obligations, et puis tu es rien du tout… et puis tu n’es pas traité si bien que ça… Des femmes, je peux en avoir dans le bois… Ça, c’est un grand fantasme de la culture franco-canadienne…
– … Si tu vas vivre dans le bois, ça se passe comment ?
– Tu deviens comme les sauvages, mais tu es un métisse…
– Mais c’est quoi vivre comme un sauvage… ?
– … Tu es nomade. Tu vis de chasses. C’est une toute autre mentalité. Il s’ensauvageait parce que c’était la liberté. Et puis ils vont vraiment le faire. Et ça c’est d’une richesse qu’on nous a caché dans notre Histoire. Les Indiens ont fasciné nos ancêtres, ils ont parlé leur langue, le sang s’est mêlé, mais aussi la connaissance et la sensibilité de la nature. Alors tant que tu restes franco-français, tu es dans le trouble, tu es dans l’habitation de Québec, tu es un aristocrate avec ta perruque, tes petits bas, tes petits collants de soie… là tu es pris, tu ne peux pas faire grand chose. Mais si tu sors de ça, que tu t’en vas dans le bois, là tu viens de découvrir l’Amérique – ce qu’ils ont fait ! […]
Et très rapidement, on va avoir une deuxième génération que l’on va appeler des Canadiens. Ça s’appelle Les Groseilliers, Louis Joliet,… cette génération-là… Puis là, tu continues la tradition et tu vois se créer tout un monde qui est un monde franco-amérindien, qui constitue une des plus grandes parts de notre Histoire à nous [les Québécois] !
Extrait d’un entretien avec l’anthropologue québécois Serge Bouchard figurant dans le documentaire L’Empreinte.
Les coureurs de bois constitueront un genre complètement distinct des colons anglais qui — confinés au littoral atlantique à l’est des Appalaches — s’aventuraient rarement au-delà de leurs champs soigneusement défrichés, clôturés et gardés. Ces Canadiens ensauvagés — nés au pays et y ayant pris racine — ne tenteront pas de détruire leur environnement naturel car leur mode de vie nécessitait sa préservation. Ils n’occuperont pas non plus les contrées de l’Ouest. Plutôt, dans un esprit de respect et de réciprocité, ils y séjourneront et y établiront des points d’échange pour obtenir les produits locaux et les ramener vers la vallée du Saint-Laurent. Dans l’ADN de cette première génération “d’Autochtones blancs” — véritable figure de proue de la conscience nationale des premiers Canadiens et dans l’émergence d’une culture du “Grand Homme” — apparaitront aussi de nouveaux traits qui marqueront et orienteront l’imaginaire de tous les habitants du Canada des origines : une profonde fascination envers les sociétés autochtones, l’insoumission devant les dictats de l’ordre colonial et religieux, l’attirance pour les charmes irrésistibles de la femme autochtone, l’ivresse des grands espaces, un mépris du danger et une passion viscérale pour l’aventure et la liberté.
Marco Wingender, « Les truchements du canada, précurseurs de la figure mythique du coureur des bois », extrait de l’ouvrage Le Nouveau Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
C’est peu dire effectivement que de nombreux franco-canadiens revenaient profondément transformés de ces longs périples. Rasés, tatoués, habillés « à l’indienne », ils ne passaient pas inaperçus à leur retour dans la vallée du Saint-Laurent. Affranchis des normes religieuses et morales, ils suscitèrent d’ailleurs beaucoup d’inquiétude au sein de l’Église et du gouvernement. L’intendant craignait notamment un effet négatif de ces voyages individuels sur le peuplement du Canada. En effet, le métissage et les unions libres qui se développaient alors en masse entre coureurs des bois et amérindiennes, en plus d’être jugé sévèrement par le clergé, contribuaient peu à cette augmentation naturelle souhaitée par Colbert, qui souhaitait « un même peuple et un même sang » (le problème étant que les enfants issus de ces unions avaient effectivement tendance à s’intégrer dans les communautés autochtones). Si ce « métissage naturel » demeura donc fort peu du goût de l’Église catholique (et ne disposait pas davantage de la bénédiction ni de l’encouragement de l’autorités coloniale), il contribua cependant fondamentalement à l’hybridation de la population de la Nouvelle-France. Population qui, chaque année passant, formait le creuset d’une nouvelle Nation : la Nation canadienne, d’essence franco-amérindienne :
La politique initiale de la France, visant à engendrer en Amérique des sujets français et autochtones qui formeraient une communauté « civilisée » à la manière française, fut un cuisant échec. Néanmoins, telle une boîte de pandore, elle initia une série de développements historiques qui menèrent éventuellement à la cristallisation d’une nouvelle nation de Métis dans l’Ouest canadien. En Acadie et dans la vallée du Saint-Laurent, la tendance pour les Métis fut de s’identifier à l’un ou l’autre des camps.
Malgré l’insuffisance des registres coloniaux pour mesurer avec précision le métissage ethnique dans la vallée du Saint-Laurent, nous savons néanmoins qu’il ne fut pas négligeable, bien au contraire. Le premier mariage mixte dans les registres laurentiens fut celui de Martin Prévost qui s’unit à l’Algonquine Marie-Olivier Sylvestre Manitouabeouich en 1644. Ils eurent neuf enfants.
En 1662, un autre mariage fut célébré entre Marie-Félix Arontio, fille d’un chef wendat, et Laurent Dubosq. L’union fut bénie par la naissance de sept héritiers. La même année, la Wendate Catherine Anenontha se maria quant à elle à Jean Durand et engendra trois enfants. Survivant à son époux, Catherine se remaria avec Jacques Couturier en 1672, avec qui elle eut cinq autres enfants. Vingt ans après sa mort survenue en 1709, elle avait 65 descendants. À Trois-Rivières, notons que deux enfants naquirent du couple franco-algonquin composé de Pierre Couc et de Marie Metissamegssksse. Il y eut plusieurs autres histoires similaires d’unions mixtes; notamment les Le Tardif, Nicollet et Marsolet.
Un métissage significatif se produisit également par adoption. L’un de ces premiers cas fut celui de la famille de Robert Giffard, à Québec, qui adopta un enfant autochtone âgé de six mois. Un autre exemple fut celui du fondateur de Montréal, Paul Chomedey de Maisonneuve, qui prit sous son aile une fillette de dix mois.
À partir des registres paroissiaux de la vallée laurentienne, le généalogiste Youri Morin a quant à lui répertorié, jusqu’au 31 décembre 1765, pas moins de 277 mariages interethniques entre Canadiens et femmes autochtones et 3482 baptêmes de leurs descendants métis. Toutefois, ces chiffres sont loin de donner un juste aperçu de l’ensemble car les unions étaient généralement célébrées dans la paroisse de la mariée qui, bien souvent, se trouvait dans les communautés autochtones domiciliées et pour lesquelles aucun registre n’a été conservé. Rappelons également la prévalence des unions mixtes “à la façon du pays” célébrées à cette époque au-delà de l’espace colonial et absentes des archives.
Sur un total de 7 000 à 8 000 pionniers français qui sont aujourd’hui à l’origine des quelque 20 millions d’individus de souche canadienne à l’échelle du continent nord-américain, ces données nous permettent de prendre toute la mesure de l’ampleur du métissage autochtone dans ce que deviendra la société québécoise et la vaste Franco-Amérique au cours des siècles suivants.
Marco Wingender, « Métissage ethnique dans la vallée du Saint-Laurent », chapitre extrait de son ouvrage Le Nouveau-Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
Alors que la France avait initialement aspirée à christianiser et à « franciser » les Amérindiens de Nouvelle-France, c’est donc plutôt à la dynamique contraire à laquelle l’on a assistée : celle de « l’amérindienisation » démographique et culturelle des colons français ! Ce processus de symbiose et de métissage ethnique et culturel entre Français et Nations autochtones au Canada – que l’on pourrait qualifier de multiculturalisme avant l’heure – restera dans les mémoires du continent pour son caractère totalement inédit à l’échelle de l’Histoire coloniale ! Loin des aboutissements récurrents de la plupart des colonisations européennes d’Amérique et d’Afrique (marquées elles par la dépossession plus ou moins complète des cultures autochtones…), la trajectoire prise par le Canada français préfigurait la constitution d’une véritable « Nation métisse » euro-amérindienne ; un métissage volontaire (et non-subi) entre colons d’origine française et populations souches que la conquête britannique du XVIIIe siècle viendra tristement briser dans l’œuf…
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Aventuriers et voyageurs infatigables, les coureurs des bois indépendants auront en tout cas établi des relations commerciales essentielles avec les peuples autochtones, et joué un rôle très important dans l’exploration européenne du continent (dont nous reparlerons un peu plus bas). Cent ans avant les Anglo-Saxons, ces coureurs avaient ainsi reconnu les montagnes Rocheuses et signalé l’existence de grandes voies fluviales qui, de la ligne de faîte, conduisaient à la mystérieuse mer de l’ouest, l’océan Pacifique. Des historiens québécois estiment d’ailleurs qu’à l’époque de la Nouvelle-France, un canadien sur deux réalisait un voyage de traite au cours de sa vie, telle une épreuve initiatique… Leur travail pionnier servira de base aux grandes explorations engagées cette fois officiellement par les autorités coloniales durant la seconde moitié du XVIIe siècle.
Les explorateurs franco-Canadiens à l’assaut du Grand Ouest américain
Les Canadiens ne s’étaient pas contentés de mettre en valeurs les rives du Saint-Laurent. Ils avaient poussé vers l’ouest et le sud, atteint les grands lacs et pénétré dans le bassin supérieur du Mississippi, par un des nombreux portages qu’utilisaient depuis longtemps les Indiens. […] En 1672, l’intendant Jean Talon lançait, à la découverte du Mississippi, un marchand, Jolliet, et un missionnaire, le Père Marquette. Ils rentraient après avoir découvert l’Illinois, l’Ohio, le Missouri, exploré le grand fleuve jusqu’à son confluent avec l’Arkansas, et baptisé cette région immense, aux limites incertaines, du beau nom de Louisiane.
Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, p. 200
Parmi ces explorateurs qui vont explorer si nombreux et si loin les horizons du continent de sorte à ce qu’au début du XVIIIe siècle, les deux tiers de l’Amérique du Nord se retrouvent sous contrôle ou influence française, il convient de distinguer toutefois les explorateurs commandités par les autorités des coureurs des bois dont nous avons parlé plus haut. Les premiers avaient en effet pour mission de prendre possession de territoires au nom du roi, et consignaient par écrit leurs découvertes et leurs aventures. Les seconds, quant à eux, plus discrets, travaillaient pour des compagnies et n’ont souvent malheureusement laissé aucune trace. Les premiers comme les seconds ne manquaient cependant ni d’audace, ni de courage. Motivés par les distinctions, les profits et la gloire, ou pour un goût prononcé pour la liberté, ces aventuriers ont ainsi fourni leur lot de mythes et de légendes, tout particulièrement aux Canadiens et aux Acadiens.
Cette expansion vers le nord (baie d’Hudson), l’ouest (lac Supérieur, Rocheuses), le centre et le sud (le Mississippi et le golfe du Mexique) se justifiait de plusieurs façons : les missionnaires poursuivaient leur œuvre d’évangélisation auprès des peuples amérindiens ; les commerçants de fourrures espéraient trouver de nouveaux fournisseurs ; quant aux politiques, ils entendaient stopper l’expansion anglaise. Il ne faut pas sous-estimer également cette quête prométhéenne de la mer de l’Ouest, cet océan Pacifique si mystérieux (dont les Amérindiens avaient attesté l’existence aux Français) qui nourrit alors l’imagination de nombreux aventuriers, lesquels rêvent de découvrir la route vers l’Asie que cherchait déjà Jacques Cartier… ! Attardons-nous sur quelques-unes de ces grandes aventures de Canadiens qui, bien avant les futurs Américains émancipés de l’Angleterre, auront exploré le centre de l’Amérique.
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 2, p. 3)
L’expédition de Louis Jolliet et Jacques Marquette
Né en France où il suivit l’instruction jésuite, arrivé à Québec en 1666, Jacques Marquette rêvait déjà d’accomplir un voyage chez les « Indiens » Illinois. Pour se préparer à ses futures explorations en territoires amérindiens, le jeune jésuite passera un an à Trois-Rivières pour s’y consacrer à l’apprentissage des langues autochtones. Il visitera ensuite diverses missions Jésuites installées dans la région des Grands Lacs, ce qui l’amènera jusqu’à celle de Michillimackinac, le grand poste de traite du nord-ouest des Grands Lacs, d’où transitent toutes les peaux arrivant du nord et de l’ouest, avant d’être convoyées vers le grand marché de Montréal. C’est là qu’il reçoit l’ordre de l’intendant Talon d’accompagner Louis Jolliet dans son expédition sur le Mississippi.
Louis Jolliet, lui, était un pur québécois, destiné à la prêtrise par ses parents, mais qui lui préfèrera, comme nombre de ses contemporains, la vie de coureur des bois et la traite des fourrures. Ayant plusieurs années d’expérience de voyage vers l’ouest à son actif, l’intendant Talon le chargera en octobre 1672 « d’aller à la découverte de la mer du Sud, par le pays des Mascoutiens et la grande rivière que les sauvages appellent Michisipi et que l’on croit se décharger dans la mer de Californie » (les relations des Jésuites écrites au milieu des années 1660 avaient en effet fait état de cette « grande rivière Missipi » qui, selon certains Sioux, conduirait à une mer). Le but à atteindre par le duo franco-canadien était ainsi la fameuse mer du Sud, c’est-à-dire le Pacifique, où l’on croyait, alors, que se jetait le Mississippi.
Profitant de l’hiver où les rivières sont de toute façon impraticables pour faire leurs préparatifs, les deux hommes se mettent en route en mai 1673, accompagnés seulement de 5 hommes et équipés de 2 canots. Le 15 juin, après avoir dû effectuer un portage pour atteindre la rivière Wisconsin, un affluent du Mississippi, ils atteignent enfin la « grande rivière », comme l’appelait les « Sauvages » (car elle était la plus considérable de tout le pays environnant), et en commencent la descente. Ils en descendent le cours pendant près d’un mois, croisant quelques villages indiens, de magnifiques gravures rupestres peintes sur une falaise, jusqu’à atteindre le plus septentrional des villages de la tribu des Arkansas. Là, le duo décide de rebrousser chemin, craignant de tomber entre les mains des Espagnols de Floride (qui auraient très certainement détruit leurs notes et tous leurs comptes rendus de recherches).
Malgré leur décision de rebrousser chemin, les deux explorateurs ne doutaient point que le terme de leur découverte aurait été le golfe du Mexique (et non la mer de Californie), sur la base des bonnes connaissances cartographiques dont ils bénéficient tous les deux. En revanche, ils se trouvent beaucoup plus éloignés de la mer qu’ils ne le pensaient lorsqu’ils firent demi-tour, se pensant en effet à seulement 50 lieux de cette dernière (soit 200 km), quand celle-ci se trouvait en pratique à encore près de 1 000 km de là ! Empruntant une route différente pour leur retour (qui devra les amener à faire une halte au niveau de l’actuelle Chicago), Jolliet et Marquette arrivent enfin à une autre mission jésuite près du lac Huron, en octobre 1673. En une quinzaine de mois, les explorateurs auront ainsi couvert une distance de plus de 3 500 kilomètres, effectuée uniquement en canot ou à pied (moment où il fallait porter les canots !). En cette décennie 1670, Jolliet et Marquette ont bien découvert et exploré le Mississippi, mais ne sont cependant pas parvenus à son embouchure. C’est en effet un autre remarquable explorateur, Cavelier de La Salle, qui réussira cet exploit, à peine quelques années plus tard !
Et Cavelier de La Salle et Pierre Le Moyne d’Iberville fondèrent la Louisiane…
Né à Rouen, et après de brillantes études au collège des jésuites, La Salle embarque pour la Nouvelle-France en 1666, en qualité de colon et d’explorateur. Cet homme brillant à la fin tragique y mènera pas moins de cinq voyages exploratoires, qui repousseront encore plus loin les frontières de l’Amérique française. Comme beaucoup de ses contemporains, Cavelier de La Salle rêvait de découvrir le fameux passage qui par l’ouest, devait, croyait-on, mener en Chine.
Incité par des Indiens à explorer cette région, son premier voyage consistera à trouver un passage conduisant du lac Ontario à la rivière Ohio, celle que l’on surnommait alors la « belle rivière », où La Salle projetait de naviguer dans l’espoir d’y rejoindre la « mer du sud », cet océan Pacifique dont on ne connaissait pas encore la localisation exacte. Soutenu par l’intendant et le gouverneur général, et accompagné de plusieurs autres explorateurs, La Salle arpentera pendant des mois la région, explorant longuement une bonne partie des côtes des Grands Lacs (Ontario, Erié, Michigan, Huron,…). Un voyage qui, faute de trouver de nouvelles ressources à exploiter, aura l’intérêt de permettre de préciser peu à peu la géographie de ce vaste territoire lacustre, ainsi que de découvrir les sources du Mississippi, que l’on baptisa alors de fleuve « Colbert » en hommage au Secrétaire d’État alors grand artisan métropolitain du développement du Canada. Durant ces premiers voyages successifs, La Salle engagera également des négociations avec les Iroquois du Sud, dont les conclusions auront pour vertu de détourner une partie de leur commerce vers les Français du Canada plutôt que vers les Hollandais ou les Anglais. Autant de succès qui vaudront à l’explorateur rouennais d’être introduit et chaudement recommandé par le gouverneur Frontenac auprès de Colbert, en vue d’une expédition vers le Mississippi.
Après un passage en France et plusieurs mois à convaincre les autorités de la pertinence du projet (et à réunir les appuis à la Cour et les fonds nécessaires à l’expédition), il finit par obtenir en mai 1678 l’autorisation officielle du gouvernement louis-quatorzien d’explorer le centre du continent et de découvrir où se jette le Mississippi. Rapidement, La Salle réembarque avec une trentaine de compagnons sur un navire chargé de tout le nécessaire à la future expédition (notamment de nombreux produits d’échange avec les autochtones). Passant rapidement par Québec, le Rouennais se rend d’abord vers le Niagara, où il lance la mise chantier d’un bateau ponté (appelé « le Griffon »), qui devra permettre de collecter les fourrures autour des Grands Lacs (et de compléter ainsi le financement de l’expédition vers le Mississippi). Si ce bateau fera de La Salle le premier européen à naviguer sur les Grands Lacs en amont des chutes du Niagara, celui-ci disparaitra malheureusement lors d’une tempête durant son voyage retour, emportant avec lui son précieux chargement de fourrures (et donc tout le butin devant permettre de financer a posteriori l’expédition). Ce désastre obligera La Salle et ses compagnons à sillonner la région des Grands Lacs durant les deux années qui suivront, explorant et commerçant pour renflouer les dettes générées par la perte de la cargaison. Bravant la neige et le froid, en canot et à pied, construisant au passage plusieurs forts, cette petite poignée d’individus réalisera ce faisant la plus incroyable expédition pédestre – environ 2 000 km – jamais menée de mémoire d’homme par une équipe d’explorateurs européens en un tel laps de temps !
Finalement, le 19 décembre 1681, aux alentours du lac Michigan, l’expédition vers le Mississippi est enfin engagée. Elle compte 23 français et 28 autochtones de diverses nations, dont des femmes et des enfants. Les voyageurs reprennent l’itinéraire de rivières, lacs et portages parcouru dix ans plus tôt par Jolliet et Marquette, malgré quelques obstacles et difficultés supplémentaires que leur impose l’hiver. Au bout d’un mois et demi d’efforts, ils atteignent enfin le Mississippi, qu’ils descendent jusqu’à atteindre le point le plus septentrional auquel était parvenu les deux précédents explorateurs, après plusieurs haltes pour se ravitailler, échanger avec les autochtones, participer à un ou deux festins et calumet de la paix et bâtir au passage un nouveau fort (une véritable passion). Là, La Salle et ses hommes prennent officiellement possession de la vallée du Mississippi au nom du roi de France Louis XIV, et donnent à toute la région qui les entourent le nom de Louisiane. Trois semaines plus tard, l’équipée atteint l’embouchure du Mississippi dans le golfe du Mexique, et deux jours plus tard, ayant remonté le fleuve jusqu’à l’actuelle Venice, La Salle prend une seconde fois possession du territoire au nom du roi de France (alors selon une cérémonie beaucoup plus solennelle).
Ce jour-là, l’explorateur rouennais n’avait pas seulement repoussé plus loin les limites de la Nouvelle-France : il faisait l’Histoire. Par l’acte de fondation de Louisiane, La Salle faisait en effet officiellement entrer dans le royaume de France un immense morceau de l’Amérique du Nord, s’étendant des Grands Lacs au golfe du Mexique, et de la frontière indélimitée des colonies anglaises de la côte atlantique aux limites septentrionales (et inconnues) de la Nouvelle-Espagne. Cette toute nouvelle « Louisiane » constitue immédiatement un enjeu de taille et de prestige pour le roi de France, alors au faîte de sa gloire en Europe. Un roi français en forme de monarque absolu qui tient aussi à s’affirmer au « Nouveau Monde » face à ses deux puissances rivales, l’Angleterre et l’Espagne, déjà bien copieusement installées sur le continent américain. Prenant le chemin du retour vers Québec dès le lendemain, pressé d’annoncer la nouvelle au gouverneur de la Nouvelle-France, La Salle fera notamment édifier sur une colline rocheuse dominant la rivière Illinois le fort Saint-Louis, qui donnera son nom à la ville moderne.
Rentrée presque aussitôt en France après son passage vers Québec, et devant la réussite de l’expédition, La Salle parvient à convaincre Louis Phélypeaux (le secrétaire d’État à la Marine ayant succédé à Colbert) d’un projet d’établissement permanent sur les rives du Mississippi. Une entreprise qui devra inclure des colons et des militaires, afin d’être en capacité, si nécessaire, d’imposer la force française aux prétentions espagnoles, et qui cette fois, se fera par voie de mer.
Partie de La Rochelle avec quatre navires, l’expédition tournera à la catastrophe, les commandants ne parvenant d’abord pas à retrouver l’embouchure du fleuve aperçu deux ans plus tôt. Errant vers l’ouest au niveau du Texas actuel, les malheurs vont alors s’enchaîner : l’un des navires sera capturé par les Espagnols, un autre fera naufrage, et la frégate comprenant les militaires, préfèrera quant à elle rentrer vers la France. Quant au dernier navire où se trouvent La Salle et sa centaine d’hommes restant, il restera sur place où ces derniers feront édifier un fort (encore un !), avant de finir échoué lui aussi… Persistant à vouloir explorer la région afin de rejoindre le Mississippi par voie terrestre, faisant évoluer ses hommes dans des contrées marécageuses semant la maladie et la mort chez de nombreux d’entre eux, La Salle finit par s’aliéner tout son équipage, qui finira par se mutiner contre lui. Pire : le grand explorateur qui avait offert la Louisiane à son pays terminera même abattu par ses propres hommes, quelque part vers la frontière nord du Texas, le 19 mars 1687.
Malgré cette fin tragique, l’expédition aura permis de mieux connaître, grâce aux quelques survivants, les possibilités d’accès à la Louisiane par la mer. Aussi le secrétaire d’état de la Marine confiera-t-il dès la décennie suivante une nouvelle mission à un marin d’expérience, bien informé, lui, du littoral oriental de l’Amérique du Nord. En 1698, Pierre Le Moyne d’Iberville prendra ainsi le relai de La Salle. Avec son frère Jean-Baptiste, il réussira l’implantation en Louisiane, dont la capitale deviendra la Nouvelle-Orléans, fondée en 1718. La Nouvelle-France atteindra alors sa dimension maximale, couvrant le territoire qui s’étend de Terre-Neuve aux Grands Lacs, et de la baie d’Hudson au golfe du Mexique.
Dans les mémoires qu’il adressera au ministre Pontchartrain (le secrétaire d’État à la Marine français de 1699 à 1715), Pierre Le Moyne d’Iberville partagera de surcroit sa vision de l’avenir américain de la France – et du risque que font déjà peser l’expansion des colonies britanniques sur l’Amérique française :
Si la France ne se saisit pas de cette partie de l’Amérique, qui est la plus belle, pour avoir une colonie assez forte pour résister à celle qu’a l’Angleterre dans la partie de l’est depuis Pescadoué jusqu’à la Caroline, la colonie anglaise qui devient très considérable s’augmentera de manière que dans moins de cent années, elle sera assez forte pour se saisir de toute l’Amérique et en chasser toutes les autres nations.
Extrait des Mémoires de Pierre Le Moyne d’Iberville, gouverneur de la Louisiane (de 1699 à 1701) au ministre Pontchartrain
Soixante avant la guerre de la Conquête, Dieu sait combien cette analyse se révélait prophétique…
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L’épopée des La Vérendrye vers le grand ouest
Derniers grands explorateurs, et non des moindres, dont je vous propose de découvrir les périples ici : celui de la Vérendrye et de ses fils, qui repoussèrent très loin à l’ouest les frontières de la Nouvelle-France, et qui permirent aux Français de s’y installer durablement, dans le cadre de solides relations et amitiés avec les tribus amérindiennes de ces contrées.
L’objectif de l’expédition est de s’aventurer le plus loin possible à l’ouest des Grands Lacs, des territoires où a priori aucun français ne s’est encore jamais aventuré. Une fois n’est pas coutume, le secrétaire d’État à la Marine avait chargé La Vérendrye de découvrir la « mer de l’Ouest » (le Pacifique). La Vérendrye n’avait pas caché au gouverneur l’extrême difficulté de cette mission, et les deux hommes convinrent de centrer la mission sur l’exploration des terres situées au-delà du lac Supérieur (le plus occidental des Grands Lacs), et d’y travailler au développement d’alliances commerciales avec les tribus indiennes, dont les pelleteries enrichissaient jusqu’ici les comptoirs de la compagnie de la baie d’Hudson (anglaise). Sous couvert de raisons patriotiques (prendre possession de nouvelles terres au nom de la France), son expédition avait en fait pour but bien plus concret de détourner vers Montréal et Québec tout le réseau commercial de ces contrées du Nord-Ouest qui faisait la prospérité des marchands britanniques (ce qui, tout au long de l’histoire de la Nouvelle-France, fut une guerre sans fin). Mais au-delà des enjeux commerciaux, ces expéditions étaient également mues par des considérations stratégiques, renvoyant au rôle de clé de voûte que les systèmes d’alliances franco-amérindiens constituaient pour la sanctuarisation de la Nouvelle-France. La pénétration des Franco-Canadiens dans les profondeurs du Grand Ouest américain visait ainsi à y prévenir les luttes fratricides entre nations amérindiennes et à y établir des têtes de pont commerciales mais surtout diplomatiques à même de maintenir, par la « diplomatie des présents », ces indispensables alliés dans le giron français :
La Grande Paix de Montréal en 1701 avait donné à la France un avantage diplomatique et militaire certain dans la région des Grands Lacs, avantage cependant partiellement ébréché par l’article 15 du traité d’Utrecht qui reconnaissait la souveraineté de la Grande-Bretagne sur les nations iroquoises. Les positions françaises dans les Pays d’En Haut étaient aussi rendues précaires par le rôle d’arbitre qu’« Onontio » (nom donné par les Indiens au gouverneur- général de la Nouvelle-France) devait tenir entre les différentes nations, Miamis, Hurons, Outaouais, Ojibwas, presque perpétuellement en conflit. Durant la première moitié du XVIIIe siècle, les gouverneurs généraux successifs durent déployer tous leurs talents diplomatiques pour maintenir la Pax gallica et étendre leur zone d’influence. La création par La Vérendrye de deux forts très loin dans l’Ouest, Saint-Charles et Saint-Pierre, illustre cette politique menée pour maintenir la paix entre les Sioux, Cris, Assiniboines, Sauteux ou autres Monsonis.
François Ternat, Partager le monde – Rivalités impériales franco-britanniques (1748-1756), p. 163
Parti en 1731, accompagnés de ses fils et d’une cinquantaine d’hommes, La Vérendrye était sûrement loin de se douter que son voyage durerait 10 ans. Dix années durant lesquelles ses hommes remontèrent les rivières de lac en lac, édifièrent de nombreux forts et postes aux endroits stratégiques, ce jusqu’aux confins de l’Ouest Canadien, à des milliers de kilomètres des Grands Lacs. Chacun de ces postes contrôlait une zone productrice de fourrures, où vivaient des tribus d’Indiens alliés, qui les fournissaient en pelleteries. Ces bastions fortifiés surveillaient aussi étroitement toutes les voix de passage et permettaient d’intercepter les convois destinés aux comptoirs anglais.
Pour s’assurer de leur fidélité et de leur loyauté, comme le fit Champlain à son époque, La Vérendrye n’hésita pas à leur prêter assistance dans leurs conflits personnels, veillant toutefois à ce que ces luttes ne dégénèrent pas en guerre ouverte, très nuisible pour le commerce. Il recevait fréquemment dans ses forts les chefs de tribu amérindiens, auxquels il faisait de magnifiques présents (fusils, munitions,…), ce qui permet ainsi de conserver leur amitié et leur éviter toute tentation de se tourner vers les Britanniques. Toutefois, accaparé par sa politique indigène, gêné aussi par les difficultés matérielles qui ne faisaient que s’accroître, La Vérendrye négligea de s’occuper très sérieusement de la découverte de sa « mer de l’Ouest ».
Rappelé à l’ordre par le gouvernement de Paris, ce furent ses fils qui, au final, reprirent son œuvre inachevée. Aussi bons explorateurs que leur père, ils franchirent les plaines du Dakota méridional, et parvinrent ainsi jusqu’au pied des Montagnes Rocheuses, mais ne poussèrent pas plus avant. Il faudra attendre encore un demi-siècle pour qu’une autre expédition, américaine cette fois-ci, parviennent à traverser les Rocheuses et atteignent enfin ces rives tant rêvées du Pacifique (expédition des célèbres Lewis et Clark). Mais ceci est une autre histoire… 😉
Pour aller plus loin… 🔎🌎
Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog consacré à l’histoire des mythiques coureurs des bois et plus globalement aux pionniers franco-canadiens de l’exploration du Grand Ouest américain, est en fait extrait de mes deux grandes séries consacrées respectivement à l’épopée de la Nouvelle-France et à la guerre de Sept Ans. Si l’histoire du Canada français et plus globalement celle des empires coloniaux et du « grand XVIIIe siècle » vous intéressent (ce fut en effet une période charnière de l’Histoire moderne), je vous oriente ainsi vers la découverte de ces deux riches séries documentaires.
La première, de l’exploration du Canada à la cession de la Louisiane par Napoléon, des premiers comptoirs de commerce à la colonie royale, des alliances amérindiennes au grand conflit final avec l’Angleterre et ses colonies américaines voisines (et au travers de multiples et superbes cartes et illustrations), vous emmènera ainsi à la découverte de l’ancienne Amérique française, à l’histoire aussi épique que riche d’enseignements !
Et la seconde (consacrée à la guerre de Sept Ans) pour découvrir en profondeur l’histoire de cet immense conflit, considéré par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire. Un conflit qui débutera (et se propagera) en effet dans l’ensemble des empires coloniaux du monde, lui conférant ainsi une dimension planétaire et maritime inédite. Une guerre constituant en outre le plus grand choc de l’intense conflit global qui opposera tout au long du XVIIIe siècle la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde ; une suite ininterrompue de conflits, de Louis XIV à Waterloo, d’ailleurs qualifié de « Seconde guerre de Cent Ans » par certains historiens. Une passionnante série d’articles en forme de grande fresque historique, qui vous portera ainsi des Grandes Découvertes à la chute du Canada et des Indes françaises, et de la fondation des grandes empires coloniaux européens outremers et de la naissance de la mondialisation maritime et de la globalisation économique à l’émergence du capitalisme, du libéralisme et plus globalement d’un nouvel ordre mondial caractérisé par l’hégémonie planétaire britannique (sur les plans maritime, colonial, économique, culturel, géopolitique, etc.). Une grande série qui vous amènera aussi à mieux comprendre tant les racines de la guerre d’Indépendance américaine que celles de la Révolution française et des guerres napoléoniennes ; autant d’événements qui structureront décisivement notre monde contemporain !
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Une carte pour partir sur les traces de la Nouvelle-France…
Pour les curieux et passionnés d’Histoire et de patrimoine et qui souhaiteraient partir à la découverte de la mémoire de trois siècles de présence française en Amérique du Nord, je vous renvoie vers la riche carte que j’ai développée sur le sujet. Sur cette chouette carte en ligne, figurent en effet près d’une centaine de lieux liés aux temps de la Nouvelle-France et à l’héritage architectural et culturel laissés par les Français dans les actuels Canada et États-Unis (anciens forts, citadelles, postes de traite, musées, mémoriaux liés à la déportation des Acadiens, sites de bataille, habitations des gouverneurs de la Nouvelle-France, etc.), ainsi qu’un certain nombre de lieux en France liés aux figures de l’exploration et de la fondation de la Nation Canadienne francophone (maison, sépulture et statues de Jacques Cartier dans la région de Saint-Malo, monuments de commémoration à Samuel de Champlain à Honfleur, mémorial des Acadiens de Nantes, etc.). Autant de lieux qui vous permettront ainsi d’arpenter les traces et les mémoires de la Nouvelle-France « sur le terrain » et d’en apprendre davantage sur ces différents grands et petits lieux et personnages ayant participé à l’écriture de l’histoire de l’Amérique française, dont l’héritage est encore bien vivant aujourd’hui, tant au Québec qu’en Louisiane… !
À noter que cette carte en ligne s’inscrit plus globalement dans la carte générale du blog, que j’ai développée sur l’application française Mapstr. Une riche « bibliothèque cartographique » comptant actuellement plus de 6.000 adresses de lieux de patrimoine (naturel, architectural, culturel,…) remarquables, à découvrir partout en France et dans le monde ! Une carte que je réserve évidemment aux abonnés du site étant donné le travail monstrueux qu’elle m’a représenté (et qu’elle représente toujours car je l’enrichis continuellement !), et que je présente dans cet autre article du blog, pour celles et ceux que cela intéresse (et qui souhaiteraient donc bénéficier des adresses liées à l’histoire de la Nouvelle-France et du Canada français !).
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Et sinon, pour les intéressés et autres curieux, vous pouvez prendre connaissance de tous mes articles, (photo)reportages, récits de voyage, documentations et cartes liés plus globalement à l’histoire, à la géographie ainsi qu’au patrimoine (naturel, architectural, culturel,…) de la France (de l’Antiquité à nos jours), en consultant mes rubriques respectivement dédiées à ces deux domaines – notamment sa riche cartothèque (accessibles ici : catégorie « Histoire de France » et catégorie « Géographie de France »).
Et si d’autres sujets et thématiques vous intéressent, n’hésitez pas également à parcourir ci-dessous le détail général des grandes catégories et rubriques du site, dans lesquels vous retrouverez ainsi l’ensemble de mes articles et cartes classés par thématique. Bonne visite donc et à bientôt !
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