À la découverte de l’aqueduc gréco-romain de la cité parthénopéenne.. !
Fondée à proximité d’une ville plus ancienne d’origine étrusque, la colonie grecque de Neapolis (future Naples) deviendra vite une des plus grandes cités de la Grande Grèce (du nom sous lequel l’on désigne alors l’ensemble des colonies grecques de l’Italie antique, véritable prolongement du monde grec sur la botte italienne).
Cité portuaire tournée vers l’échange avec le monde méditerranéen et enrichie par le commerce, elle fera l’objet d’un agrandissement et embellissement continus sous la domination romaine, puis à nouveau à partir du bas Moyen-Age et durant la Renaissance italienne.
Capitale plusieurs siècles du royaume de Naples et plus grande ville de Campanie (région du sud-ouest de la botte italienne), elle dispose d’un ensemble de souterrains très important, riche témoin de l’histoire de la ville, comme je vous propose de le découvrir dans cette courte mais intense histoire itinérante. Bonne lecture !
L’aqueduc gréco-romain de Naples : un portail vers le riche passé de la ville
Novembre 2021. Nous sommes dans une des grandes rues du centre historique de Naples. En ces vacances de la Toussaint, la foule de vacanciers qui a envahi la ville est nombreuse pour venir visiter les fameux souterrains de Naples. Nous patientons dans la longue file et réservons nos billets pour la seule visite en français encore disponible, en fin d’après-midi.
Une architecture ancienne, agrémentée d’un beau visage en pierre, nous rappelle si nécessaire que nous allons pénétrer dans une infrastructure doublement millénaire de la ville. Nous descendons avec le groupe un long escalier avant d’arriver dans une vaste pièce cubique creusée à même la roche, dans un environnement humide, illuminé par un éclairage moderne. La visite commence.
Neapolis, une des plus grandes colonies de la « Grande Grèce »
Neapolis (la « ville nouvelle ») est fondée par les grecs au Ve siècle av. J.-C., à quelques kilomètres au-dessus de la cité préexistante nommée Parthepolis, d’origine Osque (un peuple de culture étrusque), située elle au bord de la mer, sur le site de l’actuel Castel Nuovo, sur une petite péninsule du golfe.
Cette colonie s’inscrit dans ce que les Grecs appelaient la « Grande Grèce » : c’est-à-dire l’ensemble de la péninsule italienne sous contrôle grec, via un ensemble de colonies-cités-Etats (à l’image des cités-mères dont elles sont issues en Grèce), fondées à partir du VIIIe siècle avant J.-C. Cette Grande Grèce constitue ainsi une sorte de proto-ensemble colonial, un prolongement du monde grec (considéré comme la « perle » de ses colonies), qui s’étend alors des rives de la mer noire jusqu’aux côtes du sud-est de la France (avec la colonie phocéenne de Massilia). Un espace de culture grecque qui sera bientôt disputé avec les puissances carthaginoises et romaines montantes.
Pour ériger la nouvelle cité, les Grecs vont avoir recours à de grandes carrières d’où la pierre de construction locale d’origine volcanique – le tuf – est extraite et remontée en masse par des esclaves. Ces carrières sont quasi-exclusivement souterraines : on creuse un puits, puis arrivé à une vingtaine/trentaine de mètres sous terre, on découpe de gros blocs de pierre qui sont remontés à la surface via les cheminées d’accès, à la force des bras de centaines d’esclaves..
Très rapidement, cette infrastructure de construction va également servir pour l’alimentation en eau potable de la ville, les carrières servant alors de gigantesques citernes où l’eau de pluie vient s’accumuler après sa traversée directe par les cheminées d’accès et indirecte via l’infiltration dans les sols. Les cheminées d’accès deviennent des puits publics (et parfois privés – certains riches napolitains disposant de leurs propres puits), directement utilisés par les habitants dans toute la ville.
Période romaine : les carrières-citernes deviennent un réseau structuré d’aqueducs
Lorsque la ville devient romaine, au cours du IVe siècle av. J.-C., les Romains (avec le génie bâtisseur et le haut niveau d’ingénierie pour l’époque qu’on leur connaît) réutilise cet existant pour le réaménagement du système d’eau potable de la cité.
S’appuyant sur les aménagements laissés par les Grecs, les Romains vont ainsi transformer cet ensemble inarticulé de carrières-citernes en un réseau d’eau structuré, via la construction d’un ensemble d’aqueducs souterrains, qui vont permettre de connecter les différentes citernes entres elles et d’en assurer un remplissage permanent en les alimentant au moyen d’une source captée dans les montagnes, à plusieurs dizaines de kilomètres de Naples.
Ces « aqueducs » souterrains, qui connectent les citernes entre elles, prennent la forme de tunnels de plusieurs mètres de haut et seulement une quarantaine de centimètres de large, aménagés avec une légère déclivité permettant l’écoulement constant de l’eau (nécessaire à sa bonne qualité de consommation).
Afin de maintenir également la bonne qualité de l’eau (directement puisée dans les citernes), ainsi que de l’infrastructure, l’aqueduc disposait d’une importante équipe de maintenance, et notamment d’un ensemble de « techniciens d’aqueduc », dont le travail consistait à nettoyer les tunnels et surtout les citernes de toutes les pollutions arrivant de la surface (des feuilles mortes aux déchets plus conséquents).
Ce réseau d’aqueducs souterrains a d’ailleurs été si bien conçu et entretenu, qu’il alimentera la ville en eau potable jusqu’à la fin du XIXe siècle. Période où le choléra qui commencera à s’y propager via les réseaux d’égouts construits au-dessus obligera alors à la construction d’un nouveau réseau ad hoc.
XXe siècle : la deuxième vie de l’aqueduc gréco-romain
Tombé en désuétude, et servant de déchetterie à partir de l’arrêt de son utilisation durant la seconde moitié du XIXe siècle, le réseau connaîtra une seconde (et même troisième) vie en étant réutilisé pour servir d’abris aux bombardements durant la Seconde guerre mondiale.
En 1943 en effet, après avoir débarqué et pris le contrôle de l’Afrique du Nord, les Alliés prennent pied en Sicile puis engagent la libération de l’Italie, où ils voient leur avancée, d’abord rapide, bloquée de longs mois par l’armée allemande, aux alentours de Naples. La ville va alors faire l’objet de campagnes de bombardements massifs, du fait de sa présence d’infrastructures stratégiques (grand port, aéroport, gares ferroviaires,…). Le centre historique de la ville, très dense et proche de l’infrastructure portuaire, va être tout particulièrement touché par les bombardements aériens massifs déployés par les Alliés. Pour protéger la population civile contre ces bombardements, le gouvernement napolitain va alors mobiliser les infrastructures souterraines de la commune, et notamment celles de l’ancien aqueduc gréco-romain.
Sa mobilisation va nécessiter un travail important, car des décennies de déchets de toutes sortes jetés par les Napolitains dans tous les anciens puits ouverts ont créé une couche de 6 mètres de débris au fond des citernes, impossibles à excaver rapidement. Prises par l’urgence, les autorités vont alors purement et simplement enterrer cette couche de déchets sous une couche de béton. Un tunnel d’accès (celui utilisé aujourd’hui par le visiteur pour descendre) est crée pour permettre à la population de descendre rapidement dans l’aqueduc (à l’époque, les Romains utilisaient des échelles !).
Les différents puits sont bouchés, du fait du risque qu’une bombe s’y glisse et y produise une terrible hécatombe supplémentaire. Pour l’anecdote, seul un puits ne sera pas bouché : celui de l’église Santa Maria (les Italiens, très croyants, pensaient en effet que l’édifice religieux serait épargné par les bombardements – ce qu’il sera effectivement.. !).
Lors de la visite, de nombreux vestiges de cette époque sont ainsi encore visibles : dalle de béton recouvrant uniformément le sol (contrastant avec la taille grossière des murs, encore recouverts de l’enduit isolant installé par les Romains), et quelques jouets d’enfants, précieusement gardés en mémoire du rôle de ce lieu où ont pu s’abriter pendant des semaines plusieurs milliers de napolitains (en fait jusqu’à que la population napolitaine, profondément antifasciste, ne se soulève et ne libère la ville juste avant l’arrivée des Américains, le 1er octobre 1943).
Au final, Naples aura été rasée à plus de 40% par les bombardements, principalement dans les quartiers centraux, à proximité des grandes infrastructures-cibles (le port et la gare).
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Visite-bonus : le théâtre de Néron
Inclus dans la visite à notre grand intérêt, s’ajoute à la découverte du souterrain celle également de l’ancien théâtre dit « de Néron » (du nom de l’empereur romain du Ier siècle ap. J.-C., célèbre pour sa folie et l’incendie de Rome qu’il aurait provoqué), situé à quelques dizaines de mètres de l’entrée de l’aqueduc gréco-romain.
Ce théâtre porte en effet aujourd’hui le nom de Néron car il a été construit à sa demande, afin qu’il puisse y jouer lui-même en amateur. Très versé dans les arts oratoires, l’empereur n’était en effet pas très « chaud » pour se produire directement à Rome devant les 15 000 spectateurs du grand théâtre officiel, c’est pourquoi il fit construire à Naples ce théâtre sur mesure.
L’anecdote raconte que lors de la représentation officielle de Néron, un séisme se produisit (ce qui est courant dans ces alentours du Vésuve avec l’activité volcanique). Les spectateurs présents se seraient gaussés de cette réaction affirmée de l’environnement comme réponse à sa jugée piètre prestation. Néron aurait répondu qu’il fallait y voir là au contraire l’applaudissement des dieux en hommage à sa performance..
Au-delà de l’anecdote plaisante, le caractère aujourd’hui hautement insolite de ce théâtre dans le paysage urbain napolitain, c’est que demeuré des siècles à l’abandon après la chute de l’Empire romain, ses ruines serviront directement de fondations aux immeubles du Moyen-Âge et de la Renaissance.
Si quelques vestiges de l’infrastructure initiale (notamment les couloirs par lesquels les comédiens montaient sur scène) demeurent aujourd’hui visibles depuis les caves (objet de cette petite visite-bonus), une autre est également visible avec un peu de hauteur, où l’emprise des constructions du Moyen-Âge laisse ainsi clairement entrevoir la trame en demi-cercle du théâtre (quelques gradins apparaissant même encore dans la cour de certains immeubles.. !).
À quelques mètres de là également, les assises de l’ancien temple de Jupiter (jugé païen au Moyen-Âge par la société très chrétienne de l’époque) seront de même « recyclées » pour la construction de la basilique de San Paolo, d’où apparaissent toujours sur le fronton les deux colonnes de l’ancien temple.
Pour aller plus loin… (à Naples, par exemple ?) 🏛💚🤍💗
Au-delà de cette chouette visite (qui constitue une véritable porte d’entrée pour la découverte de l’histoire de la ville), je ne peux que vous recommander, pour celles et ceux qui n’ont encore jamais eu l’occasion de la découvrir, l’idée d’un séjour dans la belle ville de Naples.
C’est une ville au charme tout méditerranéen et italien : très densément peuplée, vivante, colorée, chaleureuse. Son histoire (et en particulier son architecture) est riche de son glorieux passé : colonie grecque, grande cité romaine, grand lieu d’épanouissement de l’art baroque, plusieurs siècles capitale d’un puissant royaume… La nourriture y est généreuse et délicieuse (nous sommes notamment au royaume de la pizza !).
C’est aussi un excellent pied-à-terre pour visiter les célèbres cités antiques de Pompéi et d’Herculanum (à découvrir dans cet autre photoreportage), s’offrir une excursion sur les trois magnifiques îles du golfe de Naples (dont la célèbre Capri – mais je recommande plutôt la plus discrète et mignonne Procida.. !), ou encore pour aller faire le tour du cratère du Vésuve, ce volcan si présent et si étroitement lié à l’histoire de la ville (toujours aujourd’hui par le risque qu’il représente pour les 4 millions d’habitants vivant dangereusement à ses pieds..).
Il y a également la sublime côte amalfitaine, sur la péninsule sorrentine, à une heure de voiture de Naples : de superbes villages et paysages de cultures en terrasses, bâtis sur une côte déchiquetée de montagnes se jetant vertigineusement dans la mer. Un petit paradis de la rando et de la farniente.. !
En résumé, Naples et sa région concentre, sur un rayon d’à peine une trentaine de kilomètres, un foisonnement de patrimoines naturel, architectural et culturel remarquables – en somme, tous les ingrédients d’un beau voyage…
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En espérant que cet article vous aura plu (et peut-être suscité des envies.. !), je serai heureux de lire vos remarques, questions, suggestions et autres dans l’espace commentaire ci-dessous. Et je vous dis sinon à bientôt, pour une prochaine histoire itinérante !
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