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Aux origines de la guerre de Sept Ans (CHAPITRE III) : Succession d’Autriche et embrasement européen

La guerre de Sept Ans : voilà bien un sujet qui devrait plaire aux amateurs de géopolitique, d’économie mondiale et d’épopées militaires, de même qu’aux passionnés de la grande histoire de la marine à voile, ainsi que de l’époque où les fiers trois mâts dominaient encore les mers du monde (et plus exactement : tout cela étroitement imbriqué !).

À vrai dire, je n’avais pas du tout prévu d’écrire cet article. Mais comment pouvais-je véritablement vous raconter l’histoire de la guerre d’Indépendance américaine (mon dernier grand article engagé) sans vous avoir préalablement parlé de celle de la guerre de Sept Ans, cette première « guerre mondiale » de l’Histoire, qui coûta si cher à la France (notamment la quasi-intégralité de son premier empire colonial), traumatisa nombre des habitants de ses littoraux (nous verrons pourquoi), de même que ses marins – rudement malmenés et décimés par la Royal Navy. Également une guerre qui, plus globalement, humilia la France et ses gouvernements, y développa une profonde amertume, et y attisa même au sein de la population toute entière un certain désir de revanche.

En juin dernier, j’avais consacré un très important article à l’histoire de la Nouvelle-France, l’ancienne colonie française d’Amérique du Nord (dont le Canada francophone, ainsi que les noms français de nombreuses villes du centre des États-Unis, constituent aujourd’hui un lointain témoignage). Je vous y avais notamment raconté en détail la chute de cette colonie aussi immense que sous-peuplée, comparée notamment à ses voisines et rivales anglaises (que la Nouvelle-France avait pour propriété d’encercler). Colonies britanniques d’Amérique du Nord qui n’auront ainsi de cesse de faire précipiter l’inéluctable invasion de ces territoires par leur Métropole : une Angleterre plus que jalouse en effet de l’empire colonial naissant et du commerce mondial florissant de son bien-aimé voisin et rival d’Outre-Manche (une invasion et capture du Canada français connue par ailleurs chez les Québécois d’aujourd’hui sous le nom très évocateur de « guerre de la Conquête »).

Une autre grande fresque historique proposée sur le blog, à découvrir idéalement en amont du présent récit !

S’ils eurent évidemment leurs ressorts et leurs protagonistes propres (tout en étant en partie à l’origine de cette guerre), les affrontements entre Franco-Canadiens (et Amérindiens) et Britanniques en Nouvelle-France ne constituèrent toutefois – il faut bien l’avoir en tête – que quelques pions dans la vaste partie d’échecs planétaire qui opposera ainsi la France et l’Angleterre (et leurs alliés respectifs) durant près de huit longues années, sur l’ensemble du continent européen aussi bien que sur près de la moitié des mers du globe ! Une guerre de « Sept Ans » s’inscrivant elle-même, en outre, dans la continuité et conséquence directe de la précédente : la guerre dite de « Succession d’Autriche ». Guerre qui marqua quant à elle la fin de la « première Entente cordiale » entre nos chaleureux amis français et britannique (et plus exactement même l’ouverture de près d’un siècle d’hostilités et d’affrontements quasi-ininterrompus entre ces derniers – que de brillants historiens comme Jean Meyer se sont d’ailleurs plu à qualifier de « seconde guerre de Cent Ans » !).

Loin d’en être le terrain central, l’espace nord-américain ne fut en fait que l’un des théâtres d’une guerre qui se porta ainsi de l’Atlantique à l’océan Indien (en passant par les Antilles), de la Méditerranée aux côtes brésiliennes et africaines (et, continentalement, de l’Espagne à la Pologne actuelle). Un conflit de plus entre grandes puissances européennes (les fameux « Great Power » de l’époque) qui, s’il restera fortement et premièrement terrestre, atteindra également une dimension maritime inédite, de par l’intensité des enjeux et des frictions navales qui s’y manifesteront. Autant de dynamiques qui préfigureront d’ailleurs du grand rebattement des cartes et nouvel ordre mondial (caractérisé par la complète hégémonie maritime et coloniale britannique – connue ultérieurement sous le nom de « Pax Brittanica ») sur lequel déboucheront plus tard les guerres révolutionnaires et napoléoniennes.

Sept ans d’une guerre aussi méconnue que déterminante de l’histoire du Monde (et aux origines de tous les grands conflits du XVIIIe siècle qui lui succèderont), dont je vous propose ainsi d’explorer les événements et surtout les grands tenants et aboutissants dans cette conséquente série d’articles : une nouvelle grande fresque historique s’apparentant au nécessaire et passionnant liant entre l’histoire de la Nouvelle-France et celle de la future guerre d’Indépendance américaine (et plus largement l’un des épisodes centraux d’une vaste série du blog sur cette aussi méconnue que décisive Seconde guerre de Cent Ans). Bonne lecture !

Le sommaire complet de ce troisième chapitre de la série, dont l’accès intégral est réservé aux abonné(e)s du blog (alors abonnez-vous ou débloquez l’ensemble du contenu du site pour 1 mois pour seulement 5€, et soutenez ainsi mon travail et mon indépendance ! 🙏😉)

Cela va pas mal de soi, mais je recommande évidemment la lecture de cette série depuis son début ! 🙃

Dans le premier puis second chapitres, nous nous étions centrés sur la présentation développée de l’arrière-plan socioéconomique européen (ainsi que mondial) qui caractérise le tournant des années 1740. Une période marquée, pour rappel, par la prééminence croissante du monde colonial dans l’économie, le commerce et la géopolitique des grandes puissances européennes (et ce particulièrement en ce qui concerne la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne). Une croissance et rivalité (commerciale, coloniale, maritime,…) inédites à l’origine d’une sérieuse démultiplication et intensification des tensions internationales ; tensions qui commencent à augurer et même déjà à déboucher sur des conflits de grande envergure (comme nous l’avons vu notamment avec l’exemple de la guerre anglo-espagnole de l’oreille de Jenkins, qui éclate en 1739).

En ce milieu de XVIIIe siècle, un autre important terrain (et terreau) constitue également un espace de développement privilégié des conflits entre grandes puissances européennes : celui des questions de succession dynastique. Des problématiques il est vrai hautement récurrentes dans l’histoire de l’Europe moderne, et renvoyant invariablement aux grandes divergences (voire antagonismes) d’intérêts géopolitiques et géostratégiques qui traversent les puissances de l’époque (rivalités économiques, velléités territoriales, ambitions politiques,… et bien souvent un cocktail explosif de tout cela !).

Objet de ce troisième chapitre sur les origines de la guerre de Sept Ans, la guerre de Succession d’Autriche, qui embrase le continent européen de 1740 à 1748, en constitue à ce titre un exemple particulièrement frappant. Ce grand conflit impliquant la quasi-totalité des puissances européennes, et dont les racines sont profondément liées aux tensions géopolitiques du continent (mais qui atteindra également une dimension planétaire inédite – objet du quatrième chapitre), peut en effet être considéré comme le grand prélude, voire l’acte I de cette première « guerre mondiale » de l’Histoire que constituera la guerre de Sept Ans (1756-1763), qui lui succèdera à peine quelques années après (et à encore plus grande échelle). Bonne lecture !

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La guerre de Silésie : quand la Prusse embrase l’Europe

Décembre 1740, frontière austro-prussienne. De longue file d’hommes en uniforme noir, blanc et jaune traversent le fleuve. Des centaines. Des milliers. Voilà des semaines qu’ils sont massés là par le jeune Frédéric II le long de l’Oder, le grand fleuve polonais séparant les royaumes de Prusse et de Bohême. Sans la moindre déclaration de guerre, le tout jeune roi de Prusse (qui vient d’hériter du trône de son père, en même temps que de la redoutable armée bâtie par ce dernier) vient ainsi d’envahir la Silésie, la plus riche province de son puissant voisin et allié autrichien. Un véritable coup de poker géostratégique, qui par effet domino, s’apprête bientôt à embraser l’ensemble du continent européen..

En attendant, la percée est fulgurante. En à peine deux semaines, grâce à l’effet de surprise (ainsi qu’à une armée très en avance sur son temps), la petite Prusse de Frédéric II prend le contrôle d’un territoire représentant plus d’un million d’habitants (soit autant que sa propre population), en même temps que de la plus riche possession de la jeune Marie-Thérèse d’Autriche. Embourbée dans un épineux conflit dynastique, l’héritière de l’empire des Habsbourg n’avait pourtant vraiment pas besoin de ça…

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Vienne, octobre 1740 (soit deux mois avant l’invasion de la Silésie par la Prusse). La capitale impériale de la première puissance d’Europe centrale vient brusquement de se retrouver au centre de l’attention européenne. Le décès soudain de l’empereur Charles VI, mort sans descendance masculine, vient en effet de provoquer une grande instabilité dans le vaste échiquier du Saint-Empire romain germanique (entité politique complexe sur laquelle je reviendrai un peu plus loin). Partout, dans les capitales des différents royaumes composant l’Empire (et au-delà), on s’affaire, on intrigue, et l’on place ses pions.

L’équilibre européen est [au XVIIIe siècle] la notion fondamentale qui préside aux relations internationales. […] Cet équilibre est en particulier compromis à tout moment par les problèmes de succession, car les États monarchiques conservent encore un caractère archaïque d’États patrimoniaux. Et l’Europe dynastique sera, tout au long de la période, une source involontaire de conflits par suite de l’extinction de la famille régnante et des contestations apportées par les collatéraux aux règlements envisagés.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au xviiie siècle, 1993, pP. 16-18

À sa mort, faute de descendants mâles, l’empereur Charles ne présente en effet aucun héritier « naturel ». Bien au courant de ce problème à venir, l’archiduc d’Autriche avait pourtant organisé de longue date le principe de sa succession. En l’occurrence : qu’elle revienne à une femme, en la personne de l’une de ses filles – une première dans l’histoire du Saint-Empire (sur lequel sa famille des Habsbourg règne alors depuis près de 300 ans !). Une décision qui n’a cependant jamais vraiment été pleinement acceptée par ses différents électeurs (du nom donné aux dirigeants des différentes provinces et territoires composant cette étrange entité politique qu’est le Saint-Empire, et dont seul le collège réuni a le pouvoir d’élire son empereur). Et une situation qui s’apprête ainsi à transformer une classique querelle dynastique interne (comme l’Europe en compte alors cinq par siècles..) en un conflit européen de haute intensité.

Zoom sur : le Saint-Empire Romain Germanique (962-1806)

Arf, expliquer simplement et rapidement ce qu’était le Saint-Empire romain germanique, quelle punition pour en avoir parlé.. ! Nous pourrions commencer par rappeler les célèbres mots de Voltaire soulignant que le Saint-Empire n’était « ni romain, ni germanique, ni même un empire » .. mais sommes-nous guère plus avancé ? (encore que..)

Pour faire simple, le Saint-Empire était une sorte d’institution d’Europe centrale ayant existé entre 962 et 1806 (date de sa dissolution par Napoléon – nous y reviendrons), et ayant pris des formes diverses durant ses près de mille années d’existence. Ayant englobé des régions aussi variées que les Pays-Bas, l’Autriche, l’ouest de la Pologne, la Bohème, le Nord de l’Italie, et peu ou prou tous les territoires de l’Allemagne actuelle, le Saint-Empire n’en était pas pour autant un État ou même une fédération d’États. Nous pourrions davantage le voir comme un « club », quelque chose entre une fédération et une institution liant, au travers d’intérêts et accords politiques et militaires, tout un ensemble de petits à grands États du centre de l’Europe (situés globalement entre la France et la Pologne actuelles).

La fondation du Saint-Empire résulte plus ou moins directement de la partition du vaste Empire carolingien entre les trois fils de Charlemagne ; partition entérinée par le célèbre traité de Verdun de 843. On peut le voir comme la volonté de l’Église de redonner corps au principe d’existence d’un « Empire romain d’Occident », après l’effondrement de celui-ci au Ve siècle au moment des « Grandes Invasions ». Si Charlemagne avait déjà été sacré « Empereur » par le Pape en l’an 800 – rétablissant ainsi le principe d’un « Saint-Empereur romain d’Occident », les troubles que connaissent la partie occidentale de son ancien empire (la « Francie occidentale ») autorise le germain Otto Ier (roi de Francie orientale) à être couronné en 962 Saint-Empereur romain germanique par le Pape, fondant ainsi ce qui constituera durant près de 1 000 ans la plus importante monarchie d’Europe. Le Saint-Empire connaîtra son apogée au début du XIIe siècle, à l’époque de la dynastie Hohenstaufen (apogée territoriale correspondant à la carte observable ci-dessus, et où figurent également les territoires du royaume de Sicile).
Alphathon, via Wikimedia Commons)

Un petit article de la cartothèque du blog sur la partition de l’Empire carolingien, pour les intéressé(e)s !

Tous les différents États du Saint-Empire (qui en comptait des centaines et des centaines !) participaient à l’élection de leur « Empereur » (empereur dont le titre, certes prestigieux, ne s’accompagnait à vrai dire que de peu de pouvoirs réels – et était ainsi surtout honorifique).

En cas d’attaque de l’un de ses membres, chaque État demeurait libre de décider de sa contribution à la défense de l’Empire : envoi de troupes, concours financier,.. (voire aucun des deux), ce en vertu d’accords établis directement entre l’État concerné et la Couronne impériale. Car en effet – et c’est là toute la singularité de la chose sainte-impériale, les États du Saint-Empire demeuraient des États indépendants, qui décidaient de leur propre politique extérieure, adossée à leur propre organisation militaire, et selon leur propre système légal. Et force est de constater que ces énergies se virent historiquement moins orientées vers l’extérieur que vers l’intérieur-même du Saint-Empire, théâtre de nombreuses guerres au cours des siècles (et notamment de la grande guerre de Trente Ans, la plus terrible série de conflits armés des célèbres « guerres de religion » qui embrasèrent l’Europe du XVIIe siècle ; une guerre de Trente Ans d’ailleurs considérée comme la première « Der des Der » par ses contemporains).

Ce faisant, et malgré l’existence de 350 principautés allemandes au sein du Saint-Empire, il ne faut pas en tirer la conclusion pour autant que ce dernier ne constituait pas une réalité géopolitique avec laquelle il fallait compter au XVIIIe siècle. En effet, dans la mesure où la Diète du Saint-Empire (son organe politique central) a le droit de déclarer la guerre et de signer la paix, le Saint-Empire constitue un acteur central des relations internationales, et pèse toujours considérablement dans le jeu politique européen. Si la plupart de ses principautés (États membres – Autriche, Bavière, Saxe, Prusse, etc.) bénéficient de leur propres armées permanentes, l’Empire germanique dispose également de sa propre armée : l’armée des Cercles, composée de contingents fournis par les différents princes (généralement ceux des Petits États peu à même de se défendre par eux-mêmes). Le Saint-Empire dispose également d’une politique commune, portée par l’Empereur et représentée à l’étranger par ses différents résidents et ambassadeurs. Aussi ses différents États membres, s’ils gardent la latitude de pouvoir développer des politiques diplomatiques autonomes (comme les y autorisent les traités de Westphalie), doivent-ils s’inscrire en conformité avec cette dernière, au risque de voir leurs dirigeants mis au ban de l’Empire (une déclaration de guerre officielle de la Diète par exemple, oblige les princes concernés à rompre avec la puissance étrangère devenue l’ennemi commun, sous peine d’exil et de spoliation de leurs biens patrimoniaux).

Ratisbonne [le siège de la Diète du Saint-Empire, NDLR] demeure un haut lieu de la diplomatie et de l’espionnage européens et la France ne manque d’y accréditer un représentant, souvent un diplomate talentueux. […] Le gouvernement français ne se contentait d’ailleurs pas d’envoyer des représentants à Vienne, auprès de l’Empereur […] et à Ratisbonne auprès de la diète germanique, il se faisait représenter dans la plupart des capitales allemandes.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, 1993, pp. 34-35

Je renvoie les intéressé(e)s de davantage d’informations sur la guerre de Trente Ans et son histoire vers, une fois n’est pas coutume, la remarquable chaîne Sur le champ et son excellent épisode sur le sujet !

Bien que constitué en premier lieu de centaines de petits États allemands, l’histoire contemporaine du Saint-Empire a beaucoup à voir avec celle de l’Autriche et des Habsbourg. Cette grande maison souveraine originaire de l’actuelle Suisse allemande (et qui règne depuis la fin du XIIIe siècle sur le puissant duché autrichien), est en effet connue pour son arrivée à la tête du Saint-Empire en 1452 – date à partir de laquelle la lignée des archiducs d’Autriche occupera ensuite continuellement le statut d’empereur de la superstructure européenne.

Cette grande famille habsbourgeoise (à laquelle nous consacrerons un encadré propre un peu plus loin), en plus de ses autres possessions européennes, règnera durant près de quatre siècles sur le Saint-Empire ; période où elle aura à gouverner (et à survivre) à tout un ensemble de grands événements sociaux et politiques qui affecteront structurellement l’Empire germanique (Peste noire et la crise démographique et économique considérable qu’elle génèrera dans l’Europe entière, Réforme et naissance du protestantisme, guerres de religion, naissance du capitalisme dans les cités hanséatiques et de l’Italie du Nord,…).

Si ces événements se traduiront par des dizaines de réformes qui amélioreront substantiellement son organisation, le Saint-Empire du XVIIIe siècle, malgré ses presque 30 millions d’habitants (faisant de lui la première puissance démographique d’Europe), demeure une mosaïque d’États morcelés, peu lisible, et traversée par de profondes rivalités, toujours plus prégnantes au fil des siècles (particulièrement entre les grandes puissances continentales et régionales qui le composent – Autriche, Bavière, Saxe, Prusse, Hanovre,…).

Carte du Saint-Empire romain germanique à la veille de la Révolution française de 1789
Le manque d’unité et de cohésion du Saint-Empire (bien visible sur cette géographie de l’institution à la veille de la Révolution française de 1789) ont toujours rendu celui-ci extrêmement vulnérable aux invasions étrangères (particulièrement du grand voisin et rival français..).
ziegelbrenner, via Wikimedia Commons)

Malgré sa formidable puissance (démographique, politique, économique), le Saint-Empire demeure ainsi un tigre de papier, totalement inéquipé pour faire face à une attaque directe. Et effectivement, le Saint-Empire ne résistera pas à l’expansionnisme d’une France républicaine puis impériale dirigée par un certain Napoléon Bonaparte. Consul puis Empereur des Français qui infligera ainsi à l’Empereur autrichien (dans le cadre des guerres de Coalitions) une série de grandes défaites au début des années 1800, avant d’appeler à une dissolution pure et simple du Saint-Empire – acceptée par l’Autriche et effective en 1806.

Bien qu’imposée par la France de Napoléon (et résonnant comme une grande révolution géopolitique dans l’Europe d’alors), la dissolution de l’institution européenne millénaire constitua probablement également une forme de soulagement pour l’Autriche – qui ne voyait plus de toute façon comment défendre cet imposant magma étatique. Délivré de la contrainte sainte-impériale, l’archiduc Francis Ier devient ainsi en 1806 l’empereur d’une Autriche désormais pleinement indépendante, et qui figurera jusqu’au bout l’un parmi les plus irréductibles ennemis des ambitions napoléoniennes (contre lesquelles elle jettera toute ses forces).


Cette parenthèse sainte-impériale effectuée (et la nature de celui-ci maintenant un peu mieux cernée), revenons à notre question de la succession autrichienne, et au complexe problème géopolitique et dynastique que celle-ci pose à l’Europe de 1740 (par les enjeux et tensions qu’elle réveille…).

Il faut pourtant reconnaître à Charles VI d’avoir depuis longtemps anticipé la problématique de sa succession. Depuis des années, au travers d’un ensemble de dispositions législatives et diplomatiques (notamment la célèbre « Pragmatique Sanction » de 1713), l’empereur s’était en effet activement affairé à faire accepter aux différentes royaumes composant son empire (de même qu’aux autres grandes puissances européennes) le principe d’une succession féminine à son trône (en l’occurrence de l’une de ses deux filles – Marie-Thérèse ou Marie-Amélie). Durant plus de deux décennies, c’est même pour ainsi dire l’ensemble de la politique intérieure et extérieure du défunt Charles qui semble avoir été dictée par l’impératif de garantir à ses filles non seulement l’héritage des vastes possessions familiales des Habsbourg (Autriche, Bohème, Hongrie, Pays-Bas autrichiens,…), mais également de l’ensemble des titres et pouvoirs (considérables !) que lui conféraient l’élection à la tête du Saint-Empire Romain Germanique.

NOTA BENE : LA PRAGMATIQUE SANCTION

C’est sous ce nom que l’Histoire retient le décret publié en 1713 par le Saint-Empereur romain germanique Charles VI, garantissant que les possessions héréditaires des Habsbourg (qui comprenaient alors l’archiduché d’Autriche, le royaume de Hongrie, le Royaume de Croatie, le Royaume de Bohême, le Duché de Milan, le royaume de Naples, le royaume de Sardaigne et les Pays-Bas autrichiens) puissent être héritées de façon une et indivisible par une de ses filles.

Ce décret vise alors en effet à anticiper la résolution d’un double problème futur (et aux répercussions géopolitiques capitales). D’abord, celui de l’absence de fils de Charles comme de son frère Joseph (mort deux années plus tôt, et auquel il a succédé), qui laisse cette branche des Habsbourg sans aucun héritier mâle. Situation ainsi hautement problématique dans un contexte où l’héritage féminin est exclue des institutions impériales par la Loi salique (une loi de succession héritée des Francs mérovingiens et alors en vigueur dans la quasi-totalité des grandes monarchies européennes, à l’exception notable de la Grande-Bretagne).

C’est d’ailleurs justement ce premier (gros) problème qu’un pacte secret entre Joseph et Charles était venu prémunir : en 1703, les deux frères s’accordent sur le principe d’une succession féminine à l’Empire Habsbourg (en l’occurrence, celle de la fille aînée de Joseph, Marie-Joseph). Mais c’est aussi précisément cet accord qui pose ensuite problème à son frère et successeur Charles, car celui-ci prévoit la prééminence de ses nièces à la succession autrichienne, au détriment de ses propres filles.

Par un amendement secret au pacte conclu avec son frère dix ans plus tôt (et officiellement établi ensuite au travers de la ratification impériale de la Pragmatique Sanction), Charles replace ainsi ses filles (et en premier lieu son aînée, Marie-Thérèse) à la tête de liste de la succession autrichienne, et fixe avec elle l’héritage de l’ensemble des possessions patrimoniales des Habsbourg. Le reste de son règne sera ainsi consacré à garantir le principe de la succession de sa fille au lieu et place de ses deux nièces, mais également des prétendants concurrents émanant des autres grandes puissances composant le Saint-Empire. Tout particulièrement les royaumes de Saxe et de Bavière, qui n’ont jamais vraiment accepté le principe de la succession féminine, et qui ont ainsi obtenu de la France de Louis XV en 1738 (alors même que cette dernière avait fini par ratifier la Pragmatique Sanction trois ans plus tôt) le soutien officieux du roi de Bavière à la candidature impériale à la mort de Charles. Les cartes sont désormais en place..


Malheureusement pour ses filles, comme vient de l’illustrer ce rapprochement entre certains de ses électeurs et la France, Charles n’a pas assez compté en effet avec les intenses tensions et rivalités qui traversent son immense empire, tout particulièrement les royaumes de Saxe, de Prusse et de Bavière. Autant de puissances montantes face à la domination autrichienne, et qui n’entendent pas laisser la jeune Marie-Thérèse d’Autriche (la fille aînée de Charles) prendre ainsi place à la tête du Saint-Empire.

Toutefois, comme Charles ou la jeune Marie-Thérèse ne l’aurait peut-être jamais soupçonné, ce n’est pas des monarques (et candidats) concurrents de la Bavière ou de la Saxe, mais de la petite Prusse que vient finalement la grande agression. Pourquoi Frédéric II, considéré par Marie-Thérèse comme l’un de ses plus fidèles alliés, envahit-il donc son puissant (et géant) voisin, prenant ainsi tous les risques ?

Pour comprendre les ressorts de cette invasion, qui marque le coup d’envoi d’un conflit européen (et bientôt planétaire) parmi les plus importants du XVIIIe siècle (et qui s’apprête à porter la guerre de la Pologne à l’Allemagne, et de l’Italie aux Pays-Bas), il nous faut revenir, une fois n’est pas coutume, dans les dessous de la géopolitique européenne de l’époque, et dans le détail des intérêts géostratégiques intensément antagonistes qui traversent les grandes puissances continentales de l’Europe de 1740.

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Derrière la Succession d’Autriche, le « House of Cards » de la géopolitique européenne

Si d’aucun parmi vous sont adeptes de Game of Thrones ou de la série House of Cards, ce qui va suivre devrait vous plaire.

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… Fin du Chapitre III …

Pour patienter : le troisième chapitre de ma série sur l’histoire de la Nouvelle-France, centrée sur celle de la « guerre de la Conquête » (qui correspond globalement au théâtre nord-américain de la guerre de Sept Ans)

Dans le quatrième et dernier chapitre de cette grande série préliminaire, je vous plongerai dans la dimension planétaire et maritime de la guerre de Succession d’Autriche. Partie du continent, ce conflit entre grandes puissances européennes s’étendra, pour les concernées, à l’ensemble de leurs colonies d’outremer (particulièrement aux Amériques et aux Indes). Espaces coloniaux qui seront ainsi le théâtre d’un affrontement sans précédent entre puissances mondiales, en particulier entre l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne, esquissant déjà le grand choc que constituera la guerre de Sept Ans, à peine une décennie après le conflit de Succession d’Autriche (qui peut être vu comme une simple armistice…).

Une guerre de Sept Ans qui se traduira par un affrontement naval inédit dans l’Histoire, et qui verra notamment la France et la Grande-Bretagne (ainsi que l’Espagne) s’affronter sur trois grands théâtres (l’espace nord-américain et les Antilles, l’Europe et la Méditerranée, et l’océan Indien, les Indes et le Pacifique), représentant la quasi-totalité des mers du globe.

Une guerre désastreuse pour la France, qui après quelques années de résistance, finira en effet totalement dépassée par la toute puissance maritime du Royaume-Uni. Une France qui enregistrera ainsi durant les dernières années du conflit désastre sur désastre sur terre et mer, de lourdes défaites qui lui coûteront son premier empire colonial, et nourriront au sein du Gouvernement ainsi que de la population française un profond désir de revanche.

Revanche qui se matérialisera notamment au travers de l’engagement de la France dans la guerre d’Indépendance américaine deux décennies plus tard. Un nouveau conflit contre la Couronne britannique dont la France sortira finalement victorieuse mais financièrement exsangue, l’affront de la guerre de Sept Ans ayant ainsi été lavé (mais à quel prix ?).

La première partie de mon histoire de l’implication de la France dans la guerre d’Indépendance américaine, à lire également en complément, pour les intéressé(e)s !

À très bientôt pour la suite ! 😉


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