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Il était une fois : les Européens à la conquête du (Nouveau) Monde

En ce début de XVIe siècle, le monde est entré dans une nouvelle ère. Longtemps centrée sur son seul continent et la Méditerranée, la vieille Europe a en effet traversé les mers, et est désormais présente (et en situation de domination) dans le monde entier. Ce n’est, certes, pas la première fois de l’histoire de l’Humanité que la Planète connaît des dynamiques de « mondialisation ». Mais celle-ci dépasse toutefois en intensité toutes les précédentes, et s’est opérée à une vitesse rarement atteinte dans l’Histoire.

Voyez plutôt : en l’espace de seulement deux siècles, les Européens ont établi des colonies du bout de l’Amérique du Sud au Grand Nord canadien, et des côtes de l’Afrique aux lointaines îles du Pacifique. Les Antilles sont désormais propriété européenne, et l’une de leurs plus grandes sources de richesses. L’Afrique constitue un réservoir de main d’œuvre servile, et une étape sur la route des Indes. Longtemps sous influence arabe, l’océan Indien est devenu une mer européenne, et ses côtes et ses îles sont bordés de comptoirs et de ports au main de grandes compagnies marchandes ; autant de relais du florissant et lucratif commerce des épices et de ces produits de luxe (soie, porcelaine,…) dont sont alors friandes toutes les élites urbaines de la vieille Europe. En plus du coton, les Amériques produisent le café, le tabac et le sucre qui trônent désormais à tout bonne table qui se respecte, et qui font la fortune des marchands du Vieux Continent.

Comment l’Europe s’est-elle ainsi établie sur tous les continents et mers du globe ? C’est ce que je me propose de vous raconter dans cet article, qui nous portera de l’ère des célèbres « Grandes Découvertes » à l’explosion du commerce international et de l’activité maritime qui marque le tournant du XVIIIe siècle (moment où éclateront alors de grandes guerres d’envergure planétaire pour la domination du monde colonial). Bonne lecture !


La quête des épices : quand les Portugais puis les Espagnols prennent la mer

Ce sont d’abord les Portugais, qui dès le début du XVe siècle, ont exploré toujours plus loin la côte ouest de l’Afrique, s’appuyant largement sur les anciennes cartes et récits des grandes civilisations maritimes européennes qui, longtemps avant eux, avaient déjà poussé loin sous ces latitudes (notamment les Phéniciens et les Carthaginois). En cette période où l’Empire ottoman contrôle l’ensemble du Proche et Moyen-Orient (et donc les grandes routes terrestres vers l’Asie – notamment l’antique route de la Soie), les navigateurs et marchands de la vieille Europe cherchent en effet à court-circuiter la « Sublime Porte », en trouvant par la mer de nouvelles routes directes vers les Indes et la Chine, et leurs précieuses épices. D’abord par l’Est, en contournant l’Afrique, afin de venir concurrencer sur place les marchands arabes (qui opèrent depuis des siècles entre la mer Rouge et l’océan Indien). Et puis il y a la route de l’Ouest…

Cette route de l’Ouest vers les Indes, on la sait théoriquement possible – et même certaine – du fait du grand développement récent des connaissances (et instruments) géographiques et astronomiques, grâce auxquelles le caractère sphérique de la Terre en particulier est désormais bien établi. Les grands navigateurs européens de l’époque (notamment Colomb) ont également remis la main sur d’anciennes cartes et textes de l’Antiquité et des marins vikings. Vikings qui avaient déjà, près de 600 ans auparavant, explorés (et même colonisés) les côtes d’un continent nouveau situé de l’autre côté du vaste Atlantique. Cela sans même parler des pêcheurs basques, normands et bretons qui, depuis la fin du XIVe siècle, fréquentaient déjà les Grands Bancs de Terre-Neuve, et rapportaient de l’autre côté de l’océan les poissons qui y abondent (tout particulièrement la morue).

Un peu avant l’an Mil, après avoir colonisé l’Islande, des Vikings (menés par le célèbre Erik le Rouge) s’établissent au Groënland (dont le climat était bien plus doux à l’époque qu’aujourd’hui), où leurs colonies s’épanouiront durant plusieurs siècles.

Depuis leurs établissements du Groenland, grâce à leurs langskip, des Scandinaves s’aventurent jusqu’à l’actuelle Terre-Neuve, y fondant même une petite colonie (rapidement décimée). Durant les siècles qui suivront, les Vikings mèneront de nombreuses expéditions sur les côtes nord-américaines, en particulier pour la chasse et y charger du bois. Les innombrables renseignements sur les routes, les mers occidentales et les terres qu’ils auraient découvertes, précieusement conservés par leurs descendants, auraient ainsi étroitement servi au voyage de Christophe Colomb (dont certaines sources mentionnent un passage du génois en Islande avant son expédition… !).

Une excellente petite web-série du copain Damien d’EnQuête d’Histoire autour de cette question qui mérite davantage de développements que ne le proposent nos manuels scolaires : qui a vraiment découvert l’Amérique ? Réponses, pistes et indices dans cette riche série de 4 vidéos ! 😉

Faute d’avoir convaincu la Couronne portugaise de son projet d’exploration d’une nouvelle route vers les Indes par l’Ouest, c’est vers sa grande voisine ibérique, celle du royaume de Castille, que le génois Christophe Colomb offre ses services, et présente son ambitieux et audacieux projet d’expédition à travers l’Atlantique. Désireuse de se tailler sa part du gâteau des prometteuses richesses du « Nouveau Monde » (Mundus Novus), et soucieuse de trouver une alternative sérieuse à son concurrent portugais (qui contrôle déjà la route de l’Est), la Couronne espagnole se décide à soutenir et financer l’expédition de Colomb – qui lève l’ancre de Palos et fait voile vers l’Ouest le 3 août 1492.

Heureuse décision, qui en la personne de Christophe Colomb, permet en effet à Isabelle la Catholique et à la couronne de Castille de prendre possession en leur nom des nouvelles terres découvertes par l’explorateur italien dans les Caraïbes et en Amérique centrale ; ces bientôt fameuses et si fructueuses « Indes occidentales » qui deviendront notamment le berceau de la Nouvelle-Espagne.

La première ère de la grande période de conquête coloniale européenne sera avant tout espagnole et portugaise.

Sirènes coloniales généralisées et fondation des grands empires européens outremers

Pour les intéressés du début de l’histoire des Grandes Découvertes (dominée par l’Espagne et surtout par le Portugal), je vous renvoie vers cet excellent épisode de la chaîne L’Instant Histoire. Une vidéo permettant de bien comprendre pourquoi et comment un petit pays d’à peine un million d’habitants partit à la conquête des mers et se constitua, en seulement un siècle, un immense empire colonial – considéré comme le premier empire à dimension mondiale de l’Histoire !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la découverte ne laisse pas de marbre les autres grandes nations européennes. Rapidement, ces autres importantes puissances maritimes que sont déjà la Hollande et l’Angleterre, se lancent à leur tour dans l’exploration des mers et de nouvelles terres, finalement suivie par la France – partie bonne dernière dans l’aventure coloniale. Si le premier tour du monde est portugais (Magellan) et la première Amérique espagnole, la Hollande et l’Angleterre rattrapent vite leur retard dans la course à la conquête du Nouveau Monde : les Hollandais s’établissent dans ce que l’on appellera les Indes néerlandaises (actuelle Indonésie) et prennent le contrôle du stratégique détroit du Siam (le grand point de passage de l’Inde à la Chine), tandis que les Anglais réalisent les deuxième et troisième circumnavigations (tours du monde) de l’Histoire – bientôt suivis par les mêmes Hollandais.

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En aparté : une « mondialisation » déjà ancienne

Le phénomène de « mondialisation » que connaît le monde durant l’ère des Grandes Découvertes (entendu comme un processus de grand développement des échanges – économiques, culturels, de population, etc. – à l’échelle planétaire) ne constitue pas une première dans la longue histoire de l’Humanité. Dès le IIe millénaire av. J.-C. en effet, une vaste zone commerciale reliait déjà les civilisations de l’Indus (sous-continent indien) au monde minoen (Crète et Grèce antiques), via les cités du célèbre Croissant fertile (Mésopotamie et Égypte antiques). Un phénomène qui, loin de péricliter, s’amplifiera même le millénaire suivant, avec la fondation de l’Empire perse, puis l’extension de la domination des Grecs sur la Méditerranée et le Proche-Orient antiques (on parle d’ailleurs alors de « mondialisation hellénistique » !).

Au milieu de l’Antiquité, déjà, la Planète enregistre ainsi des processus de mondialisation partageant de nombreux traits communs avec ceux que le monde connaîtra près de 2 000 ans plus tard durant la période des Grandes Découvertes : brassage des populations (avec des Grecs allant par exemple s’établir, suite aux conquêtes d’Alexandre le Grand, jusqu’aux actuels confins de l’Afghanistan !), constitution d’une culture mondiale (avec une culture grecque tendant à s’imposer comme la culture universelle, et que tous les non-Grecs s’efforcent alors peu ou prou d’acquérir), intensification et mondialisation des échanges (avec la mise en place d’une proto-économie « mondialisée », qui voit notamment des Grecs installés en Inde confectionner des bouddhas qui seront exportés jusqu’au… Japon !), multilatéralisme (via la constitution d’États plus ou moins égaux par leur taille et par leur force). Autant de dynamiques qui vont ainsi générer une certaine émulation culturelle et de nombreuses innovations techniques, et notamment une grande profusion de découvertes scientifiques (en particulier des mathématiciens grecs au sein de villes comme Syracuse – offrant un rythme de découvertes que le monde ne connaîtra pas à nouveau avant la Renaissance en Europe !).

Durant tout le Moyen-Âge, en plus de l’Europe, de grands réseaux commerciaux continuent par ailleurs d’unir des régions extrêmement éloignées de la Planète : citons notamment la célèbre « route de la Soie », qui reliait continentalement la Chine à l’Europe à travers l’Eurasie ; un réseau terrestre vieux de plusieurs millénaires par lequel se propageront d’ailleurs historiquement de nombreuses connaissances et innovations (papier, pâtes, boussole, poudre à canon,…). Il y a aussi, sur le plan terrestre, le réseau transsaharien : une grande zone commerciale sous domination arabe via laquelle métaux précieux (or, argent,…) et esclaves transitent des régions de l’Afrique de l’Ouest vers le cœur du monde arabo-musulman (des routes commerciales qui joueront par ailleurs un rôle central dans l’islamisation de l’Afrique). Un monde arabe, également, ouvert et connecté sur le plan maritime avec l’Extrême-Orient via l’océan Indien, alors espace d’épanouissement d’un vaste réseau marchand, centré sur le commerce des épices (poivre, cannelle, clou de girofle, muscade, gingembre,…).

Les grandes routes et réseaux commerciaux au Moyen-Âge
Loin de l’idée d’une période obscure et fermée sur elle-même, le Moyen-Âge, dans la continuité de la période antique, est caractérisé par l’existence de nombreux échanges transcontinentaux entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, comme en témoigne cette magnifique carte des routes et réseaux commerciaux au milieu du Moyen-Âge (carte où l’on peut notamment remarquablement observer – parmi mille détails – la célèbre « Route de la soie » en violet !).

C’est d’ailleurs précisément (parmi de multiples autres facteurs) le monopole du monde arabe sur les voies de commerce avec l’Orient (et l’Afrique), qui va pousser un certain nombre de grandes puissances navales européennes à l’exploration et la découverte de nouvelles routes maritimes. Jusqu’ici, les Européens se contentaient en effet globalement d’acheter à prix d’or les épices importés et transportés d’Asie par les riches marchands arabes (par l’intermédiaire des grandes républiques maritimes italiennes de Gênes et de Venise, qui s’étaient faites ainsi la spécialité de ce juteux commerce en Méditerranée). Une situation que quelques puissants États et audacieux navigateurs s’apprêtent néanmoins à totalement bouleverser…

Lieu d'origine de plusieurs grandes épices
Très appréciées et recherchées au sein de l’Europe médiévale, les épices (et l’accès direct à leur commerce) constitueront l’un des principaux moteurs de l’exploration maritime européenne, tout particulièrement des Portugais, qui seront les premiers à atteindre les régions que l’on appellera ensuite les « Indes orientales » (sous-continent indien, péninsule indochinoise et Indonésie) et à y établir un premier réseau de comptoirs commerciaux via les côtes africaines. Les Espagnols, seconds grands acteurs de la première vague d’exploration maritime européenne, chercheront quant à eux à trouver de nouvelles routes vers les Indes et ses épices par l’Ouest, et y découvriront finalement l’Amérique (et bien d’autres richesses imprévues…) !

La colonisation du (Nouveau) Monde

Mais encore davantage que l’Afrique et l’Asie, ce sont les Amériques qui suscitent le plus d’intérêt et de convoitise des grandes puissances maritimes européennes. En Amérique du Nord, les Anglais ont la bonne idée de s’installer sur les côtes tempérées et fertiles de l’actuelle façade Atlantique des États-Unis, et y fondent les colonies de Virginie, de Caroline et de Nouvelle-Angleterre (Massachussetts, Connecticut, etc.). Les Hollandais s’établissent quant à eux entre ces dernières, dans ce qui deviendra la Nouvelle-Amsterdam (l’actuelle région de New York – dont le futur site fut d’ailleurs exploré pour la première fois par un florentin, pour le compte de la… France !). Le reste du continent (Amériques Centrale et du Sud) se partage entre Espagnols et Portugais, selon une frontière bien connue, instituée dès le début du XVIe siècle au niveau de l’actuel Brésil par le célèbre traité de Tordesillas.

Longtemps restée à la traîne de la dynamique exploratrice et colonisatrice, la France de François Ier finit elle aussi par rejoindre le mouvement général : suivant les routes de leurs prédécesseurs, les Français partent à leur tour explorer les côtes de l’Afrique et surtout de l’Amérique du Nord, se concentrant particulièrement sur l’île de Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent (régions de l’actuel Canada). C’est dans ces régions (au climat bien plus rude que celui de la Métropole) que le royaume de France établit – après de nombreuses tentatives infructueuses – ses premières grandes colonies outremer : celles de l’Acadie (actuelle Nouvelle-Écosse), et surtout celles de la vallée du Saint-Laurent, berceau du Québec et du futur Canada français.

Pour les intéressé(e)s de l’histoire de l’ancienne colonie française d’Amérique du Nord : cette autre série du blog en trois volets sur la grande épopée de la Nouvelle-France (Québec, Acadie, Louisiane,…) !

Premières des nouvelles terres atteintes par les Européens, l’archipel des Caraïbes n’est pas en reste. Bénéficiant d’un climat exceptionnellement favorable aux grandes cultures de plantation (sucre, coton,…), et idéalement situées qui plus est au carrefour des routes vers leurs nouvelles colonies américaines, les Antilles se retrouvent rapidement au centre des convoitises des grandes puissances colonisatrices européennes (tout particulièrement espagnoles, françaises et anglaises).

D’abord chasse gardée de leur première découvreuse (l’Espagne) – qui colonise dès la décennie 1490 les îles de Cuba, de Puerto-Rico et d’Haïti (Hispaniola), les Caraïbes voient en effet arriver et s’implanter au fil du temps tout ce que l’Europe compte d’avides puissances marchandes et maritimes : Hollandais, Danois, mais aussi et surtout Britanniques et Français (qui y emboîtent le pas des boucaniers et autres flibustiers venus rapidement vampiriser les riches galions espagnols évoluant dans ces eaux tropicales, pour le compte de ces mêmes pays à qui ils auront ainsi, indirectement, préparé le terrain !).

Si les premiers (les Britanniques) s’établissent notamment sur la Jamaïque, les Bahamas et la Barbade, ce sont surtout les seconds (les Français) qui se taillent après l’Espagne la part du lion dans les Antilles. Durant la première moitié du XVIIe siècle, la France prend en effet possession de la Martinique, de la Guadeloupe et de nombreuses autres îles de l’est des Antilles (Dominique, Sainte-Lucie, Tobago,…). Îles où le royaume engage rapidement une intense entreprise de colonisation et de plantation, avant de piquer aussi définitivement aux Espagnols quelques décennies plus tard, la moitié de l’une des colonies comptant – et de loin – parmi les plus prospères de l’époque (Saint-Domingue – aujourd’hui Haïti !).

Les possessions européennes aux Antilles au début du XVIIIe siècle. Et une conséquente implantation française qui masque un important paradoxe : bien qu’à la tête des îles à la production sucrière la plus développée (Martinique, Guadeloupe, et surtout Saint-Domingue), la France, à la différence de l’Angleterre et de l’Espagne (et de leurs grandes bases respectives de La Havane et de la Jamaïque), n’a jamais établi de grande base logistique (infrastructures navales) dans la région. Nous verrons plus tard combien ce déficit géostratégique lui sera préjudiciable…

Légendaire théâtre de la flibuste et de la piraterie (qui connaîtront localement leur âge d’or au XVIIe siècle), les Antilles deviennent aussi et surtout au début du XVIIIe siècle, avec l’Amérique du Nord et les Indes, l’un des plus intenses terrains de rivalité entre grandes puissances coloniales européennes. Une rivalité fruit de l’importance géostratégique capitale que ces prospères « îles à sucre » et autres comptoirs à épices occupent désormais dans l’économie de leurs grandes nations propriétaires (en particulier pour la France), en cette période d’explosion du commerce international et atlantique.

En résumé : les grandes dates de l’exploration maritime européenne

1415Début de l’exploration de la côte africaine par les Portugais, sous le règne d’Henri le Navigateur. En 1434, les Portugais doublent le cap Chaunar sur la côte marocaine (considéré jusqu’alors comme la frontière méridionale du monde), ouvrant ainsi la voie à la découverte et exploration du Sénégal et des îles du Cap-Vert (ainsi qu’à la découverte et colonisation européenne rapide de Madère et des Açores).
1487Les Portugais doublent le cap de Bonne Espérance (pointe sud de l’Afrique)
1492Le Génois Colomb découvre Cuba et Haïti.
Au terme de ses 4 voyages à travers l’Atlantique (1492-1504), Colomb découvrira de nombreuses îles des Caraïbes (Dominique, Guadeloupe, Porto-Rico, Jamaïque, côte sud-ouest de Cuba) et explorera les rivages de l’Amérique centrale, manquant de peu la découverte du Pacifique au niveau de l’isthme de Panama.
1494Sous l’égide du Pape, le traité de Tordesillas entérine la division du Nouveau Monde (et des « terra nullius ») entre Espagnols et Portugais, avec une ligne de partage fixée au niveau du 46e méridien, puis du Brésil (suite à sa conquête par le Portugal).
1497L’italien Cabot traverse l’Atlantique Nord et atteint et explore la région de Terre-Neuve, pour le compte du roi d’Angleterre.
1497-1498Après avoir franchit le cap de Bonne Espérance, le Portugais Vasco de Gama suit la côte orientale de l’Afrique et atteint les Indes (Calicut), ouvrant au Portugal la maîtrise de l’océan Indien et jetant les bases d’un empire portugais qui s’étendra vers le Pacifique jusqu’aux Moluques (îles à épices, ravies ensuite par les Néerlandais).
1513Après avoir traversé l’Atlantique puis l’isthme de Panama à pied, l’Espagnol Vasco Nunez de Balboa est le premier européen à apercevoir le Pacifique.
1519-1522PREMIÈRE CIRCUMNAVIGATION (TOUR DU MONDE) PORTUGAIS : parti de Cadix avec 5 vaisseaux et 265 hommes pour le compte de Charles Quint, Fernao de Malgalhaes dit Magellan traverse l’Atlantique jusqu’au Brésil puis descend vers le sud, et franchit le détroit entre l’Amérique du Sud et la Terre de feu (détroit dit de Magellan). Il devient ensuite le premier européen à traverser l’océan Pacifique (auquel il donnera son nom) et atteint les Philippines, où il meurt dans une rixe avec des habitants. Les survivants (dix-huit) traversent l’océan Indien, double le cap de Bonne Espérance et rentrent en Espagne (avec un seul des 5 vaisseaux) en septembre 1522. « Ainsi fut démontrée, pour la première fois, la sphéricité et l’étendue de la circonférence de la Terre » (Bougainville).
1524L’italien Verrazano est le premier à explorer (pour le compte de la France) la côte atlantique de l’Amérique du Nord, prélude à la colonisation française des Amériques (c’est d’ailleurs lui qui donne à ces nouveaux territoires le nom de « Nova-Gallia » ; Nouvelle-France).
1534-1541Au cours de 3 voyages, le malouin Jacques Cartier explore le golfe du Saint-Laurent, qu’il remonte jusqu’à Stadaconé puis Hochelaga (actuels Québec et Montréal), et prend possession de la région au nom du roi de France.
1577 / 1586Deuxième et troisième tours du monde, anglais (dont celui du célèbre corsaire Francis Drake, qui explore la côte ouest du continent américain jusqu’à la Californie).
1720Le Danois Behring découvre le détroit de son nom et les îles Aléoutiennes pour le compte du tsar Pierre le Grand, reconnaissant ainsi que l’Asie n’est pas reliée continentalement à l’Amérique.
1763Bougainville réalise le premier tour du monde complet français.
1768-1776Voyages de Cook. L’Anglais explore notamment les côtes de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, détruisant ainsi la légende du continent austral. Il descend jusqu’aux abords du continent antarctique et parcourt « 80 000 km de Pacifique ».
1785Le Français La Pérouse effectue une grande expédition scientifique dans le Pacifique, où il disparaîtra. Refusant de prendre possession des îles Hawaï (qu’il aborde en 1786) au nom du roi de France, ce sera le premier européen à ne pas le faire par respect pour la liberté des peuples rencontrés.

En complément de l’article, je renvoie les intéressé(e)s de la période des Grandes Découvertes vers cette excellente vidéo de la chaîne Questions d’Histoire, qui résume les grandes explorations menées par les Européens sous l’angle des tours du monde, en se concentrant en particulier sur les raisons qui ont poussé les navigateurs toujours plus loin vers l’inconnu !

En aparté : empires coloniaux ou établissements nationaux outremers ?

Il ne faut pas l’oublier : l’imaginaire contemporain des colonisations européennes du « Nouveau-Monde » est considérablement influencé par l’héritage du XIXe siècle et des grands empires coloniaux qui sont alors fondés par les Nations européennes principalement en Afrique et en Asie (et qui sont à ce titre difficilement comparables avec les colonisations auxquelles nous nous intéressons ici). Pour être tout à fait exact d’ailleurs, à l’époque, la définition d’une colonie ne fait pas consensus : nombre de territoires qui seront ultérieurement qualifiés de « colonies » n’étaient pas considérés comme tels, et la colonisation n’était à vrai dire même pas vraiment dans l’intention des Européens venus explorer le Nouveau-Monde.

Le récit et l’argumentaire présentés ici s’appuient notamment sur l’ouvrage d’Éric Schnakenbourg « Le monde atlantique ; Un espace en mouvement. XVeXVIIIe siècle. », dont les thèses sont présentées dans cette série d’émissions de l’excellent podcast d’Histoire Storia Voce !

Comme nous l’avons vu plus haut en effet, l’objectif premier des explorateurs européens s’étant aventurés dans l’Atlantique demeure avant tout de trouver une nouvelle route vers les Indes et leurs richesses. Même après qu’ils aient découvert les Antilles puis les terres continentales de l’Amérique du Nord et du Sud, les Européens continuent de chercher à traverser ou contourner le continent américain (le français Champlain par exemple, en remontant le Saint-Laurent, espère toujours y trouver un passage vers l’Asie… !). Finalement, à défaut d’avoir découvert la route occidentale des Indes, et mis devant le fait accompli de l’exploration de ces nouvelles terres, les Européens prendront le parti d’exploiter économiquement les contrées découvertes et de les coloniser.

Il faut ainsi vraiment appréhender ce « phénomène » colonial comme ce qu’il est en premier lieu : un phénomène économique et géographique. Les puissances européennes motrices de l’exploration maritime (Portugal et Espagne, puis France, Grande-Bretagne et Province-Unies) sont des nations riches qui souhaitent l’être encore davantage. C’est bien précisément parce que ces nations européennes bénéficient initialement d’une puissance certaine (sur les plans technique, économique, industriel, démographique, etc.) que celles-ci sont ainsi capables de projeter leur puissance si loin outremer.

Partant de ce contexte, les premiers temps de la colonisation européenne des Amériques consistent en la création d’établissements ou de de comptoirs commerciaux, où viennent s’installer globalement très peu de personnes (à l’exception des Treize Colonies britanniques, qui seront les plus importantes colonies de peuplement du Nouveau-Monde). Dans l’esprit de ces puissances coloniales, il s’agit avant tout d’être suffisamment implanté quelque part pour pouvoir prétendre en prendre officiellement possession, ainsi que pour être capable de s’y maintenir et s’y défendre en cas d’agression.

De façon générale, ces « colonies » européennes ne sont pas considérées comme les parts d’un Empire en devenir (du moins pas avant le XVIIIe siècle), mais davantage comme les sortes de territoires d’outremer d’une Nation, bénéficiant des mêmes droits et de la même organisation qu’en Métropole, seulement séparés de cette dernière par une vaste discontinuité territoriale de la taille d’un océan… Il faudra d’ailleurs de solides politiques de long terme et de lourds investissements publics des États concernés (en particulier en ce qui concernera la France comme nous le verrons pour loin) pour arriver à faire de ces petits morceaux de territoires conquis outremer de véritables implantations permanentes et pérennes, et surtout rentables (ce qui de nombreuses colonies européennes mirent des décennies voire des siècles à devenir… !).

Ce ne sera seulement que vers le milieu du XVIIIe siècle qu’émergera la notion « d’empire colonial », en tant qu’ensemble globalement cohérent et porté par une vision et une ambition politiques d’ensemble. Ce, dans le cadre de la guerre globale que se mèneront alors la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde, et qui aboutira au grand choc de la fameuse guerre de Sept Ans – le premier grand conflit de l’Histoire entre puissances du Vieux Continent provoqué par des raisons extra-européennes. Bien davantage que les Portugais ou les Espagnols, ce seront ainsi véritablement les Britanniques qui seront les grands fondateurs de la notion d’impérialisme colonial, se donnant l’objectif et les moyens du contrôle hégémonique de régions entières de même que du commerce maritime afférent, appuyé par une Marine assurant la domination totale des mers (l’« Empire néerlandais » qui le précède d’un siècle et que nous étudierons également ayant pour sa part été bien davantage un empire commercial et marchand que véritablement « colonial » !).


Le XVIIIe siècle : une croissance commerciale internationale inédite

Après deux (et même trois) siècles de découvertes et de colonisations du (Nouveau) Monde par les grandes puissances maritimes européennes, le XVIIIe siècle est en effet celui de l’explosion du commerce international. Les colonies et les comptoirs que les Européens ont fondé aux quatre coins du monde (au prix de moultes violences et spoliations des populations autochtones…) ont incroyablement prospéré, et génèrent désormais des flux commerciaux considérables, ayant rempli de bateaux marchands tous les océans et mers du globe (en particulier l’Atlantique et l’océan Indien).

L’immense Amérique espagnole (qui s’étend de la Californie aux confins de la Patagonie, en passant par les actuels Mexique, Colombie, Pérou, Chili, Argentine ainsi que l’ensemble de l’Amérique centrale) fournit annuellement à sa métropole des tonnes de métaux précieux, pendant que dans le même temps, les Treize Colonies britanniques d’Amérique du Nord (futures États-Unis) sont devenues le premier producteur mondial de tabac et de coton (favorisant ce faisant un considérable essor de l’industrie textile en Grande-Bretagne ; essor qui constituera d’ailleurs le moteur de la première Révolution industrielle qu’initiera bientôt ce pays !).

Explorée d’abord par les Portugais, les « Moluques » (terme englobant à l’époque les actuels archipels de l’Indonésie et des Philippines) constituent alors l’une des plus grandes régions mondiales de production d’épices (en particulier la girofle et la muscade). Épices qui feront ainsi la fortune des marchands portugais puis de la Compagnie des Indes orientales néerlandaise, qui prend localement une place prédominante à partir du début du XVIIe siècle.

Des Indes orientales (Inde, Ceylan, Indonésie, péninsule indochinoise et Chine) et de l’océan Indien, transitent annuellement via l’Afrique des milliers de navires marchands hollandais, français, danois, britanniques,… qui inondent l’Europe de produits de luxe (poivre, cannelle, soie, porcelaine,…), et font la fortune de grandes compagnies semi-privées (les fameuses « compagnies des Indes » dont nous reparlerons largement plus loin). L’Atlantique est quant à lui le théâtre du célèbre et tragique commerce triangulaire, qui voit un ballet permanent de navires déporter d’Afrique aux plantations des Amériques durant plusieurs siècles des millions d’esclaves nègres, puis ramener via ces mêmes navires en Europe les tonnes de café, coton, café, tabac, sucre,… généreusement produites par cette abondante main d’œuvre, pour le plus grand bénéfice de la bourgeoisie marchande européenne.

Avant d’être une réalité sociale ou culturelle, la colonisation européenne du Nouveau-Monde (mais aussi les centaines de comptoirs commerciaux que les Européens implantent en Asie) demeure ainsi avant tout une réalité économique. En effet, la première grande période coloniale qui s’échelonne du XVIIe au XVIIIe siècle – si l’on excepte bien sûr le cas particulier et tragique de la traite négrière, consiste moins en des transferts massifs de populations d’un continent à un autre (phénomène colonial surtout caractéristique du XIXe siècle) qu’en un accroissement spectaculaire des échanges et flux commerciaux tout autour de la Planète, ainsi que de la production mondiale de matières premières. Il s’agit ainsi bien moins de colonisations humaines massives de nouvelles régions que d’un grand processus de mondialisation économique et commerciale, qui s’accompagne en corollaire de l’émergence et du développement du capitalisme (caractérisé par la hausse sensible de la production de richesses à travers le globe).

La deuxième émission du podcast Storia Voce consacrée aux dessous de l’histoire de la colonisation transatlantique, qui explique notamment la révolution économique et commerciale que celle-ci suscite au sein du Vieux Continent (mais également à l’échelle du monde entier).

Les mines d’argent du continent sud-américain permettent ainsi aux Espagnols d’acheter des produits manufacturés (porcelaine, soie,…) en Chine, qu’ils revendent ensuite en Europe. Plus du tiers du sucre français produit dans les Antilles, à peine arrivé dans les ports atlantiques de la Métropole, est immédiatement réexporté dans toute l’Europe. Au-delà de ses grandes puissances coloniales (Espagne, Portugal, Grande-Bretagne, France, Provinces-Unies), c’est d’ailleurs l’économie de l’ensemble du continent européen qui est tirée et stimulée par la dynamique colonisatrice. Des régions de Scandinavie, de l’Europe centrale ou encore de la péninsule italienne fournissent ainsi des approvisionnements décisifs au marché de la construction navale européen, les navires français et britanniques étant par exemple dépendant et tributaires des exportations de fer et de sapins suédois, ou encore des toiles produites en Silésie (région du sud-est de l’actuelle Pologne). Et bien sûr, en plus des métaux précieux, les denrées coloniales (sucre, tabac, café, cacao,…) produites en masse au Nouveau-Monde alimentent le marché européen, et suscitent autant qu’elles accompagnent l’émergence de nouveaux produits et modes de consommation de masse, principalement portés par la noblesse et surtout par une bourgeoisie qui connaît un essor fulgurant durant cette période.

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EN RÉSUMÉ : de la période des Grandes Découvertes à la fin du XVIIIe siècle, le « processus » colonial est avant tout un phénomène économique, caractérisé par une explosion de la production mondiale et par la mondialisation des échanges (phénomènes qui génèrent eux-mêmes à leur tour un développement économique et industriel important d’un certain nombre de régions européennes liées directement ou indirectement à cette économie mondialisée, ainsi que l’émergence de nouveaux modes de consommation sur tout le Vieux Continent). Et qui dit accroissement du commerce et de la production de richesses, dit enrichissement public et privé, expansion du nombre et du poids des marchands, constitution de lobbys coloniaux, commerciaux et industriels, (et bien sûr, désirs de maximisation des profits et volontés hégémoniques des plus ambitieux parmi ces derniers !)


La place de la France dans la conquête du Nouveau Monde

Dans cette époque de grande expansion et développement colonial et commercial (et où la domination des espaces maritimes est devenue la question et l’enjeu fondamental des grandes nations européennes), la France est loin d’être restée l’acteur secondaire auquel son statut de puissance continentale pourrait l’avoir immuablement destiné. Première puissance terrestre d’Europe (statut inhérent à celui de première puissance démographique et militaire du Vieux Continent qu’elle occupe), le royaume de France n’en est pas moins devenu, grâce aux visions et politiques maritimes successives d’un Richelieu puis d’un Colbert, la maîtresse d’un important et relativement florissant ensemble de colonies et possessions outremers (connu aujourd’hui sous le nom de « premier empire colonial français »). Un vaste empire allant des prospères et hautement lucratives « îles à sucre » des Antilles (Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe, Sainte-Lucie, etc.) à sa grande colonie d’Amérique du Nord (Nouvelle-France – d’ailleurs aussi immense que sous-peuplée comparé à ses riches voisines anglaises), en passant également par un important réseau de possessions et de comptoirs sur la route des Indes (Pondichéry, Île-de-France, comptoirs africains du Sénégal,…).

Carte des deux empires coloniaux français (premier empire colonial français – Canada, Indes,… – et second empire colonial français – Afrique, Madagascar, Indochine, etc.)
Une intéressante mise en perspective des colonisations et possessions respectives des premier et second empires coloniaux français (le premier apparaissant en vert foncé). Une carte montrant bien la disparité entre un premier empire colonial (XVIe-XVIIIe siècle) qui fut avant tout nord-américain et indien, et un second (XIXe-XXe) qui fut quant à lui africain et asiatique.

Un empire par ailleurs en paix depuis les traités d’Utrecht de 1713. Traités qui, s’ils signent la perte de quelques territoires coloniaux pour la France (Terre-Neuve et Acadie au Canada, île de Saint-Christophe dans les Antilles,…), lui conserve néanmoins ses colonies et établissements les plus prospères (Saint-Domingue, Indes, Québec,…). Autant d’ingrédients qui, avec la fin de la guerre de Succession d’Espagne (que les traités entérinent) et la nouvelle longue période de paix qui s’ouvre après celle-ci, vont ainsi offrir à la France une croissance économique coloniale inédite (dont les bases avaient été jetées sous le règne de Louis XIV). Cela, sans même compter la puissance géopolitique et stratégique que lui confère également cet immense ensemble colonial (le second plus important du monde après celui de l’Espagne et de la Grande-Bretagne – vous voyez d’ailleurs sûrement les choses venir… !).

Les cessions territoriales entre puissances européennes à la suite des traités d’Utrecht, de Stockholm, de Nystad et de Passarowit des années 1710 impactent relativement peu la France en Europe, mais lui grignote déjà outremer des bouts non négligeables de son empire colonial… (particulièrement au Canada avec la perte de l’Acadie, au profit de la Grande-Bretagne !)

Zoom sur : le premier empire colonial français

La France du début du XVIIIe siècle a réussi à se constituer un grand empire colonial. Longtemps restée une puissance maritime secondaire à la traîne de la dynamique colonisatrice, la France se réveille d’abord sous l’impulsion de François Ier, qui conteste alors l’hégémonie coloniale et le partage du monde entre Espagnols et Portugais que vient d’entériner le récent traité de Tordesillas (1494). Défendant la thèse qu’une terre n’appartient pas à son inventeur (découvreur) mais à son possesseur, le roi de France va ainsi financer les voyages de plusieurs grands navigateurs (dont ceux de Jacques Cartier, qui explore et prend possession au nom du royaume du fleuve Saint-Laurent, en 1534).

Les premières tentatives d’établissement outremer se soldent néanmoins quasiment toutes par des échecs, tandis que dans le même temps, la France s’embourbe dans les tragiques guerres de religion, et délaisse ainsi sa politique maritime (entretenue toutefois par les pêcheurs de l’Atlantique qui se rendent chaque saison à Terre-Neuve et nouent des contacts avec les Amérindiens, ainsi que par les flibustiers des Antilles, qui y installent quelques bases).

Empêtrée dans les dramatiques guerres civiles qui opposent Catholiques et Protestants sur l’ensemble du territoire durant près d’un siècle , ce n’est que vers le milieu du XVIIe siècle que la France s’intéresse de nouveau à l’outremer sous l’impulsion du cardinal de Richelieu, qui engage la construction d’une importante flotte de guerre en même temps que la colonisation des Antilles. Cependant, c’est véritablement avec la régence de Louis XIV et la nomination de Colbert aux affaires navales que s’engage la grande politique maritime et coloniale qui va permettre à la France de s’imposer en quelques décennies sur la mer.

Conscient du lien vital qui unit désormais Marine et commerce (le maintien des colonies et leur lucrative exploitation nécessitant en effet un contrôle étroit des routes maritimes), Colbert entreprend de faire de la Marine française la plus puissante d’Europe. Dans la continuité de la politique maritime d’un Richelieu (qui avait doté la France de sa première véritable marine royale), Colbert recrée ainsi rapidement une importante flotte de guerre (qui atteint le nombre rare de 250 bâtiments en 1683 !). Parallèlement, le brillant gestionnaire dote la Marine d’une administration centralisée (mise en place d’intendants et de commissaires), tout en développant et modernisant les infrastructures navales du pays (ports, arsenaux,…). Cette nouvelle marine, efficace, va ainsi permettre d’appuyer une grande politique coloniale, s’accompagnant de la mise en place d’une stratégie commerciale à l’échelle mondiale.

Il suffit de connaître la situation de la France et des pays qu’elle possède au-delà des mers pour ne pas mettre en doute qu’une marine florissante lui est nécessaire, tant pour protéger le commerce que pour défendre ses côtes.

L’amiral comte de toulouse à louis xv en 1724, cité par vergé-franceschi dans « la marine française au xviiie siècle – les espaces maritimes » (1996)

Si la colonisation et le contrôle des mers sont alors pensés comme le reflet de la grandeur de la France et de son Roi, elles répondent aussi et surtout, dans l’esprit de Colbert et de Louis XIV, à une stratégie globale visant à faire prospérer l’économie française, via le renforcement commercial de la France. Une stratégie qui passe par une conséquente politique protectionniste, via laquelle Colbert encourage notamment le développement de l’économie maritime métropolitaine (construction navale, entreprises commerciales), tout en cherchant à circonscrire le commerce extérieur de la France aux seules colonies et marchandises d’origine françaises – en cette période où les vaisseaux marchands hollandais et anglais dominent les mers et où leurs marchandises inondent les marchés européens. Afin de lutter contre l’hégémonie commerciale de ces derniers, Colbert met en place de grandes compagnies de commerce nationales, exerçant des monopoles d’exploitation ou d’importation : les compagnies des Indes, avec plus ou moins de succès (voir prochain encadré).

French map of the New World above the equator (1681)
Une magnifique carte d’époque (1681) française représentant le « Nouveau Monde » au-dessus de l’Équateur. À la fin du XVIIe siècle, sous l’impulsion de Louis XIV et de Colbert, la France s’implante en effet durablement en Amérique du Nord (via l’établissement des colonies royales du Québec et d’Acadie, puis la fondation de la Louisiane), dans les Antilles (établissement des colonies royales de la Martinique et de la Guadeloupe, puis annexion d’une partie de l’île de Saint-Domingue) ainsi qu’en Guyane.

Dans le cadre de cette politique maritime et commerciale très interventionniste (connue en économie sous le nom de « colbertisme »), la France de Louis XIV restera confrontée à des problèmes d’importance. Principalement, celui du déficit d’investissement privé dans les compagnies royales, ainsi que la férocité de la concurrence étrangère, qui sera ainsi fatale à plusieurs des grandes compagnies fondées par Colbert. Il faut dire que les Français ne disposent pas de systèmes économiques et financiers (manufactures, banques, compagnies, bourses,…) aussi performants que ceux des Hollandais ou des Anglais (qui ont bâti plus précocement leurs empires commerciaux). Ils ne disposent pas non plus d’un réseau de bases navales à travers le monde comme leurs rivaux (une faiblesse décisive de la stratégie française qui pèsera d’ailleurs lourd au siècle suivant…). Autant d’handicaps que viendra en partie contrebalancer la suprématie terrestre française durant les guerres de Louis XIV ; prolongements continentaux de la volonté française de contrer commercialement les autres puissances maritimes (les Provinces-Unies et l’Espagne, puis surtout l’Angleterre).

Malgré ces faiblesses, la France de la fin du XVIIe siècle va néanmoins réussir à se constituer un grand empire colonial, en particulier en Amérique du Nord et dans les Caraïbes. Si les Espagnols sont les premiers à s’installer aux Antilles après leur découverte par Colomb, les Français (comme les Anglais et les Néerlandais) colonisent les îles à l’époque de Richelieu – exploitant déjà le déclin consommé de la puissance espagnole. Rapidement, l’implantation de la canne à sucre s’y manifeste comme la plus profitable des économies de plantation, et l’arrivée de colons comme l’esclavage se développe. En quelques décennies, les Antilles françaises deviennent densément peuplées et voient l’apparition de nombreuses villes et ports marchands, où sont également présents de nombreux flibustiers ou boucaniers (des pirates ou entrepreneurs agissant pour leur compte ou au service d’intérêts privés). Déjà théâtres de nombreuses batailles à la fin du siècle (répercussion outremer des guerres – Hollande, Ligue d’Augsbourg – qui déchirent alors le continent et les puissances européennes), les Antilles voient alors fortement diminuer la présence hollandaise et espagnole au profit des Anglais et surtout des Français, qui tirent désormais de très gros profits de leurs îles à sucre.

En 1697, par le traité de Ryswick (qui met fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg), la France fait entériner sa souveraineté sur toute la partie occidentale de l’île de Saint Domingue (historiquement sous domination espagnole, et initialement baptisée Hispaniola), où des corsaires et comptoirs français se sont établis depuis près d’un siècle. Cette région (future Haïti) deviendra, avec la Martinique et la Guadeloupe, l’un des lieux centraux de l’expansion sucrière française (qui verra le royaume devenir premier exportateur mondial de sucre au tournant des années 1720).

Du côté de l’Asie enfin, si toute la première vague de compagnies commerciales et de colonisations impulsées par Richelieu puis Colbert (Inde, Madagascar,…) s’y solde par de cuisants échecs, la fin du XVIIe siècle voit le vent enfin tourner par les Français dans ces régions, et ces derniers y développer un commerce florissant. Grâce en particulier au grand comptoir commercial de Pondichéry (Inde), ainsi qu’à sa grande base navale de l’Isle de France (l’actuelle Île Maurice ; à l’époque un précieux lieu d’étape et de ravitaillement pour les navires de commerce et de guerre sur la route des Indes), la compagnie française des Indes orientales fondée quelques décennies plus tôt par Colbert connaît en effet un essor fulgurant, permettant d’asseoir solidement l’implantation des Français sur le continent asiatique. Si la compagnie connaîtra des difficultés durant les guerres franco-hollandaises (et ne sera jamais en situation de contrôle de l’océan indien), elle bénéficiera toutefois pleinement au début du XVIIIe siècle de la perte de vitesse de la marine et du commerce néerlandais, se mettant ainsi à engranger de fabuleux bénéfices (voir l’encadré suivant).

*****

En résumé, au début du XVIIIe siècle, l’espace colonial français peut ainsi être divisé en trois grandes zones géographiques distinctes : la Nouvelle-France (Canada, Acadie, Louisiane,…), les Antilles (Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe,…), et l’ensemble des possessions françaises aux Indes (régions de Pondichéry et de Yanaon) et sur la route de ces dernières (comptoirs du Sénégal et d’Afrique du Sud, « Isle-de-France » – actuelle Île Maurice, etc.).

La construction et le déclin du premier empire colonial français
Après un XVIe siècle d’exploration, les grandes fondations du premier empire colonial français (établissement des comptoirs, des routes commerciales, etc.) interviennent essentiellement durant la première et seconde moitié du XVIIe siècle, sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Développées principalement sous le règne du roi Soleil, chacune de ces zones coloniales dispose globalement de ses propres ressources, ainsi que d’un système administratif et commercial qui lui est propre.
Hachette seconde Bac. Pro.)

En cette époque de grand développement du commerce international, l’ensemble de ces possessions (appelées ultérieurement les « vieilles colonies ») exercent une importance économique (et géopolitique) vitale pour le royaume de France : les Antilles jouent en effet le rôle de pourvoyeuses de sucre ré-exportable vers le reste de l’Europe (un commerce hautement rentable et véritable « machine à cash » de l’État français de l’époque) ; le Sénégal, le réservoir et fournisseur de « main d’œuvre servile » (via la traite négrière et le commerce triangulaire) ; Saint-Pierre et Miquelon, la morue (les Grands Bancs de Terre-Neuve constituant alors la plus importante zone halieutique du monde !) ; les Indes françaises, les épices et les produits de luxe ; et la Réunion, enfin, une base stratégique ainsi qu’un apprécié lieu de relâche…

Au tournant des années 1750, les établissements français des Indes occidentales (Antilles) et de l’Amérique du Nord représenteront ainsi plus du quart du commerce français d’outremer, et auront suscité depuis un siècle le développement considérable d’un grand nombre de ports de la façade atlantique. La cité portuaire de Saint-Malo devient ainsi florissante grâce au produit de la pêche dans l’Atlantique nord et dans le golfe du Saint-Laurent ; La Rochelle constitue l’entrepôt du commerce des fourrures (la plus importante des activités économiques du Québec et de la région des Grands Lacs) ; Nantes est la plaque tournante du commerce du café, et Bordeaux, enfin, le centre de (re)distribution du sucre qui arrive en masse des Indes occidentales françaises (et notamment de Saint-Domingue, qui est alors devenu l’un des territoires les plus riches et les plus productifs du monde !).

Les colonies étaient considérées par les contemporains comme la base de la puissance économique et, par voie de conséquence, le fondement de la richesse des citoyens et de l’État, c’est-à-dire, à long terme, comme le fondement de la puissance des deux grands États rivaux, la France et la Grande-Bretagne.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au xviiie siècle, 1993, p. 10

En complément des deux premières, une autre intéressante émission du podcast Storia Voce consacrée à l’histoire des premières grandes colonies françaises, et à leur impact sur l’économie du Royaume !

Si les territoires coloniaux alimentent substantiellement la vitalité économique de la France, en cette époque où le commerce extérieur semble constituer la principale source de richesses des Nations, cette dernière réalité est beaucoup moins vrai pour le royaume hexagonal que pour les autres grandes puissances maritimes, la France demeurant en premier lieu une puissance agricole. Ainsi, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne qui vivent tout entier pour et de leurs colonies (dont la richesse et l’économie britanniques sont complètement dépendantes), concernant la France, ce seront surtout les grands ports tournés vers le commerce atlantique – Nantes, Bordeaux, Brest, Rochefort, Saint-Malo, Dunkerque, etc. – et leurs hinterlands qui bénéficieront du développement économique et industriel lié au commerce et à l’activité coloniale. Autrement dit, le « phénomène » colonial n’impactera et ne profitera surtout en France qu’à des régions situées en périphérie du royaume, modifiant peu de facto l’économie et le quotidien des grands espaces agricoles situés au cœur du pays (réalité qui fera dire à un Ministre d’État dès la fin du XVIIIe siècle qu’il eut mieux valu investir toutes les sommes dépensées depuis deux siècles pour les colonies dans le développement des régions rurales les plus pauvres du Royaume… !).

Car comme l’Histoire va bientôt le mettre en évidence, bien que remarquablement prospère, l’empire colonial français (qui n’est d’ailleurs pas considéré comme tel à l’époque – on parle surtout de « colonies ») souffre en effet de lourdes faiblesses structurelles, et qui ne tarderont pas à se révéler insurmontables. En particulier : un faible peuplement (surtout en Amérique du Nord, comparé aux Treize Colonies britanniques voisines), un faible investissement de la Métropole vers ses colonies, et une très mauvaise liaison maritime entre la première et ces dernières, malgré leur importance économique désormais capitale pour le pays (et ce particulièrement en temps de guerre – ce qui n’est pas une problématique anodine… !).

En fait, comme nous y invite souvent l’Histoire, les choses ne doivent pas être vues dans une perspective seulement statique, mais aussi dynamique. Considérée ainsi selon cette dernière focale, la France du milieu du XVIIIe siècle est, certes, une très grande puissance (surtout par sa démographie et superficie), mais néanmoins une puissance stagnante, presque déclinante comparée au « Grand siècle » (période correspondant au règne de Louis XIV). Ceci du fait notamment d’une lourde inertie des élites dirigeantes, adossée à un fonctionnement assez archaïque en matière d’organisation politique, économique et sociale (noblesse ultradominante et frondeuse, faible urbanisation et industrialisation, grande pauvreté et niveau élevé d’inégalités, surcontrôle étatique et économie semi-moyenâgeuse, diplomatie défaillante et dépassée, système politique complexe et archaïque,…).

Face à cette France (au sens propre !) « archaïque » et en déclin, et bien que deux fois plus petite et trois fois moins peuplée que cette première, l’Angleterre apparaît ainsi en ce milieu du XVIIIe siècle comme une puissance moderne, bien organisée, déjà très développée sur le plan économique, et également très efficace sur le plan fiscal, (géo)politique et colonial (remarquable « modernité anglaise » qui fera l’objet d’un encadré détaillé dans un prochain chapitre). Une puissance certes encore « émergente », mais déjà dominante de fait sur de nombreux plans (notamment maritime, commercial, financier et diplomatique), comme la France en prendra pleinement la mesure à ses dépens durant la désastreuse guerre de Sept Ans. Guerre où elle perdra la quasi-totalité du vaste et prospère empire colonial que nous venons de décrire ici (à l’exception de ses très lucratives îles antillaises !). Mais c’est une autre histoire… 😉


Pour aller plus loin… 🔎🌎

Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog est en fait extrait de ma grande série consacrée aux origines de la guerre de Sept Ans (1756-1763). Si l’histoire des grands empires coloniaux et de la mondialisation maritime des temps modernes vous intéressent (ce fut en effet une période charnière de l’histoire moderne), je vous oriente ainsi vers la découverte de cette riche série documentaire traitant de cet immense conflit, considéré par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire. Un conflit qui débutera (et se propagera) en effet dans l’ensemble des empires coloniaux du monde, lui conférant ainsi une dimension planétaire et maritime inédite.

Une guerre constituant en outre le plus grand choc de l’intense conflit global qui opposera tout au long du XVIIIe siècle la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde ; une suite ininterrompue de conflits, de Louis XIV à Waterloo, d’ailleurs qualifié de « Seconde guerre de Cent Ans » par certains historiens. Une passionnante série d’articles en forme de grande fresque historique, qui vous portera ainsi des Grandes Découvertes à la chute du Canada et des Indes françaises, et de la fondation des grandes empires coloniaux européens outremers et de la naissance de la mondialisation maritime à l’émergence d’un nouvel ordre mondial caractérisé par l’hégémonie planétaire britannique (sur les plans maritime, colonial, économique,…). Une grande série qui vous amènera aussi à mieux comprendre tant les racines de la guerre d’Indépendance américaine que celles de la Révolution française et des guerres napoléoniennes ; autant d’événements qui structureront décisivement notre monde contemporain !

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Et sinon, pour les intéressés et autres curieux, vous pouvez prendre connaissance de tous mes articles, (photo)reportages, récits de voyage, documentations et cartes liés à l’histoire, à la géographie et au patrimoine culturel de l’Europe, des Amériques et plus globalement du monde moderne, en consultant les rubriques du site spécifiquement dédiées à ces domaines (accessibles ici : catégorie « Nouveau Monde » et catégorie « Epoque moderne »).

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