La guerre de Sept Ans : voilà bien un sujet qui devrait plaire aux amateurs de (géo)politique, d’économie mondiale et d’épopées militaires, de même qu’aux passionnés de la grande histoire de la marine à voile, ainsi que de l’époque où les fiers trois mâts dominaient encore les mers du monde (et plus exactement : tout cela étroitement imbriqué !).
À vrai dire, je n’avais pas du tout prévu d’écrire cet article. Mais comment pouvais-je véritablement vous raconter l’histoire de la guerre d’Indépendance américaine (mon dernier grand article engagé) sans vous avoir préalablement parlé de celle de la guerre de Sept Ans, cette première « guerre mondiale » de l’Histoire, qui coûta si cher à la France (notamment la quasi-intégralité de son premier empire colonial), traumatisa nombre des habitants de ses littoraux (nous verrons pourquoi), de même que ses marins – rudement malmenés et décimés par la Royal Navy. Également une guerre qui, plus globalement, humilia la France et ses gouvernements, y développa une profonde amertume, et y attisa même au sein de la population toute entière un certain désir de revanche.
En juin dernier, j’avais consacré un très important article à l’histoire de la Nouvelle-France, l’ancienne colonie française d’Amérique du Nord (dont le Canada francophone ainsi que les noms français de nombreuses villes du centre des Etats-Unis constituent aujourd’hui un lointain témoignage). Je vous y avais notamment raconté en détail la chute de cette colonie aussi immense que sous-peuplée, comparée notamment à ses voisines et rivales anglaises (que la Nouvelle-France avait pour propriété d’encercler). Colonies britanniques d’Amérique du Nord qui n’auront ainsi de cesse de faire précipiter l’inéluctable invasion de ces territoires par leur Métropole : une Angleterre dont le désir d’hégémonie coloniale et commerciale sur les continents où elle s’est solidement implantée (Amériques, Indes,…) se voit alors entravée par l’empire colonial concurrent et commercialement florissant de son bien-aimé voisin et rival d’Outre-Manche (une invasion et capture du Canada français connue par ailleurs chez les Québécois d’aujourd’hui sous le nom très évocateur de « guerre de la Conquête »).
S’ils eurent évidemment leurs ressorts et leurs protagonistes propres (tout en étant en partie à l’origine de cette guerre), les affrontements entre Franco-Canadiens (et Amérindiens) et Britanniques en Nouvelle-France ne constituèrent toutefois – il faut bien l’avoir en tête – que quelques pions dans la vaste partie d’échecs planétaire qui opposera ainsi la France et l’Angleterre (et leurs alliés respectifs) durant près de huit longues années, sur l’ensemble du continent européen aussi bien que sur près de la moitié des mers du globe ! Une guerre de « Sept Ans » s’inscrivant elle-même, en outre, dans la continuité et conséquence directe de la précédente : la guerre dite de « Succession d’Autriche ». Guerre qui marqua quant à elle la fin de la « première Entente cordiale » entre nos chaleureux amis français et britannique (et plus exactement même l’ouverture de près d’un siècle d’hostilités et d’affrontements quasi-ininterrompus entre ces derniers – que de célèbres historiens se sont d’ailleurs plu à qualifier de « Seconde guerre de Cent Ans » !).
Loin d’en être le terrain central, l’espace nord-américain ne fut en fait que l’un des théâtres d’une guerre qui se porta ainsi de l’Atlantique à l’océan Indien (en passant par les Antilles), de la Méditerranée aux côtes brésiliennes et africaines (et, continentalement, de l’Espagne à la Pologne actuelle). Un conflit de plus entre grandes puissances européennes (les fameux « Great Power » de l’époque) qui, s’il restera fortement et premièrement terrestre, atteindra également une dimension maritime et internationale inédite, de par l’intensité des enjeux et des frictions coloniales qui s’y manifesteront. Autant de dynamiques qui préfigureront d’ailleurs du grand nouvel ordre mondial (caractérisé par la complète hégémonie maritime et coloniale britannique – connue ultérieurement sous le nom de « Pax Brittanica ») sur lequels déboucheront plus tard les guerres révolutionnaires et napoléoniennes.
Sept ans d’une guerre aussi méconnue que déterminante de l’histoire du Monde (et aux origines de tous les grands conflits du XVIIIe siècle qui lui succèderont), dont je vous propose ainsi d’explorer les événements et surtout les grands tenants et aboutissants dans cette conséquente série d’articles : une nouvelle grande fresque historique s’apparentant au nécessaire et passionnant liant entre l’histoire de la Nouvelle-France et celle de la future guerre d’Indépendance américaine (et plus largement l’un des épisodes centraux d’une vaste série du blog sur cette aussi méconnue que décisive Seconde guerre de Cent Ans). Bonne lecture !

Dans la première partie, nous nous sommes centrés sur le développement du contexte socioéconomique bien particulier des années 1720 et 1730, marqué pour rappel par la forte croissance du commerce maritime international (lui-même nourri par l’important développement démographique et économique des grands empires coloniaux européens d’outremer). Je vous avais également plongé dans un important état des lieux des politiques maritimes des grandes puissances européennes de l’époque (et notamment de celle de la France, en lien avec le fort développement colonial et commercial que connaît alors le royaume, ainsi que l’importante révolution navale que la France initie au début de la décennie 1730).
Partant, nous allons nous intéresser dans cette seconde partie (la série en comptera quatre) à l’histoire des grands événements et dynamiques géopolitiques et militaires allant précipiter le début de l’affrontement généralisé qui opposera ensuite durant près d’un siècle la France et l’Angleterre. Démarche qui nous portera notamment de l’étude du grand conflit anglo-espagnol connu sous le nom de « guerre de l’oreille de Jenkins », à l’inexorable montée en tension entre grandes puissances européennes qui caractérise le tournant des années 1740, et qui débouchera sur la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748) – objet des troisième et quatrième partie. Bonne lecture !
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La guerre de l’oreille de Jenkins (1739) : vers le premier affrontement généralisé
Avril 1741, Carthagène des Indes (dans l’actuelle Colombie). Blas de Lezo observe avec détermination la fourmilière d’hommes en tunique rouge qui s’active aux portes de sa cité. Voilà plusieurs semaines qu’une immense armada britannique a en effet mis le siège devant cette ville dont il a la responsabilité (une lourde responsabilité, Carthagène ne constituant rien de moins que le troisième plus grand port espagnol des Amériques, d’où sont notoirement exportés les métaux précieux vers l’Espagne). Un lieu hautement stratégique du Nouveau Monde colonial, que la Grande-Bretagne s’est ainsi donné les grands moyens afin de s’en emparer et d’en faire un port britannique.

Un mois plus tôt, courant mars, ce ne sont en effet pas moins de 186 navires (dont 29 vaisseaux de ligne) et près de 31 000 hommes (dont 15 000 marins de la Royal Navy) qui débarquent aux portes de Carthagène, dans une des plus grandes opérations amphibie de l’histoire (d’ailleurs inégalée jusqu’au célèbre débarquement de Normandie). Cette opération énorme, montée depuis la grande base anglaise des Antilles de la Jamaïque, s’inscrit à ce titre dans une guerre aussi méconnue que décisive du cours de l’Histoire (décisive par les forces immenses qu’elle a mobilisées pour l’époque, ainsi que par les pertes matérielles et humaines considérables par lesquelles elle s’est finalement soldée).
Cette guerre, dite de « l’oreille de Jenkins » (curieux nom, non ? vous allez comprendre !), prend sa source dans la grande montée en tension entre empires coloniaux qui marque les années 1730, tout particulièrement entre les royaumes de Grande-Bretagne d’une part et de France et d’Espagne d’autre part. Pour bien comprendre ce qui mène à une telle détérioration des relations anglo-espagnoles débouchant sur neuf années de guerre (d’abord dans les Caraïbes, puis dans le monde entier), il nous faut toutefois en revenir préalablement au fonctionnement des grands empires coloniaux de l’époque, ainsi qu’à l’organisation du commerce triangulaire – les points-clés des origines de cette guerre.
Zoom sur : quatre siècles d’intense traite négrière transatlantique
À défaut d’un long développement sur l’histoire du commerce triangulaire (mais étant important d’en dire tout de même quelques mots ici), je vous propose un extrait d’un ouvrage spécialisé sur le sujet, permettant d’en rappeler les grandes lignes et tragiques aboutissants :
En inaugurant les communications transocéaniques à moyenne et longue distance, l’expansion ibérique des XVe – XVIe siècles a créé un vaste espace de circulation des marchandises et des hommes, qui a lancé un pont entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques durant cinq siècles.
Les Portugais furent la première et, pendant cent cinquante ans, la seule nation européenne engagée dans la traite négrière atlantique. À ce titre, ils eurent le contrôle total de l’introduction des esclaves africains en Europe du Sud, dans leurs colonies (Cap-Vert, São Tomé, Brésil) mais aussi dans les Amériques sous monopole espagnol.
Ce premier système esclavagiste ibérique associait l’esclavage des Noirs, l’économie marchande, l’exploitation minière et déjà la plantation sucrière. Ancré en Méditerranée, il connut un premier déploiement dans les îles atlantiques (aux Canaries, au Cap-Vert et à São Tomé), puis dans le monde hispano-caribéen (Hispaniola, Cuba, Porto Rico et l’espace continental de la « Terre Ferme »), avant de prendre son essor dans les Antilles et au Brésil avec la grande économie de plantation [1].
Cette redistribution des circuits de la traite transatlantique conduisit à l’entrée en scène des puissances européennes du nord de l’Europe à partir du milieu du XVIIe siècle, et à une importante augmentation des flux négriers et du rythme des expéditions : en un siècle et demi, entre 1500 et 1640, 800 000 esclaves arrivèrent au Nouveau Monde contre plus de sept millions au XVIIIe siècle [2].
Le Portugal eut en tout point un rôle précurseur. Mais il revient à l’Angleterre, à la France et aux Pays-Bas d’avoir implanté dans leurs possessions d’outre-mer les systèmes les plus intensifs de travail forcé et d’avoir développé une culture capitaliste fortement dépendante du commerce des produits coloniaux : café, sucre, alcool, tabac, indigo,…
En cinq siècles, entre le XVe et le XIXe siècle, 34 850 expéditions négrières traversèrent l’Atlantique, conduisant à la déportation aux Amériques de plus de douze millions d’hommes, de femmes et d’enfants africains, sans oublier le million d’esclaves noirs introduits en Europe du Sud.
António de Almeida Mendes, « Les réseaux de la traite ibérique dans l’Atlantique nord (1440-1640) », 2008

Aux origines de la guerre : l’asiento des esclaves et la grande montée en tension entre les impérialismes espagnol et britannique
Contrairement aux Britanniques ou aux Français (et malgré le nombre considérable d’esclaves d’origine africaine qu’ils achètent au demeurant pour satisfaire la demande en main d’œuvre de leur immense empire colonial), les Espagnols ne pratiquent pas directement la traite des Noirs (c’est-à-dire l’achat, le transport, et la revente des esclaves). Dès le début de leur entreprise de colonisation des Amériques, les Espagnols ont en effet fait le choix de confier ce monopole à des nations étrangères (Portugal, Provinces-Unies, France, Angleterre,…), dans le cadre de conventions spécifiques que l’on appelait les asientos. Consistant donc en la délégation d’un monopole d’État à une compagnie privée, les asientos existaient pour tout type de « produits coloniaux », mais le plus important de tous était de loin celui des esclaves (un « marché » d’ailleurs objet d’une concurrence féroce entre les grandes compagnies européennes de la traite négrière tout le long des XVIIe et XVIIIe siècles).

Si le Portugal eu longtemps le « privilège » de se voir confier l’asiento des esclaves espagnol, à partir de la signature du traité d’Utrecht de 1713 (qui met fin à la longue et ruineuse guerre de Succession d’Espagne), c’est désormais la Grande-Bretagne (via sa Compagnie de la mer du Sud) qui se voit concéder le monopole de la traite vers les colonies espagnoles, pour une durée de trente ans. Cette juteuse « attribution de marché » confiée à sa grande compagnie négrière n’a toutefois pas que des avantages pour la Grande-Bretagne. Au grand dam de cette dernière, l’asiento se voit en effet adossé à d’importantes contraintes commerciales. La plus conséquente d’entre elles consistant en particulier à sévèrement contingenter l’importation de marchandises britanniques dans les colonies espagnoles : un seul navire britannique (le fameux Navio de permisio) bénéficie ainsi du droit de venir décharger une cargaison de leurs produits (et ce une fois par an seulement – pour l’intégralité de l’Empire espagnol !).
Une bien maigre autorisation, qui ne manque évidemment pas d’entrainer en conséquence un aussi illégal que volumineux développement de la contrebande (bien nourri il est vrai par l’avidité de la Compagnie de la mer du Sud britannique et des contrebandiers indépendants, ainsi que par l’intérêt de la haute société créole pour les produits manufacturés d’origine britannique – textiles, armes, etc.). Un trafic de contrebande croissant contre lequel l’Espagne est néanmoins bien déterminé à lutter, la Couronne hispanique donnant notamment en 1729 l’autorisation à tout bateau espagnol (même appartenant à un armateur privé) de faire office de garde-côte – une autorisation conférant ainsi à ce dernier le droit d’arraisonner et d’inspecter n’importe quel navire britannique (et à en saisir le cas échéant toute cargaison jugée illicite !).

Ce « droit de visite » des Espagnols sur leurs navires (et la confiscation des marchandises de contrebande qui s’ensuit souvent) finit cependant par irriter les puissants armateurs et marchands britanniques, forcés de constater que ces mêmes Espagnols ne pratiquent pas de telles restrictions commerciales à leurs alliés français (qui pratiquent eux aussi allègrement la contrebande avec le vaste Empire espagnol..). Concurrence pas du tout « libre et non faussée » (nous sommes en plein essor du libéralisme économique) à laquelle il faut ajouter les nombreux abus et “déprédations” auxquels se livrent à l’occasion les marins espagnols sur des sujets britanniques. Ceci jusqu’à ce que finalement, une fois n’est pas coutume dans l’Histoire, les événements ne se précipitent et dégénèrent..
Zoom sur : la guerre de Succession d’Espagne
La guerre de Succession d’Espagne est un conflit dynastique consécutif à la mort sans descendance du roi Charles II d’Espagne, de la grande maison des Habsbourg. En raison des enjeux de domination de l’Europe que porte avec elle cette guerre de succession, celle-ci dégénère rapidement en un affrontement majeur qui va opposer, de 1701 à 1713, la quasi-totalité des grandes puissances européennes de l’époque.

D’un côté : la puissante France de Louis XIV, qui souhaite placer sur le trône un de ses petits-fils, et ainsi unir dynastiquement ces deux grands royaumes et leurs florissants empires coloniaux. De l’autre, l’Autriche : l’empire de la maison des Habsbourg, qui donne au Saint-Empire romain germanique ses empereurs depuis 300 ans, et qui n’entend certainement pas laisser la France mettre la main sur ses possessions de famille (et plus globalement sur la puissante Espagne). Une position également partagée par le Portugal, l’Angleterre et les Provinces-Unies, les trois autres grandes puissances maritimes européennes, qui craignent elles aussi (à juste titre) la situation de domination sans équivoque de l’Europe dans laquelle une telle union placerait la France. Pays qui scellent rapidement une Grande Alliance à La Haye afin de contrer les ambitions du royaume de France dans cette guerre de succession.
Durant près de treize années, on se bat énormément aux Pays-Bas espagnols (riches provinces toujours à portée d’invasion rapide que la France, une fois n’est pas coutume, souhaite profiter du contexte de guerre pour conquérir et annexer..), ainsi qu’en Espagne, en Italie et en Méditerranée. Durant les premières années du conflit, la France conserve l’initiative stratégique, puis subit une série de revers, avant de reprendre finalement l’ascendant. C’est l’époque du fameux Pré Carré de Vauban, des sièges de Lille et de Maastricht, et de la prise de Gibraltar par les Anglo-Hollandais (lieu hautement stratégique, verrou de la Méditerranée, que les Britanniques conserveront à l’issue de guerre, et depuis lors).

(© Rebel Redcoat, via Wikimedia Commons)
Au début des années 1710, après une décennie de conflit et de combat sur différents théâtres, tous les protagonistes sont à bout de souffle. Le coût de la guerre pèsent sur l’ensemble des coalisés, et tous engagent des négociations de paix à leur avantage (ou du moins si possible pas trop à leur désavantage). La France est particulièrement épuisée financièrement, mais vient de prendre Barcelone et négocie ainsi dans des conditions plutôt favorables. En 1713, deux traités sont signés à Utrecht, mettant officiellement fin au conflit.
Cette guerre de succession d’Espagne a profondément marqué l’évolution du rapport des forces entre les puissances européennes. La Grande-Bretagne s’y est en effet affirmée comme l’une des puissances majeures en Europe, notamment de par sa suprématie croissante sur les mers, ainsi que par sa remarquable force financière (appuyée sur un important développement économique et efficace système fiscal). C’est d’ailleurs le moment où la puissance maritime anglaise supplante celle des Provinces-Unies (affaiblies il est vrai par des décennies d’effort militaire constant contre la France), et s’affirme comme l’une des diplomaties les plus actives du continent.
Avec ses victoires spectaculaires contre les Turcs et sa participation importante à la guerre contre Louis XIV, l’Autriche acquiert pour sa part une incontestable place de grande puissance, de même que des territoires qui augmentent fortement son rayon d’action (une montée en puissance autrichienne à nuancer néanmoins par l’apparition pour cette dernière de nouveaux rivaux continentaux – Bavière, Prusse, Saxe,… – ainsi que par la récurrence de nombreux dysfonctionnements internes).

(© Rebel Redcoat pour Wikimedia Commons)
L’Espagne, point de départ des événements, est quant à elle l’une des grands perdantes de cette guerre, qui la voit rompre définitivement un passé de deux siècles de liens familiaux avec l’Autriche, et devenir une puissance presque secondaire en Europe (mais certainement pas au niveau mondial). Quant à la France, enfin, si le dénouement du conflit la conserve comme première puissance politique, démographique et militaire du continent, cette guerre lui voit perdre toutefois sa réputation d’invincibilité sur terre, ainsi que craindre profondément pour l’avenir de ses territoires coloniaux – certes alors toujours plus importants que ceux de la Grande-Bretagne, mais clairement menacés par l’hégémonie maritime de cette dernière sur la durée. De plus, le pays sort littéralement ruinée de cette guerre, qui lui a fait vivre de dures famines (bien favorisée aussi il est vrai par cette période globale de Petit âge glaciaire).
En résumé, en douze ans de guerre, les équilibres géopolitiques du continent ressortent ainsi profondément modifiés. La France et l’Espagne sont désormais liées par un lien dynastique. La Grande-Bretagne, alliée des deux nations à la fin de la guerre, apparaît comme le nouveau danger pour la France et son empire colonial (danger que Louis XIV avait d’ailleurs bien décelé, d’où précisément sa volonté de mettre fin à deux siècles de rivalité avec les Habsbourg en liant ses intérêts à l’Espagne, afin de mieux retourner ce faisant ces efforts contre l’Angleterre).
Un grand rebattement des cartes qui suggère ainsi, assez naturellement, l’opportunité d’une grande alliance continentale franco-espagnole (désormais tous deux dirigés par des Bourbons) face aux intérêts britanniques. Une alliance que la mort de Louis XIV ne permettra certes pas immédiatement de voir le jour, mais qui finira néanmoins par advenir au tournant des années 1740, lorsque les grands essors économiques qu’auront connu entretemps parallèlement la France et la Grande-Bretagne (accompagnés d’une montée inexorable des tensions et rivalités coloniales entre ces dernières), déboucheront sur un nouveau grand choc entre les deux plus grandes puissances mondiales de l’époque avec l’Espagne (patience, nous y arrivons.. !).

L’affaire Robert Jenkins : échauffourée en Floride et tempête à Londres
Avril 1731, quelque part près des côtes de Floride. Le capitaine d’un garde-côte espagnol, un certain Juan de León Fandiño, intercepte un navire contrebandier britannique nommé le Rebecca, sous le commandement d’un certain Robert Jenkins. On ne sait vraiment trop pourquoi (les Espagnols évoquant pour leur part « l’insolence » de l’équipage anglais ..), mais cet abordage de routine dérape, et le capitaine Jenkins se voit ligoté au grand mât de son navire par son alter-ego espagnol. Capitaine León Fandiño qui finit même par dégainer son sabre et trancher une oreille au malheureux Jenkins, déclarant en même temps à l’intéressé : « Ve y dile a tu Rey que lo mismo le haré si a lo mismo se atreve » (« Portes-la à ton roi, et dis-lui que je lui ferai la même chose si je le vois par ici ! »).
De retour au pays, Jenkins porte plainte devant les autorités anglaises, et l’affaire aurait pu s’en arrêter là. Pendant près de huit années en effet, malgré l’outrage ressenti par l’opinion dont les journaux feront la une (cette agression physique contre un sujet britannique étant perçue comme humiliante pour le pays), l’affaire ne provoque pas de complications diplomatiques majeures. Le commandant local de la Royal Navy qui se voit rapporter les événements, bien que n’approuvant pas un tel traitement, souligne en effet que ses compatriotes se livrant à un trafic clandestin seraient bien mal placés pour se plaindre quand leurs marchandises finissent confisquées et eux-mêmes violentés (ceci constituant en quelque sorte les « risques du métier » ..). Bien informé des événements, le Gouvernement britannique de Robert Walpole, partisan de la paix, affiche également la même prudence et se garde bien d’utiliser ce prétexte pour s’engager dans une aventureuse guerre contre l’Espagne (et son puissant allié français).


Mais durant les années 1736 à 1739, les relations se tendent à nouveau fortement entre l’Espagne entre la Grande-Bretagne, cette dernière (et tout particulièrement ses nombreux et puissants hommes d’affaires) ne tolérant plus, tel que formulé par les observateurs français, la « fâcheuse manie des Espagnols de maintenir leur immense empire solidement fermé aux produits britanniques », et d’y contrôler et surveiller farouchement le trafic de contrebande. Une montée en tension notamment analysée à l’époque par Voltaire, qui l’évoque ainsi dans son Précis du siècle de Louis XV (après avoir justement décrit l’asiento et le Navio de permisio espagnols) :
Cette balance, bien ou mal entendue, était devenue la passion du peuple britannique ; mais un intérêt plus concret était le but du ministère de Londres. Il voulait forcer l’Espagne à partager le commerce du Nouveau Monde.
Voltaire, « Précis du siècle de Louis XV », chapitre 9
Dans cette déliquescence vers la guerre alimentée par le lobby industriel britannique (qui prétend à ce titre ne se préoccuper que de « l’équilibre des forces européennes » et de la liberté des mers..), les Espagnols ne sont en outre pas aidé par la mort soudaine de leur premier ministre, José Patiño Rosales, ministre rigoureux et intègre qui gouvernait ainsi l’Espagne depuis dix ans (et exerçait notamment un précieux rôle de modérateur auprès du roi Philippe V). La querelle s’envenime, une tentative de conciliation échoue à la conférence du Prado de 1738, et le parti belliciste britannique – qui recherche le moindre prétexte pour déclencher la guerre, s’apprête désormais à porter le coup de grâce..
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… Fin de la Partie II …
Dans la troisième puis dernière partie de cette grande série préliminaire, je vous plongerai dans les affres de la guerre de Succession d’Autriche, un des premiers grands conflits à dimension planétaire de l’Histoire.
Conflit dont je vous raconterai d’abord la dimension continentale, qui verra en effet s’opposer (sur trois grands théâtres) la quasi-totalité des grandes puissances européennes de l’époque (France, Autriche, Grande-Bretagne, Espagne, Provinces-Unies, Prusse, Russie, Suède, Saxe, Bavière, royaume de Naples et de Savoie-Sardaigne,…).
Conflit dont nous verrons tant l’implication que les répercussions majeures pour la France ainsi que plus globalement pour l’ensemble de l’Europe (dont cette guerre bouleversera ainsi les grands équilibres et rapports de force géopolitiques en place depuis plusieurs siècles).
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