Dans cette catégorie… (la grande « œuvre » du blog)

La Seconde guerre de Cent Ans : vous n’en avez peut-être jamais entendu parler, et pourtant, Dieu sait qu’il s’agit d’un épisode décisif pour l’histoire et la compréhension de notre monde moderne. Le terme est discutable. Mais il a néanmoins le mérite d’être évocateur. À l’instar du long conflit médiéval que chacun connaît, la Seconde guerre de Cent Ans est en effet affaire de guerre entre la France et l’Angleterre. Plus exactement, elle désigne la suite quasi-ininterrompue de conflits qui vont opposer, de 1688 à 1815 (c’est-à-dire du règne de Louis XIV à celui de Napoléon, en passant par ceux de Louis XV, de Louis XVI et les temps troublés de la Révolution), la France des rois Bourbons et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne.

« Au XVIe et au XVIIe siècle, la France et l’Angleterre avaient vécu tantôt en bons termes, tantôt en mauvais, selon les combinaisons du moment. Mais, à partir de 1688, tout change. La guerre est la règle, la paix une trêve qui permet aux combattants de refaire leurs forces. Le compte est facile à établir : en 1688, guerre de la Ligue d’Augsbourg qui dure neuf ans, jusqu’en 1697 ; en 1702, guerre de la Succession d’Espagne qui dure onze ans, jusqu’en 1713 ; en 1741, guerre de la Succession d’Autriche qui dure sept ans, jusqu’en 1748 ; en 1756, guerre de Sept Ans, jusqu’en 1763 ; en 1778, guerre de l’Indépendance des États-Unis qui dure cinq ans, jusqu’en 1783 ; en 1793, premières coalitions contre la Révolution, jusqu’à la paix d’Amiens en 1802, soit neuf ans de guerre ; en 1803, dernières coalitions contre Napoléon, qui durent douze ans, jusqu’en 1815. Durant ces cent vingt-sept ans, la France soutint donc contre l’Angleterre sept grandes guerres qui durèrent en tout soixante ans. Si l’on excepte les années 1713 à 1741 qui correspondent chez nous à la Régence et au ministère de Fleury, en Angleterre aux ministères des Standhope et de Walpole, l’Angleterre, pendant plus d’un siècle, n’a pas cessé d’être à la tête de nos ennemis. L’hostilité anglaise est le fait dominant de notre histoire pendant cette période. C’est aussi le fait dominant de l’histoire du monde. » (Pierre Gaxotte, 1933)

En cette période de « grand XVIIIe siècle », pourquoi la France et l’Angleterre sont-elles ainsi en état de guerre presque continuel ? En deux mots – et pour faire simple : pour rien de moins que la domination (de la mondialisation) du monde. En effet, vers la fin du XVIIe siècle, la France et la Grande-Bretagne, en plus de leur statut de nouvelles superpuissances européennes, ont également émergé comme les deux plus importantes puissances mondiales. Première nation partie à la conquête du (Nouveau) Monde, le Portugal est hors-circuit depuis longtemps. De même – et malgré son empire géant des Amériques, le déclin de l’Espagne est consommé. La superpuissance marchande et maritime hollandaise s’est effondrée suite aux guerres louis-quatorziennes (et s’est en fait transférée en Angleterre). Jamais le monde n’a, pourtant, été aussi disposée à la domination des puissances maritimes. La conquête des Amériques est depuis longtemps déjà bien entamée. Contourné par les mers, l’Empire ottoman a perdu son statut de jonction entre l’Occident et l’Orient – auxquels les Européens accèdent désormais directement. Les côtes de l’Afrique sont un dramatique comptoir géant à esclaves. Quant à l’Asie, et en particulier le riche sous-continent indien, déjà lui aussi garni de comptoirs commerciaux, il est tout prêt à se laisser conquérir, avec le délitement de l’Empire moghol. La Chine et le Japon opte pour l’isolationnisme.

Sur le Vieux Continent, aussi, les cartes ont été rebattues. La France a remplacé l’Espagne comme puissance hégémonique. Elle a brisé l’encerclement Habsbourg, et déjà atteint une taille proche de ses frontières modernes. Seuls l’Autriche et le Saint-Empire lui disputent encore l’hégémonie du continent. La Prusse n’est encore qu’une puissance naissante, et l’Italie en tant que pays n’existe pas encore. La Russie est encore en train d’émerger. L’Angleterre, de son côté, a déjà fait sa révolution (économique et politique), et incarne plus que n’importe quelle autre la grande puissance de la Modernité. Elle aussi, par sa diplomatie et ses engagements continentaux, conteste à la France sa domination (militaire, mais aussi politique, économique et culturelle) de l’Europe. Après trois siècles de prédominance de la grande rivalité franco-habsbourgeoise, la rivalité entre la France et l’Angleterre est ainsi (re)devenue la donnée majeure de la géopolitique européenne, celle qui structure, plus que toutes les autres, le jeu des relations internationales. Mais au-delà des enjeux de domination de l’Europe, la rivalité franco-anglaise est avant tout une rivalité mondiale.

En ce tournant du XVIIIe siècle, deux puissances sont en effet en lice et se disputent l’hégémonie mondiale : il s’agit, comme vous l’aurez compris, de nos deux chers voisins d’outre-Manche. Installés peu ou prou aux mêmes endroits outremers, partout leurs intérêts s’opposent. Leurs colonies d’Amérique sont rivales. Leurs comptoirs indiens aussi. Leurs commerces internationaux sont concurrents. Partout, des Antilles au Sénégal, et de l’Amérique du Nord aux Indes, Français et Britanniques sont en compétition. Rarement rivalité n’a pris tournure aussi holistique. En définitive, la France et l’Angleterre du XVIIIe siècle sont fondamentalement deux pays que tout oppose (modèle politique, système économique, valeurs culturelles, sans parler bien sûr de leurs colonies Outre-mer et de leurs intérêts économiques et commerciaux). Les deux puissances ne semblent en fait s’accorder que sur un principe : disputer à l’autre la domination du monde colonial et maritime. Le grand choc semble ainsi inévitable. Et il aura lieu : ce sera, en particulier, la guerre de Sept Ans (1756-1763), conflit-pivot de l’Histoire du Monde (et objet d’une grande série documentaire du blog, à retrouver dans le cadre de cette rubrique).

Si cette dernière n’est que l’un des épisodes de cette Seconde guerre de Cent Ans, elle en constitue en effet l’événement majeur ; le paroxysme et le moment-charnière. Pour la première fois (en tout cas pour la première fois dans cette envergure), deux nations s’y affronteront aussi bien sur le continent européen qu’aux quatre coins des mers du globe, et surtout via trois grands théâtres planétaires distincts (Europe, Amérique du Nord et Antilles, et océan et sous-continent indiens). C’est d’ailleurs pourquoi la guerre de Sept Ans est considérée par de nombreux historiens comme l’une si ce n’est la première guerre véritablement « mondiale » de l’Histoire.

Cette guerre est bien trop méconnue et oubliée. Elle constitue pourtant l’un des plus importants tournants de l’Histoire moderne ; le moment où la France perdit à jamais, au profit de l’Angleterre, « l’Empire du Monde » (ou plus exactement, le moment où l’Empire britannique en devenir porta un coup fatal à son dernier grand rival maritime, la seule puissance encore capable de faire obstacle à son dessein d’hégémonie du monde colonial et du commerce international…). La guerre de Sept Ans constitue aussi le témoin privilégié tant de la grande dynamique de mondialisation des conflits qui caractérise le XVIIIe siècle que de leur internationalisation, c’est-à-dire de ce moment de l’Histoire où les intérêts économiques et financiers – en particulier ceux de la City de Londres – commencent à peser de tout leur poids sur la marche du monde (avant de bientôt gouverner ce dernier…).

De façon générale, on ne peut vraiment comprendre le XVIIIe siècle, ce fameux « Siècle des Lumières » – ni d’ailleurs le monde qui lui succède (celui du libéralisme triomphant du XIXe siècle), sans s’intéresser à ce grand conflit global (et planétaire) entre la France et l’Angleterre. Car il le conditionne et le façonne dans toute sa profondeur. De Louis XIV à Waterloo (en passant donc par la guerre de Sept Ans puis celle de l’Indépendance américaine), la rivalité franco-britannique constitua dans les faits la donnée-clé de la géopolitique mondiale. Du résultat de cette lutte se décida la trajectoire de notre monde moderne. C’est en effet sous les murs de Québec le 13 juillet 1759, ou encore dans la baie de Chesapeake le 05 septembre 1781, que se joua, sommes toutes, l’avenir et le destin général du monde. En l’occurrence : l’émergence d’un nouvel ordre mondial caractérisé par près d’un siècle et demi de « Pax Britannica » et de règne (presque) sans partage de l’Empire britannique (puis après lui de son fils culturel et spirituel américain) sur l’ensemble du globe. Et malgré une épopée napoléonienne aussi remarquable que fantasmée, il ne put y avoir, quoiqu’on en dise, aucun véritable retour en arrière.

« La persistance de cette rivalité échappe trop souvent aux Français. Les livres d’enseignement ne la racontent point d’affilée, ils y reviennent à trois ou quatre reprises et, chaque fois, la ligne générale du récit est cachée par les événements européens qui, étant plus près de nous, parlent mieux à notre mémoire. En fait, entre 1688 et 1815, l’Angleterre a disputé à la France et conquis sur l’Europe l’hégémonie des océans et du trafic international. La suprématie coloniale, maritime et commerciale fut l’enjeu de cette seconde guerre de Cent Ans. Mais, tandis que l’Angleterre menait la bataille avec la claire vision du but à atteindre, la volonté de vaincre à tout prix, le consentement unanime de la nation, la France, victime de sa nature amphibie, était constamment obligée de partager ses forces, de faire front à la fois sur terre et sur mer, sans que l’opinion incertaine parvînt à se fixer et à prendre conscience de ses intérêts. » (Pierre Gaxotte, 1933)

Donner à voir, à connaître et à comprendre les grands tenants et aboutissants de cette Seconde guerre de Cent Ans et de ce grand duel mondial franco-britannique, c’est ainsi tout l’objet de cette rubrique (qui compile l’ensemble des articles et des séries documentaires de mon site qui leur sont relatifs). Au travers en particulier de ma grande série autour de la guerre de Sept Ans et des dizaines d’articles thématiques qui en sont issus, j’ai en effet dessiné ce que je considère être la grande œuvre du blog, à savoir : une gigantesque fresque historique qui vise à faire le “pont” entre ces deux géants de l’historiographie française que constituent le règne de Louis XIV et la Révolution. Deux géants qui tendent à vrai dire à écraser et occulter peu ou prou tout ce qu’il y a entre, en l’occurrence : les règnes de Louis XV puis de Louis XVI, probablement les plus décisifs de toute l’Histoire de France, là où se joua, somme toute, l’Histoire du Monde. Centrés sur les Lumières, les programmes scolaires ont en effet malheureusement (trop) tendance à oublier tout le reste, en particulier les questions géopolitiques et géostratégiques ainsi que les dynamiques socioéconomiques et politico-religieuses, si incontournables pourtant pour comprendre le “Grand XVIIIe siècle” (1688-1815), lui-même incontournable pour comprendre le devenir de notre monde moderne (et notamment la mondialisation capitaliste et libérale d’inspiration anglosaxonne des XIXe et XXe siècles et l’avènement de la société thermo-industrielle).

Au travers de ces écrits – et même si vous n’apprécierez probablement pas toujours ce que vous apprendrez, vous comprendrez ainsi un peu mieux pourquoi l’anglais, plutôt que le français, est devenue la langue universelle mondiale ; pourquoi et comment la présence française fut effacée des continents américain et indien (laissant ce faisant le champ libre à l’hégémonie britannique en Amérique du Nord, et permettant dans le même temps à l’autre bout du monde la colonisation ultérieure des Indes puis de l’Australie par la Grande-Bretagne) ; pourquoi Louis XVI envoya sa Marine aider les Insurgés américains (leur offrant leur indépendance et permettant ainsi la fondation des jeunes États-Unis d’Amérique) ; et pourquoi Napoléon conquît l’Europe jusqu’à la Russie (et y établit un immense blocus continental).

Vous (re)découvrirez les grandes révolutions et mutations (techniques, économiques, militaires, géopolitiques, anthropologiques) qui caractérisent l’époque moderne, entre bouleversements internes au Vieux Continent (imprimerie, naissance et diffusion du protestantisme, essor de la bourgeoisie,…) et projection de l’Europe outremer (exploration maritime, découverte et colonisation du Nouveau Monde, mondialisation des échanges,…). Vous plongerez dans la naissance du libéralisme (économique et politique), du parlementarisme, et encore plus fondamentalement dans le long processus de mondialisation maritime et de globalisation économique qui mèneront aux prémices de l’ère industrielle. Si la « question sociale » vous intéresse, vous comprendrez en particulier (dans une intéressante résonance avec quelques-unes de nos problématiques contemporaines), quand et comment est né le régime capitaliste moderne, de même que ses corollaires idéologie et classe bourgeoises (et en leur sein une certaine oligarchie marchande et financière international(ist)e), et dans quelle mesure celles-ci pèseront de tout leur poids sur le devenir du monde. Vous apprendrez comment est né puis est mort le premier empire colonial français, et peut-être aussi au passage pourquoi tant de régions d’Europe partagent l’histoire d’un pays n’ayant aujourd’hui rien à voir avec le leur, et pourquoi tel ou tel coin du monde a quant à lui des attaches avec tel ou tel pays européen. Et tant d’autres choses…

Des Grandes Découvertes à l’établissement des grands empires coloniaux européens outremers, de la grande époque de la marine à voile à la première Révolution Industrielle, des plans d’invasion de l’Angleterre à la chute du Canada français, du Grand Siècle à l’avènement des Lumières et de la Révolution française, de l’apogée au crépuscule de la Monarchie absolue et de la naissance du capitalisme moderne à la prise de pouvoir de la bourgeoisie, partez ainsi à la (re)découverte des grands événements de notre histoire moderne qui, bien que lointains, expliquent et donnent à comprendre tant de choses de notre monde contemporain… ! 🌎🌍🌏

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