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La Cham des Bondons : le vaste et grandiose « Carnac » du mont Lozère [Photoreportage]

Sur la route des paysages les plus singuliers de France, la Lozère (et sa cham des Bondons) est indéniablement un grand incontournable. Située au cœur du Massif central (soit en quelque sorte, selon mon hasardeuse formule, au « milieu des montagnes-centre »), sa variété géologique (sols calcaires, granitiques, schisteux) et son ensoleillement comme sa pluviométrie importante (point de rencontre des influences méditerranéennes et atlantiques), lui ont donné des paysages grandioses : montagnes arrondies aux sommets joliment boisés de la Margeride ; grandes étendues steppiques des Causses, creusées de spectaculaires gorges (Tarn, Jonte, Lot) ou d’étranges et profonds gouffres (les fameux « avens ») ; horizons dégagés surplombant des landes infinies d’herbes grasses et de bruyère du mont Lozère ; montagnes escarpées couvertes de cultures en terrasse et façonnées par les schistes des Cévennes…

Et parallèlement aux paysages naturels, l’histoire n’est pas en reste. Les deux s’imbriquent, même. Comme ici, sur ces pentes du mont Lozère, une des plus hautes et belles montagnes des Cévennes, où se niche assez secrètement la deuxième plus grande concentration de mégalithes en Europe après celle de Carnac (Bretagne) – la plus célèbre de France. À l’image de l’Ardèche voisine ou du plus lointain Périgord, la Lozère est en effet une terre de peuplement ancien, mais aussi une terre rude, longtemps inhospitalière, où l’Homme ne s’établira pas sans un grand effort d’adaptation, et nous laissera en témoignage de son premier passage, de fabuleux monuments préhistoriques.

Notamment là, sur un vaste plateau calcaire du sud-ouest du mont Lozère, où sur plus d’une dizaine de kilomètres carrés, sur un vaste champ (cham, en occitan local) proche du village des Bondons, se dispersent dans le grandiose paysage d’herbe jaune et de landes pas moins de 154 menhirs, ainsi que 3 dolmens, une trentaine de tertres funéraires, et même des vestiges d’habitat. Contrastant avec la nature calcaire du sol de cette partie de la montagne, tantôt alignés sur les crêtes et les croupes ou regroupés en cercle, les menhirs proviennent du socle granitique du mont Lozère.

Ces menhirs – qui semblent tout droit sortis d’Obélix et Compagnie (pour les connaisseurs), on peut les admirer, du plus petit au plus grand d’entre eux (5,40 mètres de haut), en empruntant la départementale 35, au départ du col de Montmirat. Une bien belle ballade donnant également l’occasion de découvrir le paysage remarquable du mont Lozère, ses belles landes de bruyère et de granite, et plus spécifiquement, sur le cham-même, les deux magnifiques puechs des Bondons : deux immenses mamelons de marnes recouverts d’herbe jaune-verte, semblant comme constituer le pendant naturel de l’œuvre humaine – à moins que ce ne soit plutôt l’inverse..?

Mais laissons encore pour le moment de côté la voiture et le voyage physique, et partons à leur découverte seulement armés de quelques mots et de photographies, ainsi véhiculés par le seul moteur de nos riches imaginations..

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Les hautes et basses terres du sud du Massif central : une région de peuplement (pré)historique

Les plus anciens vestiges préhistoriques découverts à ce jour dans la région remontent au Paléolithique moyen (50 000 ans av. J.-C.). C’est d’ailleurs aux alentours de cette époque que dans les gorges de l’Ardèche voisine, les hommes vivent et aménagent les grottes locales, et nous y laissent de somptueux témoignages de la finesse de leur culture et de leur art, déjà extrêmement développés.

À la fin du Paléolithique (8 000 ans av. J.-C.), l’existence de lambeaux de glaciers sur les hautes terres (mont Lozère, mont Aigoual) ne demeurent guère favorable à l’installation des Hommes. La première région peuplée a donc probablement été celle des vallées cévenoles (Hérault, Gardons, Cèze, etc.), au climat plus tempéré.

Les Grands Causses (du nom donné dans le Massif central aux paysages de karst, une structure géomorphologique correspondant à de grands plateaux calcaires creusés par les eaux), ont été, chronologiquement, la deuxième région de peuplement. Déjà fréquentés épisodiquement par les hommes du Paléolithique, leurs abris naturels nombreux (grottes, avens, abris sous roche) en feront un fort lieu de la préhistoire dès le réchauffement du Mésolithique (qui intervient entre 8 000 et 5 000 av. J.-C.).

Un superbe schéma modélisant le relief karstique correspondant aux causses

C’est dans ces régions, et sur les contreforts du mont Lozère, que l’on trouve ainsi le plus grand nombre de mégalithes (du grec mega : grand ; lithos : pierre) édifiés sous la double influence de la civilisation mégalithique atlantique (dolmens ouverts au sud-est) et du courant méditerranéen (dolmens ouverts au sud-ouest). Menhirs et dolmens des grands causses ne datent toutefois, pour les plus anciens, que du Néolithique final (vers 2 500 av. J.-C.), alors qu’en comparaison, les mégalithes armoricains (comme ceux de Carnac) ont été édifiés plus précocement, au début du Néolithique (3 500 av. J.-C.).

Un magnifique dessin des reconstitution des alignements de Carnac à la Préhistoire, réalisé par l’archéologue français Jean-Claude Golvin (l’un des pionniers de la reconstitution par l’image, auteur de plus d’un millier d’aquarelles reconstituant des sites historiques et des cités antiques, de la Préhistoire au Moyen-Âge !)

Mystérieux mégalithes…

Avant d’aller plus loin, peut-être quelques petites définitions et distinctions des différents types de mégalithes (dolmens, menhirs, etc.) s’imposent.

Les dolmens (qui s’apparentent à des monuments funéraires) comportent plusieurs types : dolmen simple, à couloir, à couloir coudé,… Ils ont néanmoins tous en commun d’être construits de dalles massives, et assemblées de manière à constituer une chambre funéraire, toujours recouvertes (à l’origine, d’un tumulus de terre et de pierrailles).

S’il ressemble beaucoup au dolmen, le coffre mégalithique se présente quant à lui sous la forme de dimensions plus modestes, et à la différence du dolmen, il était accessible par le dessus. Il correspond globalement au déclin de cette civilisation mégalithique (Chalcolithique final, vers 1 800 av. J.-C.). A noter que dolmens et coffres ne sont que rarement arrivés intacts jusqu’à nos jours : nombreux ont été réutilisés en effet pendant une longue période (souvent jusqu’à l’époque gallo-romaine).

Le menhir, le mégalithe le plus connu, constitué d’une seule pierre verticale, n’est accompagné quant à lui d’aucun élément permettant d’identifier rigoureusement son utilisation. Les hypothèses quant à cette dernière sont effectivement multiples : des plus utilitaristes (repères topographiques) aux plus spiritualistes (culte phallique, culte astronomique, géomancie,…).

Aucune conclusion scientifique déterminante ne permet, actuellement, de départager les tenants des diverses théories. Les uns comme les autres sont depuis longtemps entrés dans la légende (sous des noms à l’imaginaire aussi évocateur que « maison des fées », « tombe de géants », « doigt ou canne de Gargantua », etc.).

Les mégalithes interviennent en effet dans beaucoup de récits, légendes et mythes. On les retrouve notamment, avec leur région de riche implantation, comme le terreau fertile de nombreux romans fantastiques (comme par exemple le Chien des Baskerville, célèbre Sherlock Homes se déroulant dans le cadre des légendaires landes de Cornouailles – région objet également d’un prochain article dédié).

Le meneur de loups (gravure), dans le paysage de landes de granite qui est souvent associé à ces légendes
Vieille gravure représentant un « meneur de loups », dans un paysage de landes de granite très caractéristique de ce type de légendes, et qui rappelle d’ailleurs ici beaucoup certains paysages de Lozère (une illustration figurant également dans ma série d’articles consacrée à l’histoire de la bête du Gévaudan)

Pour ceux que cela intéresse : un long reportage historique sur l’histoire de la bête du Gévaudan (ainsi que sur les enseignements de cette extraordinaire histoire), en même temps qu’une longue et riche immersion dans la Lozère du XVIIIe siècle !

La construction des mégalithes de la Cham des Bondons

L’édification de tel monument était loin de constituer un travail de tout repos, et constitue même à vrai dire une sacrée prouesse technique. Prouesse de ces mégalithes dont la qualité de construction comme le nombre de réalisations (ainsi que leurs fonctions) conservent aujourd’hui quelques aspects assez mystérieux (et encore, ne parlons pas ici d’autres structures mégalithiques que l’on peut rencontrer dans les îles de Méditerranée – comme celles de Malte : vieilles de 12 000 ans, à la construction encore bien mystérieuse et objet de nombreuses théories, dont certaines bien peu… terrestres !).

Une vidéo très intéressante et apprenante sur l’histoire plus globale de la civilisation et de la culture mégalithiques.. !

Revenons à nos menhirs de Lozère. Sur le terrain calcaire, les dalles devaient être détachées par l’association de l’eau, du feu et de coins de bois et transportées à l’aide de rouleaux de bois, sur lesquels on les faisait glisser à l’aide de leviers. A noter ici que certains menhirs en granite ont été extraits à plusieurs kilomètres de leur lieu d’implantation (exemple du menhir de La Chaumette, au-dessus d’Ispagnac, situé sur le causse calcaire – c’est-à-dire à 4 kilomètres du granite le plus proche).

En ce qui concerne l’édification des dolmens, leur mise en place nécessitait le creusement de rigoles destinées à recevoir les dalles verticales. Une fois ces dernières bien calées, on amoncelait alors sur ces dalles de la terre et des cailloux, ce qui permettait ainsi de bloquer l’ensemble, avant d’enfin haler au sommet la table de couverture (généralement lourde de dizaines de tonnes.. !).

Pour dresser un menhir, l’on usait probablement aussi d’un système de leviers et de calages successifs, avant de le faire glisser dans la fosse préalablement creusée pour le recevoir (à nouveau un travail probablement titanesque, quand l’on sait qu’en Bretagne par exemple, certains menhirs dressés par l’Homme atteignaient plus de douze mètres de haut, et un poids en tonne encore supérieur.. !).


Protection, restauration et découverte de la Cham des Bondons

De tailles très variables (entre 1 m et 5,40 m), de forme arrondie, quadrangulaire ou lancéolée, gravés ou non de cupules (petits creux), en Lozère comme ailleurs, peu de menhirs sont parvenus jusqu’à nous dans leur position verticale (sur la cham des Bondons, plusieurs dizaines ont à ce titre été redressés au cours des dernières années).

Les dolmens, quant à eux, ont fait l’objet de fouilles à diverses époques, avec plus ou moins de méthode. Leur qualité de restauration et de protection est aujourd’hui à attribuer à la Direction régionale des affaires culturelles du Languedoc-Roussillon, au Parc National des Cévennes (sur la base de la riche et précise documentation à partir de laquelle est rédigée cette publication) et au Centre de recherches et de documentation préhistorique de la Lozère, les trois acteurs centraux de la sauvegarde de ce patrimoine, qui ont mené à bien un certain nombre de fouilles, de sondages et de consolidations.

Aujourd’hui, en plus d’un remarquable travail d’information, de sensibilisation et de découverte de ces précieux vestiges préhistoriques, ces acteurs veillent à leur sauvegarde ainsi qu’à la prévention des fouilles sauvages, qui aboutissent malheureusement dans la plupart des cas à la destruction pure et simple de l’ordonnancement des matériaux (qui, seul, permet de reconstituer la chronologie du dépôt).

Parallèlement à leur travail de sauvegarde, notre trio est également à l’origine des nombreux itinéraires et parcours de découverte qui permettent aujourd’hui d’offrir aux visiteurs et autres curieux un aperçu de l’ensemble de ce patrimoine, et surtout de le situer dans son contexte géographique. Notons parmi eux ceux proposés dans le cadre de l’écomusée du mont Lozère (https://lozere.fr/ecomusee-du-mont-lozere-un-musee-ciel-ouvert.html ), situé à Pont-de-Montvert en bordure du Tarn, ou celui de l’écomusée du Causse, entre Méjean et Sauveterre. Autant d’invitations à aller faire un tour dans cette belle région, où les merveilles naturelles apparaissent à chaque coin de route..

Pour finir (et pour boucler la boucle), je ne pouvais vous avoir évoqué Obélix & Compagnie au début de l’article et autant parlé de menhirs, sans un amusant petit clin d’œil et dédicace à cet excellent album d’Astérix & Obélix. Album qui en plus de parler de menhirs, de menhirs, et encore de menhirs, nous fait découvrir le monde merveilleux du marché à l’époque romaine, ainsi que de la loi de l’offre et de la demande (des planches d’ailleurs utilisées aujourd’hui par des professeurs de SES pour la réalisation d’exercices à leurs élèves sur ces notions – que je remercie d’ailleurs ici pour l’utilisation des images !).

Mais ceux qui connaissent l’album savent que tout ne va pas rester si simple pour Caius Saugrenus.. 🙃


Pour aller plus loin… (en Lozère, par exemple ?) 🏞

Bien sûr, si vous n’êtes jamais venus en Lozère, venez découvrir par vous-même ces incroyables paysages dont nous venons tant de parler (étant acquis que les Lozériens ne vivant pas du tourisme vont certainement m’a-do-rer pour ce genre de recommandations.. ! 🙃).

Si l’histoire plus générale de cette région vous intéresse, notamment dans son façonnement par des millénaires de pratiques de l’agropastoralisme, n’hésitez pas à consulter mon article dédié sur cette thématique.. !

Des paysages d’une sauvage beauté, mais non à proprement parler sauvages, car fruit d’un patient travail de l’Homme, d’un aménagement plurimillénaire, qui transforma ainsi des territoires de nature inhospitalière en des lieux où les communautés humaines purent vivre et se nourrir. Des territoires en fait façonnés par les pratiques multiséculaires de l’agropastoralisme, où l’Homme, plutôt que (et dans l’incapacité de) le dénaturer, a longuement appris à « apprivoiser » son environnement. Des milliers d’années de pratique d’un mode de vie ancestral dont témoignent ainsi aujourd’hui les grandioses paysages des Causses et des Cévennes, inscrits à ce titre au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Mais revenons à la Lozère contemporaine. La Lozère, les offices et aménagements de tourisme y sont nombreux et très bien équipées et organisées (tout en n’étant pas envahissant et polluant pour les paysages – un point beaucoup plus rare), les habitants d’une grande hospitalité, ayant à cœur un respect et un amour de leur environnement que je trouve d’une intensité rare. Personnellement, depuis que j’ai découvert la Lozère en 2020, et résidant en région parisienne, je n’ai jamais cessé de demeurer nostalgique de mes trop rares passages là-bas, où j’aimais à me noyer et me perdre dans la contemplation de ces paysages..

On m’a un jour dit que la Lozère était parfois surnommée la « Petite Corse ». Il est vrai qu’il y a effectivement quelques choses d’un peu « insulaire » en Lozère, comme une île au milieu du Massif central, lui-même au milieu de la France. Le lieu – pour qui s’y attarde, s’y intéresse et le respecte – d’une véritable logique de vie en communauté, d’entraide, de partage et d’ouverture qui me semble animée la plupart des lozérien(ne)s que j’ai eu l’occasion de rencontrer (même si je ne peux cacher à titre personnel que le stigmate parisien a parfois la vie dure.. ! 😅).

Le lieu de paysages extraordinaires, à l’immensité et infinité tantôt profondément apaisante, tantôt activement fantastique et excitante. Des paysages dont je suis, je le crois bien, tombé profondément et définitivement amoureux, et qui m’attirent toujours là-bas comme un aimant, invariablement… Le corps à Paris, le cœur en Lozère. Jusqu’à ce que.. ? 🛣🚚 !


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