You are currently viewing L’Amérique du Nord vers 1750 : aux racines de la grande rivalité franco-anglaise du XVIIIe siècle !

L’Amérique du Nord vers 1750 : aux racines de la grande rivalité franco-anglaise du XVIIIe siècle !

Particulièrement alimentée au XVIIIe siècle par la concurrence coloniale, la rivalité franco-anglaise précède néanmoins de loin l’établissement des uns et des autres en Amérique du Nord. Les aristocrates normands au pouvoir en Angleterre ont vécu, pourrait-on dire, « dans la rivalité avec la Couronne française depuis 1066 et la bataille de Hastings » (bataille marquant la victoire décisive de Guillaume le Conquérant sur les Saxons qui contrôlaient alors l’Angleterre, et lui ouvrant la conquête et prise de contrôle du pays). On ne compte plus ensuite le nombre de guerres qui verront la France et l’Angleterre s’affronter, siècle après siècle.

Dans ce petit article extrait de ma grande série sur les origines de la guerre de Sept Ans (conflit considéré par les historiens comme la première véritable « guerre mondiale »), je vous propose ainsi de revenir sur les grandes racines et ressorts (économiques, commerciaux, (géo)politiques, culturels,….) qui sous-tendent et président à la rivalité franche et globale qui va opposer une nouvelle fois de leur Histoire la France et l’Angleterre (et qui se traduira par presqu’un siècle de guerre quasi-continuelle entre les deux grandes puissances, parfois qualifiée par les historiens de « Seconde Guerre de Cent ans »). Bonne lecture !

Sommaire de l'article masquer

Une rivalité qui remonte au milieu du Moyen-Âge

Dans l’imaginaire populaire, l’événement le plus marquant et représentatif de la rivalité franco-anglaise demeure certainement la célèbre guerre de Cent Ans (qui en durera en pratique cent vingt-six, entrecoupés de période de trêves !). Un interminable conflit larvé né de la prétention des Plantagenêts (une dynastie d’origine française occupant alors le trône d’Angleterre) à occuper la Couronne vacante du royaume de France. Cette prétention faisait suite à la mort du dernier roi de la dynastie capétienne sans descendance mâle (un fils de Philippe le Bel) – couronne à laquelle prétendait également la dynastie française des Valois. Avec bien sûr, en arrière-plan, des enjeux économiques, politiques et territoriaux très importants (notamment la souveraineté et le contrôle des riches fiefs de la Guyenne – l’actuelle Aquitaine, terrain d’affrontements entre Plantagenets et Capétiens depuis plus de deux siècles).

Sur ce sujet aussi central que rarement abordé dans ses détails et finesses (ainsi que sur l’importance fondamentale des « princes du sang » dans l’ancien système monarchique français), je renvoie les intéressé(e)s vers cet autre article du blog !

Carte du royaume de France en 1180
Une belle carte du royaume de France en l’an 1180, où l’on prend bien la mesure de l’importance des possessions territoriales des Plantagenêts. Grâce à l’héritage de la couronne anglaise obtenue par des mariages stratégiquement contractés (mais également grâce à son mariage avec Aliénor d’Aquitaine, l’ancienne épouse du roi du France), le duc d’Anjou Henri II Plantagenêt règne alors sur des possessions allant des Highlands écossais aux Pyrénées basques. Les historiens ont d’ailleurs parfois parlé d’« Empire Plantagenêt » pour désigner ce contrôle de la lignée des ducs d’Anjou sur l’ensemble de la façade atlantique de la France et de la Grande-Bretagne (Guyenne, Poitou, Maine, Anjou, Normandie, Angleterre,…), et la « première guerre de Cent Ans » le siècle de rivalité et de « guerre froide » entre les Capétiens et les Plantagenets que cette mainmise d’un théorique vassal du roi de France sur son territoire va générer.

L’ère coloniale : le retour de la franche rivalité entre la France et la Grande-Bretagne

L’enjeu de l’affrontement [franco-britannique à l’époque moderne] est avant tout économique ; en un temps où le grand commerce maritime et colonial assure des énormes plus-values, la possession et l’exploitation de colonies est essentielle, dans la mesure où celles-ci fournissent des produits exotiques dont la consommation s’accroît en Europe continentale (sucre, tabac, café puis thé). […] De même les compagnies des Indes orientales sont en concurrence et bientôt en conflit pour le commerce dans le sous-continent indien. […] De la même manière, Français et Anglais sont rivaux pour obtenir l’accès au marché de l’Amérique latine, qui demeure un prodigieux débouché pour les produits manufacturés et les esclaves. […] À cette rivalité purement économique il faut ajouter des raisons stratégiques, basées sur les craintes anglaises. […] Les autorités de Whitehall [le siège du gouvernement britannique, NDLR] sont poussées par les colons anglo-américains qui redoutent que les Français ne les coincent définitivement entre les Appalaches et la côte atlantique, en s’emparant de la vallée de l’Ohio et du bassin du Mississippi, reliant solidement la vallée du Saint-Laurent à la Louisiane.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au xviiie siècle, pp. 21-22

Je renvoie celles et ceux qui souhaiteraient en apprendre davantage sur la Révolution anglaise de 1688-1689 et ses profondes répercussions sur l’histoire britannique et plus largement européenne vers cet autre article du blog sur le sujet !

À l’époque moderne, c’est plutôt comme puissance protestante (et commerciale) que l’Angleterre s’affirmera contre l’Espagne et la France. Suite à un XVIIe siècle marqué par l’essor et la propagation de l’Église réformée à travers toute l’Europe (et par les dramatiques guerres de religion qui l’accompagne), l’Angleterre voit en effet pour mémoire sa Couronne basculer dans le giron protestant en 1688, avec l’arrivée au pouvoir du hollandais Guillaume III d’Orange-Nassau, en lieu et place de la dynastie des Stuart (dont les derniers monarques s’étaient convertis au catholicisme). Se définissant lui-même comme un « champion de la cause protestante », Guillaume III (et ses successeurs) s’attacheront à donner une coloration religieuse à la politique intérieure et extérieure de la Grande-Bretagne, favorisant ainsi les alliances avec les grandes puissances protestantes du Continent (notamment les Provinces-Unies et l’Autriche), et la positionnant a contrario en grand adversaire de l’hégémonie continentale de l’Espagne et de la France, épicentres du renouveau catholique (« Contre-Réforme ») qui traverse alors le continent en réaction à la Réforme (et alors tristement connus pour leurs persécutions à grande échelle des protestants de leur pays…).

Entre la Nouvelle-France et les Treize Colonies, une rivalité culturelle et religieuse …

Cette dimension religieuse revêtit en particulier une importance de premier plan en Amérique du Nord au XVIIe siècle. La Nouvelle-France est en effet une terre de mission catholique, qui attire des dévots, où se sont établis de nombreux missionnaires et entreprises d’évangélisation (particulièrement de la part des Jésuites). La Nouvelle-Angleterre est elle, a contrario, un refuge pour les puritains, persécutés en Angleterre, qui souhaitent y créer un pays en accord avec leur foi. La tension semble ainsi inévitable. L’intolérance prononcée des puritains autorise même à parler d’une véritable haine des « papistes » (terme péjoratif désignant les catholiques), nourrie par la peur. Ces premiers n’auront à ce titre de cesse, pour certains d’entre eux, de tenter de convaincre Londres d’anéantir Louisbourg et d’envahir le Canada.

En Amérique, les Anglais arrivent bons derniers : Walter Raleigh a relâché sur le littoral de ce qui fut aussitôt la Virginie, avec les dernières années du XVIe siècle, mais y a fondé un établissement éphémère ; les pèlerins du Mayflower arrivent, en 1620, au cap Cod, sur la côte de ce qui sera le Massachusetts. C’est là, à première vue, un lot géographique peu plaisant : une côte maussade, coupée d’estuaires, de golfes, de vraies mers intérieures comme la très vaste baie de Chesapeake, par surcroît une côte marécageuse, forestière, coincée vers l’ouest par les dures montagnes des Alleghanies [massif des Appalaches]. En somme, une vaste région, mal soudée dans ses différentes parties et exclusivement grâce aux lentes navigations côtières. En outre, il a fallu en éliminer des concurrents tardifs, Hollandais, Suédois, enfin survivre aux attaques insidieuses des Indiens.

Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, pp. 603-604

Les « puritains » de Nouvelle-Angleterre avaient une vision religieuse très radicalement distincte de celles des catholiques de Nouvelle-France, que les premiers considéraient comme des croyants de moindre foi.

De façon plus générale, il existait un très important contraste dans la nature du peuplement des deux colonies rivales. Comme le soulignait dès 1744 le père Charlevoix, les premiers habitants du Canada étaient « ou des ouvriers qui y ont toujours été occupés à des travaux utiles, ou des personnes de bonnes familles qui s’y transportèrent dans la vue d’y vivre plus tranquillement et d’y conserver plus sûrement leur religion qu’on ne pouvait le faire alors dans plusieurs provinces du royaume où les religionnaires étaient forts puissants ». Contrairement à l’image qui en a abusivement été donnée notamment par les « philosophes » des Lumières au XVIIIe siècle (et qui se plaisaient alors à dépeindre la Nouvelle-France comme un « ramassis de filles malades et d’anciens galériens »), les immigrants français au Canada n’étaient ni des aventuriers, ni des malingres, ni des déportés, ni des misérables. Certes, il y eut bien quelques centaines de bagnards acheminés en Louisiane à l’époque de la compagnie du Mississippi de John Law (sous la Régence), puis plus tard un millier de prisonniers envoyés de France entre 1723 et 1749 pour parer à la crise de main d’œuvre. Mais ces volumes demeurent négligeables rapportés à la masse des immigrants issus essentiellement de la paysannerie, du clergé ainsi que de la petite bourgeoisie et petite noblesse des régions de l’Ouest de la France. Rien à voir, donc, justement, avec le cas des colonies anglaises voisines, alimentées en peuplement par des sources bien moins avouables pour leurs descendants modernes :

C’est faire un honneur excessif aux colons anglais que de les représenter tous comme des dissidents religieux ou politiques, de nobles proscrits fuyant par grandeur d’âme leur ingrate patrie. Il y avait aussi parmi eux des vagabonds, des mendiants, des déportés de droit commun, des criminels graciés, d’anciens forçats et des aventuriers. Un historien américain conseillait à ses compatriotes épris de généalogies lointaines, de commencer leurs recherches par les greffes des prisons anglaises. La boutade n’est point sans fondement. Ce n’est pas d’hier non plus qu’on a inventé le moyen de stimuler l’émigration par des réclames alléchantes et fantaisistes. Rien n’égale à cet égard les opuscules imprimés à l’usage des paysans allemands et suisses. À les en croire, le paradis terrestre n’était qu’un pauvre petit jardinet à côté de la Caroline. Cette propagande portait ses fruits. Les émigrants réunis par les racoleurs partaient pour l’Amérique munis d’un contrat de travail qui, pendant dix ou vingt ans, en faisait de véritables esclaves. À leur arrivée, l’armateur les mettait aux enchères.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 201

Ce dernier aspect demeure en effet peu connu, il constitua pourtant une importante réalité du « phénomène colonial ». Ces Européens issus des classes les plus pauvres venus au Nouveau-Monde pour tenter d’échapper à la misère de leur pays en contrepartie d’années de travail gratuits dans les plantations et les fermes (une forme d’esclavage à durée limitée…), on les appelait les « engagés ». Ils furent des centaines de milliers à peupler les différentes colonies du monde colonial européen. Oubliés par l’Histoire à la différence de la il est vrai hautement tragique traite négrière (qui concerna elle plusieurs millions de déportés africains – vendus dans leur cas par les royaumes de leur propre continent…), ces « Engagés » constituent un autre grand drame de la colonisation européenne des Amériques (voir cet autre article du blog pour plus de détails sur ces tristes sujets).

De façon générale, il n’y a aucune comparaison possible entre les flots de population qui débarquent de façon presque continue dans les ports de la Virginie ou de la Nouvelle-Angleterre depuis le milieu du XVIIe siècle, et l’émigration au compte-goutte vers la Louisiane ou la vallée du Saint-Laurent. Pays immense comparable à l’époque à la Chine d’aujourd’hui, la France de l’Ancien Régime demeure un royaume agricole où les nouveaux bras sont toujours les bienvenus et où les terres ne manquent pas. Tout le contraire des îles Britanniques de la même époque, objet d’une croissance démographique importante et que le pays n’est guère en capacité d’absorber, en particulier sur le plan agricole, l’ère étant alors à l’enclosure (la privatisation par de riches propriétaires fonciers des anciennes terres communales, et leur transformation quasi-systématisée en pâturages exclusifs pour des troupeaux de moutons, dans le cadre du commerce de la laine alors en pleine expansion). Les paysans britanniques manquent de terres et connaissent une grande paupérisation depuis le début de l’époque moderne. Aussi sont-ils nombreux, à la différence de leurs voisins d’outre-Manche, à prendre le risque du grand voyage à travers l’Atlantique dans le rêve d’une vie meilleure (ils seront nombreux à « s’engager » avec leurs familles sur démarchage actif des riches colons et marchands, et ce seront par bateaux entiers qu’ils gagneront les colonies américaines) :

Les progrès du peuplement français en Amérique sont beaucoup moins spectaculaires et le fossé se creuse toujours un peu plus entre la population du Canada et celle des Treize Colonies. Certes chez les Français comme chez les Anglais, il y a une forte croissance naturelle, due à une faible mortalité et à une très forte natalité ; le solde positif est impressionnant dans toute l’Amérique du Nord, au moins dans la population d’origine européenne, bien plus fort que dans le Vieux Continent à la même époque. Cette différence s’explique par une meilleure hygiène, une meilleure alimentation, car la misère, la disette y sont pratiquement inconnues. La différence est faite par l’immigration. Les Anglais créent de nouvelles colonies en Amérique continentale (Caroline du Sud, Géorgie) mais favorisent surtout la venue de colons écossais, irlandais ou allemands – ces derniers s’installant surtout à New York et en Pennsylvanie. Si l’émigration reprend au Canada, elle est beaucoup plus faible. Le gouvernement a encouragé le peuplement de la Louisiane, voire tenté la déportation sur les rives du Mississippi de marginaux, de miséreux ou de délinquants mineurs, au moment où culminait la spéculation de Law. En revanche, la cession de l’Acadie en 1713 a représenté une perte sèche de population pour l’Amérique française, puisque les colons sont passés sous tutelle anglaise.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 180-181

Petites et désormais surpeuplées et hostiles au paysan libre, les îles Britanniques exportent ainsi en Amérique leur excédent démographique. Au début du XVIIIe siècle, c’est tous les jours en moyenne un navire qui quitte la Grande-Bretagne pour l’Amérique du Nord, chargé de familles de paysans fauchés, de cadets de famille sans perspective, de puritains en quête de liberté exclusive, de vagabonds et de délinquants de droit commun qui se voient ainsi offrir une seconde chance. Oppressés par la domination anglaise, les Irlandais et les Écossais émigrent également en masse vers les colonies anglaises d’Amérique, qui offrent un refuge et la perspective d’un pays plein de promesses, où la misère et la disette n’existent pas, et où la terre abonde. Des milliers de protestants d’origine suisse, hollandaise, allemande, scandinave,… complètent ce flux en direction de l’Amérique anglaise, qui semble se peupler dix fois plus vite que sa voisine (et bientôt rivale) française. La perspective d’un ennemi commun achèvera alors de cimenter toutes ces disparités de cultures et d’origines :

Le besoin de vivre et de se protéger imposa [aux émigrés anglais, écossais, irlandais, suisses, allemands, etc. des Treize Colonies] une vie commune. Ils se groupèrent contre les Indiens, contre les Hollandais, contre les Espagnols, contre les Français. Le sentiment du danger en fit un corps uni et vigoureux, toujours prêt à l’attaque comme à la défense.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, pp. 201-202

… mais aussi une concurrence territoriale et commerciale, notamment pour la traite des fourrures

Scène de troc entre Amérindiens et Canadiens en Nouvelle-France
Une scène de troc entre Amérindiens et Canadiens dans les Grands Lacs. L’accès aux fourrures et le monopole de leur commerce ont constitué l’une des principales racines de la rivalité franco-britannique en Amérique du Nord.

Mais la rivalité franco-anglaise en Amérique du Nord ne se limite pas bien sûr qu’aux considérations démographiques et culturelles. Elle se nourrit également puissamment de dimensions économiques et commerciales, présentes en Nouvelle-Angleterre, mais particulièrement évidentes par exemple avec la colonie de New-York, plus tolérante sur le plan religieux. Alliée des Iroquois, elle considérait le Canada comme un rival permanent dans la traite des fourrures, principale richesse de la région et objet d’une guerre commerciale impitoyable, ainsi qu’un obstacle majeur à son expansion vers l’ouest :

L’enjeu de l’affrontement [mondial franco-britannique] est avant tout économique ; en un temps où le grand commerce maritime et colonial assure des énormes plus-values, la possession et l’exploitation de colonies est essentielle, dans la mesure où celles-ci fournissent des produits exotiques dont la consommation s’accroît en Europe continentale (sucre, tabac, café puis thé). […] De même les compagnies des Indes orientales sont en concurrence et bientôt en conflit pour le commerce dans le sous-continent indien. […] De la même manière, Français et Anglais sont rivaux pour obtenir l’accès au marché de l’Amérique latine, qui demeure un prodigieux débouché pour les produits manufacturés et les esclaves. […] À cette rivalité purement économique il faut ajouter des raisons stratégiques, basées sur les craintes anglaises. […] Les autorités de Whitehall sont poussées par les colons anglo-américains qui redoutent que les Français ne les coincent définitivement entre les Appalaches et la côte atlantique, en s’emparant de la vallée de l’Ohio et du bassin du Mississippi, reliant solidement la vallée du Saint-Laurent à la Louisiane.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 21-22

De façon générale en effet, tout au long du XVIIe siècle, les Treize Colonies anglaises situées sur les rives de l’Atlantique ne cessent de s’étendre. Alors que des marchands anglais s’activent pour prendre pied à Terre-Neuve, de grands propriétaires américains rêvent de prendre possession des terres de la vallée de l’Ohio et d’étendre leur emprise sur l’Ouest. Très tôt, les velléités hégémoniques de cette puissance maritime et commerciale émergente prirent ainsi forme dans le monde colonial. Objet d’un développement économique et commercial remarquable depuis le début du XVIIIe siècle, la Grande-Bretagne a également fait avec un siècle d’avance sur la France sa révolution politique et institutionnelle. Désormais dotée d’un État moderne structuré autour d’institutions solides et d’une fiscalité efficace, et gouvernée par un Parlement aux mains de la bourgeoisie financière et marchande, l’Angleterre du XVIIIe siècle ne cache plus ses ambitions expansionnistes et impérialistes, la guerre prenant au besoin sans scrupule le relais de la paix chez les capitalistes de la City soucieux de la défense de leurs intérêts économiques et financiers partout dans le monde. Ainsi en Amérique, perle de son Empire mondial naissant, l’Angleterre place ses pions, tente quelques invasions, arrache des bribes de l’Empire français, et attend (voire suscite) son heure :

Le machinisme naît en Angleterre en avance sur toute l’Europe. Stimulés par les exportateurs, les industriels forcent leur production et soutiennent à leur tour les exportateurs dans la conquête des débouchés. La yeomanry, la classe moyenne agricole, celle des paysans libres, disparaît, dévorée par les villes. Les grandes propriétés s’annexent, un à un, les petits domaines ruraux morcelés. Lords, nababs coloniaux, parvenus du commerce et de l’industrie mènent avec ardeur ce travail de dépossession. Devenues des usines à pain et à viande, pourvoyeuses des centres manufacturiers, les campagnes ne sont plus capables de faire contrepoids aux ambitions impérialistes de la Cité. Tandis que l’évolution économique se fait en France dans le sens de la complexité, elle pousse l’Angleterre à l’unification des intérêts. La vie du pays tout entier est suspendue désormais à sa prospérité maritime. Comme l’a dit Albert Sorel, sa politique est inscrite dans le livre de ses marchands. Elle s’impose à tous avec une évidence massive qui ne laisse plus place à l’hésitation, ni au scrupule. Ayant sacrifié son agriculture à son industrie, équipé ses fabriques pour une production qu’elle ne peut absorber, construit des vaisseaux pour un trafic qu’elle ne pourrait soutenir, l’Angleterre est contrainte de chercher des terres nouvelles et des populations fraîches. Si d’autres puissances entendent lui disputer les océans et fermer à ses courtiers leurs propres colonies, elle n’aura plus qu’un but : enfoncer les barrières à coup de canon et s’emparer par la guerre des possessions d’autrui.

Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, pp. 194-195

Les Treize Colonies britanniques d'Amérique du Nord, qui encerclent au milieu des années 1750 la Nouvelle-France
Si la fondation des premiers établissements coloniaux anglais en Amérique intervient dès le début du XVIIe siècle, c’est véritablement le XVIIIe siècle qui marque l’essor (formidable) des Treize colonies anglo-américaines. Colonies qui à cette époque, doublent de population tous les dix ans, et connaissent rapidement de grandes dynamiques d’extension dans la profondeur du continent, vers l’ouest (vallée du Mississippi) et le nord (vallée du Saint-Laurent) ; c’est-à-dire vers les territoires sous contrôle de la France (ou du moins revendiqués par elle).

Témoignant de cette rivalité franco-anglaise historique, notons le fait que chaque conflit officiel entre la France et l’Angleterre durant l’époque coloniale se répercutera en Amérique du Nord : guerre de la Ligue d’Augsbourg, guerre de Succession d’Espagne, guerre de Succession d’Autriche, et bien sûr, la guerre de Sept Ans, qui poussera cette rivalité jusqu’à ses limites de coexistence possible. Cela avait cependant commencé très tôt : dès 1629, des corsaires anglais prenaient possession du poste de Québec (où se trouvait alors Champlain), mais celui-ci fut finalement rétrocédé en 1632 à la suite du traité de Saint-Germain-en-Laye (rétrocession pour laquelle Champlain aura pesé de tout son poids dans les négociations).

Mais au-delà même de la répercussion des conflits de leurs puissances-mères sur leurs colonies, existait parallèlement et tout aussi fortement une franche rivalité intercoloniale, qui fut souvent telle que les colonies étaient toujours prêtes à en découdre, nourrissant d’innombrables affrontements. Illustrant parfaitement cette rivalité où les belligérants en sont devenus à être les colonies elles-mêmes, sans même l’intervention de leur Couronne : l’expédition semi-privée qui fut financée par des intérêts américains pour tenter de prendre Québec à la fin du XVIIe siècle. Pendant quelques jours d’octobre 1690, la flotte de 34 navires (2 000 hommes) de William Phips mouille devant la capitale de la Nouvelle-France. Impassible, le gouverneur Frontenac aurait répondu sèchement : « Je n’ai point de réponse à faire à votre général, que par la bouche de mes canons et à bout de fusils ». Après une tentative de débarquement qui vira au fiasco, Phips, craignant l’hiver, ordonna la retraite et mit le cap sur Boston.

En 1690, déjà, un gouverneur du Canada (le comte de Frontenac) défendait sa capitale contre une incursion anglaise. Québec était alors, déjà, une forteresse relativement imprenable, solidement protégée par ses murs et ses batteries de canons, mais surtout et avant tout par la situation de la ville elle-même : perchée au-dessus des falaises, au niveau d’un grand rétrécissement du Saint-Laurent.

Zoom sur : le premier empire colonial français (1534-1763)

Longtemps restée une puissance maritime secondaire et à la traîne de la dynamique colonisatrice, la France se réveille d’abord au début du XVIIe siècle sous l’impulsion de François Ier, qui conteste l’hégémonie coloniale et le partage du monde entre Espagnols et Portugais que vient d’entériner le récent traité de Tordesillas. Défendant la thèse qu’une terre n’appartient pas à son inventeur mais à son possesseur, le roi de France finance les voyages de plusieurs grands navigateur (dont Cartier, qui explore et prend possession en son nom du fleuve Saint-Laurent en 1534).

Carte du traité de Tordedillas (1494), qui partage le monde entre Portugais et Espagnols
En 1494, via le célèbre traité de Tordesillas, le pape entérine le partage du (Nouveau) Monde entre Espagnols et Portugais. Aux Espagnols : l’Amérique et ses riches ressources en métaux précieux, et aux Portugais, les territoires et routes qu’ils furent les premiers à explorer (Afrique et Indes), ainsi que leur colonie du Brésil.

Un XVIe siècle d’exploration

Les premières tentatives d’établissement outremer se soldent néanmoins toutes par des échecs, tandis que dans le même temps, le pays s’embourbe dans les tragiques guerres de religion et délaisse sa politique maritime et coloniale (néanmoins entretenue de facto par les pêcheurs de l’Atlantique qui se rendent à Terre-Neuve et nouent des contacts avec les Amérindiens, ainsi que par les flibustiers des Antilles, qui y installent quelques bases).

Empêtrée ensuite dans les guerres de religion, ce n’est que vers le milieu du XVIIe que la France s’intéresse de nouveau à l’outremer sous l’impulsion du cardinal de Richelieu, qui engage la construction d’une importante flotte de guerre en même temps que la colonisation des Antilles. Mais c’est véritablement avec la régence de Louis XIV et la nomination de Colbert que commence la grande politique maritime et coloniale qui va permettre en quelques décennies à la France de s’imposer sur la mer.


Le XVIIe siècle et la fondation des grandes colonies françaises outremer

Conscient du lien vital qui unit désormais Marine et commerce (le maintien des colonies et leur lucrative exploitation nécessitant en effet un contrôle étroit des routes maritimes), Colbert entreprend de faire de la Marine française la plus puissante d’Europe. Dans la continuité de la politique maritime d’un Richelieu (qui avait doté la France de sa première véritable marine royale), Colbert recrée ainsi rapidement une importante flotte de guerre (qui atteint le nombre rare de 250 bâtiments en 1683 !). Parallèlement, le brillant gestionnaire dote la Marine d’une administration centralisée (mise en place d’intendants et de commissaires), tout en développant et modernisant les infrastructures navales du pays (ports, arsenaux,…). Cette nouvelle marine, efficace, va ainsi permettre d’appuyer une grande politique coloniale, s’accompagnant de la mise en place d’une stratégie commerciale à l’échelle mondiale.

Il suffit de connaître la situation de la France et des pays qu’elle possède au-delà des mers pour ne pas mettre en doute qu’une marine florissante lui est nécessaire, tant pour protéger le commerce que pour défendre ses côtes.

L’amiral compte de toulouse à louis xiv en 1724, cité par vergé-franceschi dans « la marine française au xviiie siècle – les espaces maritimes » (1996)

Si la colonisation et le contrôle des mers sont alors pensés comme le reflet de la grandeur de la France et de son Roi, elles répondent aussi et surtout, dans l’esprit de Colbert et de Louis XIV, à une stratégie globale visant à faire prospérer l’économie française, via le renforcement commercial de la France. Une stratégie qui passe par une conséquente politique protectionniste, via laquelle Colbert encourage notamment le développement de l’économie maritime métropolitaine (construction navale, entreprises commerciales), tout en cherchant à circonscrire le commerce extérieur de la France aux seuls navires français – en cette période où les vaisseaux marchands hollandais et anglais dominent les mers. Afin de lutter contre l’hégémonie commerciale de ces derniers, Colbert met en place de grandes compagnies de commerce nationales, exerçant des monopoles d’exploitation ou d’importation : les compagnies des Indes, avec plus ou moins de succès (voir prochain encadré).

French map of the New World above the equator (1681)
Une magnifique carte d’époque (1681) française représentant le « Nouveau Monde » au-dessus de l’Équateur. À la fin du XVIIe siècle, sous l’impulsion de Louis XIV et de Colbert, la France s’implante en effet durablement en Amérique du Nord (via l’établissement des colonies royales du Québec et d’Acadie, puis la fondation de la Louisiane), dans les Antilles (établissement des colonies royales de la Martinique et de la Guadeloupe, puis annexion d’une partie de l’île de Saint-Domingue), ainsi qu’en Guyane.

Dans cette politique maritime et commerciale très interventionniste (connue en économie sous le nom de « colbertisme »), la France de Louis XIV restera confrontée à des problèmes d’importance. Principalement, celui du déficit d’investissement privé dans les compagnies royales, ainsi que la férocité de la concurrence étrangère, qui sera ainsi fatale à plusieurs des grandes compagnies fondées par Colbert. Il faut dire que les Français ne disposent pas de systèmes économiques et financiers (manufactures, banques, compagnies, bourses,…) aussi performants que ceux des Hollandais ou des Anglais (qui ont bâti plus précocement leurs empires commerciaux). Ils ne disposent pas non plus d’un réseau de bases navales à travers le monde comme leurs rivaux (une faiblesse décisive de la stratégie française qui pèsera d’ailleurs lourd au siècle suivant..). Autant d’handicaps que viendra en partie contrebalancer la suprématie terrestre française durant les guerres de Louis XIV ; prolongements continentaux de la volonté française de contrer commercialement les autres puissances maritimes.

Malgré ces faiblesses, la France de la fin du XVIIe siècle va néanmoins réussir à se constituer un grand empire colonial, en particulier en Amérique du Nord et dans les Caraïbes.

Les possessions antillaises : les précieuses « îles à sucre » de la France

Si les Espagnols sont les premiers à s’installer aux Antilles après leur découverte par Colomb, les Français (comme les Anglais et les Néerlandais) colonisent les îles à l’époque de Richelieu – exploitant déjà le déclin consommé de la puissance espagnole. Rapidement, l’implantation de la canne à sucre s’y manifeste comme la plus profitable des économies de plantation, et l’arrivée de colons comme l’esclavage se développe. En quelques décennies, les Antilles françaises deviennent densément peuplées et voient l’apparition de nombreuses villes et ports marchands, où sont également présents de nombreux flibustiers ou boucaniers. Déjà théâtres de nombreuses batailles à la fin du siècle (répercussion outremer des guerres – Hollande, Ligue d’Augsbourg – qui déchirent alors le continent et les puissances européennes), les Antilles voient alors fortement diminuer la présence hollandaise et espagnole au profit des Anglais et surtout des Français, qui tirent désormais de très gros profits de leurs îles à sucre.

En 1697, par le traité de Ryswick (qui met fin à la guerre de la Ligue d’Augsbourg), la France fait entériner sa souveraineté sur toute la partie occidentale de l’île de Saint Domingue (historiquement sous domination espagnole, et initialement baptisée Hispaniola), où des corsaires et comptoirs français se sont établis depuis près d’un siècle. Cette région (future Haïti) deviendra, avec la Martinique et la Guadeloupe, l’un des lieux centraux de l’expansion sucrière française (qui verra le royaume devenir premier exportateur mondial de sucre au tournant des années 1720).

La Nouvelle-France : la colonie la plus « aboutie » du premier empire colonial français

La Nouvelle-France, la grande colonie française d’Amérique du Nord, est sans doute la plus aboutie de ces colonies. Dotée d’une administration similaire à celle d’une province française (avec à sa tête un gouverneur, un intendant, et où est appliquée la législation française), cette colonie nord-américaine a pour but premier l’exploitation des ressources de la colonie, c’est-à-dire celle des aires de pêche, ainsi que la lucrative traite des fourrures et l’exploitation du bois. L’agriculture a également été développée dans les régions-berceaux de la colonie que sont la vallée du Saint-Laurent et l’Acadie (actuelle Nouvelle-Ecosse).

Une belle carte d'époque du golfe du Saint-Laurent, le cœur du Canada français (Nouvelle-France)
Le golfe du Saint-Laurent : le berceau de la Nouvelle-France et du Canada français

Après une installation et un démarrage difficiles (dus notamment aux conditions climatiques), la population augmente rapidement grâce à la politique de peuplement impulsée par Colbert, pour atteindre 12 000 personnes vers 1700. Une démographie bien faible comparée en particulier aux colonies anglo-américaines voisines (rapport d’un à vingt dans les années 1750 : environ 70 000 habitants pour l’ensemble de la Nouvelle-France contre près de deux millions pour les Treize Colonies britanniques), mais en forte croissance. Croissance se nourrissant d’un encouragement massif au départ (mais peu suivi), à une politique d’assimilation des populations amérindiennes (qui se voient instruites et converties à la foi chrétienne, et avec lesquelles le métissage est important), et enfin et surtout à une politique nataliste.

Carte des provinces d'origine des émigrants français en Nouvelle-France
Provinces d’origine des colons français de Nouvelle-France

Cette nouvelle société coloniale répond à ses propres coutumes et ses libertés, et l’on peut déjà y voir la naissance d’un peuple canadien. Des institutions religieuses sont implantées pour contrôler cette nouvelle population hybride (sans parler des nombreuses missions – notamment jésuites – qui s’y établiront de leur propre initiative), avant que la colonie de la Nouvelle-France ne devienne une possession pleine de la Couronne (et se voit ainsi dotée d’une administration similaire à une province française, avec à sa tête un gouverneur et un intendant).

À la fin du XVIIe siècle, les territoires sous contrôle de la colonie continuent de s’étendre considérablement, du fait notamment de la nouvelle vague d’explorations encouragée par Louis XIV. En 1670, le tour des Grands Lacs est ainsi réalisé, et en 1682,  Cavalier de La Salle descend le Mississippi et revendique au nom du royaume de France toute la région, qu’il nomme Louisiane en l’honneur de son roi. En seulement un siècle, la Nouvelle-France est ainsi passée d’un réseau de comptoirs à une immense et prospère colonie royale s’étendant sur près de 4 fois la France, faisant taire (pour un temps) les ambitions espagnoles puis anglaises sur cette partie de l’Amérique du Nord.

Carte du premier empire colonial français des Amériques (1534-1803)
Le premier empire colonial français des Amériques (1534-1803)

L’essor de la compagnie des Indes orientales

Du côté de l’Asie enfin, si toute la première vague de compagnies commerciales et de colonisations impulsées par Richelieu puis Colbert (Inde, Madagascar,…) s’y solde par de cuisants échecs, la fin du XVIIe siècle y voit le vent tourner par les Français et ces derniers y développer un commerce florissant. Grâce en particulier au grand comptoir commercial de Pondichéry (Inde), ainsi qu’à sa grande base navale de l’Isle de France (précieuse étape aux navires de commerce et de guerre sur la route des Indes), la compagnie des Indes orientales fondée quelques décennies plus tôt par Colbert connaît en effet un essor fulgurant, permettant d’asseoir solidement l’implantation des Français sur le continent asiatique. Si la compagnie connaîtra des difficultés durant les guerres franco-hollandaises (et ne sera jamais en situation de contrôle de l’océan indien), elle bénéficiera toutefois pleinement au début du XVIIIe siècle de la perte de vitesse de la marine et du commerce néerlandais, se mettant ainsi à engranger de fabuleux bénéfices (cf. encadré sur les compagnies des Indes).

*****

Un empire colonial à l’importance économique vitale pour le royaume

Au début du XVIIIe siècle, l’espace colonial français peut ainsi être divisé en trois grandes zones géographiques distinctes : la Nouvelle-France (la grande colonie française d’Amérique du Nord), les Antilles (Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe,…), et l’ensemble des possessions françaises aux Indes (régions de Pondichéry et de Yanaon) et sur la route de ces dernières (comptoirs africains du Sénégal,…). Développées essentiellement sous le règne de Louis XIV, chacune de ces zones coloniales dispose globalement de ses propres ressources, ainsi que d’un système administratif et commercial qui lui est propre.

La construction et le déclin du premier empire colonial français
Après un XVIe siècle d’exploration, les grandes fondations du premier empire colonial français (établissement des comptoirs, des routes commerciales, etc.) interviennent essentiellement durant la première et seconde moitié du XVIIe siècle, sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV. Développées principalement sous le règne du roi Soleil, chacune de ces zones coloniales dispose globalement de ses propres ressources, ainsi que d’un système administratif et commercial qui lui est propre.
Hachette seconde Bac. Pro.)

En cette époque de grand développement du commerce international, l’ensemble de ces possessions (appelées ultérieurement les « vieilles colonies ») exercent une importance économique (et géopolitique) vitale pour le royaume de France : les Antilles jouent en effet le rôle de pourvoyeuses de sucre ré-exportable vers le reste de l’Europe (un commerce hautement rentable et véritable « machine à cash » de l’État français de l’époque) ; le Sénégal, le réservoir et fournisseur de « main d’œuvre servile » (via la traite négrière et le commerce triangulaire) ; Saint-Pierre et Miquelon, la morue (les Grands Bancs de Terre-Neuve constituant alors la plus importante zone halieutique du monde !) ; les Indes françaises, les épices et les produits de luxe ; et la Réunion, enfin, une base stratégique ainsi qu’un apprécié lieu de relâche..

De Madras aux rives du Saint-Laurent, de Praya à la Chesapeake, de Pondichéry à Louisbourg, le XVIIIe siècle – celui de Montcalm et de Wolfe, celui de la Galissonnière et de Byng –, s’inscrit en un moment de l’histoire où la mer devient l’élément privilégié du monde, faisant de Gibraltar un verrou anglais à partir de 1704, de Minorque (française de 1756 à 1763) ou de Belle-Isle (anglaise de 1761 à 1763) d’indispensables monnaies d’échanges en 1763, du Canada, mais surtout des îles à sucre et des treize colonies, des espaces à rentabiliser, à exploiter, à peupler, donc à défendre ou à conserver.

Michel Vergé-Franceschi, La Marine française au XVIIIe siècle, pp. 14-15.

Le combat pour l’Amérique du Nord au XVIIIe siècle

La rivalité franco-anglaise ne pouvait avoir d’autre fin que l’écrasement d’un des adversaires. Ou bien il fallait céder partout et toujours, ou bien il était vain de céder ici pour retenir là. En vérité, pourquoi la guerre aurait-elle cessé sur les confins de la Louisiane puisque subsistaient toutes les raisons qui l’avaient naguère provoquée ?

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 239

Les Treize Colonies britanniques à la veille de la guerre de la Conquête. En rouge clair, on peut voir les territoires revendiqués par les colonies de Virginie, de Pennsylvanie et de New York dans la région des Grands Lacs et de la vallée de l’Ohio, bien que ces territoires soient alors sous contrôle français. Là résident les grands différents aux racines de la guerre qui s’annonce…

Si la rivalité commerciale et coloniale entre la France et la Grande-Bretagne se révèlera également particulièrement intense en Inde (chacun essayant d’étendre son réseau de comptoirs et sa sphère d’influence aux dépends de l’autre) et dans les Antilles (où l’on ne perd pas une occasion de se « chiper » dès que possible quelques précieuses îles à sucre), c’est ainsi véritablement en Amérique que l’on peut considérer que prendront forme et s’affirmeront les velléités hégémoniques de la grande puissance coloniale et commerciale d’outre-Manche. Depuis la fin du XVIIe siècle en Amérique du Nord, en substance, les Britanniques s’installent en nombre (bien encouragés fiscalement par leur Métropole, contrairement à la Nouvelle-France), structurent et fructifient leurs implantations, créent et conquièrent toujours plus de parts de marchés, étendent et fortifient leurs sphères d’influence… puis tentent carrément quelques invasions, arrachent des bribes de l’Empire français, placent leurs pions et attendent leur heure.

En Amérique du Nord, la France bénéficie donc, nous l’avons vu, de l’avantage territorial. Établis précocement dans la vallée du Saint-Laurent (bien qu’avec moultes difficultés) et surtout partis très tôt à la conquête du Grand Ouest, les Français se sont déjà aventurés jusque dans les profondeurs du continent nord-américain, et s’y bientôt solidement implantés. Ce faisant, dès le début du XVIIIe siècle, leur zone d’influence rayonne déjà du golfe du Saint-Laurent à celui du Mexique, et des Appalaches aux Grandes Plaines, enveloppant dans une ceinture de forts et d’alliances avec les nations autochtones les Treize Colonies britanniques dont la population lui est déjà dix fois supérieure et croît bien plus vite que la sienne.

Si les Français occupent le terrain en Amérique du Nord, les Britanniques ont eux, en revanche, le substantiel avantage du nombre. Les contextes nationaux auront, à cet égard, beaucoup joué dans ce différentiel de peuplement. Dans l’immense pays fertile et agricole qu’est la France de la Renaissance et de l’Ancien Régime (qu’on l’on peut voir pour l’époque comme l’équivalent de la Chine moderne en terme d’envergure), les terres ne manquent pas, et au vu des risques de la traversée et de la survie sur place, les candidats à l’émigration ne se pressent pas. Tout le contraire des îles Britanniques de la même époque, dont l’agitation politique et religieuse aura « jeté de l’autre côté de la “mare aux harengs” les turbulents sectateurs protestants, ces “cavaliers” que décourage l’Angleterre de Cromwell » (Braudel, Grammaire des civilisations, p. 604). Un chiffre, à lui seul, résume à peu près tout : pour 1 Français, ce seront 30 Anglais qui auront quitté le Vieux Continent pour l’Amérique du Nord. Tous ces nouveaux venus sont en nombre tel que, lorsque la vraie lutte commencera à poindre, il y aura d’un côté un million d’Anglais, et de l’autre à peine 70 000 à 90 000 Français. Cette accumulation explosive de forces, et la concurrence économique et territoriale croissante entre les deux colonies, ne pouvait ainsi que conduire au grand choc entre ces dernières, fatale à l’une ou à l’autre.

Zoom sur : le poids du peuplement français et britannique en 1750, à la veille de la guerre de la Conquête

Au milieu du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France et la Louisiane comptent à peu près 90 000 habitants, dont les familles souches proviennent presque exclusivement de la France de l’Ouest. Depuis les années 1700, le flux de l’émigration s’est limité pour l’essentiel aux militaires et aux marins. La croissance démographique de la colonie française (qui se limitait à 2 000 habitants en 1660, et à peine 16 000 vers 1700) est due à une natalité exceptionnelle, de l’ordre de 65 pour 1 000 (la famille des LeMoyne d’Iberville en constitue un remarquable témoin).

Carte des provinces d'origine des émigrants français en Nouvelle-France
Les colons français de Nouvelle-France sont majoritairement issus du nord-ouest de la France, tout particulièrement des régions du Perche et du Poitou.

Une autre carte qui montre bien combien l’Amérique du Nord demeure davantage une zone « d’influence » française qu’une véritable colonie de peuplement francophone, comparée tout particulièrement aux colonies britanniques voisines… L’histoire.fr) À noter toutefois une importante réalité invisibilisée par cette carte : la présence de près de 15 000 colons d’origine française en Nouvelle-Écosse, demeurés sur place après l’annexion de la région en 1713.

L’État n’a guère encouragé les Français à s’installer en Nouvelle-France et en Louisiane, voire y a même pris des mesures restrictives (comme l’interdiction faite aux Protestants de s’établir au Canada). L’interminable hiver canadien a aussi rebuté nombre de candidats potentiels à l’émigration. En 1755, le quart de la population canadienne vit dans les villes de Québec (7 à 8 000 habitants), Montréal (4 000) et Trois-Rivières (1 000). Un effort est également fait pour accélérer le peuplement de Détroit (dont la ville américaine porte toujours le nom), la clé de voûte des Grands Lacs. La Louisiane, colonie presque marginale, compte alors quant à elle à peine 4 000 habitants d’origine française. Au regard de cette population rachitique d’un territoire représentant trois ou quatre fois la taille de la France, la volonté de défense voire d’expansion de l’Amérique française loin de ses (maigres) bassins de peuplement peut ainsi paraître avec le recul relativement questionnable, pour ne pas dire suicidaire :

Avec environ 24 millions de sujets en 1750, le royaume de France est l’État le plus peuplé à l’ouest de l’Oder, contre 10,4 millions aux îles britanniques (dont 6 millions d’Anglo-Gallois). Certes, la natalité française est peu dynamique comparée à celle d’Outre-Manche. Mais la masse humaine acquise intimide et surtout permet à Paris d’entretenir une armée considérable, la première d’Europe par son nombre. Jamais Louis XV ne manquera de soldats, un atout certain sur le continent. En revanche, en termes d’empire, la balance est pro-britannique, notamment grâce à la croissance spectaculaire des colonies nord-américaines : 900 000 colons en 1740, 1,6 million en 1760. Soit 12 à 20 fois la population du Canada français ! Dans ces conditions, la volonté d’expansion française vers le bassin de l’Ohio, une des causes de la guerre, est une vue de l’esprit. La faute au manque de discernement des Bourbons, qui ont fait fi des capacités céréalières pourtant non-négligeables au sud-ouest de Montréal. Le pays est de ce fait incapable de nourrir une nombreuse population, et encore moins une armée, ce qui sera une raison de sa chute.

Benoist Bihan, « Versailles contre Londres : deux mondes en opposition », article extrait du dossier « La guerre de Sept Ans : le Premier Conflit mondial » paru dans le n°21 du Magazine Guerres & Histoire (octobre 2014)

L’Amérique du Nord vers 1750. Un rapide coup d’œil sur la carte générale permet immédiatement de saisir le pourquoi du sentiment d’encerclement qui travaille et agite si fortement les colonies britanniques (de même que la flagrante disproportion de peuplement qui distingue tout particulièrement l’Amérique française et anglaise…). Cette carte a enfin le mérite de rappeler une dernière réalité trop souvent ignorée de la lutte européenne pour l’Amérique du Nord : l’existence de l’immense Nouvelle-Espagne, et son expansion et rayonnement jusqu’aux confins du Texas et de la Californie, à l’interface de la zone d’influence française (les deux puissances sont alors gouvernées toutes deux par la famille royale des Bourbons et ont déjà commencé à faire front contre la menace britannique dont l’expansionnisme colonial et maritime suscitent de lourdes inquiétudes à Versailles comme à Madrid – bien que cette alliance demeurera sous-exploitée et se traduira par peu d’actions combinées malgré les intérêts communs).

Tandis que dans leur pénétration vers l’intérieur, les colons anglais s’étaient laissé arrêter ou retarder par la barrière boisée des Alleghanys [Appalaches], les Français avaient tourné l’obstacle aux deux bouts et borné par avance la marche de leurs ennemis. Si l’occupation française se consolidait, les colonies anglaises ne formeraient bientôt plus qu’une longue enclave, enserrée par nous de trois côtés. Mais cette position diminuée devait leur paraître d’autant plus insupportable que si elles n’avaient pas eu l’audace, elles avaient au moins le nombre : un million d’habitants en 1740, contre 40 000.

Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, p. 201

Les Treize Colonies britanniques, regroupées sur une bande côtière plus étroite, sont déjà peuplées d’entre 1,5 et 2 millions d’habitants vers 1750 (elles n’en comptaient que 4 700 vers 1630 !). La croissance démographique est due à l’émigration – volontaire et surtout forcée – des minorités religieuses protestantes (Puritains, Quakers,…) venues trouver leur terre promise de l’autre côté de l’Atlantique (mais aussi, comme nous l’avons vu – et à la différence de la Nouvelle-France, d’un certain nombre « d’indésirables » sur le sol britannique : mendiants, vagabonds, prisonniers, criminels de droit commun, etc.). L’identité religieuse des Treize Colonies n’en pas moins très marquée : les colons anglo-américains détestent les « papistes » (catholiques) canadiens, qui le leur rendraient bien : « la Nouvelle-France arbore son unité catholique comme un étendard » (Edmond Dziembowski).

Si la fondation des premiers établissements coloniaux anglais en Amérique intervient dès le début du XVIIe siècle, c’est véritablement le XVIIIe siècle qui marque l’essor (formidable) des treize colonies anglo-américaines, qui doublent de population tous les dix ans, et connaissent rapidement de grandes dynamiques d’extension dans la profondeur du continent, vers l’ouest et le nord (c’est-à-dire vers la Nouvelle-France et les territoires revendiqués et contrôlés par les Français, et vers le solide réseau de forts bâtis tout le long de la frontière par ces derniers).

Le port et la ville de Philadelphie aux alentours de 1750. Certaines villes anglo-américaines comme Boston ou surtout New-York, témoins de croissance urbaine et économique comme Amsterdam et Londres avaient pu en connaître respectivement deux et un siècle plus tôt, comptent déjà à elles seules presque autant d’habitants que toute la population francophone de la Nouvelle-France réunie (grande pourtant comme trois fois la France) !

Au socle « anglo-saxon » (Anglais, Écossais, Irlandais) qui constitue la part la plus importante des arrivants, vient s’ajouter l’immigration d’Europe centrale et septentrionale, ainsi que bien sûr l’apport africain alimentant la main d’œuvre servile des colonies médianes et méridionales. Comme en Nouvelle-France, la majorité des colons vivent à la campagne, mais les villes portuaires (Philadelphie, New York, Boston,…) sont alors en pleine croissance. Face à de telles disparités de peuplement et de cultures, le choc entre les deux colonies semble inévitable…


Face à la menace des Treize Colonies britanniques, la grande politique de fortification de la Nouvelle-France

Face à cet écart démographique croissant et le risque qu’il fait peser sur l’avenir de la colonie, depuis le début XVIIIe siècle, les gouverneurs de la Nouvelle-France ont adopté une politique défensive (nous pourrions dire de containment). En s’appuyant sur le réseau de postes de traite qui maillent ses immensités du golfe du Mexique à celui du Saint-Laurent, et à défaut de parvenir à la peupler, il s’agit de fortifier la Nouvelle-France, et surtout de garantir l’unité entre les grands bassins de peuplement (relatifs) que constituent le Canada et le Louisiane. Loin de rassurer ses voisins toujours plus nombreux par son caractère a priori simplement défensif, cette politique de fortification aura pour paradoxe de ne faire que majorer l’inquiétude des colons britanniques et, in fine, de pousser ces derniers à l’offensive… :

C’est pour compenser la faiblesse du peuplement (en moyenne 10 sujets britanniques pour 1 français) qu’apparaît sous la Régence [la période allant de 1715 à 1723 et correspondant à la minorité de Louis XV, NDLR] la politique des points d’appui. Faute de pouvoir peupler l’espace américain, les colons français vont s’attacher à le contrôler, ce qui, à long terme, aura pour résultat d’inquiéter sérieusement les colons anglais, et dans l’immédiat d’être en contradiction avec l’Entente cordiale régnant entre Londres et Paris. Elle se traduit par la construction de Louisbourg, ainsi que de forts dans l’Ouest. […] Les colons de Nouvelle-Angleterre se sentaient également menacés par les forts bâtis dans l’Ouest canadien, destinés à protéger l’axe Canada/Louisiane en contrôlant les Grands Lacs, qui donnent accès à l’Ohio et au Mississippi. En 1721, l’année où débutaient les travaux à Louisbourg, on construisit Fort Niagara sur le lac Ontario, puis Fort Pontchartrain sur le lac Érié. Bien qu’il s’agît là de forts à l’américaine, avec des remparts de bois (palissades faites de troncs d’arbres, suffisantes pour arrêter les Indiens, voire des miliciens), munis de faibles garnisons et dépourvus d’artillerie, la présence de ces points d’appui, symboles de la souveraineté française, provoqua des heurts avec les Anglo-Américains et avec les Sioux. Ces incidents alimentèrent l’inquiétude des colons et les disposèrent à reprendre, le moment venu, les hostilités contre les Français, car ils se sentaient menacés, l’expansion française dans l’Ouest américain bloquant toute possibilité d’extension de la Virginie.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 181-182

Toujours plus à l’étroit dans leurs territoires, les colons des Treize Colonies veulent en effet en finir avec cet « encerclement » français, et toujours davantage chaque année passant, poussent Londres à envahir une bonne fois pour toute le Canada français. Du côté anglais, on patiente avec fébrilité, mais on se sait confiant lorsque l’affrontement arrivera : le rapport de forces est en effet démesurément en faveur des Anglais, dont les Treize Colonies comptent déjà près de 2 millions d’habitants, quand l’ensemble de la Nouvelle-France peine à dépasser les 70 000 – un rapport de plus de 1 à 20 ! Cela sans compter sur la toute puissante Royal Navy, nouvelle maîtresse incontestée des mers, qui contrôle l’Atlantique, et est en capacité d’acheminer et de débarquer en quelques mois des dizaines de milliers de soldats bien entraînés et équipés depuis l’Angleterre. Les Français, avec leurs quelques régiments déployés dans la vallée du Saint-Laurent et leurs miliciens canadiens (mais aussi – les Anglais l’oublieront peut-être un peu vite – les nations amérindiennes, qui sont presque toutes alliées avec la France et qui excellent dans l’art de la guérilla), semblent peu capables de faire le poids face à un tel potentiel déploiement de forces. Confiant et certain du résultat final, côté anglais, on attend et on espère (voire on suscite…) le moindre prétexte, la moindre échauffourée, qui finiront bien inévitablement par arriver :

Sous la Régence et sous le ministère de Fleury [c’est-à-dire durant la période de l’« Entente cordiale » franco-britannique qui fait suite au traité d’Utrecht de 1713, NDLR], les hostilités ne cessèrent pas en Amérique. Le gouverneur de la Virginie, Spottswood, proclama dans un rapport célèbre que les treize colonies encerclées par les Français périraient d’étouffement si elles ne parvenaient pas à rompre les communications entre le Canada et la Louisiane, en s’emparant par la force du territoire de l’Ohio. En fait, comme l’a prouvé M. Heinrich dans une thèse remarquable, les Anglais continuèrent sans vergogne leur politique d’empiétements et de chicanes ; ils armèrent contre nous leurs alliés indiens, fomentèrent des révoltes parmi nos protégés, essayèrent d’emporter par surprise le fort que nous avions élevé à Niagara, bref, menèrent contre nous, sous le couvert de l’alliance, une guerre incessante d’intrigues, de crimes, d’embûches et de razzias.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, pp. 202-203

Du côté français, face à un rapport de forces si nettement défavorable, et bien conscient du danger, on s’est donc engagé depuis le traité d’Utrecht de 1713 dans une grande politique de fortification, poursuivie par tous les gouverneurs successifs avec l’appui de la Métropole (ce qui montre au passage que de Dubois à Fleury, les gouvernements de Louis XV, bien qu’engagés dans une diplomatie pacifique avec l’Angleterre, ne négligèrent pas les intérêts français en Amérique du Nord). Bientôt, en cette fin des années 1740, c’est la vallée de l’Ohio, à la frontière des deux colonies, qui concentre toutes les attentions et qui constitue le nouveau grand terrain de la rivalité franco-britannique en Amérique du Nord. C’est là que la politique défensive conduite par les gouverneurs successifs de la Nouvelle-France, en verrouillant cette région aussi stratégique que convoitée, va achever de braquer et de souder les colons anglo-américains contre leur géante voisine, et pousser ces derniers à l’offensive. C’est là que les échauffourées des années 1754-1755, pour la première fois de l’Histoire européenne, vont voir une guerre mondiale démarrer dans le monde colonial ET À PARTIR d’un différent colonial.

*****

La vallée de l’Ohio : épicentre de la rivalité entre Français et Britanniques en Amérique du Nord, et étincelle d’une future guerre planétaire

Dans leur marche vers l’intérieur, les Anglais rencontrèrent à nouveau la ligne des postes français et on recommença à se battre pour la possession des routes et des marchés. Toutefois, la lutte se localisa assez vite dans la vallée de l’Ohio, principale région de la traite indienne et chemin direct du Canada au Mississippi.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 239

Dès l’année 1749, malgré la paix d’Aix-la-Chapelle, Français et Britanniques reprennent leur marche en avant en Amérique du Nord. Pour surveiller Louisbourg et avoir un port où faire hiverner ses escadres, Londres décide d’établir 3 000 colons protestants dans la baie de Chibouctou et y fonde le port d’Halifax. Le général Cornwallis s’y installe en tant que gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, et y fait stationner ses escadres. Mais encore davantage que l’Acadie, c’est la vallée de l’Ohio qui, en ce tournant des années 1750, devient le principal terrain de la rivalité franco-britannique en Amérique du Nord.

La région occupe en effet, à l’époque, une position centrale dans l’échiquier géopolitique nord-américain. Située au sud des Grands Lacs, immédiatement de l’autre côté des Appalaches qui marque la lisière des territoires britanniques à l’ouest, la vallée de l’Ohio se trouve précisément à l’interface des zones de contrôle respectives des Treize Colonies et de la Nouvelle-France. Cette zone « tampon », peuplée notamment par les nations iroquoises, et restée jusqu’ici relativement à l’écart des grandes projections coloniales des Français et des Britanniques, occupe désormais une position géostratégique centrale, en particulier pour les Français. En effet, la vallée de l’Ohio se trouve à la charnière du bassin du Mississippi et des Grands Lacs. Elle constitue la voie de passage obligée entre les deux grands bassins de peuplement de la Nouvelle-France que constituent le Canada de la Louisiane. Véritable « canal de communication » et courroie de transmission entre les deux grandes provinces nord et sud de la Nouvelle-France, elle ne peut absolument pas être abandonnée du point de vue français, car risquant alors de couper en deux la Nouvelle-France. La vallée de l’Ohio sous domination britannique, c’est tout le commerce du Canada qui est menacé, et la Louisiane complètement isolée et vulnérable de l’autre côté.

Les possessions et zones d'influence françaises et britanniques en Amérique du Nord en 1756 (© Sur le champ)
Les possessions et zones d’influence respectives des Français (en bleu) et des Britanniques (en rouge) en Amérique du Nord au début des années 1750. À ce moment de l’Histoire, suite à la cession de l’Acadie continentale et de l’île de Terre-Neuve par la France au profit de l’Angleterre, c’est désormais la vallée de l’Ohio (la zone blanche au centre de la carte) qui concentre et cristallise tous les intérêts et tensions entre les deux colonies. Véritable « canal de Suez » entre le Canada et la Louisiane, le contrôle de la région apparaît aux autorités métropolitaines et coloniales comme absolument indispensable à l’unité et à l’avenir de la Nouvelle-France. La perte de ce territoire stratégique, en coupant littéralement en deux l’ensemble colonial français nord-américain, ne pourrait avoir d’autres conséquences à terme que de condamner l’Amérique française, en la rendant définitivement indéfendable.
(Un superbe visuel produit par Quentin de l’excellente chaîne d’histoire Sur le champ, dont je ne peux qu’encourager la découverte !)

Or, en cette fin des années 1740, les colons britanniques de la Virginie voisine, qui ont grand besoin de terres nouvelles, ont eux aussi le regard rivé sur les riches terres de la vallée de l’Ohio. En effet, à mesure que le peuplement des Treize Colonies britanniques s’intensifiaient (ils sont désormais plus de 1,5 millions au tournant des années 1750), les terrains disponibles devenaient de plus en plus rares et onéreux. Or, la lucrative activité des plantations de tabac est très gourmande en terres, car la culture du tabac épuise rapidement les sols et nécessite constamment la mise en culture de nouvelles terres non-déjà cultivées. Malgré leur caractère essentiellement spéculatif, l’intérêt des planteurs virginiens pour la vallée de l’Ohio rencontre un certain écho à Londres, qui y voit une bonne occasion de disputer la domination française des territoires à l’ouest des Appalaches, et engager enfin la brisure de l’encerclement des Treize Colonies par l’immense et sous-peuplée Nouvelle-France. C’est que le gouvernement de Londres a bien conscience de la stratégie française, qui en enveloppant ses riches colonies américaines autour d’un glacis défensif, l’obligera le jour venu à engager des moyens considérables pour se dégager de l’encerclement.

Sur le sujet de l’importance économique décisive qu’occupent les Antilles pour la France de Louis XV, je renvoie les intéressé(e)s vers cet autre article du blog !

Du côté français, il faut bien le dire, sous couvert de posture purement défensive, on mène en effet un drôle de double jeu, ou plus exactement un jeu dangereux. À Versailles, on le sait bien, comparé notamment aux très lucratives îles à sucre des Antilles (qui connaissent à la même époque un essor économique spectaculaire), l’intérêt économique de la Nouvelle-France demeure limité. Sur le plan commercial, la traite des fourrures, nous l’avons dit précédemment, ne représente plus vraiment un enjeu. Quant à la production agricole, elle suffit à peine à l’autosuffisance de la colonie, et est loin de générer d’importantes exportations comparées à nouveau aux Antilles ou au commerce avec les Indes (bien qu’il soit vrai que le Canada demeure sous-exploité du point de vue agricole). Si la valeur économique de la Nouvelle-France demeure donc limitée pour Versailles, il en est tout autrement de son importance sur le plan géostratégique. En cette époque où la France de Louis XV est devenue la seconde puissance maritime de la Planète et est engagée de fait dans une rivalité mondiale avec la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France semble en effet avoir acquis une fonction stratégique (et assez cynique du point de vue de ses colons dont elle constitue désormais la patrie) : occuper et mobiliser des forces considérables d’Albion à peu de frais :

En réalité, le Canada et l’Amérique française ont une importance stratégique, car les Anglais attachent une telle importance à leurs colonies continentales d’Amérique qu’ils distrairaient des forces importantes pour les défendre, forces qu’ils ne pourraient employer en Europe. Or si la vallée de l’Ohio, qui relie les grands lacs au Mississippi, est abandonnée, le commerce du Canada est perdu, la Louisiane menacée et le Mexique, qui appartient à l’allié espagnol, est également menacé. Il faut donc encercler les colonies anglaises pour inquiéter le gouvernement de Londres, qui immobilisera alors flotte et armée. On pourra sauver le commerce français avec les Antilles et mettre un terme à l’expansion britannique sans même avoir une marine capable de lutter à armes égales avec la Royal Navy. En construisant des forts dans l’Ohio, on peut très bien se passer de la flotte qui correspondrait normalement à l’importance des intérêts économiques et coloniaux de la métropole. Le raisonnement est hardi, il correspond aux nécessités de l’heure et préfigure la stratégie de Napoléon, qui, avec le blocus continental, croyait vaincre l’Angleterre après Trafalgar, sans disposer d’une flotte de guerre capable de vaincre la Royal Navy.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 204-205

Carte de situation des Treize Colonies britanniques à la veille de la guerre de la Conquête
Les Treize Colonies britanniques à la veille de la guerre de la Conquête. En rouge clair, on peut voir les territoires revendiqués par les colonies de Virginie, de Pennsylvanie et de New York dans la région des Grands Lacs et de la vallée de l’Ohio, bien que ces territoires soient alors sous contrôle français. Là résident les grands différents aux racines de la guerre qui s’annonce…

Bien sûr, au-delà de cette partie d’échecs géopolitique d’échelle planétaire, pour les gouverneurs de la Nouvelle-France (dont certains sont natifs du pays), il s’agit avant tout de défendre la colonie de l’expansionnisme des colonies britanniques. Déjà, dès la fin des années 1740, des colons de Virginie ont en effet traversé les Appalaches (la chaîne de montagnes qui marque donc la frontière entre les colonies britanniques et les territoires revendiqués par la France, et où les Amérindiens ont également été repoussés par la colonisation britannique toujours plus importante de la côte Est nord-américaine). Là, ces derniers ont donc constaté l’existence de vastes terres fertiles et non-mises en exploitation par les Français (qui n’ont que très peu peuplés les territoires qu’ils contrôlent, ayant essentiellement implanté des postes de traite pour le commerce des fourrures avec les Amérindiens établis là). L’information remonte jusqu’au gouverneur de Virginie, qui créé alors, avec l’appui du gouvernement de Londres, la Compagnie de l’Ohio. Dotée d’une charte royale, celle-ci a pour objet la répartition et la mise en valeur de 500 000 acres des terres « vierges » de l’Ohio – bien que ces dernières se trouvent en partie dans des territoires revendiqués et occupés par les Français (et habités par des Amérindiens déjà chassés depuis l’Est). Si, par la réaction française défensive (voire offensive) qu’elle ne peut manquer de susciter, l’entreprise ne fait pas l’unanimité au sein de la population des Treize Colonies, elle reçoit toutefois le plein appui des spéculateurs, des milices et des planteurs les plus riches (dont un certain jeune George Washington, qui a des intérêts dans l’affaire).

La réaction française ne se fait pas attendre : en vertu du programme et de la stratégie défensive de la Nouvelle-France définis durant les années 1740 par son gouverneur général La Galissonière, les Français décident immédiatement de leur barrer la route et de s’implanter militairement dans l’Ohio. Face aux incursions répétées des Virginiens et en réponse à la création de la compagnie de l’Ohio (qui apparaît comme une revendication officielle des Britanniques sur des territoires considérés comme français), La Galissonnière n’a désormais d’autre choix que d’occuper le terrain. Ayant déjà mené une mission de reconnaissance dans la région en juin 1749, le gouverneur de la Nouvelle-France décide au tournant des années 1750 la construction d’une série de forts afin de garantir une présence durable des Canadiens dans cette zone stratégique, tout en engageant des pourparlers avec les tribus autochtones (et notamment les Iroquois) afin de s’y assurer du contrôle des populations amérindiennes :

Face à la menace que l’expansionnisme des colonies britanniques fait peser sur la propriété de leurs terres, la plupart des peuples et tribus autochtones choisiront de s’allier aux Français et de participer ainsi à la défense de la Nouvelle-France (défense où ils joueront un rôle extrêmement important, notamment par leurs qualités de combattants et d’éclaireurs).

Dans un premier temps, de 1748 à 1752, on assiste à une mise en place de l’occupation militaire de l’espace. On commença par renforcer les postes des lacs, puis en 1749, La Galissonnière envoya 230 hommes, consistant en un amalgame de miliciens canadiens, de troupes de marine et d’Indiens Abénaquis. Leur mission est de décrire, d’effectuer des reconnaissances, de dresser des cartes et de planter les armes de la France, et Céloron de Blainville, major de Détroit enterra des plaques de plomb pour rappeler les droits du roi de France. En 1752, Langlade, un métis franco-indien, détruisit Pickawilany, la base avancée anglaise chez les Miamis et reprit le contrôle des tribus. La Joncquière, successeur de La Galissionnière, s’efforça d’être moins menaçant, plus persuasif, mais il fut bientôt remplacé comme gouverneur par le marquis Duquesne de Menneville. L’implantation de forts constitue en effet la seconde phase de l’opération, car le nouveau gouverneur n’hésite pas à faire construire des établissements permanents. En 1753, il envoie le sieur de Marin, un vétéran des troupes de Marine avec 2 200 hommes (300 soldats, 200 Indiens et 1700 miliciens). La colonne essuie de lourdes pertes, dues aux conditions naturelles et doit se replier sans avoir accompli sa mission, c’est-à-dire la construction du fort.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 205-206

Carte française de la région de l'Ohio de 1755
Entre 1748 et 1754, la région de l’Ohio est donc investit militairement par les Franco-Canadiens, qui y bâtissent une série de forts et de postes connectés au reste du réseau défensif de la Nouvelle-France. Davantage que de s’y implanter, le vrai enjeu pour le gouverneur de la Nouvelle-France est ensuite surtout de parvenir à ravitailler les troupes régulières déployées dans la région (pour 500 hommes de garnison permanente établie dans l’Ouest, il en fallait en effet le triple pour en assurer le support logistique… !).

La politique de fortification française de la vallée de l’Ohio va avoir des conséquences paradoxales. Si elle offre en quelques années aux Canadiens la domination de la région et leur permet de sécuriser ce « couloir » de la Nouvelle-France, elle alarme aussi considérablement l’élite coloniale comme le gouvernement de Londres, dont les protégés américains se sentent plus que jamais piégés de tous côtés et bridés dans leurs intérêts économiques. La stratégie française semble donc d’autant plus douteuse qu’elle tend à faire converger les intérêts de colonies anglaises profondément disparates et encore très divisées entre elles sur de nombreux sujets (et pour certaines même en tension importante avec Londres) :

L’activité de Duquesne causa quelque émoi dans les colonies anglaises, mais elles étaient encore très divisées. La plupart jugeaient sans indulgence l’entreprise des Virginiens et elles auraient vu sans désespoir leur déconfiture et celle de leur Compagnie. Au congrès d’Albany, les députés des colonies se mirent péniblement d’accord pour adopter un plan commun d’action, mais lorsqu’il s’agit de le ratifier, elles le désavouèrent à l’unanimité.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 240

Alors même que la division des Treize Colonies anglo-américaines et leurs griefs envers la Métropole aurait pu être intelligemment exploitée, la prise de contrôle française de l’Ohio a pour propriété indiscutable d’unifier à peu près tout le monde contre la menace française. Avec le recul, cela était peut-être, stratégiquement, la dernière chose à faire.

L’incident de Jumonville : « so it begins… »

Une reconstitution du fort Prince George visible au musée de Fort Pitt. Bâti par une quarantaine de Virginiens à l’emplacement de l’actuelle ville de Pittsburgh, le fortin sera à peine terminé qu’il sera pris d’assaut par une troupe d’un milliers de Français et d’Amérindiens, et ses occupants renvoyés en Virginie désarmés de leurs fusils…

En réponse à la politique de fortification canadienne, les Virginiens, en tout cas, pour leur part, décident de réagir. Disposant de meilleurs miliciens que les Yankees de la Nouvelle-Angleterre, ils décident alors de mobiliser leurs propres forces pour déloger les Français de l’Ohio. En 1753, le gouverneur charge un jeune virginien dont la famille a fait fortune dans le commerce du tabac, un certain George Washington, de se rendre dans la vallée de l’Ohio avec une petite troupe à la rencontre des Français et de les informer que la colonie de Virginie réclame ses droits sur ces territoires que les Français n’exploiteraient de toute façon pas. Nommé commandant de la milice, Washington passe les Appalaches à la tête d’une colonne en direction du fort Le Bœuf, bien décidé à en chasser les Français qui, bien entendu, refusent après les sommations d’usage. L’accueillant officiellement, le responsable du fort explique au jeune Washington que les Français sont établis là depuis plus d’un siècle, de même que les Amérindiens vivant autrefois sur les terres occupés aujourd’hui par les colons virginiens, et lui adresse une fin de non-recevoir. À défaut, tandis que Washington rentre annoncer la nouvelle au gouverneur, une partie de sa petite troupe érige en janvier 1754 un fortin, le Fort Prince George, aux confins des rivières Ohio, Allegheny et Monongahela. Dès avril cependant, les Canadiens qui étaient venus renouveler la mission échouée l’année précédente les en délogent, et bâtissent à la place Fort Duquesne :

La campagne de 1754 fut un succès complet. Commencée, selon la tradition canadienne, dès le mois de février, elle aboutit à l’installation de 100 hommes à Fort Le Bœuf, sur un affluent de l’Alleghany et de 100 hommes à la Presqu’île, sur la rive Sud du lac Erié, tandis que Le Gardeur de Saint-Pierre établissait le fort Venango sur la rivière Alleghany. Contrecœur et les frères Villiers installèrent le fort Duquesne (aujourd’hui Pittsburgh) au confluent de l’Ohio et de la Monongahela.

Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, p. 206

Je renvoie les intéressé(e)s des détails de cet épisode des échauffourées qui se produisent en 1753-1754 dans la vallée de l’Ohio et des conséquences considérables de ces événements pour le futur conflit qui s’annonce vers cette passionnante vidéo réalisée par un spécialiste de l’histoire américaine sur le sujet !

Fraichement promu lieutenant-colonel du régiment de Virginie récemment créé, Washington se trouve dans le sud de la Pennsylvanie quand il apprend la chute de Fort Prince George. De retour auprès du gouverneur, Washington se voit alors confier une nouvelle troupe composée cette fois d’une centaine de réguliers de l’Armée britannique ainsi que de quelques centaines de miliciens avec l’ordre de s’aventurer dans la vallée de l’Ohio le plus loin possible à l’ouest et d’y bâtir un nouveau fort. Après avoir retraversé les Appalaches et être arrivés sur le lieu où ils pensaient ériger leur fort, Washington et ses hommes constatent que les Français les ont devancés et ont déjà malicieusement bâti un fort exactement à l’endroit visé par les Virginiens (le fameux Fort Duquesne). À défaut, ils érigent l’été 1754 le tout aussi fameux Fort Necessity, dans un petit vallon entourée de forêts (une construction qui démontre à nouveau l’inexpérience dont souffrent les soldats virginiens, l’endroit ne constituant probablement pas stratégiquement le meilleur emplacement pour éviter une future embuscade…). De là, les Virginiens et les « Tuniques Rouges » observent les mouvements français autour du fort Duquesne, où stationnent et d’où partent les patrouilles qui visent à contrôler le respect de la frontière française.

Ces derniers jours de mai 1754, justement, une patrouille conduite par l’officier Joseph Coulon de Villiers de Jumonville vient de sortir du fort pour venir à la rencontre de Washington et de sa petite troupe, pour les sommer de quitter la région. C’est là, en ce petit matin du 28 mai 1754, que les choses vont déraper… Mais c’est une autre histoire… 😉 (voir lien et encadré ci-dessous !)

Ce furent les aristocrates virginiens qui se chargèrent de rendre la guerre inévitable.

Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 240

*****

Ces échauffourées dans l’Ohio, à l’image du papillon et de la tempête à l’autre bout du monde, aboutiront à la grande et dramatique guerre de Sept Ans, une guerre méthodiquement préparée et ouverte par la Grande-Bretagne (qui déclenchera les hostilités sans déclaration de guerre…). Une guerre qui, après l’échec de la guerre de Succession d’Autriche (où un corps expéditionnaire anglo-américain s’emparera de la forteresse de Louisbourg mais ne tente rien de plus contre la Nouvelle-France), signera en effet peu ou prou la fin de la rivalité franco-anglaise et des ambitions françaises en Amérique du Nord, au travers d’une résolution simple : l’invasion et la conquête intégrale du Canada français, qui bascule intégralement sous contrôle britannique (ceci dans une certaine indifférence de la population française, que résume bien Voltaire dans son invitation à ne pas se lamenter de cette perte de « quelques arpents de neige »).

Zoom sur : la guerre de Sept Ans (1756-1763), la première véritable guerre « mondiale » de l’Histoire ?

S’ils eurent évidemment leurs ressorts et leurs protagonistes propres (tout en étant en partie à l’origine de cette guerre), les affrontements entre Franco-Canadiens (et Amérindiens) et Britanniques en Amérique du Nord ne constituent toutefois (il faut bien l’avoir en tête) que quelques pions dans la vaste partie d’échecs planétaire qui opposera ainsi la France et l’Angleterre (et leurs alliés respectifs) durant près de huit longues années, sur l’ensemble du continent européen aussi bien que sur près de la moitié des mers du globe !

Une guerre de « Sept Ans » qui s’inscrit elle-même, en outre, dans la continuité et conséquence directe de la précédente : la guerre dite de « Succession d’Autriche ». Guerre qui marqua quant à elle la fin de la « première Entente cordiale » entre nos chaleureux amis français et britannique (et plus exactement même l’ouverture de près d’un siècle d’hostilités et d’affrontements quasi-ininterrompus entre ces derniers – que de célèbres historiens se sont d’ailleurs plu à qualifier de « Seconde guerre de Cent Ans » !).

Par sa durée, par l’étendue des opérations et leur intensité, mais aussi par le nombre de puissances qu’il engage, ce gigantesque conflit planétaire mérite bien son titre de « première guerre mondiale » de l’Histoire. À l’exception des Provinces-Unies restées neutres, tous les grands empires européens sont en effet impliqués dans le conflit – qui se déploiera sur pas moins de quatre continents et de trois océans. Cette guerre se démarque également par ses ressorts : pour la première fois en effet, l’influence des héritages dynastiques est mineure, et ce sont désormais les intérêts géopolitiques et socioéconomiques et non plus la politique qui constituent la première préoccupation des puissances engagées dans ce conflit – une rupture qui le distingue fondamentalement des précédents. Par le caractère vraiment global de la lutte qui opposera en particulier la France et la Grande-Bretagne dans ce conflit, la guerre de Sept Ans inaugure et préfigure les grandes guerres du XIXe et du XXe siècle, tout en signant le début de l’ère de la puissance navale et du contrôle géostratégique du monde !

Loin d’en être le terrain central, l’espace nord-américain ne constitua ainsi que l’un des théâtres d’une guerre qui se porta ainsi de l’Atlantique à l’océan Indien (en passant par les Antilles), de la Méditerranée aux côtes brésiliennes et africaines (et, continentalement, de l’Espagne à la Pologne actuelle). Un conflit de plus entre grandes puissances européennes (les fameux « Great Power » de l’époque) qui, s’il restera fortement et premièrement terrestre, atteindra également une dimension maritime et internationale inédite, de par l’intensité des enjeux et des frictions coloniales qui s’y manifesteront. Autant de dynamiques qui préfigureront d’ailleurs du nouvel ordre mondial (caractérisé par la complète hégémonie maritime et coloniale britannique – connue ultérieurement sous le nom de « Pax Brittanica ») sur lequel déboucheront plus tard les guerres révolutionnaires et napoléoniennes.

Les empires coloniaux européens en 1756, à l'aube de la guerre de Sept Ans (© Sur le champ)
Les empires coloniaux des grandes puissances européennes à l’aube de la guerre de Sept Ans (en bleu : le premier empire colonial français, en rouge : l’empire britannique, en marron : l’empire espagnol, en vert : l’empire portugais, et en jaune enfin, l’empire néerlandais).
(Source : un autre visuel produit par Quentin de la chaîne d’histoire Sur le champ, dans le cadre de ses deux épisodes consacrées à la guerre de Sept Ans)

Les grandes batailles de la guerre de Sept Ans (1756-1763)
La guerre de Sept Ans est un conflit d’envergure planétaire qui se portera sur trois continents distincts : l’Amérique du Nord (et les Antilles), le sous-continent (et l’océan) indien, et le continent européen. En ce sens, elle est considérée par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire !

Une magnifique carte de synthèse des grandes batailles terrestres et navales de la guerre de Sept Ans réalisée par le magazine Guerres & Histoire (n°21 d’octobre 2014). Du théâtre nord-américain aux Philippines en passant par l’océan Indien, l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes, celle-ci met particulièrement bien en évidence la dimension planétaire inédite de ce conflit… !

Sept ans d’une guerre aussi méconnue que déterminante de l’histoire du Monde (et aux origines de tous les grands conflits du XVIIIe siècle qui lui succèderont), dont je vous propose d’explorer les événements et surtout les grands tenants et aboutissants dans la série d’articles dédiée présentée ci-dessous : une grande fresque historique s’apparentant au nécessaire et passionnant liant entre la présente histoire de la Nouvelle-France et celle de la future guerre d’Indépendance américaine (et plus largement l’un des épisodes centraux d’une vaste série du blog sur cette aussi méconnue que décisive Seconde guerre de Cent Ans !).

L’expérience de plusieurs siècles doit avoir appris ce qu’est l’Angleterre à la France :
ennemis de prétentions à nos ports et nos provinces,
ennemie d’empire de la mer, ennemie de voisinage,
ennemie de commerce, ennemie de forme de gouvernement.

le duc de Saint-SIMON, TOUjours touT EN MESURE et en retenue… !

Pour aller plus loin… 🔎🌎

Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog est en fait extrait de mes deux grandes séries consacrées respectivement à l’épopée de la Nouvelle-France et à la guerre de Sept Ans. Si l’histoire du Canada français et plus globalement celle des empires coloniaux et du « grand XVIIIe siècle » vous intéressent (ce fut en effet une période charnière de l’Histoire moderne), je vous oriente ainsi vers la découverte de ces deux riches séries documentaires.

La première, de l’exploration du Canada à la cession de la Louisiane par Napoléon, des premiers comptoirs de commerce à la colonie royale, des alliances amérindiennes au grand conflit final avec l’Angleterre et ses colonies américaines voisines (et au travers de multiples et superbes cartes et illustrations), vous emmènera ainsi à la découverte de l’ancienne Amérique française, à l’histoire aussi épique que riche d’enseignements !

Et la seconde (consacrée à la guerre de Sept Ans) pour découvrir en profondeur l’histoire de cet immense conflit, considéré par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire. Un conflit qui débutera (et se propagera) en effet dans l’ensemble des empires coloniaux du monde, lui conférant ainsi une dimension planétaire et maritime inédite. Une guerre constituant en outre le plus grand choc de l’intense conflit global qui opposera tout au long du XVIIIe siècle la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde ; une suite ininterrompue de conflits, de Louis XIV à Waterloo, d’ailleurs qualifié de « Seconde guerre de Cent Ans » par certains historiens. Une passionnante série d’articles en forme de grande fresque historique, qui vous portera ainsi des Grandes Découvertes à la chute du Canada et des Indes françaises, et de la fondation des grandes empires coloniaux européens outremers et de la naissance de la mondialisation maritime et de la globalisation économique à l’émergence du capitalisme, du libéralisme et plus globalement d’un nouvel ordre mondial caractérisé par l’hégémonie planétaire britannique (sur les plans maritime, colonial, économique, culturel, géopolitique, etc.). Une grande série qui vous amènera aussi à mieux comprendre tant les racines de la guerre d’Indépendance américaine que celles de la Révolution française et des guerres napoléoniennes ; autant d’événements qui structureront décisivement notre monde contemporain !

*****

Et sinon, pour les intéressés et autres curieux, vous pouvez prendre connaissance de tous mes articles, (photo)reportages, récits de voyage, documentations et cartes liés à l’histoire et à la géographie de la Grande-Bretagne, ainsi que plus globalement à celle de l’Europe, en consultant les rubriques du site spécifiquement dédiées à ces domaines (accessibles ici : catégorie « Angleterre | Grande-Bretagne | Royaume-Uni » et catégorie « Europe »).

Et si d’autres sujets et thématiques vous intéressent, n’hésitez pas également à parcourir ci-dessous le détail général des grandes catégories et rubriques du site, dans lesquels vous retrouverez l’ensemble de mes articles et cartes classés par thématique. Bonne visite et à bientôt !

Afrique Allemagne | Prusse | Autriche Amériques & Caraïbes Anciennes civilisations Ancien Régime Angleterre | Grande-Bretagne | Royaume-Uni Antiquité Asie Canada | Québec Culture(s) Economie Epoque contemporaine Epoque moderne Espagne | Portugal Etats-Unis Europe France Gaulois | Celtes Grèce Grèce antique Géographie Histoire de France Histoire du Monde Italie Lozère & Cévennes Monde Moyen-Âge Méditerranée Nature & Environnement Nouveau Monde Patrimoine(s) Pays-Bas Politique Préhistoire Rome antique Russie | URSS Révolution(s) Seconde guerre mondiale Société(s) Urbanisme Voyage


Si vous avez aimé cet article et souhaitez que je puisse continuer à en produire d’autres de ce type, toujours plus riches et élaborés, n’hésitez pas à soutenir mon travail en vous abonnant et/ou en me soutenant via la plateforme de don participative d’Histoire Itinérante (les dons récurrents supérieurs à 2 € générant automatiquement un accès abonné au site !).

Merci, chaque soutien, chaque petit euro, est très précieux et déterminant pour l’avenir du site ! 🙏🙂

Soutenez Histoire Itinérante sur Tipeee

Laisser un commentaire