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L’Empire et le « Siècle d’or » néerlandais (XVIIe siècle) : quand la petite Hollande s’érigeait en première puissance marchande du monde !

L’expression « Siècle d’or néerlandais » – également utilisée pour la peinture – désigne la période de remarquable prospérité économique et culturelle que vont connaître les Pays-Bas (alors appelés « Provinces-Unies ») de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle. Une période qui va faire de cette petite région d’Europe du Nord l’une des principales puissances écrivant la marche du monde.

Comment un petit pays européen d’à peine deux millions d’habitants s’est-il construit en à peine un siècle un vaste empire maritime et marchand allant des Amériques à l’Indonésie, et le hissant au rang de première puissance commerciale du monde ? Pour le comprendre, une fois n’est pas coutume, il nous faut rembobiner la cassette d’un ou deux siècles, et replonger quelques peu dans l’histoire moderne du continent européen.

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Les Pays-Bas historiquement : l’une des plus riches régions d’Europe…

Les Pays-Bas ont toujours été une région extrêmement riche. Depuis le milieu du Moyen-Âge en effet, grâce à leur agriculture très moderne, leurs industries florissantes (draperie, métallurgie) et leur situation centrale dans le commerce européen (au carrefour des routes marchandes entre la Baltique, la Mer du Nord et le reste du continent), les Flandres et le sud-ouest de l’actuelle Hollande comptent parmi les régions les plus prospères d’Europe.

Très densement peuplés, les Pays-Bas enregistrent au début du XVIe siècle l’un des revenus par habitant (PIB) les plus élevés de l’époque, ainsi qu’un des taux d’urbanisation les plus importants du Vieux Continent (avec un habitant sur deux y vivant en ville !). La région abrite également de nombreux grands ports (notamment Anvers et Amsterdam, et avant eux Bruges et Gand), véritables épicentres du commerce européen depuis la fin du Moyen-Âge (et déjà espaces d’épanouissement d’une importante bourgeoisie marchande).

Ces riches Pays-Bas, dépendent à l’époque de la Monarchie espagnole des Habsbourg (auxquels je consacre également un article ici) – qui en ont eux-mêmes hérité de la lignée des ducs de Bourgogne. Une situation de tutelle étrangère de plus en plus insupportable pour la population néerlandaise, lourdement taxée par la Couronne ibérique (dont les Pays-Bas assurent alors plus du tiers des revenus fiscaux !). Et un maître espagnol présentant également le fâcheux souci d’être en guerre continuelle avec le grand voisin et rival français (guerres qu’elle finance qui plus est par de nombreux emprunts auprès des grands financiers.. néerlandais). Et comme si cela ne suffisait pas, arrive de l’Allemagne voisine la « Réforme » : le protestantisme se diffuse aux Pays-Bas, et s’y voit bientôt réprimé par l’autorité espagnole, farouchement catholique, et qui leur envoient rapidement l’Inquisition. Le pays est en ébullition..


L’Indépendance des Provinces-Unies (1568-1648)

Pour un développement plus conséquent de la guerre d’indépendance hollandaise, je renvoie les intéressés vers cette excellente vidéo de la chaîne Épisodes d’Histoire, qui détaille (via une riche iconographie) les événements et aboutissants majeurs de cet épisode central de l’histoire des jeunes Provinces-Unies.

Au milieu du XVIIe siècle, portées par les chefs protestants, de premières rébellions éclatent, et plusieurs provinces (les Pays-Bas en comptent alors dix-sept), dont la riche Hollande, proclament leur indépendance. S’ensuit une longue et féroce guerre d’indépendance que l’Histoire retiendra sous le nom de « guerre de Quatre-Vingts Ans » (c’est dire si ce fut long… !). Guerre qui verra les souverains espagnols successifs tenter de maintenir leur mainmise sur les riches territoires néerlandais (au prix de violentes répressions et massacres), avant d’être finalement contraints d’accepter l’indépendance des nouvelles Provinces-Unies, avalisées en 1648 par les traités de Westphalie (qui mettent fin plus globalement à la guerre de Trente Ans – la plus terrible des « guerres de religion » qui viennent alors de décimer l’Europe !).

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Un développement économique d’une rare intensité dans l’Histoire

Arrachée de longue lutte au travers d’une féroce guerre d’usure, l’indépendance hollandaise marque l’entrée des Pays-Bas dans la période la plus remarquable de leur histoire, qui voit ainsi ce petit pays européen s’ériger comme l’une des plus importantes puissances mondiales. Dès le début du XVIIe siècle, durant la guerre avec les gouverneurs espagnols, les territoires des Pays-Bas (et particulièrement ceux des provinces protestantes rebelles) avaient en effet connu un développement économique et commercial considérable, permis par la remarquable concentration de capital financier qui caractérisent alors les grandes villes néerlandaises (tout particulièrement la Hollande et sa capitale Amsterdam, qui ont ainsi vu affluer de toute l’Europe de nombreux protestants persécutés dans leur pays (et séduits par la promesse de tolérance religieuse qu’offrent alors les Provinces-Unies), en même temps que ces dernières attiraient la plupart des plus grandes fortunes des Pays-Bas du sud, ravagés par la guerre…).

En effet, au cours du XVIe siècle, ce sont plus de 30 000 protestants qui quittent Anvers (alors la plus grande place financière d’Europe, ainsi que la capitale de l’industrie de l’imprimerie européenne avec Lyon) pour Amsterdam, amenant avec eux leurs savoir-faire et leur capital financier. Un autre grand événement de l’histoire de l’Europe va également contribuer substantiellement à l’essor des Provinces-Unies : l’expulsion des juifs de la péninsule ibérique. En effet, en 1492, la même année que la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb, les Rois catholiques d’Espagne (qui viennent d’achever la Reconquista de la péninsule), décident d’expulser du pays les Juifs (mais aussi les Musulmans) qui refusent de se convertir au catholicisme. Nombre d’entre eux se réfugieront au Portugal, mais en 1497, c’est également au tour de ce pays de les chasser de son sol, peu ou prou pour les mêmes raisons.

Si l’événement demeure assez méconnu, il va avoir un impact considérable sur le destin des nations européennes : en effet, en quelques décennies, on estime que ce serait près de 100 000 Juifs qui auraient alors quitté la péninsule ibérique, entraînant une diaspora massive qui va à long terme redessiner le visage de l’Europe. Si de nombreux Juifs d’Espagne et du Portugal (que l’on nommera ultérieurement les marrranes, et dont la descendance forme l’actuelle communauté séfarade) migrent dans les pourtours du bassin méditerranéen, des milliers d’entre eux gagnent alors l’Europe du Nord et en particulier les Pays-Bas, qui garantissent alors une liberté et une tolérance religieuses uniques en Europe. Apportant avec eux leurs ressources financières et leurs réseaux (nombre d’entre eux sont des marchands et des artisans), cette communauté juive va contribuer fondamentalement à l’essor économique et commercial que vont connaître les Pays-Bas au tournant du XVIIe siècle, transformant ce petit pays d’Europe du Nord en la première puissance marchande et navale du monde !

Alors même que les Pays-Bas ne disposent d’aucune matière première (et que leur production agricole demeure parallèlement insignifiante), la concentration des ressources économiques et financières (induites par la densité ainsi que par le taux d’urbanisation élevés de la population) permettent alors aux Néerlandais d’engager toute une série d’innovations (fondation de la bourse d’Amsterdam, création de banques publiques d’investissement,…), qui peuvent être vues d’aujourd’hui comme l’acte de naissance du capitalisme moderne.


L’Empire néerlandais : une superpuissance commerciale et mondiale

Accompagnant l’essor de la Compagnie des Indes orientales, fondée en 1602 (la première société par action de l’Histoire !), ces innovations permettent un développement considérable de la Marine (militaire et marchande) néerlandaise. Grâce à celle-ci, et en à peine quelques décennies, les Néerlandais fondent un prospère réseau de comptoirs en Asie du Sud-Est (particulièrement dans les territoires de l’actuelle Indonésie, où ils fondent Batavia – future Djakarta), et établissent également des colonies en Amérique du Nord (notamment dans la région de la Nouvelle-Amsterdam – future New-York) ainsi que dans les Antilles.

Flotte de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) au XVIe siècle

Ainsi, pendant que la plupart des grandes puissances européennes (Saint-Empire, Angleterre, France,…) sont dévastées par les guerres de religion, ou empêtrées dans de sérieuses difficultés économiques (Espagne – très endettée et en proie à d’importants soucis monétaires..), les Provinces-Unies accroissent et projettent leur puissance maritime aux quatre coins du globe. En plus de dominer le commerce des épices et des produits de luxe (soie, porcelaine) issus des Indes et de Chine, la Marine hollandaise (considérée peu ou prou comme « neutre » à l’époque), devient également au XVIIe siècle le transporteur commercial du monde entier, de nombreux colons et compagnies étrangères passant en effet par elle pour exporter les richesses produites depuis le Nouveau Monde (coton, tabac, sucre, café, cacao,…).

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Les Provinces-Unies au Siècle d’or : le pays le plus « développé » d’Europe

Le flux considérable de matières premières dans les ports hollandais, ainsi que la domination des marchés commerciaux mondiaux (Amsterdam constituant alors la première place marchande du continent), permettent aux Provinces-Unies de renforcer en parallèle leur agriculture et leur industrie de transformation (particulièrement textile). Témoins vivants de cette prospérité inédite de l’Histoire mondiale, les habitants des Pays-Bas bénéficient à cette époque des salaires les plus élevés d’Europe, quand la richesse industrielle et commerciale exceptionnelle du pays s’y traduit aussi déjà précocement par l’existence d’une véritable classe moyenne (allant des artisans et marchands aux ouvriers qualifiés et paysans indépendants) :

Le peuple néerlandais était sans doute le mieux nourri d’Europe et l’extrême misère plus rare qu’ailleurs. La variété du régime alimentaire était étonnante : du pain, bien sûr, peu de viande mais du poisson, des légumes et des laitages. Mieux alimenté, le Néerlandais s’avérait plus résistant que ses contemporains aux fléaux des épidémies qui ravagèrent l’Allemagne pendant la guerre de Trente Ans et l’Angleterre dans les années 1660. C’est pourquoi la population crût sensiblement à une époque où l’Ancien Régime démographique équilibrait ailleurs les naissances et les décès.

Christophe de Voogd, cité par Michael North dans son « Histoire des Pays-Bas »

Cette remarquable prospérité économique s’accompagne d’une effervescence dans le domaine des arts, de la culture et des sciences, qui attire aussi aux Pays-Bas néerlandais tout au long du XVIIe siècle d’innombrables intellectuels et artistes. Grâce à une politique civile également en avance sur son temps (développement des droits civiques, tolérance religieuse, alphabétisation de masse, liberté de recherche et d’enseignement,…), le pays voit ainsi affluer de toute l’Europe penseurs, peintres et savants. Un rayonnement culturel qui concoure à faire des Provinces-Unies, en plus de la plus grande puissance économique et commerciale de l’époque, l’un des plus grands centres de production artistique et d’émulation scientifique de son temps (notamment en matière d’optique, de géographie, de cartographie et de peinture – pour laquelle le XVIIe siècle restera dans l’Histoire comme celui de l’âge d’or de la peinture hollandaise !).

En 1672, les Provinces-Unies sont une véritable thalassocratie. Elles ont l’économie la plus avancée au monde, le niveau de vie le plus élevé d’Europe, le meilleur système de transport en commun avant le chemin de fer, le tissu urbain le plus serré du monde. En outre, on ne trouvait dans aucun autre pays d’Europe la même liberté et la même tolérance. Refuge de Descartes et des aïeux de Spinoza, patrie du télescope, du microscope, du chronomètre et des lentilles optiques, de Grotius, de Huygens, de Rembrandt et de Vermeer, les Provinces-Unies caracolent en tête de l’Europe en de nombreux domaines : commerciaux, maritimes, scientifiques, artistiques, picturaux (paysages et « marines »), culturels (« incroyables gazettes », livres, imprimerie) … Tout cela est dû non à leur poids démographique (les Provinces-Unies sont dix fois moins peuplé que la France), mais à leur empire commercial et colonial, qui s’étend à l’échelle mondiale : Méditerranée, Baltique, relations Europe du Nord/Europe du Sud, Indes orientales et occidentales.

Michel VERGE-FRANCESCHI, « La marine française au XVIIIe siècle – Les espaces maritimes », 1996, p. 34

La mappemonde de Frederik de Wit, publiée en 1662 (c’est-à-dire à l’apogée du siècle d’or des Pays-Bas) par la plus grande maison d’édition géographique de l’époque, symbolise la prépondérance économique, scientifique, culturelle et artistique du pays, parvenu au rang de grande puissance (et qui domine la cartographie elle-même…).

L’effondrement de la superpuissance hollandaise

Le déclin, toutefois, sera aussi rapide que brutal. Entre son immense empire colonial, sa suprématie navale et sa domination du commerce mondial, c’est peu dire en effet que la puissance néerlandaise fait des jaloux, beaucoup de jaloux. Si l’écroulement de la puissance espagnole (jusqu’alors première puissance maritime mondiale) après la guerre de Trente Ans a permis aux Néerlandais de développer leur puissance navale et de régner sur les océans durant toute la seconde moitié du XVIIe siècle, d’autres puissances maritimes émergentes (tout particulièrement l’Angleterre mais également la France de Louis XIV) ne tolèrent plus la mainmise démesurée des Néerlandais sur les échanges commerciaux internationaux.

Zoom sur : la flotte néerlandaise, la première du monde au XVIIe siècle

Carte de l'ancien Empire colonial hollandais (XVIIe-XXe siècle)

La Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) – et dans une moindre mesure celle des Indes occidentales – constituera le grand instrument commercial de la conquête hollandaise du monde, et de l’Empire marchand que ces derniers constitueront en seulement une poignée de décennies. Ayant raflé aux Portugais le contrôle des routes commerciales de l’océan Indien (et notamment celles du juteux commerce des épices), la VOC connaîtra une prospérité inouïe, qui participera de beaucoup à la fortune des marchands et à l’essor des cités hollandaises.

Grâce à l’essor de sa Compagnie des Indes (VOC) et plus globalement du trafic maritime international, au XVIIe siècle, les Néerlandais dominent les mers. De 1588 jusque vers 1650, ils auront été des précurseurs : une bonne partie de l’empire portugais tombe entre leurs mains, et les Hollandais fondent alors les premières grandes compagnies maritimes et augmentent la charge utile des navires. L’industrialisation de la construction navale aux Pays-Bas et la production de navires marchands en série font en outre en quelques décennies de la flotte néerlandaise la première du monde. Vers 1650, on estime ainsi que les Hollandais disposent de 16 000 bâtiments (contre 4 000 anglais et 500 français) ! Des navires qu’ils n’hésitent pas à rentabiliser tant à l’exportation qu’à l’importation, et qui deviennent les transporteurs d’une grande partie des marchandises qui transitent entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Inventée aux Pays-Bas à la fin du XVIe siècle, la flûte est la « bête de somme » de cette prospérité commerciale néerlandaise (dont elle constitue l’essentiel de la flotte). Ce navire (le plus emblématique de la marine de l’époque), grâce à ses formes trapues et particulièrement marines, est en effet capable d’affronter les mers les plus dures, la mer du Nord comme l’océan Pacifique. « Navire rond » aussi bien à l’avant qu’à l’arrière (afin d’avoir une capacité de charge maximale), la flûte est fondamentalement un navire transporteur, qui bénéficie de plus d’un faible tirant d’eau (car conçue au départ pour sortir des ports néerlandais où les hauts fonds sableux sont nombreux). Outre sa construction rustique et facilitée par l’invention de la scierie à vent, la flûte se manœuvre facilement et est très économe en équipage, à tonnage égal, comparée à ses concurrents maritimes. De tous les ports et de toutes les mers, ce moyen de transport aura ainsi profondément marqué l’histoire économique de l’Europe au XVIIe siècle !

À cette époque en effet, la flûte, quelle que soit la nationalité de son armateur, est le navire commercial le plus présent dans les ports européens, dans le cadre d’un commerce de cabotage à l’échelle de tout le continent (le transport de marchandises par mer étant alors bien plus rapide et économique que les voies d’eau intérieures et a fortiori la route). La robustesse du navire lui permet d’embarquer aisément une vingtaine de canons lors des voyages dans les zones à risque comme la Méditerranée (victimes des raids des « Barbaresques »), les Antilles (où les pirates pullulent) et l’océan Indien (contre les concurrents portugais et anglais ou pour négocier en position de force face à un prince indigène).

Véritable navire « multi-usages », la flûte néerlandaise est d’ailleurs assez rapidement copiée par les voisins allemands (fleute) et anglais (fly-boat), avec des variantes selon les besoins. AInsi, dans les mers boréales, on croise des flûtes baleinières ayant une coque renforcée à l’avant contre les icebergs et disposant d’engins de levage pour les cétacés capturés ! Les Français les utiliseront surtout au XVIIIe siècle dans le théâtre indien comme navires de transport et vaisseaux de guerre d’appoint des flottes de la Compagnie des Indes.


Entre 1652 et 1674, bien que jusque-là alliés européens historiques (notamment contre l’hégémonie continentale espagnole puis française), l’Angleterre et les Provinces-Unies s’affrontent dans une série de trois guerres navales. Une triple guerre qui va ainsi affaiblir considérablement la puissance néerlandaise, et voir la Grande-Bretagne (qui a dans le même temps considérablement investi dans sa Royal Navy) s’affirmer comme la nouvelle puissance navale dominante en Europe du Nord (et bientôt dans les mers et océans du monde entier). Parallèlement, en s’alliant avec l’Autriche au détriment de la France (qui l’avait pourtant soutenu dans sa guerre d’indépendance contre les Espagnols), les Provinces-Unies s’attirent en outre au début des années 1670 un autre puissant ennemi : le jeune Louis XIV.

Alors à la tête de la première armée d’Europe, le grand monarque absolu français est en effet, en ce début de règne, éminemment désireux de repousser et de consolider ses frontières nord et est, vers le Rhin et les Pays-Bas espagnols (sur lequel son royaume a depuis longtemps des vues). Soucieux du développement économique et de la grandeur de son État, le jeune roi de France, poussé et accompagné dans cette démarche par son brillant Colbert (secrétaire d’État à la Marine de 1661 à 1683), souhaite en outre faire entrer son royaume dans le concert des grandes puissances maritimes, entre l’ambitieuse Angleterre (et sa Royal Navy jadis fondée par Henri VIII) d’une part, et les prospères Provinces-Unies d’autre part – dernières dont il s’agit également de briser l’emprise économique internationale. La France du début du règne de Louis XIV souhaite en effet s’attaquer à la redoutable concurrence que constituent les Hollandais, aussi bien sur le plan intérieur (pour les marchands et fabricants français) que sur le plan maritime, pour les colonies royales que fondent alors le souverain en Amérique du Nord (Nouvelle-France) et aux Antilles (Guadeloupe, Martinique,…). Enfin – et pour ne rien arranger, le rayonnement protestant des Pays-Bas déplait profondément au fervent défenseur de la cause catholique que constitue le roi de France, et qu’il entend incarner en Europe…

En 1672, débute ainsi la « guerre de Hollande » : la France envahit les Pays-Bas, avant de s’enliser dans des années de chasse-poursuite avec ses ennemis entre les régions rhénanes et les Provinces-Unies (dont l’invasion française traumatise durablement la population néerlandaise). Ce premier grand conflit sera suivi de plusieurs autres longues guerres continentales (guerre des Réunions, guerre de la Ligue d’Augsbourg, guerre de Succession d’Espagne,…), qui s’égraineront tout au long du règne de Louis XIV, et atteindront également des dimensions maritimes inédites.

À nouveau, je renvoie les intéressés du sujet de l’effondrement de la superpuissance hollandaise vers cette excellente vidéo de la chaîne Épisodes d’Histoire, qui en détaille très bien les grands tenants et aboutissants !

En cette fin de XVIIe siècle, mer et colonies sont en effet devenues un important enjeu et terrain de rivalité entre les puissances européennes. Par la guerre de Hollande (1672-1678), Louis XIV entend ainsi briser le commerce maritime hollandais, n’hésitant pas à cette fin à s’allier avec la marine anglaise. Une alliance entre les deux puissances maritimes émergentes (et futures grandes puissances dominantes et rivales du siècle suivant) qui, par la maîtrise des mers inédite qu’elle leur offre, leur permet sinon d’étouffer, au moins d’amorcer sérieusement le déclin de la puissance hollandaise (au moment où, de façon concomitante, ces mêmes guerres témoignent du grand déclin de la marine espagnole, tandis même que la montée en puissance de la marine française et sa nouvelle maîtrise de la Méditerranée inquiète aussitôt et lui aliène toute l’Europe…).

Au-delà de la guerre terrestre d’envergure que lui mènera un Louis XIV soucieux d’affirmer son hégémonie sur l’Europe continentale et d’affaiblir les grands concurrents économiques de sa Nation (et de l’ébauche d’industrie nationale qu’il tente de lui insuffler), le déclin de la puissance hollandaise doit aussi beaucoup aux deux décennies (et trois guerres) d’intenses affrontements navals qu’elle livrera avec l’Angleterre voisine. Proche, trop proche des côtes anglaises, la grande puissance mercantile et coloniale – et donc maritime – hollandaise du milieu du XVIIe siècle s’est en effet naturellement posée en rivale d’une Angleterre elle aussi en plein essor commercial, après que cette dernière ait signé en 1604 la paix avec l’Espagne (dont elle avait défait en 1588 la bien peu Invincible Armada que Philippe II d’Espagne, excédé par leur prédation et l’anglicanisme, avait dépêché à la conquête des îles Britanniques…). Les trois guerres navales anglo-hollandaises qui se déroulent entre 1652 et 1674 signent d’ailleurs l’acte de naissance de la Royal Navy moderne, qui après une première moitié de XVIIe siècle de déclin, mute alors d’une simple marine protectrice des littoraux et de nature essentiellement corsaire à une véritable marine de guerre déjà remarquablement structurée et organisée. Une Royal Navy déjà très en avance sur son temps, et que la France ne tardera pas à retrouver sur sa route dans tous ses desseins coloniaux et commerciaux dès le milieu du XVIIIe siècle…

Le déclin de la puissance néerlandaise peut également s’apparenter à une passation de relais avec l’Angleterre. En effet, comme je vous le raconte dans le cadre d’un autre article consacré à la Glorieuse Révolution de 1688 (voir lien à droite), et en vertu des conséquences politiques de celle-ci, une partie de l’élite économique et politique hollandaise va migrer d’Amsterdam à Londres, apportant avec elle les innovations financières et la politique de développement maritime qui avait fait le succès et la prospérité d’Amsterdam 80 ans plus tôt. Alors que les Provinces-Unies ont été durablement affaiblies par les guerres avec la France de Louis XIV (et ne cessent d’être menacées par celle-ci), c’est désormais l’Angleterre qui va s’ériger en championne de la cause protestante, mais aussi et surtout comme la puissance européenne la plus à même d’entraver les velléités d’hégémonie française sur le continent et bientôt dans le monde colonial. Ainsi naissaient probablement les racines de grande rivalité franco-anglaise qui allaient aussi profondément structurer et donner le la de la géopolitique européenne du XVIIIe siècle.


EN RÉSUMÉ : enregistrant en quelques décennies un spectaculaire affaiblissement maritime, économique et (géo)politique, les Provinces-Unies cessent presque au début du XVIIIe siècle de constituer une grande puissance de l’échiquier mondial, se voyant peu ou prou reléguées (à l’image de l’Espagne de la même époque) au rang de puissance européenne secondaire

1584-1702 : deux dates qui marquent ainsi le début et la fin d’une période extraordinaire de l’histoire des Pays-Bas, dont il n’est pas étonnant que les Hollandais contemporains demeurent, toujours aujourd’hui, un peu nostalgiques. Un Siècle d’or néerlandais (et son remarquable développement maritime et commercial) qui, s’il n’aura finalement guère duré, aura au moins eu le mérite de susciter des vocations, comme en témoigne un certain Cardinal français de l’époque :

L’opulence des Hollandais qui, à proprement parler, ne sont qu’une poignée de gens, réduits en un coin de terre, où il n’y a que des eaux et des prairies, est un exemple et une preuve de l’utilité du commerce qui ne reçoit point de contestation.

C’est en ces termes que Richelieu soulignait « le miracle hollandais » Dans son Testament politique..

Pour ceux qui souhaiteraient aller encore davantage dans la profondeur de ce passionnant sujet (et grand moment de bascule de notre histoire moderne), je ne saurais assez recommander le visionnage de ce remarquable documentaire (en quatre épisodes) diffusé il y a quelques années sur Arte, et intitulé « Amsterdam, Londres et New-York : trois villes à la conquête du monde ». Un documentaire d’une richesse et précision inouïe pour comprendre notamment la naissance du capitalisme et de l’économie moderne, ainsi que les grandes racines et ingrédients de l’hégémonie maritime mondiale successivement hollandaise (XVIIe siècle) puis britannique (du XVIIIe au XXe siècle) … !

Pour aller plus loin… 🔎🌎

Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog sur le Siècle d’Or néerlandais est en fait extrait de ma grandes série consacrée à la guerre de Sept Ans (1756-1763). Si le sujet de la « mondialisation » des Temps modernes (débutant avec l’ère des Grandes Découvertes et prenant véritablement corps au début du XVIIIe siècle) vous intéresse (ce fut en effet une période charnière de l’Histoire du monde moderne), je vous oriente ainsi vers la découverte de cette riche série documentaire traitant de cet immense conflit, considéré par de nombreux historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire. Un conflit qui débutera (et se propagera) en effet dans l’ensemble des empires coloniaux du monde, lui conférant ainsi une dimension planétaire et maritime inédite.

Une guerre constituant en outre le plus grand choc de l’intense conflit global qui opposera tout au long du XVIIIe siècle la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde ; une suite ininterrompue de conflits, de Louis XIV à Waterloo, d’ailleurs qualifié de « Seconde guerre de Cent Ans » par certains historiens. Une passionnante série d’articles en forme de grande fresque historique, qui vous portera ainsi des Grandes Découvertes à la chute du Canada et des Indes françaises, et de la fondation des grandes empires coloniaux européens outremers et de la naissance de la mondialisation maritime et de la globalisation économique à l’émergence du capitalisme, du libéralisme et plus globalement d’un nouvel ordre mondial caractérisé par l’hégémonie planétaire britannique (sur les plans maritime, colonial, économique, culturel, géopolitique, etc.). Une grande série qui vous amènera aussi à mieux comprendre tant les racines de la guerre d’Indépendance américaine que celles de la Révolution française et des guerres napoléoniennes ; autant d’événements qui structureront décisivement notre monde contemporain !

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Et sinon, pour les intéressés et autres curieux, vous pouvez prendre connaissance de tous mes articles, (photo)reportages, récits de voyage, documentations et cartes liés à l’histoire et à la géographie des Pays-Bas ainsi que plus globalement à celles des anciens grands empires de l’Histoire, en consultant les rubriques du site spécifiquement dédiées à ces domaines (accessibles ici : catégorie « Anciens empires » et catégorie « Pays-Bas »).

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