La Nouvelle-France… rien que le nom peut laisser rêveur. C’est par ce terme (ou également celui de « Neufve-France ») que fut nommé l’ensemble colonial que les Français bâtirent entre le XVIe et XVIIIe siècle en Amérique du Nord, et qui s’étendit à son apogée sur près de la moitié du continent nord-américain, du Canada au Mexique…
Née des explorations du malouin Jacques Cartier dans le golfe et la vallée du Saint-Laurent autour des années 1530, puis des expéditions du honfleurois Samuel de Champlain durant les premières décennies du XVIIe siècle (et qui fondera Québec, sa futur capitale, en 1608), la Nouvelle-France restera longtemps un simple établissement commercial. La colonie française d’Amérique ne va en fait véritablement commencer à se développer que sous l’impulsion de Louis XIV et de son secrétaire d’état à la Marine Colbert, dont la politique vont transformer ce qui restait jusqu’alors un simple comptoir de commerce en véritable colonie royale.
Dotée désormais d’une administration similaire à celle d’une province française (avec à sa tête un gouverneur, un intendant, et où est appliquée la législation française), la Nouvelle-France constituera ainsi sans doute le plus abouti des établissements et territoires coloniaux français d’outremer. Si l’Amérique française aura pour but premier l’exploitation des ressources de la colonie (c’est-à-dire celle des aires de pêche), ainsi que la lucrative traite des fourrures et l’exploitation du bois, l’agriculture sera également développée dans les régions-berceaux de la colonie que constitueront la vallée du Saint-Laurent et l’Acadie (actuelle Nouvelle-Écosse).
Grâce aux multiples explorations et expéditions menées dans les profondeurs du continent par les Jolliet et Marquette, les La Salle et les La Vérendrye, la Nouvelle-France a également enregistré sous le règne du Roi-Soleil une formidable expansion sur le plan territorial. Si le bassin du Mississippi et la région des Grands Lacs demeureront davantage une zone de contrôle (tenue grâce à un remarquable réseau de forts ainsi que surtout grâce aux alliances avec les Nations Amérindiennes) qu’une véritable annexion coloniale, il est certain qu’au Siècle des Lumières, l’influence française rayonne sur l’ensemble de l’intérieur du continent, et irradie les immensités américaines des Appalaches aux Rocheuses.
À son apogée, vers le milieu du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France constitue ainsi un territoire immense et grandiose, qui s’étend des Appalaches à l’Est aux grandes prairies à l’Ouest, et de la baie d’Hudson et du Labrador au Nord à la Louisiane et au golfe du Mexique au Sud, en passant par le bassin de Mississippi, les Grands Lacs, et aussi et surtout la vallée et le golfe du Saint-Laurent – le cœur de la colonie. Une immensité de forêts, de lacs, de marais, de montagnes et de prairies, seulement peuplée de 70 000 colons et de quelques centaines de milliers d’Amérindiens (ces derniers ayant alors déjà été grandement décimés en particulier par les maladies importées par les colons…). Natifs amérindiens avec lesquels les Français sont presque partout alliés et avec qui ils entretiennent de grandes alliances politiques et commerciales (sans parler de l’important métissage qui se développa dès la fondation de la colonie entre ces nations).
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 1, p. 12 et 33)
Une colonie prospère et baroque mais vide, comparée tout particulièrement aux colonies anglo-américaines voisines, coincées entre les Appalaches et l’océan Atlantique, et dont le million d’habitants se sent bien vite très (trop) à l’étroit. Colons des fameuses « Treize Colonies » qui regardent vers le nord et l’ouest, vers les territoires de la Nouvelle-France, leurs contrées d’expansion naturelle… Déjà en grande tension avec la colonie française depuis le XVIIe siècle pour des raisons alors essentiellement commerciales (le monopole de la traite des fourrures), les colonies anglo-américaines étouffent en effet de plus en plus sous le châssis français, qui brident leur développement alors même que les Treize Colonies enregistrent un essor démographique spectaculaire. Au milieu du XVIIIe siècle, la rivalité pour la domination de l’Amérique du Nord finira par atteindre son paroxysme et par déboucher sur une inévitable logique d’affrontement généralisé, qui se traduira pour la France par la perte de son empire nord-américain durant la célèbre guerre de Sept Ans (1754-1763).
Dans ce petit article extrait de ma grande série sur les origines de la guerre de Sept Ans, ce conflit en forme de grand choc entre la France et l’Angleterre où se joua précisément la domination des Indes et de l’Amérique du Nord (et parfois considérée par les historiens comme la première véritable « guerre mondiale » de l’Histoire), je vous propose ainsi de revenir sur l’histoire et sur les grandes caractéristiques de cette immense colonie française d’Amérique du Nord, dont l’histoire est un peu (trop) oubliée aujourd’hui… Bonne lecture !
Quand la France partit elle aussi à la conquête du (Nouveau) Monde
L’histoire de la France comme puissance coloniale en Amérique du Nord débute au XVIe siècle, à l’époque des explorations européennes et des voyages de pêche. À la suite des autres puissances européennes (Angleterre, Espagne et Portugal) et des voyages vers l’Amérique de Christophe Colomb en 1492, Jean Cabot en 1497, puis des frères Corte-Real (Portugais), la France s’intéresse finalement à l’exploration maritime. Dans ce contexte, elle mande Jacques Cartier pour effectuer trois voyages de découverte vers ce Nouveau Monde. Arrivé dans le golfe du Saint-Laurent, il prend possession du territoire au nom du roi de France en plantant une croix à Gaspé en 1534. L’année suivante, il remonte le Saint-Laurent, hiverne à Stadaconé (site de l’actuelle ville de Québec) et se rend à Hochelaga (aujourd’hui Montréal).
Lorsque Jacques Cartier appareille de Saint-Malo le 20 avril 1534 en direction du Nord-Ouest, ce n’est pas vers le total inconnu que sait prendre destination le futur grand explorateur malouin Quelques décennies plus tôt, un explorateur italien mandaté par le roi d’Angleterre, Jean Cabot, était déjà arrivé en vue et avait exploré de nouvelles terres inconnues, quelque part au sud-ouest du Groënland. Ce célèbre navigateur d’origine vénitienne, bercé par les récits décrivant toutes les richesses de l’Orient (et ayant appris la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492, après avoir lui-même tenté quelques voyages vers l’Ouest infructueux), réussit à convaincre le roi d’Angleterre de financer un voyage de découverte.
Cartographe accompli, Cabot a en effet calculé qu’en mettant le cap plein Ouest à travers l’Atlantique, l’on devrait atteindre les Indes orientales, et la fabuleuse Cathay. Après une année de patients préparatifs, Cabot quitte Bristol le 2 mai 1497, à bord d’un unique voilier et ses dix-huit hommes d’équipage. Après avoir suivi les côtes d’Irlande et s’en être éloigné, ils met le cap vers l’Ouest, vers le soleil couchant et l’océan infini.
Il fallait une bonne dose de courage et d’esprit d’aventures à ces navigateurs, ces hommes et ces femmes, qui se sont engagés de tous temps vers des destinations inconnues, bravant les flots et les dangers. Quand on sait à quoi peut ressembler une tempête sur l’Atlantique Nord, les vagues pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres, les icebergs et les glaces, les eaux glaciales surnageant les profonds abysses du vaste océan, on ne peut qu’éprouver une certaine fascination et un immense respect pour les peuples marins qui s’y aventurèrent si massivement – tels les Scandinaves “Vikings”, plus de cinq siècles avant les grandes puissances européennes (et sur des embarcations et avec des moyens bien plus sommaires que ceux qui prévaleront durant la période de la Renaissance).
Les Vikings en effet, depuis l’Islande (qu’ils avaient préalablement colonisé suite à d’importantes migrations démographiques depuis la Scandinavie), s’étaient aventurés un peu avant l’an Mil vers le Groënland, où ils avaient établi quelques colonies (leur meneur n’étant autre que le célèbre Erik le Rouge, dont la saga nordique raconte cette épopée). De là, quelques aventuriers étaient partis sur leur langskip (bateau de haute mer viking) prolonger l’exploration. D’abord vers le Nord puis l’Ouest, où ils ne rencontreront que des terres arides de pierres et de neige bordées par des eaux polaires. Redescendant vers le sud, ils découvriront une île fortement boisée, au relief très escarpé, correspondant à l’actuelle Terre-Neuve. Ils y camperont quelques jours au niveau d’une baie bien protégée des éléments, collecteront du bois (matière essentielle qui faisait cruellement défaut au Groënland) ainsi que des raisins secs trouvés sur des vignes sauvages (une des hypothèses qui expliqueraient l’origine du nom « Vinland » qu’ont donné les Vikings à cette nouvelle terre), puis rentreront.
Nourris par ces récits, plusieurs années plus tard, un autre groupe de Vikings mit voile vers les rivages de Terre-Neuve, décidé à y fonder une colonie. Les navigateurs y auraient séjourné trois années durant, au cours desquelles ils visiteront la région, sans toutefois parvenir à retrouver la baie initiale. Constamment sujets aux attaques des tribus esquimaux et amérindiennes vivant également sur l’île, contraints de guerroyer sans fin, ils finiront par préférer retourner au Groënland et abandonner la colonie.
Durant les siècles qui suivirent, de nombreuses expéditions Vikings continueront néanmoins d’avoir lieu sur les côtes nord-américaines, pour y charger du bois. Dans le cadre de leurs expéditions de chasse (morse, baleine,…), ils se seraient même aventurés jusque dans la lointaine baie d’Hudson, officiellement découverte par le navigateur anglais du même nom au XVIIe siècle. Quoiqu’il en soit, les Vikings ont bien découvert à l’époque des terres faisant partie intégrante du Canada (et donc de l’Amérique). Ils auraient d’ailleurs noté d’innombrables renseignements sur les routes, les mers occidentales et les terres qu’ils avaient découvertes, des documents précieusement conservés par leurs descendants (démarche qui pourrait peut-être expliquer d’ailleurs le passage mentionné par certaines sources de Christophe Colomb en Islande avant d’entreprendre le périple qui le rendra si célèbre…).
On ne sait exactement de quelle part de ces informations disposait Jacques Cartier lorsqu’il entreprit son grand voyage vers l’Ouest. S’attendait-il à ne rencontrer aucunes terres jusqu’aux Indes orientales, si loin de l’autre côté du monde ? Ou bien espèrerait-il juste trouver le passage entre d’éventuelles grandes îles situées là où les Scandinaves du Groënland les ont répertoriées – passage qui pourra le mener jusqu’à la fabuleuse Cathay ?
Concernant la première question, il est permis d’en douter, car l’expédition de Cabot dont nous avons parlé plus tôt, après un voyage sévèrement chahuté, aborda sur une belle île boisée, au climat tempéré, et aux eaux poissonneuses (qui s’avèrera être l’île de Cap Breton, dans le golfe du Saint-Laurent, près de Terre-Neuve). Une information qui se propagera vite après son retour, car dans les décennies qui suivent, de nombreux pêcheurs des côtes occidentales françaises prennent déjà l’habitude d’entreprendre la traversée pour y faire leur saison de pêche, revenant les cales remplies de morue salée (une pratique qui perdurera durant des siècles jusqu’il y a quelques décennies, moment où l’épuisement de la ressource lié à la surpêche entraînera l’effondrement des pêcheries de Terre-Neuve).
Quoiqu’il en soit, c’est plein de détermination et sous l’autorité du roi que lui et son équipage mirent voile le 20 avril à Saint-Malo, filant droit vers l’Ouest. Le début d’un voyage héroïque qui, s’il restera loin des objectifs de sa mission, vaudra à Cartier une place parmi les grands de l’exploration maritime, et fera également de lui l’un des fondateurs du Canada français.
En 1540-1541, Jacques Cartier revient et tente d’établir une colonie à l’embouchure de la rivière du Cap-Rouge. Si des objectifs religieux ont présidé à l’organisation de ces voyages, les motifs économiques sont encore plus évidents. L’espoir de trouver une route vers les Indes est constamment affirmé, mais également celui de découvrir « certaines îles et pays où l’on croit qu’il doit s’y trouver grande quantité d’or et autres richesses ». Lors de son dernier voyage, le découvreur se hâtera de rentrer en France rapporter ses minéraux qu’il croit être de l’or et des diamants, et qui ne s’avèreront n’être que du fer et du quartz. Face à cet échec ainsi qu’à celui de la tentative de colonisation de Roberval (rongée par le scorbut, et qui vire au fiasco), la France se désintéresse alors de cette lointaine contrée jusqu’à la fin du XVIe siècle.
Zoom sur : les autres tentatives (ratées) d’implantation française en Amérique
Cela est peu connu, mais les voyages de Jacques Quartier au nom de François Ier ne constituèrent pas les seules expéditions entreprises par la France en Amérique. Dès 1524, l’explorateur italien d’origine florentine Giovanni da Verrazzano avait été le premier Européen à explorer, au nom de la France, la côte atlantique de l’Amérique du Nord (c’est d’ailleurs lui qui donnera à ces nouveaux territoires le nom de « Nova-Gallia » – Nouvelle-France).
Dans le cadre de son premier voyage (qui précède de 10 ans celui de Jacques Cartier dans le golfe du Saint-Laurent), Verrazzano avait longé la côte des futurs États-Unis d’Amérique, de l’actuelle Caroline du Nord à la péninsule de Cap Cod (au niveau de ce qui deviendra Nouvelle-Angleterre). L’explorateur italien avait en outre donné à ces nouvelles terres des toponymes français (dont certains subsistent toujours), et avait même exploré la baie de la future ville de New York (découverte le 17 avril 1524), à laquelle il avait donné le nom de « Nouvelle-Angoulême », en hommage à François Ier, comte d’Angoulême.
De retour en France, Verrazzano prépare immédiatement un nouveau voyage en vue de trouver un passage vers l’Asie autre que le détroit de Magellan (découvert et contrôlé par les Portugais) – ce qui avait constitué le but premier de son expédition le long des côtes de l’Amérique du Nord. Après une tentative par l’est de l’Afrique à travers l’océan Indien, l’explorateur italien, toujours mandaté par le roi de France, tentera une ultime expédition vers l’Amérique, où il disparaîtra avec son équipage sans laisser de traces.
Les explorations faites par Verrazzano en 1524 aboutissent à la célèbre carte de 1529 dressée par son frère Girolamo, qui est la première de l’Histoire à nommer les lieux le long de la côte nord-américaine au nord de la Floride. Sur cette carte, de frère de l’explorateur italien représente même l’embouchure du fleuve Saint-Laurent (qu’il aurait donc exploré une décennie avant Cartier) et nomme le territoire Nova Gallia (Nouvelle-France), ce qui constitue la première évocation connue de l’Amérique française.
Les voyages de Verrazzano ne constituèrent pas les seules tentatives d’exploration et d’implantation des Français en Amérique. Au milieu du XVIe siècle, des catholiques et protestants français vont tenter (sans succès) de s’établir au Brésil puis en Floride. C’est d’ailleurs encore notre cher Verrazzano qui avait mené, vers 1523, plusieurs expéditions le long des côtes brésiliennes au nom de François Ier (qui n’acceptait pas le traité de Tordesillas, qui partageait le Nouveau Monde entre Portugais et Espagnols et faisait tomber le Brésil sous souveraineté portugaise). Depuis cette date, plusieurs navigateurs français étaient revenus secrètement explorer le littoral brésilien, récoltant les données nécessaires à une future expédition en vue de fonder un établissement colonial. Le site ciblé se situait dans la baie de Guanabara (emplacement actuel de Rio de Janeiro), choisi pour les relations nouées sur place avec les Indiens Tamoios, qui étaient en tension avec les Portugais.
En 1555, deux navires commandées par le vice-amiral de Villegagnon quittent le Havre et gagnent le Brésil, où Villegagnon et ses hommes s’établissent sur une île au centre de la baie de Guanabara (toujours appelée l’île de Villegagnon aujourd’hui). Rapidement, ils y bâtissent le Fort Coligny (du nom du Gaspard de Coligny, grand amiral français sous François Ier) et des logements, mais la main d’œuvre d’indigène, qui réalise le plus dur du travail, finit par se rebeller. La discipline devient également problématique en raison du caractère rude et intransigeant de Villegagnon, qui force les Français entretenaient des relations avec les femmes indigènes de se marier devant notaire avec elles. Après quelques mois, comprenant la précarité de sa situation, il sollicite du souverain l’envoi de trois à quatre mille soldats professionnels et de centaines de femmes à marier sur place, ainsi que d’ouvriers spécialisés. Selon la lettre qu’il envoie au duc de Guise (le chef du parti catholique en France) en 1556, la colonie compte alors près de 600 habitants.
En ce milieu de XVIe siècle, le protestantisme est en plein essor en France, et la tension avec la population catholique commence à faire rage. Ouvert aux idées nouvelles, Villegagnon écrit à Calvin pour lui proposer d’accueillir des convertis à la Religion Réformée dans sa colonie et d’en faire une sorte de refuge protestant. En 1557, Jean Calvin, le célèbre théologien français du protestantisme, envoie Jean de Léry avec treize compagnons rejoindre la colonie française de la « France Antarctique » au Brésil, dans l’espoir de trouver une terre d’accueil pour ces protestants persécutés en France. Cependant, ils sont rapidement chassés de là par le chef de l’expédition (Villegagnon), qui ne supporte pas leur rigorisme, et finit par les exclure sur la terre ferme. Jean de Léry et ses compagnons protestants se retrouvent alors à vivre chez les Amérindiens « Toüoupinambaoults », qui les traitent « fort humainement ».
Cette cohabitation de plusieurs mois entre Français et peuples autochtones au Nouveau Monde aura des conséquences culturelles très importantes, car Jean de Léry, ethnographe avant l’heure, va relater cette expérience dans un livre : Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, un récit captivant qui inspirera notamment Montaigne pour ses célèbres Essais.Ce texte de Jean de Léry est à plusieurs titres hautement remarquable pour l’époque, au sens où il offre un regard ouvert et curieux sur les divers aspects de ces terres nouvelles où tout est inconnu, qu’il s’agisse des animaux, des végétaux ou encore des hommes qui les habitent. Son interaction avec le peuple des Toüoupinambaoults et leur mode de vie aura une grande portée historique et philosophique. En effet, le texte du pasteur questionne la notion subjective de barbarie (qui sont toujours les autres du point vue ethnocentré de l’européen de l’époque), le rapport à l’autre, à l’étranger, à ses mœurs et coutumes si radicalement distinctes. En ce sens, il introduit déjà des réflexions de tolérance et d’humanisme s’inscrivant dans la future pensée des Lumières, faisant de son texte un ouvrage pionnier de la pensée moderne.
Les conflits dans la colonie ont cependant, pour en revenir à la France Antarctique, finit par remonter jusqu’à la Cour de France, et Villegagnon est rappelé pour justifier son action. En 1559, Villegagnon abandonne ainsi le Fort-Coligny et rentre en France (où il prendra part aux guerres de religion), laissant la colonie aux mains de son neveu Legendre de Bois-le-Compte. Les Portugais, qui voient d’un mauvais œil l’influence française se développer dans leur terre brésilienne, vont en profiter pour régler son compte à la France Antarctique. Après une belle résistance française, la petite colonie est finalement prise par les hommes d’Estacio en 1560.
Suite à l’échec de la tentative d’implantation effectuée au Brésil (et à l’espoir concomitant d’y faire coexister huguenots et catholiques), les Français n’abandonnent pas complètement le projet de la « France Antarctique ». Au début des années 1560, Gaspard de Coligny, l’un des grands chefs protestants, projette de créer en Amérique une nouvelle colonie française qui pourra constituer un refuge pour les huguenots, victimes dans leur pays de l’intolérance religieuse. À l’image des puritains anglais qui quitteront quelques décennies plus tard à bord du Mayflower le Vieux Continent en direction de la Nouvelle-Angleterre en quête de liberté religieuse, c’est la région de la Floride qui retient l’attention du chef protestant. Coligny pense en effet qu’une colonie huguenote aurait plus de chances de prendre souche dans la péninsule, espagnole depuis 1513, mais qui demeure relativement inhabitée.
Ainsi naîtra la brève épopée de la « Nouvelle-France floridienne », qui sera elle encore un échec. En 1562, Jean Ribault quitte le Havre avec 2 navires et 150 hommes et atteint le nouveau continent à bord à l’embouchure de la rivière May, où il fonde un peu plus au nord la colonie de Charlesfort (future Charleston, dans l’actuel État de Caroline du Sud). Malheureusement, très vite, les difficultés s’accumulent, entre mauvaise cohabitation avec les tribus amérindiennes locales et maladies tropicales. Les renforts demandés depuis la Métropole n’arrivent pas, la France étant alors déchirée par la première guerre de religion. Après quelques années et plusieurs nouvelles tentatives de colonisation, la colonie est finalement capturée par les Espagnols, et ses colons tués ou emprisonnés. Après le Brésil, le rêve de la Floride française s’éteint à son tour. Les Français seront toutefois plus heureux dans les Caraïbes, où ils fonderont au XVIIe siècle les colonies de la Martinique et de la Guadeloupe puis de Saint-Domingue, qui feront, au XVIIIe siècle, la richesse de la France de Louis XV et de Louis XVI. Et puis bien sûr, plus au nord, il y aura la grande épopée de la Nouvelle-France…
La fondation du Québec par Samuel de Champlain
Empêtrée dans les dramatiques guerres civiles qui opposent Catholiques et Protestants sur l’ensemble du territoire durant tout la seconde moitié du XVIe siècle siècle, ce n’est qu’à partir de 1602 que le roi de France (Henri IV) va se réintéresser très sérieusement au Canada, et s’entourer de tous les hommes bénéficiant d’expérience dans la navigation et l’exploration de ses contrées. C’est dans ce cadre que la Cour fait mander Samuel de Champlain, qui se voit chargé de collecter toutes les informations nécessaires pour préparer une expédition coloniale sur le littoral de l’Amérique du Nord-Est, la « terre des Bretons » comme on l’a surnomme alors (en écho à la forte fréquentation des pêcheurs français de la zone en ce début de XVIe siècle). Henri IV songe à disposer là d’une base qui lui permettra de mener des attaques contre l’Amérique ibérique, dont les richesses contribuent largement à la puissance espagnole.
Les balbutiements de la « colonie à fourrures »
De 1608 à 1663, l’administration de la colonie va être confiée à des compagnies de commerce formées de marchands de diverses villes de France. Les compagnies qui se succèdent s’engagent à peupler et à développer l’Amérique, en retour du privilège d’exploiter ses ressources. La Compagnie des Cent-Associés — une création du grand ministre de Louis XIII, le cardinal de Richelieu — gère la Nouvelle-France directement ou par des compagnies subsidiaires de 1627 à 1663. La Compagnie n’atteint cependant pas les résultats escomptés. En 1663, la population dépasse de peu les 3 000 personnes, dont 1 250 enfants nés au pays. Moins de 1 % des terres concédées sont exploitées. Samuel de Champlain, en 1618, anticipe des revenus annuels de 5 millions de livres, grâce à la pêche, aux mines, au bois, au chanvre, aux toiles et à la fourrure. Cependant, seule cette dernière est rentable, et encore moins que prévue. L’évangélisation ne connaît pas de meilleurs succès.
Au cours de son premier demi-siècle d’existence, la Nouvelle-France connaît néanmoins une véritable épopée missionnaire. En 1632, les Jésuites fondent la mission de Sainte-Marie-des-Hurons. Ville-Marie, qui deviendra Montréal, est l’œuvre de mystiques et de dévots. Mais les missionnaires ne réussissent finalement qu’à convertir un petit nombre d’Autochtones.
En 1663, la ville de Québec, quant à elle, n’est encore qu’un comptoir commercial. L’exploitation de la fourrure s’y oppose à celle de l’agriculture. La rencontre des cultures s’avère de surcroît partiellement néfaste aux nations autochtones, décimées par la guerre et la maladie. La population française est numériquement très faible. L’administration de la colonie par des exploitants s’avère un échec.
Dans cette décennie noire que traverse la Nouvelle-France, elle ne peut malheureusement guère compter sur la France, elle-même empêtrée dans de graves soucis de politiques intérieures (correspondant à l’époque troublée de la Fronde). Néanmoins, au début des années 1660, les choses changent du tout au tout. Après la signature de la Paix des Pyrénées (1659), qui vient mettre fin à la guerre contre l’Espagne, et surtout, avec l’arrivée au pouvoir de Louis XIV (suite à la mort de Mazarin en 1661) et le début de son gouvernement personnel, une nouvelle donne se met en place. Bien conseillé par son brillant et célèbre Jean-Baptiste Colbert, qui est convaincu que la grandeur de la France passe par sa marine et ses colonies, c’est une toute nouvelle politique coloniale que Versailles va mettre en œuvre en direction de sa Nouvelle-France : bien plus ambitieuse, bien mieux administrée, et qui va se traduire par un grand développement démographique et économique dans le siècle à venir.
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Du comptoir de commerce à la colonie royale
Sur les bords du Saint-Laurent, la France, depuis Richelieu, avait établi une véritable colonie, un morceau d’elle-même, un prolongement de la mère patrie. Par le recrutement de sa population autant que par son régime administratif, le Canada était bien une province du royaume.
Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, pp. 197-198
Bien avisé par son secrétaire d’État de la Marine Colbert (ministère auquel est rattachée la gestion des colonies), le jeune monarque donne dès le début de son règne un véritable coup de barre en direction de sa Nouvelle-France. Dans un premier temps, Louis XIV met fin à l’ère des compagnies commerciales et instaure une administration calquée sur celles en vigueur dans les provinces de France (faisant en quelque sorte de la Nouvelle-France une province française ultramarine, à l’image de nos départements d’outre-mer d’aujourd’hui).
L’administration de la Nouvelle-France qui prévalait jusque-là (et qui consistait à confier l’administration de la colonie à une compagnie qui exerçait un monopole sur la traite des fourrures, et devait en contrepartie s’occuper du peuplement) n’avait pas donné de brillants résultats. Durant toute cette période, la Nouvelle-France demeura une colonie-comptoir, où l’essentiel de la chasse fournissant les pelleteries était le fait des partenaires commerciaux autochtones des Français.
On imagine bien que dans ce cadre de fonctionnement, l’importation de colons ne présentait donc que bien peu d’intérêts économiques pour les compagnies qui se succédaient : il leur suffisait d’entretenir les trois grands postes de traite que constituaient Tadoussac et Québec pour le Canada et Port-Royal pour l’Acadie. Même la tentative de la Compagnie des Habitants, où les coloniaux formèrent eux-mêmes la compagnie détenant le monopole, se solda par un échec (bien aidé il est vrai par la situation catastrophique de la Nouvelle-France durant cette période, où la guerre avec les Iroquois faisait rage).
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Dès son arrivée au pouvoir, Louis XIV met donc fin à ce régime avec l’instauration du gouvernement royal. À partir de 1663, le gouverneur de la Nouvelle-France (représentant du roi détenant l’autorité du commandement militaire) se voit ainsi assisté d’un intendant, haut-fonctionnaire compétent recruté au sein d’une bourgeoisie émergente, et ayant à s’occuper des affaires de police, de justice, des finances, et plus globalement, du développement économique et démographique de la colonie. Un « conseil souverain » est également mis en place, ayant vocation à réunir au sein d’un même collège les deux dignitaires (gouverneur et intendant), l’évêque, ainsi que quelques notables triés sur le volet.
Mise en place dans la continuité de la grande réforme de l’administration territoriale conduite en France en 1661, la province canadienne voit néanmoins quelques spécificités lui être accordées, notamment des gouverneurs qui y conservent une importance plus grande qu’en France, du fait de l’isolement de la colonie et des risques encourus sur le plan militaire face aux Iroquois et aux Anglais.
Zoom sur : l’organisation territoriale de la Nouvelle-France
Vaste territoire toujours en expansion, la Nouvelle-France était divisée en plusieurs districts nommés « gouvernements particuliers ». Le gouverneur général siégeait à Québec, au château Saint-Louis. Son autorité s’étendait en principe sur toutes les colonies de la Nouvelle-France, des prairies de l’Ouest à l’Acadie, de Terre-Neuve à la Louisiane. Le Canada lui-même était divisé en trois gouvernements. Celui de Québec était gouverné directement par le gouverneur général. S’ajoutaient les gouvernements des Trois-Rivières et de Montréal, ce dernier contrôlant tout l’hinterland du Canada, en perpétuelle expansion vers l’ouest.
Certains territoires y connurent même une colonisation, comme la région du Détroit (Michigan actuel) et le pays des Illinois, plus tard rattaché au gouvernement de Louisiane. La situation en Acadie était plus instable, en raison des nombreuses invasions britanniques venant de Grande-Bretagne et surtout de Nouvelle-Angleterre (après le traité d’Utrecht et le passage de Port-Royal sous gouvernement britannique, la capitale des territoires demeurant sous contrôle français deviendra ainsi Louisbourg, sur l’île du Cap-Breton). La Louisiane formait un autre gouvernement particulier. Tout comme, jusqu’à sa cession par le traité d’Utrecht, Terre-Neuve, dont la capitale française fut Plaisance.
L’intendant jouait en Nouvelle-France un rôle très important, en particulier en matière de politique de peuplement et de développement économique. Il était représenté par des subdélégués (commissaires-ordonnateurs) dans les gouvernements particuliers ou les régions éloignées comme Détroit. En réalité, certains relevaient directement de la capitale, comme ceux de Louisbourg ou de la Nouvelle-Orléans. À défaut de Parlement, un conseil souverain fut aussi institué en 1663 à Québec pour conseiller le gouverneur général et servir de cour d’appel. Le gouverneur, l’intendant et l’évêque (dont le diocèse englobait toute la Nouvelle-France) en étaient les membres les plus éminents. L’Église jouait bien sûr un rôle essentiel dans l’administration, puisque les services comme l’instruction ou les hôpitaux relevaient d’elle (sous l’Ancien Régime, et selon une analogie moderne, on peut ainsi considérer que l’Église assuraient gratuitement les « services publics » de la santé et de l’éducation auprès des populations).
La Nouvelle-France étant cependant aussi vaste que peu densément peuplée, même au Canada, l’absolutisme louis-quatorzien y rencontra de nombreux obstacles pratiques. Beaucoup de paroisses n’avaient pas de curé, tout comme de nombreuses seigneuries se trouvaient sans seigneur résident. Le véritable relais de l’autorité centrale sur place était le capitaine de milice, coopté par ses pairs et avalisé par le gouverneur. Instituée en 1669 depuis Versailles par le grand Roi-Soleil, la milice mobilisait théoriquement tous les hommes âgés de 16 à 60 ans. Outre leur autorité militaire, on confia également aux capitaines le soin de transmettre et de faire respecter les directives du gouvernement, et d’autres responsabilités comme celles de servir d’auxiliaires locaux de justice ou d’organiser le recensement.
Le (difficile) peuplement de la Nouvelle-France
Dans le dénombrement des premiers immigrants, on relève toutes les professions, toutes les variétés de la société française : des prêtres, des moines, des gentilshommes, d’anciens officiers, des marchands, des chirurgiens, des médecins, un notaire, un procureur, des soldats, des maçons, des charpentiers, des forgerons, enfin et surtout des paysans. De véritables paysans de chez nous : Normands, Percherons, Picards, Poitevins, Angevins, Saintongeais. Tous les pays de l’Ouest sont représentés. Dans le nombre, il y avait une majorité de journaliers, mais aussi des fils de laboureurs qui s’expatriaient pour ne pas diviser l’héritage paternel. Pendant et après les guerres de religion, il vint beaucoup de fervents catholiques.
Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, p. 198
Mais revenons à notre Nouvelle-France. Dans le cadre de cette nouvelle politique d’envergure de développement de la Nouvelle-France, l’un des premiers gros dossiers arrivant sur la table de Colbert est celui du sous-peuplement chronique de la colonie. Celui-ci résulte notamment des politiques mercantilistes appliquées par les compagnies de traite des fourrures successives, et qui ont fait que très peu de colons ont été en pratique encouragés ou financés pour venir s’installer en Nouvelle-France.
Depuis près d’un siècle, ceux-ci arrivent aux compte-gouttes : on considère ainsi l’agriculteur Louis Hébert et son épouse Marie Rollet, installés dans la colonie en 1617, comme les premiers véritables colons de la Nouvelle-France. Si au milieu des années 1630, quelques familles de la région du Perche choisissent Québec et la Nouvelle-France, cela reste des cas isolés. En 1640, la colonie ne compte guère plus de 400 habitants. En 1661, ils seront à peine 2 500, sur un territoire théoriquement grand comme une ou deux fois la France (bien que l’essentiel des colons se concentrent dans la vallée du Saint-Laurent).
(© Francis Back pour le site québécois Anecdotes Historiques)
Des chiffres à mettre en perspective avec les colonies anglaises voisines, qui au même moment, comptent déjà plus de 30 000 habitants, une population qui plus est en forte croissance. Alors que la France est alors de loin le pays le plus peuplé d’Europe, cette dernière fournit donc incomparablement moins de colons nord-américains que les îles Britanniques. Il existe à cet égard de nombreux éléments contextuels permettant d’expliquer cette dissymétrie.
Les Britanniques ont, en effet, bien davantage de raisons de quitter leurs pays natal et de venir s’installer au Nouveau Monde que les Français de la même époque. Au-delà même du climat plus rude des îles Britanniques (surtout en cette époque du petit âge glaciaire), il y a tout d’abord les persécutions religieuses qu’y endurent là-bas une frange importante de la population. Mais aussi, encore plus structurellement, la politique d’enclosure qu’y mènent depuis la fin du Moyen-Âge les riches propriétaires terriens, phénomène qui s’est beaucoup intensifié à la Renaissance et qui prive de nombreux paysans modestes de terres à cultiver. Autant de paramètres qui, combinés à une croissance démographique soutenue, ne pouvaient que favoriser ce vaste mouvement d’émigration des classes pauvres et religieusement persécutées vers les territoires tempérés et « libres » des colonies anglaises d’Amérique.
Deux autres facteurs importants (dont ne bénéficiait pas la Nouvelle-France) joueront aussi substantiellement en faveur du peuplement des Treize Colonies : leur facilité d’accès par mer douze mois par an, et leurs terres riches au climat doux, propices au développement de l’agriculture vivrière comme aux activités agricoles à finalité commerciale (notamment les cultures de plantation axées sur les produits exotiques – tabac, coton, etc.).
Lorsque les migrants [anglais] arrivent en Amérique au début du XVIIe siècle, il y a cette idée puritaine très présente sous Cromwell qu’ils sont le peuple élu venu bâtir une sorte de société chrétienne idéale.
Stéphane Haffemayer, dans un entretien donné au magazine Historia pour son numéro spécial « Cromwell, la république anglaise », p. 39
La Nouvelle-France, quant à elle, se voit à l’époque beaucoup moins attractive pour les populations françaises et leur riche pays agricole au climat agréablement tempéré. En métropole, en effet, la Nouvelle-France n’a pas bonne presse : traversée longue et éprouvante (en moyenne 10% des passagers y perdent la vie), hivers difficiles et climat extrêmement hostile, implantation très laborieuse pour des Français majoritairement ruraux, attaques iroquoises surprises, souvent suivies de tortures… Rien pour susciter des vocations ! À l’heure où la traversée du vaste océan Atlantique nord sur de fragiles bateaux en bois demeurait un voyage hautement dangereux et périlleux, s’expatrier en Nouvelle-France constituait en définitive rien d’un moins qu’un véritable périple initiatique, comme le rappelle par le menu l’historien québécois Marco Wingender :
Les paysans et les artisans français qui n’avaient vraisemblablement jamais vu la mer devaient y penser à deux fois avant de s’embarquer dans une aventure aussi périlleuse et aller tenter leur chance dans la nature sauvage nord-américaine. Pour arriver à bon port, il fallait s’enfermer dans le ventre d’un navire pour un mois et demi, deux mois, voire trois. Tous les passagers, peu importe leur rang, devaient endurer les montagnes russes qui ballottaient le vaisseau et le grondement incessant du bois dans leurs quartiers sombres et humides où l’eau salubre se faisait rare. […] Pour le voyageur transatlantique, le mal de mer, l’eau rance, la puanteur, l’étroitesse des cales, la promiscuité, un régime lassant, les fièvres de navire, les parasites, les dommages de l’eau salée sur les vêtements et les bagages ainsi que des tempêtes violentes constituaient les misères quotidiennes. Si des vents contraires ou le calme plat perduraient, on courrait le risque de voir les réserves de nourriture s’épuiser avant de toucher terre. Apparaissait alors la menace du scorbut, telle une épée de Damoclès pendue au-dessus de la tête des passagers. En 1662, rien de moins que le tiers des engagés transportés dans les navires du roi ne survécurent pas à leur traversée. Aussi tard qu’à la moitié du XVIIIe siècle, si moins de 10 % des personnes à bord décédaient durant une traversée, celle-ci était considérée comme un bon voyage !
Débarquer en Amérique, c’était un peu comme renaître pour entreprendre une nouvelle vie. D’ailleurs, après avoir atteint les bancs de Terre-Neuve, les marins baptisaient les voyageurs qui réalisaient leur première traversée en guise de rite de passage. En s’expatriant, les arrivants français laissaient derrière eux leur coin de pays pour se livrer à un véritable continent. Celles et ceux qui débarquaient dans la vallée du Saint-Laurent découvraient alors un univers sans commune mesure avec ce qu’ils avaient connu en France et l’immensité de sa nature vierge ne pouvait que les dépasser. Ils venaient de remonter un fleuve aux dimensions colossales trônant entre des paysages majestueux de montagnes et de forêts aux arbres géants — habitées d’une flore et d’une faune diversifiées et abondantes — qui s’échelonnaient à perte de vue. L’expression “Nouveau Monde” revêtait certainement un sens bien réel et concret pour ces gens dont aucun texte ou aucune image n’avait pu les préparer à une telle expérience de vie.
Marco Wingender, extrait du chapitre « La traversée de l’Atlantique nord : une renaissance initiatique », issu de son remarquable ouvrage Le Nouveau-Monde oublié – La naissance métissée des premiers Canadiens
Une émigration française existe bien à vrai dire à cette époque, mais elle va se diriger plutôt vers les colonies des Antilles (où la mortalité est pourtant très forte en raison des maladies tropicales), ainsi que vers la péninsule ibérique, où les artisans aussi bien que les travailleurs non qualifiés sont alors attirés par les bons salaires. Par contraste, la Louisiane, l’Acadie, et par-dessus tout la vallée laurentienne avec son hiver sibérien et ses attaques iroquoises, conserveront longtemps leur mauvaise réputation. Les autorités en charge du développement de la Nouvelle-France vont donc devoir trouver urgemment des moyens d’attirer des colons et de peupler cette grande colonie vide.
La première mesure que met en place le secrétariat de la Marine répond directement à un grave problème dans le problème dont pâtit la colonie concernant sa problématique démographique : celui du déséquilibre des sexes. En effet, non seulement la colonie souffre depuis son origine d’un grave déficit de colons, mais supplémentairement, presque tous les immigrants sont des hommes, très peu de familles s’étant installées pour défricher des terres (une des raisons qui pourraient également expliquer pourquoi Champlain s’était pragmatiquement montré aussi ouvert au métissage).
Afin de remédier à ce premier problème, dès 1663, est mis en place un programme de recrutement de « filles à marier ». De 1663 à 1673, près de 770 orphelines d’origine très modeste, munies d’un certificat de bonnes mœurs fourni par le curé, traversent ainsi l’Atlantique et font souche en Nouvelle-France. Elles donneront naissance à elles-seules à 4 500 bébés. Appelées les « Filles du Roy », ces orphelines provenaient pour la plus grande partie d’entre elles de l’hôpital général de Paris, où étaient placées des filles de différentes classes sociales, dont des familles de gentilshommes indigents. Il est ici intéressant de noter que la forte proportion de parisiennes parmi ces femmes de familles pionnières entraînera une rapide uniformisation des parlers dans la colonie en faveur du « français du roi » (la France parlant à l’époque, selon les régions, des patois très différents – breton, basque, occitan, etc.).
Une autre anecdote aussi cocasse que navrante à noter sur ce thème est le choix de l’État français de mettre un terme à ce programme en 1673 et de ne plus encourager aussi fermement l’émigration au Canada de peur de… « dépeupler le Royaume » ! Il était convenu que désormais, c’est par croissance naturelle que la population du Canada (qui avait doublée durant la période) devrait se faire, selon l’idée d’alors que cela permettrait « au caractère distinct des Canadiens de s’en affirmer que plus rapidement ». Cette croissance naturelle, il est vrai, était importante : en moyenne, la population doublait tous les vingt-cinq ans, pour atteindre 12 000 personnes vers 1700.
Comme le soulignait dès 1744 le père Charlevoix, les premiers habitants du Canada étaient « ou des ouvriers qui y ont toujours été occupés à des travaux utiles, ou des personnes de bonnes familles qui s’y transportèrent dans la vue d’y vivre plus tranquillement et d’y conserver plus sûrement leur religion qu’on ne pouvait le faire alors dans plusieurs provinces du royaume où les religionnaires étaient forts puissants ». Contrairement à l’image qui en a abusivement été donnée notamment par les « philosophes » des Lumières au XVIIIe siècle (et qui se plaisaient alors à dépeindre la Nouvelle-France comme un « ramassis de filles malades et d’anciens galériens »), les immigrants français au Canada n’étaient ni des aventuriers, ni des malingres, ni des déportés, ni des misérables. Certes, il y eut bien quelques centaines de bagnards acheminés en Louisiane à l’époque de la compagnie du Mississippi de John Law (sous la Régence), puis plus tard un millier de prisonniers envoyés de France entre 1723 et 1749 pour parer à la crise de main d’œuvre. Mais ces volumes demeurent négligeables rapportés à la masse des immigrants issus essentiellement de la paysannerie, du clergé ainsi que de la petite bourgeoisie et petite noblesse des régions de l’Ouest de la France.
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La nécessaire défense de l’Amérique française
Quoiqu’il en soit, investi sur le devenir de sa Nouvelle-France, Louis XIV se voit également soucieux de renforcer la sécurité de la colonie et de ses habitants qui lui a tant manquée durant toute la première moitié du XVIIe siècle. À cette fin, notamment en vue de diminuer la menace iroquoise, le gouvernement de Louis XIV décide enfin de dédier la colonie de troupes régulières, avec l’envoi du régiment Carignan-Salières (représentant environ 1 200 hommes). Arrivés sur place en 1665, les soldats se mettent immédiatement à l’ouvrage : leur première tâche consistera à construire un réseau de fortifications le long de la rivière des Iroquois (aujourd’hui le Richelieu), qui relie le Saint-Laurent au lac Champlain et à la rivière Hudson (soit aux confins des zones de rayonnement respectives des Français et des Anglais – qui seront plus tard le théâtre des grands affrontements entre ces derniers… !).
Ce travail accompli, dès l’année suivante, afin de produire une démonstration de force, des expéditions sont menées dans les marches des territoires iroquois, avec des résultats assez mitigés (les Iroquois, comme tous les Amérindiens, ne pratiquent pas en effet la guerre conventionnelle, frontale, à découvert, où ils se savent inférieurs en puissance, lui préférant la guerre d’embuscade et les attaques surprises).
Ces interventions du régiment de Carignan-Salières sont suivies d’autres conflits avec les Iroquois, alimentés notamment par les actions entreprises par le nouveau gouverneur de Québec, le comte de Frontenac. Dès sa prise de fonction en 1672, il engage la construction d’un fort sur le lac Ontario (actuelle ville de Kingston), afin de développer le commerce des fourrures dans l’Ouest. Cette expansion provoque à partir de 1675 une vive réaction des Iroquois, qui cherchent à prendre le contrôle de la vallée de l’Ohio (région vers laquelle commence aussi à regarder très sérieusement les Anglais, bientôt enserrés dans leurs Treize Colonies, encerclées par la Nouvelle-France de la Louisiane à l’Acadie).
Malgré plusieurs avertissements de Colbert, Frontenac s’entête dans de vaines querelles et finit par être rappelé en France. Il est néanmoins de retour à son poste en 1689, en pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg contre les Britanniques et leurs alliés iroquois (les guerres entre puissances européennes se répercutant désormais systématiquement dans leurs empires coloniaux respectifs !). Il réorganise alors les forces de la colonie, passe à l’attaque en 1690 et résiste au siège de Québec par William Phips qui vient de piller l’Acadie. Le conflit s’enlise alors dans une guerre de raids menés de part et d’autres jusqu’en 1697. Frontenac n’en oublie pas pour autant le développement du commerce des fourrures à l’Ouest : des postes sont établis dans des régions de plus en plus éloignées jusque chez les Sioux (les Hurons n’étant plus là pour assurer le relai de l’ancien réseau). Il entreprend également plusieurs opérations d’envergure contre les Iroquois, qui perdent du terrain. Son attitude déterminée aura contribué à placer la France en position de force lors de la grande conférence de Montréal qui se tiendra en 1701, et qui aboutira à une grande paix amérindienne.
Agriculture, pêche et fourrures : les trois mamelles du développement économique de la Nouvelle-France
Longtemps demeurée uniquement axée sur les activités liées à la pêche et à la traite des fourrures, l’économie de la Nouvelle-France, tout particulièrement dans son berceau du Saint-Laurent, va connaître d’importantes mutations avec la mise en place de la colonie royale. En effet, la nouvelle dynamique de peuplement impulsée par le programme des « filles à marier », ainsi que l’arrivée modeste mais constante de familles de colons venues de France qui se mirent en place à partir des années 1660, vont entraîner graduellement une diversification de l’économie.
Après l’instauration du gouvernement royal en 1663, comme nous l’avons vu plus haut, la population canadienne commença à croître naturellement de façon beaucoup plus rapide. Dans ce nouveau contexte, la majorité des Français du Canada, et tout particulièrement les nouvelles familles pionnières, délaissèrent la traite des fourrures pour se consacrer au développement de l’agriculture, avec le défrichage de terres et la construction de fermes et de moulins le long des rives du Saint-Laurent, essentiellement entre Québec et Trois-Rivières, où les terres étaient bonnes à cultiver.
Colbert incita également l’intendant Talon à stimuler certaines activités, y compris des industries, pour le marché local. Ses initiatives en matière d’agriculture eurent du succès, avec le blé, les pois, le lin, le chanvre et l’élevage (bovins, porcins, ovins, chevaux), qui stimulèrent à leur tour le développement d’industries locales (moulins, tissage, tannerie, cordonnerie,…). Cependant, d’autres restèrent bloquées à l’intendant canadien : on lui interdit ainsi par exemple la culture du tabac afin de ne pas concurrencer les autres colonies françaises (en particulier celles des Antilles, ses précieuses « îles à sucre »).
Durant la même période, l’Acadie, elle-aussi entrée dans le périmètre de la colonie royale et de son administration, voit enfin également sa situation s’améliorer. Comme l’ensemble de la Nouvelle-France avant 1663, elle avait été laissée aux bons soins des compagnies à monopole, dont l’objectif était bien avant toute chose d’exploiter la fourrure et la morue que de faire venir des colons. Après les maigres réussites d’implantations permanentes à l’époque de Champlain, il y avait néanmoins eu une grande année fondamentale dans l’histoire du peuplement de l’Acadie : celle de 1632, marquée par l’arrivée de 300 hommes, bientôt suivi de colons qui fonderaient des familles et feraient de l’Acadie une colonie à vocation agricole.
Le développement agricole de la colonie prend alors une identité particulière en raison du recours à la remarquable technique des aboiteaux, ces digues qui permettent aux Acadiens de gagner sur la mer et les fleuves des terres à cultiver. Un système qui fonctionne tant et si bien qu’à compter de ce moment, la colonie aura la réputation d’être pratiquement autosuffisante sur le plan alimentaire. Elle en vient même à générer des surplus, qu’elle exporte vers la Nouvelle-Angleterre en échange de biens de consommation que la France ou le Canada n’arrivent pas à lui fournir en quantité suffisante pour répondre à ses besoins.
Les échanges réguliers et intenses avec les colonies anglaises d’Amérique auront en outre pour effet de forger chez les Acadiens un certain esprit d’accommodement. C’est ainsi notamment qu’ils en viendront à comprendre et intégrer qu’en raison de la vulnérabilité de leur colonie aux impératifs géopolitiques européens et nord-américains (et coincés entre les colonies anglaises et le Canada français qu’ils sont), la neutralité – concept pourtant assez impensable sous l’Ancien Régime – pourrait constituer une option politique viable. L’histoire tourmentée de cette région leur donnera à la fois tort et raison.
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L’expansion de la Nouvelle-France dans le Grand Ouest américain
Les Canadiens ne s’étaient pas contentés de mettre en valeurs les rives du Saint-Laurent. Ils avaient poussé vers l’ouest et le sud, atteint les grands lacs et pénétré dans le bassin supérieur du Mississippi, par un des nombreux portages qu’utilisaient depuis longtemps les Indiens. […] En 1672, l’intendant Jean Talon lançait, à la découverte du Mississippi, un marchand, Jolliet, et un missionnaire, le Père Marquette. Ils rentraient après avoir découvert l’Illinois, l’Ohio, le Missouri, exploré le grand fleuve jusqu’à son confluent avec l’Arkansas, et baptisé cette région immense, aux limites incertaines, du beau nom de Louisiane.
Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, p. 200
La fin du XVIIe siècle n’est pas seulement marquée par la restructuration de la colonie (entreprise par Louis XIV et Colbert dès leur prise de pouvoir), par l’important développement économique et démographique que cette nouvelle administration va impulser, et par les grands succès diplomatiques qui aboutissent à l’établissement d’immenses alliances franco-indiennes, de l’axe laurentien à la région des Grands Lacs (cela pour rappel dans l’objectif d’obtenir le monopole de la traite des fourrures dans ces régions au détriment des Anglais, permettant du même coup de contrecarrer l’expansionnisme britannique vers ces mêmes régions). Elle est également remarquable (et remarquée) par une expansion française très impressionnante, voire héroïque, sur les immenses territoires américains encore inconnus. Aujourd’hui oubliées (ou parfois assimilées à de viles entreprises coloniales), les prouesses des explorateurs et des coureurs des bois, ces voyages aux confins du continent, ont permis en effet d’immenses et authentiques découvertes, ainsi que de grands progrès de la cartographie ! Autant d’entreprises d’exploration glorieuses, et qui résultent presque toujours de rencontres fructueuses avec les nombreuses tribus amérindiennes qui guidèrent ces aventuriers.
Au milieu des années 1660, les Relations des Jésuites avaient fait état de la grande rivière Missipi, qui, selon certaines tribus autochtones, conduirait à une mer. Cette piste du Mississippi fut ainsi celle que suivirent Louis Jolliet et Jacques Marquette puis René-Robert Cavelier de La Salle, dont les expéditions les menèrent jusqu’à l’embouchure du grand fleuve dans le golfe du Mexique. Puis, dans les pas de La Salle, il y eut l’expédition de Pierre le Moyne d’Iberville, qui y revint par mer pour fonder officiellement la Louisiane en 1699 (un accomplissement qui lui valut d’être le premier canadien à se voir remettre des mains de Louis XIV la Croix de Saint-Louis – la plus haute distinction du royaume !).
Au XVIIIe siècle, ce sont les aventures de Pierre Gaultier de la Vérendrye et de ses fils qui retiendront l’attention. En canot et à pied, ces hommes auront franchis des distances colossales. De 1731 à 1741, les La Vérendrye fondent six forts dans l’Ouest canadien et établissent de nouvelles relations commerciales avec les autochtones rencontrés. En janvier 1743, deux de ses fils se rendront même jusqu’au pied des Rocheuses, le grand massif montagneux qui sépare les Grandes Plaines du Pacifique. Bien avant Daniel Boone ou Davy Crockett, ce sont ainsi en quelque sorte ces descendants des Français qui auront parcourus l’Amérique et, les premiers, tissés des liens durables avec les Amérindiens. Ayant pris forme au tournant des années 1670, leurs aventures se poursuivront jusqu’au XIXe siècle.
EN RÉSUMÉ : Concernant l’évolution générale de la Nouvelle-France, nous l’avons vu : l’entrée en scène de Louis XIV a favorisé l’essor de cette colonie, dont il fait une véritable province de France. Il l’a doté d’une organisation administrative hiérarchisée, veillé au peuplement, étendu son emprise territoriale et permis la multiplication des entreprises économiques. La sécurité de la colonie a également été apportée à sa jeune population européenne, grâce notamment à l’arrivée du régiment de Carignan-Salières, qui a érigé des forts, ravagé des villages ennemis (iroquois) et s’est plus globalement employé à démontrer la puissance militaire française.
Sur le plan économique aussi, la colonie s’est développée. L’intendant Jean Talon, solidement appuyé depuis la Métropole par le ministre Jean-Baptiste Colbert, a amorcé un dynamique programme de développement. À l’agriculture et au commerce des fourrures (dont le réseau commercial a été réorganisé et étendu avec les nations autochtones), l’intendant de la Nouvelle-France ajoute la construction navale, le commerce avec les Antilles, les cultures industrielles (lin, chanvre,…) et les entreprises de pêche. Au tournant du XVIIIe siècle, la colonie s’est ainsi autonomisée : elle possède désormais ses champs de blé, de chanvre et de lin, ses filatures, ses pêcheries, ses forges, sa route royale, ses ateliers de construction, ses ports, ses brasseries, ses troupeaux, sa flottille maritime, lacustre et fluviale. Le Canada est né.
Calquée sur le modèle administratif et politique de sa métropole, la Nouvelle-France a en outre accueilli; nous l’avons vu, des immigrants français de toutes sortes : artisans, prêtres, missionnaires, aristocrates, trappeurs, et bien sûr paysans, originaires de l’ensemble des régions de l’Ouest. Cette nouvelle société coloniale répond à ses propres coutumes et ses libertés, et l’on peut déjà y voir la naissance d’un peuple canadien. Des institutions religieuses sont implantées pour contrôler cette nouvelle population hybride (sans parler des nombreuses missions – notamment jésuites – qui s’y établiront de leur propre initiative), avant que la colonie de la Nouvelle-France ne devienne une possession pleine de la Couronne (et se voit ainsi dotée d’une administration similaire à une province française, avec à sa tête un gouverneur et un intendant).
À la fin du XVIIe siècle, les territoires sous contrôle de la colonie ont enfin continué de s’étendre considérablement, du fait notamment de la nouvelle vague d’explorations encouragée par Louis XIV. En 1670, le tour des Grands Lacs est ainsi réalisé, et en 1682, Cavalier de La Salle descend le Mississippi et revendique au nom du royaume de France toute la région, qu’il nomme Louisiane en l’honneur de son roi. En seulement un siècle, la Nouvelle-France est ainsi passée d’un réseau de comptoirs à une immense et prospère colonie royale s’étendant sur près de 4 fois la France, faisant taire (pour un temps seulement) les ambitions espagnoles puis anglaises sur cette partie de l’Amérique.
La Nouvelle-France au XVIIIe siècle, de l’apogée à la chute
Au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France atteint son maximum d’extension territoriale, couvrant alors près des deux tiers de l’Amérique du Nord. Environ 250 personnes vivent dans une dizaine d’agglomérations à Terre-Neuve. L’Acadie compte près de 15 000 habitants et habitantes. Quelques centaines de personnes s’établissent à l’embouchure du Saint-Laurent et autant dans la région des Grands Lacs. Quelques centaines de personnes pratiquent de façon saisonnière la pêche sur les côtes du Labrador. Le bassin de la rivière Saguenay, qui constitue le Domaine du Roi, contient quelques postes de traite. Le Canada de l’époque compte quelque 20 000 habitants et habitantes.
Les gens du Canada sont agriculteurs ou agricultrices pour la plupart, répartis en un long ruban de peuplement entre Québec et Montréal. À l’ouest, une série de postes de traite et de forts jalonnent les voies de communication. Enfin, un peu plus tard, La Vérendrye déroule la carte du continent jusqu’aux pieds des Rocheuses. Mais la Nouvelle-France est un colosse aux pieds d’argile. Les colonies britanniques américaines sont 20 fois plus populeuses et se sentent encerclées et menacées. Par le Traité d’Utrecht en 1713, qui marque la fin de la Guerre de la succession d’Espagne, la France cède à ce titre à l’Angleterre, Terre-Neuve, la péninsule de l’Acadie et la baie d’Hudson. La Confédération Haudenosaunee (iroquoise) passe sous la protection des Britanniques.
L’Amérique française du tournant du Siècle des Lumières constitue, nous l’avons vu, un parfait microcosme de sa Métropole, une sorte de France miniature sur le continent américain, qui a développée sa propre culture, façonnée par les contraintes locales (climat, isolement, environnement, relations commerciales et métissage avec les populations amérindiennes). Principal bassin de peuplement de la colonie, le Canada se démarque bientôt par une identité propre et marquée, et au début du XVIIIe siècle, on a déjà assisté à la naissance d’une nation canadienne, d’essence catholique et paysanne, mais aussi déjà largement métissée au fur et à mesure que les fameux coureurs des bois épousaient les femmes des tribus amérindiennes qu’ils avaient fréquentées. De façon générale, les Canadiens nés au pays considèrent la vallée du Saint-Laurent comme leur patrie.
Le XVIIIe siècle s’ouvre, néanmoins, sur une crise majeure dans l’économie coloniale. Le principal produit d’exportation (les fourrures) est touché par une mévente en Europe, impliquant une qualité à la baisse et des coûts de revient qui deviennent bien moins attrayants. Les nombreux jeunes gens qui viennent de s’établir n’ont donc d’autre choix que de se replier sur la terre. La reprise économique est bien lente, mais elle connaît un essor sans précédent au cours de la longue période de paix qui s’étend de 1713 à 1744. Pour protéger ses zones de pêche, son territoire et les échanges commerciaux avec la colonie, la France a donc érigé une imposante forteresse à Louisbourg. Le développement de l’agriculture rapporte des surplus qui, à compter de 1720, sont exportés vers l’île Royale et les Antilles françaises. Le territoire du Canada compte environ 200 seigneuries. Le peuplement accéléré par un taux de natalité très élevé entraîne la création de paroisses.
Concernant l’évolution économique du Canada français au XVIIIe siècle, à cette époque, c’est donc toujours l’agriculture qui, sans surprise, continue d’occuper la majorité des Canadiens. La vallée du Saint-Laurent se caractérisait par une longue bande ininterrompue de villages, hameaux et fermes, constituant en quelque sorte le grenier à blé du Canada. La population urbaine, quant à elle, comptait en outre de nombreux artisans, lesquels bénéficiaient d’un régime beaucoup plus libéral qu’en métropole. Autour des années 1730, peu avant la guerre qui devait bientôt signer la fin de la Nouvelle-France, le Canada connaissait même un embryon de développement industriel avec l’essor des forges du Saint-Maurice, qui permettaient désormais à la colonie d’être autonome dans la production d’une multitude de produits du fer (chaudrons, boulets de canon, poêles, etc.), ainsi qu’avec le développement d’une (modeste) industrie de la construction navale.
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Une colonie de trappeurs et de paysans
D’un point de vue sociologique, concernant le Canada français (le cœur de la Nouvelle-France), il est intéressant d’y noter que la société coloniale, influencée par l’élite française qui gère sa destinée, se modèle sur celle de la mère patrie. Elle s’en éloigne toutefois à cause de la faiblesse numérique de la population et d’un contexte économique et géographique radicalement différent. Nobles, bourgeois et bourgeoises, officiers militaires, seigneurs, administrateurs civils et négociants et négociantes s’allient entre eux ou elles. Ensemble, ils et elles forment une haute société très sensible aux faveurs des autorités de la colonie.
Cependant, 80 % de la population vit sur la terre et des produits de la terre. Chaque génération produit de nouveaux pionniers et pionnières qui recommencent à défricher, peupler, s’acclimater aux saisons, aménager une nouvelle portion de territoire et à s’associer à ses voisins. L’importance de la terre, du bien paternel, de l’indépendance économique caractérisent l’appropriation de ce territoire d’Amérique par des descendants de Français.
Un constat qui dresse le portrait d’une forte dichotomie entre les élites dirigeantes et la haute-société de cette Nouvelle-France, parfois bien éloignées de leur devoir de bonne gestion et développement de la colonie, et sa population urbaine et rurale, qui réalise depuis des siècles un remarquable travail d’exploration et d’alliance avec les autochtones, de développement de l’agriculture, du commerce, de l’artisanat et de l’industrie. Une population ayant forgé son identité franco-canadienne et qui se caractérise par un fort ancrage et attachement à son pays, un fort patriotisme pour le défendre, qui contraste avec la certaine corruption qui peut exister dans les strates de la haute-société coloniale.
Quant à la Louisiane, suite à l’implantation réussie de Pierre Moyne d’Iberville puis à la fondation de la Nouvelle-Orléans au début du XVIIIe siècle et l’arrivée de colons, l’économie s’y orientera immédiatement vers la production de plantations que son climat bien différent du canadien rendait propice. Production qui décolla dès les années 1710 et 1720, d’abord axée sur l’exportation du tabac (régie par la puissante Compagnie des Indes), mais aussi sur du riz pour le marché local. Ce focus sur le développement de la Louisiane constitue à ce titre l’occasion d’évoquer la question de la pratique de l’esclavage dans les colonies de la Nouvelle-France. Du fait de son économie axée sur les plantations, l’esclavage fut en effet beaucoup pratiqué en Louisiane, bien qu’à une relativement petite échelle comparée aux Treize Colonies anglaises ou aux Antilles (la Louisiane comptait en effet environ 7 000 ou 8 000 esclaves au milieu du XVIIIe siècle, pour environ autant d’Européens).
Quant au reste de la Nouvelle-France (Canada, Acadie,…), l’esclavage y fut globalement marginal. Quelques esclaves amérindiens (faits captifs par d’autres tribus, et que l’on nommait les panis), furent achetés par des Français, essentiellement dans la région du Missouri, ceux-ci étant ensuite revendus au Canada ou en Louisiane, où l’on tentait de les faire travailler dans les plantations. Quant à l’importation d’esclaves noirs au Canada, elle fut interdite jusqu’au XVIIIe, après quoi elle devint significative avec environ trois cents Africains qui furent transportés au Canada, ce qui reste peu à nouveau par rapport au Treize Colonies, à la Louisiane ou surtout aux Antilles. L’économie du Canada ne fut cependant pas esclavagiste : l’achat d’un esclave correspondait à l’affichage d’un statut social élevé. On les retrouvait ainsi chez de riches particuliers ou au sein de grands établissements qui les utilisaient comme domestiques (propriété en ville, grands domaines seigneuriaux, Églises, hôpitaux,…).
Zoom sur : le premier empire colonial français (1534-1763)
Au début du XVIIIe siècle, l’espace colonial français peut être divisé en trois grandes zones géographiques distinctes : la Nouvelle-France (la grande colonie française d’Amérique du Nord), les Antilles (Saint-Domingue, Martinique, Guadeloupe,…), et l’ensemble des possessions françaises aux Indes (régions de Pondichéry et de Yanaon) et sur la route de ces dernières (comptoirs africains du Sénégal,…). Développées essentiellement sous le règne de Louis XIV, chacune de ces zones coloniales dispose globalement de ses propres ressources, ainsi que d’un système administratif et commercial qui lui est propre.
(© Hachette seconde Bac. Pro.)
Les possessions antillaises : les précieuses « îles à sucre » de la France
Si les Espagnols sont les premiers à s’installer aux Antilles après leur découverte par Colomb, les Français (comme les Anglais et les Néerlandais) colonisent les îles à l’époque de Richelieu – exploitant déjà le déclin consommé de la puissance espagnole. Rapidement, l’implantation de la canne à sucre s’y manifeste comme la plus profitable des économies de plantation, et l’arrivée de colons comme l’esclavage se développe. En quelques décennies, les Antilles françaises deviennent densément peuplées et voient l’apparition de nombreuses villes et ports marchands, où sont également présents de nombreux flibustiers ou boucaniers. Déjà théâtres de nombreuses batailles à la fin du siècle (répercussion outremer des guerres – Hollande, Ligue d’Augsbourg – qui déchirent alors le continent et les puissances européennes), les Antilles voient alors fortement diminuer la présence hollandaise et espagnole au profit des Anglais et surtout des Français, qui tirent désormais de très gros profits de leurs îles à sucre.
L’essor de la compagnie des Indes orientales
Du côté de l’Asie enfin, si toute la première vague de compagnies commerciales et de colonisations impulsées par Richelieu puis Colbert (Inde, Madagascar,…) s’y solde par de cuisants échecs, la fin du XVIIe siècle y voit le vent tourner par les Français et ces derniers y développer un commerce florissant. Grâce en particulier au grand comptoir commercial de Pondichéry (Inde), ainsi qu’à sa grande base navale de l’Isle de France (précieuse étape aux navires de commerce et de guerre sur la route des Indes), la compagnie des Indes orientales fondée quelques décennies plus tôt par Colbert connaît en effet un essor fulgurant, permettant d’asseoir solidement l’implantation des Français sur le continent asiatique. Si la compagnie connaîtra des difficultés durant les guerres franco-hollandaises (et ne sera jamais en situation de contrôle de l’océan indien), elle bénéficiera toutefois pleinement au début du XVIIIe siècle de la perte de vitesse de la marine et du commerce néerlandais, se mettant ainsi à engranger de fabuleux bénéfices (cf. encadré sur les compagnies des Indes).
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Un empire mondial à l’importance économique vitale pour le Royaume
En cette époque de grand développement du commerce international, l’ensemble des possessions françaises outremers (appelées ultérieurement les « vieilles colonies ») constituent ainsi en premier lieu les attributs d’une politique économique (connue sous le nom de mercantilisme) pensée et développée à l’échelle mondiale. Les Antilles jouent le rôle de pourvoyeuses de sucre ré-exportable vers le reste de l’Europe (un commerce hautement rentable et véritable « machine à cash » de l’État français de l’époque) ; le Sénégal, le réservoir et fournisseur de « main d’œuvre servile » (via la traite négrière et le commerce triangulaire) ; Saint-Pierre et Miquelon, la morue (les Grands Bancs de Terre-Neuve constituant alors la plus importante zone halieutique du monde !) ; les Indes françaises, les épices et les produits de luxe ; et la Réunion, enfin, une base stratégique ainsi qu’un apprécié lieu de relâche…
Au tournant des années 1750, les établissements français des Indes occidentales (Antilles) et de l’Amérique du Nord représentent plus du quart du commerce français d’outremer, et auront suscité depuis un siècle le développement considérable d’un grand nombre de ports de la façade atlantique. La cité portuaire de Saint-Malo devient ainsi florissante grâce au produit de la pêche dans l’Atlantique nord et dans le golfe du Saint-Laurent ; La Rochelle constitue l’entrepôt du commerce des fourrures (la plus importante des activités économiques du Québec et de la région des Grands Lacs) ; Nantes est la plaque tournante du commerce du café, et Bordeaux, enfin, le centre de (re)distribution du sucre qui arrive en masse des Indes occidentales françaises (et notamment de Saint-Domingue, qui est alors devenu l’un des territoires les plus riches et les plus productifs du monde !).
Dans ce contexte où la France du milieu du XVIIIe siècle tient avant tout à sanctuariser ses colonies des Antilles et le commerce colonial qui va avec, si la valeur économique de la Nouvelle-France demeure donc limitée pour Versailles, il en est cependant tout autrement de son importance sur le plan géostratégique. En cette époque où la France de Louis XV est en effet devenue la seconde puissance maritime de la Planète et est engagée de fait dans un duel mondial avec la Grande-Bretagne, la Nouvelle-France semble ainsi avoir acquise une fonction stratégique (et assez cynique du point de vue de ses colons dont elle constitue désormais la patrie) : occuper et mobiliser des forces considérables d’Albion à peu de frais :
Il suffit de s’en tenir aux « isles », joyaux de la couronne des Lys outre-mer, pour résumer comment l’entreprise coloniale était conçue en France. Les instructions royales de 1755 sont à cet égard très explicites : « Les Antilles ne sont absolument que des établissements de commerce ». Malgré ce dogme mercantiliste, l’idée d’un domaine royal au-delà des mers transparaît néanmoins des courriers diplomatiques, que les cartes ne manquent pas non plus de projeter. De ce point de vue, les considérations stratégiques plus qu’économiques dans l’estime de l’Amérique du Nord l’emportent, comme l’illustrent les mémoires de La Galissonnière et du maréchal de Noailles sur la défense du Canada et des empires espagnol et français. Ainsi la colonie était-elle vue comme un front de diversion pour protéger l’essentiel, les Antilles, argument principal justifiant sa défense – et les dépenses conséquentes. On conviendra que ce point de vue, qui était celui du pouvoir, pouvait ne pas être partagé par les habitants de la Nouvelle-France.
François Ternat, Partager le monde : Rivalités impériales franco-britanniques (1748-1756), p. 537
En réalité, le Canada et l’Amérique française ont une importance stratégique, car les Anglais attachent une telle importance à leurs colonies continentales d’Amérique qu’ils distrairaient des forces importantes pour les défendre, forces qu’ils ne pourraient employer en Europe. Or si la vallée de l’Ohio, qui relie les grands lacs au Mississippi, est abandonnée, le commerce du Canada est perdu, la Louisiane menacée et le Mexique, qui appartient à l’allié espagnol, est également menacé. Il faut donc encercler les colonies anglaises pour inquiéter le gouvernement de Londres, qui immobilisera alors flotte et armée. On pourra sauver le commerce français avec les Antilles et mettre un terme à l’expansion britannique sans même avoir une marine capable de lutter à armes égales avec la Royal Navy. En construisant des forts dans l’Ohio, on peut très bien se passer de la flotte qui correspondrait normalement à l’importance des intérêts économiques et coloniaux de la métropole. Le raisonnement est hardi, il correspond aux nécessités de l’heure et préfigure la stratégie de Napoléon, qui, avec le blocus continental, croyait vaincre l’Angleterre après Trafalgar, sans disposer d’une flotte de guerre capable de vaincre la Royal Navy.
Jean Meyer et Jean Béranger, La France dans le monde au XVIIIe siècle, pp. 204-205
De façon générale, vous l’aurez compris, ce que l’on a appelé le « premier empire colonial français » s’apparente en fait davantage à un empire économico-commercial, moins basé sur le peuplement de territoires lointains que sur le contrôle de territoires outremers tournés vers la production de denrées coloniales, ensuite exportées et transformées en France ou revendus à l’étranger (et fournissant ce faisant de juteux bénéfices commerciaux dont la taxation alimentent structurellement les caisses de la Royauté). Un empire mondial dont la Nouvelle-France et le Canada ne constitue en pratique, malgré la présence de dizaine de milliers d’habitants d’origine française, qu’un espace d’importance secondaire…
De Madras aux rives du Saint-Laurent, de Praya à la Chesapeake, de Pondichéry à Louisbourg, le XVIIIe siècle – celui de Montcalm et de Wolfe, celui de la Galissonnière et de Byng –, s’inscrit en un moment de l’histoire où la mer devient l’élément privilégié du monde, faisant de Gibraltar un verrou anglais à partir de 1704, de Minorque (française de 1756 à 1763) ou de Belle-Isle (anglaise de 1761 à 1763) d’indispensables monnaies d’échanges en 1763, du Canada, mais surtout des îles à sucre et des treize colonies, des espaces à rentabiliser, à exploiter, à peupler, donc à défendre ou à conserver.
Michel Vergé-Franceschi, La Marine française au XVIIIe siècle, pp. 14-15.
Une rivalité devenue paroxystique entre Amérique française et britannique
Dès l’instant qu’il y avait sur ce continent un million d’Anglais, contre à peu près 70 000 Français, la cause était entendue […]. Bien avant Voltaire, la colonisation et surtout le peuplement n’étaient pas le souci essentiel du pouvoir. À la crainte de la dépopulation de la France, mal fondée (d’ailleurs)… s’ajoutaient les difficultés et soucis internes. Si bien que, compte tenu de l’importance respective des deux pays, il est parti d’Europe environ 30 Anglais pour 1 Français. Étrange disproportion des causes et des effets : si la langue anglaise et la culture qui l’accompagne dominent le monde aujourd’hui, c’est parce que quelques bateaux ont, tous les ans, transporté d’infimes contingents de personnes, au reste en majorité illettrées.
ALFRED SAUVY, CITÉ PAR FERNAND BRAUDEL DANS SA GRAMMAIRE DES CIVILISATIONS, P. 605
Si les autorités métropolitaines et coloniales auront encouragé, nous l’avons vu, le développement de l’agriculture (essentiellement en Acadie et dans la vallée du Saint-Laurent), la traite des fourrures – marché très profitable et qui connut un grand essor au XVIIe siècle – a longtemps constituée la principale manne économique de la Nouvelle-France (de même que le principal objet de contentieux avec les colonies britanniques !). C’est d’ailleurs tout au long de ce siècle le monopole de l’accès aux pelleteries et à ses fournisseurs qui motiva en premier lieu les grandes explorations menées en particulier par les Français dans les confins de l’Ouest américain, et qui justifia une politique de conquête et de contrôle territorial de ces grands espaces.
Néanmoins, à partir du début du XVIIIe siècle, le commerce des fourrures est en grande perte de vitesse et n’a cessé de décliner (il ne représente bientôt plus qu’un chiffre d’affaire de 150 000 livres par an). Alors même que les immensités du bassin du Mississippi et des Grands Lacs ont donc perdu de leur valeur du point de vue économique, leur contrôle représente en outre une lourde charge financière pour la Nouvelle-France : il faut en effet y entretenir les postes, y déployer et renouveler les garnisons, y acheminer le ravitaillement, tout en continuant d’irriguer les alliés Amérindiens en marchandises pour l’entretien des alliances (marchandises qui devaient souvent être amenées depuis la Métropole et même vendues à perte afin de lutter contre la concurrence anglaise, dont les colonies peuvent maintenant fournir sur place de meilleurs produits à meilleur marché… !).
Malgré leur faible rentabilité économique, le contrôle des immensités continentales demeure toutefois indispensable à l’avenir de la Nouvelle-France, car cet ensemble de postes à l’entretien coûteux a permis de dresser une barrière à l’expansion anglaise. C’est qu’une nouvelle donnée est effectivement en train de surpasser toutes les autres dans le grand jeu pour l’Amérique du Nord : l’essor démographique spectaculaire des Treize Colonies britanniques !
Regroupées sur une bande côtière plus étroite, les Treize Colonies britanniques sont en effet déjà peuplées d’environ 1,5 million d’habitants au milieu des années 1740 (elles n’en comptaient que 4 700 vers 1630 !). La croissance démographique est due à l’émigration – volontaire et surtout forcée – des minorités religieuses protestantes (Puritains, Quakers,…) venues trouver leur terre promise de l’autre côté de l’Atlantique (mais aussi – et à la différence de la Nouvelle-France, d’un certain nombre « d’indésirables » sur le sol britannique : mendiants, vagabonds, prisonniers, ainsi que de nombreux paysans pauvres chassés de Grande-Bretagne par la politique d’enclosure). L’identité religieuse des Treize Colonies n’en pas moins très marquée : les colons anglo-américains détestent les « papistes » (catholiques) canadiens, qui le leur rendraient bien : « la Nouvelle-France arbore son unité catholique comme un étendard » (Edmond Dziembowski).
Au socle « anglo-saxon » (Anglais, Écossais, Irlandais) qui constitue la part la plus importante des arrivants, vient s’ajouter l’immigration d’Europe centrale et septentrionale, ainsi que bien sûr l’apport africain alimentant la main d’œuvre servile des colonies médianes et méridionales. Comme en Nouvelle-France, la majorité des colons vivent à la campagne, mais les villes portuaires (Philadelphie, New York, Boston,…) sont alors en pleine croissance. Face à de telles disparités de peuplement et de cultures, le choc entre les deux colonies semble donc assez inévitable…
Zoom sur : le poids du peuplement français et britannique en Amérique du Nord au milieu du XVIIIe siècle
Tandis que dans leur pénétration vers l’intérieur, les colons anglais s’étaient laissé arrêter ou retarder par la barrière boisée des Alleghanys [l’un des massifs des Appalaches, NDLR], les Français avaient tourné l’obstacle aux deux bouts et borné par avance la marche de leurs ennemis. Si l’occupation française se consolidait, les colonies anglaises ne formeraient bientôt plus qu’une longue enclave, enserrée par nous de trois côtés. Mais cette position diminuée devait leur paraître d’autant plus insupportable que si elles n’avaient pas eu l’audace, elles avaient au moins le nombre : un million d’habitants en 1740, contre 40 000.
Pierre Gaxotte, Le siècle de Louis XV, p. 201
La formidable expansion territoriale qu’a connue la Nouvelle-France depuis le tournant du XVIIIe siècle (Nouvelle-France qui s’étend ainsi désormais de la Louisiane au Canada en passant par le bassin du Mississippi et la région des Grands Lacs), n’a effectivement eu de cesse d’inquiéter ses populeuses voisines, les Treize Colonies britanniques, désormais enserrée entre la côte atlantique et les montagnes des Appalaches. Déjà en grande tension avec la colonie française depuis le XVIIe siècle pour des raisons alors essentiellement commerciales (le monopole de la traite des fourrures), les colonies anglo-américaines étouffent ainsi de plus en plus sous le châssis français, qui brident leur développement alors même que les Treize Colonies enregistrent un essor démographique littéralement spectaculaire.
Au-delà des questions économiques et commerciales, il existe en effet une différence fondamentale dans les dynamiques d’ensemble qui caractérisent les deux colonies rivales : leur différentiel démographique. Il n’y a à vrai dire aucune comparaison possible entre les flots de population qui débarquent de façon presque continue dans les ports de la Virginie ou de la Nouvelle-Angleterre depuis le milieu du XVIIe siècle, et l’émigration au compte-goutte vers la Louisiane ou la vallée du Saint-Laurent.
Pays immense comparable à l’époque à la Chine d’aujourd’hui, la France de l’Ancien Régime demeure un pays d’essence rurale et agricole, où les nouveaux bras sont toujours les bienvenus et où les terres ne manquent pas. Soit tout le contraire des îles Britanniques de la même époque, objets d’une croissance démographique importante et que le pays n’est guère en capacité d’absorber, en particulier sur le plan agricole, l’ère étant alors à l’enclosure (la privatisation par de riches propriétaires fonciers des anciennes terres communales, et leur transformation quasi-systématisée en pâturages exclusifs pour des troupeaux de moutons, dans le cadre du commerce de la laine alors en pleine expansion). Les paysans britanniques manquent de terres et connaissent une grande paupérisation depuis le début de l’époque moderne. Aussi sont-ils nombreux, à la différence de leurs voisins d’outre-Manche, à prendre le risque du grand voyage à travers l’Atlantique dans le rêve d’une vie meilleure (ils seront nombreux à « s’engager » avec leurs familles sur démarchage actif des riches colons et marchands, et ce seront par bateaux entiers qu’ils gagneront les colonies américaines).
Petites et désormais surpeuplées et hostiles au paysan libre, les îles Britanniques exportent ainsi en Amérique leur excédent démographique. Au début du XVIIIe siècle, c’est tous les jours en moyenne un navire qui quitte la Grande-Bretagne pour l’Amérique du Nord, chargé de familles de paysans fauchés, de cadets de famille sans perspective, de puritains en quête de liberté exclusive, de vagabonds et de délinquants de droit commun qui se voient ainsi offrir une seconde chance (des historiens britanniques estiment que ce serait entre 50 000 et 120 000 prisonniers – de droit commun, politiques et de guerre – qui auraient été déportés par l’Angleterre vers ses colonies américaines entre 1610 et 1776). Oppressés par la domination anglaise, les Irlandais et les Écossais vont également émigrer en masse vers les colonies britanniques d’Amérique, qui offrent un refuge et la perspective d’un pays plein de promesses, où la misère et la disette n’existent pas, et où la terre abonde. Des milliers de protestants d’origine suisse, hollandaise, allemande, scandinave,… complètent pour finir ce flux en direction de l’Amérique anglaise, qui aura donc pour caractéristique fondamentale de se peupler dix fois plus vite que sa voisine (et bientôt rivale) française. La perspective d’un ennemi commun va alors achever de cimenter toutes ces disparités de cultures et d’origines :
Le besoin de vivre et de se protéger imposa [aux émigrés anglais, écossais, irlandais, suisses, allemands, etc. des Treize Colonies] une vie commune. Ils se groupèrent contre les Indiens, contre les Hollandais, contre les Espagnols, contre les Français. Le sentiment du danger en fit un corps uni et vigoureux, toujours prêt à l’attaque comme à la défense.
Pierre Gaxotte, Le Siècle de Louis XV, pp. 201-202
Au début des années 1740, la Nouvelle-France et la Louisiane comptent, pour leur part, à peu près 50 000 habitants, dont les familles souches proviennent essentiellement de la France de l’Ouest. Depuis les années 1700, le flux de l’émigration s’est limité pour l’essentiel aux militaires et aux marins. La croissance démographique de la colonie française (qui se limitait à 2 000 habitants en 1660, 16 000 vers 1700) est due à une natalité exceptionnelle de l’ordre de 65 pour 1 000.
Malgré cette vitalité démographique, l’État n’a guère encouragé les Français à s’installer en Nouvelle-France et en Louisiane, voire y a même pris des mesures restrictives (comme l’interdiction faite aux Protestants de s’établir au Canada). L’interminable hiver canadien a aussi rebuté nombre de candidats potentiels à l’émigration. En 1755, le quart de la population canadienne vit dans les villes de Québec (7 à 8 000 habitants), Montréal (4 000 et Trois-Rivières (1 000). Un effort est également fait pour accélérer le peuplement de Détroit (dont la ville américaine porte toujours le nom), la clé de voûte des Grands Lacs. La Louisiane, colonie presque marginale, compte alors quant à elle à peine 4 000 habitants d’origine française.
Face à cet écart démographique croissant et le risque qu’il fait peser sur l’avenir de la colonie, depuis le début XVIIIe siècle, les gouverneurs de la Nouvelle-France ont adopté une politique défensive (nous pourrions dire de containment). En s’appuyant sur le réseau de postes de traite qui maillent ses immensités du golfe du Mexique à celui du Saint-Laurent, et à défaut de parvenir à la peupler, il s’agit de fortifier la Nouvelle-France, et surtout de garantir l’unité entre les grands bassins de peuplement (relatifs) que constituent le Canada et la Louisiane. Loin de rassurer ses voisins toujours plus nombreux par son caractère a priori simplement défensif, cette politique de fortification aura pour paradoxe de ne faire que majorer l’inquiétude des colons britanniques et, in fine, de pousser ces derniers à l’offensive…
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 1, p. 4)
(source : Les Pionniers du Nouveau Monde, tome 2, p. 33)
De la défense à la Conquête : les derniers sursauts de la Nouvelle-France
Depuis le début du XVIIIe siècle, l’écart de peuplement entre les colonies française et britannique n’a donc cessé de se creuser. Au moment où la Nouvelle-France peine à atteindre les 70 000 habitants d’origine européenne (pour un territoire grand comme trois fois la France !), l’Amérique anglaise est ainsi déjà forte de vingt fois plus de colons. Et le différentiel ne cesse de grossir.
(source : Les Pionniers du Nouveau monde, tome 4, p. 3)
Mais plus encore que ce grand différentiel de population, c’est la politique de contrôle des vastes territoires revendiqués par la France, couplée à l’expansionnisme territorial des colonies anglaises, qui vont mettre définitivement le feu aux poudres en Amérique du Nord. À partir des années 1720, les gouverneurs successifs de la Nouvelle-France n’ont à vrai dire qu’une seule obsession : unifier les deux colonies séparées par des milliers de kilomètres, contrôler ces vastes espaces et les protéger de l’expansionnisme des colonies anglaises. Des colonies qui, bientôt à l’étroit, ne demandent en effet qu’à s’étendre vers l’ouest et le nord – vers les immensités sauvages et sous-peuplées de la Nouvelle-France.
Cette politique de défense de la Nouvelle-France va prendre la forme d’une politique de fortification. De la même façon que la forteresse de Louisbourg sera bâtie pour verrouiller l’entrée maritime de la Nouvelle-France, les Français vont ériger à l’intérieur du continent un remarquable réseau de forts et de postes avancés qui, du Mississippi au Saint-Laurent en passant par les Grands Lacs, maillent les immenses territoires de la Nouvelle-France, et en particulier sa région-frontière avec les colonies anglaise de la côte Est. Cette politique défensive montre que de Dubois à Fleury, les gouvernements de Louis XV, bien qu’engagés dans une diplomatie pacifique avec l’Angleterre, ne négligèrent pas les intérêts français en Amérique du Nord. Mais malheureusement – et paradoxalement, cette grande politique de fortification ne va faire que majorer l’inquiétude des colons britanniques, et faire encore monter d’un cran la tension entre les deux grands ensembles coloniaux d’Amérique du Nord.
La chute de la Nouvelle-France durant la guerre de Sept Ans (1754-1763)
Durant les décennies 1720 et 1730, tandis que les Treize Colonies britanniques enregistrent un développement économique et démographique sans précédent, la Nouvelle-France se garnit donc de forts. Les gouvernements du cardinal de Fleury (1726-1743) en France et de Robert Walpole à Londres demeurant soucieux de la paix et de la stabilité européenne, aucune guerre franco-britannique sur le Vieux Continent ne vient se répercuter en Amérique, et les deux colonies continuent de tracer leur chemin de leur côté (non sans quelques échauffourées et accrochages réguliers à leurs frontières). L’éclatement de la guerre de Succession d’Autriche en 1740 en Europe va néanmoins provoquer un retour des franches hostilités de l’autre côté de l’Atlantique, et enclencher le jeu d’engrenages qui mèneront bientôt au grand choc de la guerre de Sept Ans (1754-1763).
Bien qu’elle constitue la colonie la plus aboutie du premier empire colonial français, la grande disparité de peuplement entre la Nouvelle-France et ses voisines britanniques (et encore plus fondamentalement, la différence globale de vision et de politique de la France et de la Grande-Bretagne vis-à-vis de leurs empires coloniaux respectifs) auront in fine raison de l’Amérique française. Alors que les Treize Colonies britanniques rêvent de se débarrasser de l’encombrant voisin français pour s’étendre à l’ouest et que l’État britannique se démarque chaque année par une vision toujours plus claire, globale et cohérente de l’avenir colonial et maritime de son pays (et tend à se donner toujours davantage les moyens de ses ambitions), il en sera peu ou prou tout le contraire de la France de Louis XV, dont la richesse dépend prodigieusement d’un Empire qu’elle ne se semble pourtant pas se donner les moyens ni même l’ambition de conserver… Une divergence de volonté et de stratégie fondamentale qui, si elle ne sera pas trop préjudiciable au monde colonial français durant la première moitié du XVIIIe siècle, finira par lui être fatal lors de la désastreuse guerre de Sept Ans, conflit en forme de grand tournant de l’Histoire du Monde moderne. Mais ceci est une autre histoire… 😉 (voir liens et encadré ci-dessous !)
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Pour aller plus loin… 🔎🌎
Ce petit épisode de la série des « Il était une fois… » du blog centré sur l’histoire de la fondation et du développement de l’ancienne grande colonie française d’Amérique du Nord est en fait extrait de mes deux grandes séries consacrées respectivement à l’épopée de la Nouvelle-France et à la guerre de Sept Ans. Si l’histoire du Canada français et plus globalement celle des empires coloniaux et du « grand XVIIIe siècle » vous intéressent (ce fut en effet une période charnière de l’Histoire moderne), je vous oriente ainsi vers la découverte de ces deux riches séries documentaires.
La première, de l’exploration du Canada à la cession de la Louisiane par Napoléon, des premiers comptoirs de commerce à la colonie royale, des alliances amérindiennes au grand conflit final avec l’Angleterre et ses colonies américaines voisines (et au travers de multiples et superbes cartes et illustrations), vous emmènera ainsi à la découverte de l’ancienne Amérique française, à l’histoire aussi épique que riche d’enseignements !
Et la seconde (consacrée à la guerre de Sept Ans) pour découvrir en profondeur l’histoire de cet immense conflit, considéré par de nombreux historiens comme l’une si ce n’est “la” première guerre véritablement « mondiale » de l’Histoire. Un conflit qui débutera (et se propagera) en effet dans l’ensemble des empires coloniaux du monde, lui conférant ainsi une dimension planétaire et maritime inédite. Une guerre constituant en outre le plus grand choc de l’intense conflit global qui opposera tout au long du XVIIIe siècle la France et la Grande-Bretagne pour la domination (de la mondialisation) du monde ; une suite ininterrompue de conflits, de Louis XIV à Waterloo, d’ailleurs qualifié de « Seconde guerre de Cent Ans » par certains historiens. Une passionnante série d’articles en forme de grande fresque historique, qui vous portera ainsi des Grandes Découvertes à la chute du Canada et des Indes françaises, et de la fondation des grandes empires coloniaux européens outremers et de la naissance de la mondialisation maritime et de la globalisation économique à l’émergence du capitalisme, du libéralisme et plus globalement d’un nouvel ordre mondial caractérisé par l’hégémonie planétaire britannique (sur les plans maritime, colonial, économique, culturel, géopolitique, etc.). Une grande série qui vous amènera aussi à mieux comprendre tant les racines de la guerre d’Indépendance américaine que celles de la Révolution française et des guerres napoléoniennes ; autant d’événements qui structureront décisivement notre monde contemporain !
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Une carte pour partir sur les traces de la Nouvelle-France…
Pour les curieux et passionnés d’Histoire et de patrimoine et qui souhaiteraient partir à la découverte de la mémoire de trois siècles de présence française en Amérique du Nord, je vous renvoie vers la riche carte que j’ai développée sur le sujet. Sur cette chouette carte en ligne, figurent en effet près d’une centaine de lieux liés aux temps de la Nouvelle-France et à l’héritage architectural et culturel laissés par les Français dans les actuels Canada et États-Unis (anciens forts, citadelles, postes de traite, musées, mémoriaux liés à la déportation des Acadiens, sites de bataille, habitations des gouverneurs de la Nouvelle-France, etc.), ainsi qu’un certain nombre de lieux en France liés aux figures de l’exploration et de la fondation de la Nation Canadienne francophone (maison, sépulture et statues de Jacques Cartier dans la région de Saint-Malo, monuments de commémoration à Samuel de Champlain à Honfleur, mémorial des Acadiens de Nantes, etc.). Autant de lieux qui vous permettront ainsi d’arpenter les traces et les mémoires de la Nouvelle-France « sur le terrain » et d’en apprendre davantage sur ces différents grands et petits lieux et personnages ayant participé à l’écriture de l’histoire de l’Amérique française, dont l’héritage est encore bien vivant aujourd’hui, tant au Québec qu’en Louisiane… !
À noter que cette carte en ligne s’inscrit plus globalement dans la carte générale du blog, que j’ai développée sur l’application française Mapstr. Une riche « bibliothèque cartographique » comptant actuellement plus de 6.000 adresses de lieux de patrimoine (naturel, architectural, culturel,…) remarquables, à découvrir partout en France et dans le monde ! Une carte que je réserve évidemment aux abonnés du site étant donné le travail monstrueux qu’elle m’a représenté (et qu’elle représente toujours car je l’enrichis continuellement !), et que je présente dans cet autre article du blog, pour celles et ceux que cela intéresse (et qui souhaiteraient donc bénéficier des adresses liées à l’histoire de la Nouvelle-France et du Canada français !).
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Et sinon, pour les intéressés et autres curieux, vous pouvez prendre connaissance de tous mes articles, (photo)reportages, récits de voyage, documentations et cartes liés plus globalement à l’histoire, à la géographie ainsi qu’au patrimoine (naturel, architectural, culturel,…) de la France (de l’Antiquité à nos jours), en consultant mes rubriques respectivement dédiées à ces deux domaines – notamment sa riche cartothèque (accessibles ici : catégorie « Histoire de France » et catégorie « Géographie de France »).
Et si d’autres sujets et thématiques vous intéressent, n’hésitez pas également à parcourir ci-dessous le détail général des grandes catégories et rubriques du site, dans lesquels vous retrouverez ainsi l’ensemble de mes articles et cartes classés par thématique. Bonne visite donc et à bientôt !
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